Avec la dissolution officielle du Pacte de Varsovie, les pays de l'Europe centrale ont liquidé les derniers vestiges de leur subordination passée à l'Union soviétique.
La transition de dictatures dominées par des partis monolithiques à des régimes parlementaires plus ou moins démocratiques est partout parachevée.
Dernière en date des ex-Démocraties populaires à suivre le mouvement, l'Albanie a fait à son tour sa mue en changeant le nom de l'ex-Parti communiste dirigeant en Parti socialiste, sans pour autant changer l'équipe au pouvoir.
La chute, ou la transformation, des anciennes dictatures imposées par l'URSS, abandonnées à leur sort par un pouvoir soviétique affaibli, a été entièrement conduite d'en haut, mais avec l'assentiment de la majeure partie de la population, et parfois même en s'appuyant sur une certaine mobilisation, cependant toujours canalisée par des forces politiques représentant les couches privilégiées.
La classe ouvrière n'est, nulle part, intervenue politiquement de façon autonome dans ces transformations.
Les formations politiques qui dirigent aujourd'hui les pays de l'Est, qu'elles soient constituées d'un personnel politique issu d'une opposition pro-occidentale (Pologne, Tchécoslovaquie, Hongrie) ou qu'elles soient directement issues des anciens partis au pouvoir plus ou moins reconvertis (Albanie, Roumanie et, jusqu'à une période récente, Bulgarie), prônent toutes la réintégration complète de l'économie de leurs pays dans le monde capitaliste et font profession de foi envers la démocratie parlementaire.
La réintégration dans le monde capitaliste est en train de s'accomplir. Après le "socialisme réel", les pays de l'Est découvrent le "capitalisme réel". Il se traduit, dans tous les pays d'Europe centrale sans exception, par un recul de la production, par une envolée des prix et par une explosion du chômage.
Le produit intérieur est partout en chute sur les deux années écoulées (Pologne - 9 %, Roumanie -7 %, Tchécoslovaquie - 11 %, Bulgarie - 23 %). Quant à la production industrielle, elle a plongé de près de 20 % à l'échelle de l'ensemble de l'Europe de l'Est.
En un an, le nombre de chômeurs a été multiplié par deux en Pologne, par trois en Roumanie, par cinq en Hongrie, par huit en Tchécoslovaquie (cette dernière partant, il est vrai, de plus bas).
Le recul de la production est par la force des choses celui du secteur étatique. Il provient, pour une part, tout simplement de la dislocation des anciens secteurs de planification. Pour une autre part, il provient de la cessation des subventions étatiques à des entreprises considérées comme déficitaires. Pour une autre part encore, il provient des "assainissements" opérés par des organismes d'État chargés de les revendre au capital privé, ce qui se traduit par la liquidation de certaines productions considérées comme non rentables.
Mais si, étant donné la désorganisation que tout cela entraîne et étant donné aussi la volonté des gouvernements de procéder le plus rapidement possible à des privatisations, l'État n'investit guère, les capitaux privés n'en ont pas pour autant pris le relais. Non seulement il n'y a pas de capitaux à consacrer à la création de forces productives supplémentaires, mais les capitaux privés ne se précipitent pas vers les entreprises déjà existantes même si le prix en est bradé, ce qui est parfois le cas.
La bourgeoisie autochtone renaissante est économiquement peu puissante, même dans les moins pauvres de ces pays. Elle dispose de peu de capitaux et elle n'a pas vraiment envie d'investir sur place ceux dont elle dispose. Seuls les secteurs permettant des perspectives d'enrichissement rapide, comme le commerce ou certains créneaux dans les services, l'import-export, attirent des capitaux.
Les pays de l'Est ont bien ouvert leurs frontières aux capitaux occidentaux mais l'Europe occidentale n'a pas ouvert ses frontières devant les marchandises venant des pays de l'Est.
La rupture des liens qui existaient au sein du Comecon entre l'Union soviétique et ces pays comme entre ces pays eux-mêmes, rupture qui a fermé des débouchés devant leurs industries, n'a pas été compensée en Occident. En outre, tout en cherchant des liens, des marchés et des capitaux en Occident, ces pays pratiquent entre eux une politique protectionniste (douanes et surtout monnaies non-convertibles).
L'"intégration" dans le marché capitaliste se traduit concrètement par un repliement économique de ces pays sur eux-mêmes.
Par delà la diversité des politiques économiques des différents gouvernements des pays de l'Est - diversité qui est grande entre les deux extrémités de l'éventail constitué à un bout par une Tchécoslovaquie avec une industrie relativement développée ou une Hongrie avec une intégration relativement poussée dans l'économie mondiale et à l'autre bout par l'Albanie avec ses possibilités économiques limitées et son passé d'autarcie économique - un certain nombre de traits se retrouvent partout.
Tous ces gouvernements sont engagés dans des politiques dites de réforme, qui visent avant tout à réduire la part de la classe ouvrière dans le revenu national, tout autant qu'à tenter d'attirer les capitaux occidentaux en suivant à la lettre les recommandations du FMI.
C'est en Pologne que cette politique a été poussée le plus loin, à travers le programme de réformes de Mazowiecki et le plan de Balcerowicz. Ce plan consistait à libérer tous les prix, à supprimer toutes les subventions y compris aux produits de première nécessité et en un blocage des salaires, assorti de sanctions envers les contrevenants.
Conjuguées à une levée de taxes à l'importation et à une dévaluation de la monnaie nationale permettant sa convertibilité par rapport au dollar, toutes ces mesures ont brutalement abaissé le niveau de vie des classes populaires et en particulier celui de la classe ouvrière.
Les gouvernements polonais ont cependant reculé devant la suppression de subventions à toutes les entreprises, recommandée par les organismes internationaux, de peur que la vague de licenciements qui s'ensuivrait provoque des explosions sociales.
Les dirigeants de la Hongrie et ceux de la Tchécoslovaquie se sont engagés dans la même voie, de façon plus progressive.
Même la Pologne, malgré le caractère radical des mesures anti-ouvrières de son gouvernement, n'est pas devenue pour autant attractive pour les capitaux occidentaux. Seules de rares grandes entreprises ont été rachetées par des capitaux étrangers. Au total, capital autochtone et capital étranger confondus, seuls 11 % de la production industrielle sont le fait du secteur privé (14 % en Hongrie).
De toute évidence, les capitaux étrangers préfèrent piller les pays de l'Est comme ils pillent déjà les pays semi-développés d'un niveau économique comparable en Amérique latine ou ailleurs, par l'intermédiaire du système financier.
C'est dire que, quelle que soit la volonté affichée des dirigeants de privatiser toute leur économie, ils sont ou ils seront confrontés à l'alternative suivante : ou accepter le démantèlement et l'écroulement de l'économie nationale avec une régression plus forte encore que jusqu'à présent, ou maintenir un fort secteur étatisé.
La politique de classe anti-ouvrière menée par tous les gouvernements en place dans les pays de l'Est se traduit par un accroissement des inégalités sociales. D'un côté, les masses ouvrières font connaissance avec le chômage ainsi qu'avec la suppression des avantages sociaux. De l'autre côté, une couche bourgeoise affairiste étale, comme dans nombre de pays sous-développés, son imitation du mode de vie de la bourgeoisie occidentale.
Cette bourgeoisie se développe, en général, à partir de secteurs qui ne demandent pas de gros investissements mais qui rapportent beaucoup, en laissant de côté la production proprement dite. Elle se développe plus encore dans les secteurs où il lui est possible de parasiter les entreprises d'État. C'est littéralement une bourgeoisie "compradore" si ce n'est "charognarde".
Cette couche privilégiée parasitaire a une attitude d'autant plus arrogante vis-à-vis de la classe ouvrière qu'elle a la possibilité politique de mettre les difficultés économiques sur le dos des régimes antérieurs prétendument communistes, quand elle n'invoque pas la responsabilité de la classe ouvrière que ces régimes prétendaient incarner. Attitude d'autant plus cynique que la plupart des membres des classes riches sont issus de la nomenklatura qui assurait la dictature et qui en tirait profit.
Dans les classes exploitées, à la haine contre les anciennes dictatures sont venues s'ajouter les désillusions envers les nouveaux régimes. Cela apparaît notamment par le pourcentage important des abstentions lors des élections les plus récentes, aussi bien en Pologne qu'en Bulgarie ou en Hongrie.
Cela aboutit pour l'instant à l'écœurement, voire à la résignation, sans s'être jusqu'à présent transformé en menace pour les couches dirigeantes.
Les classes privilégiées des pays de l'Est ont réussi jusqu'à présent la transition politique et entamé les changements de structure économique avec ce que cela implique de difficultés pour les classes laborieuses, sans avoir déclenché de révoltes sociales. La raison principale en est la désorganisation et le manque de perspectives de la classe ouvrière après 40 ans de dictature de régimes qui se prétendaient communistes (et cela dans un contexte de recul général de la confiance de la classe ouvrière en elle-même à l'échelle du monde).
Les nouveaux régimes n'auront cependant pas évité les crises politiques. Tous sont instables.
Même dans le cas de la Pologne où, pourtant, la transition s'est préparée de longue date et pouvait de surcroît s'appuyer en ses débuts sur l'autorité de Solidarnosc dans l'ensemble de la société polonaise et dans la classe ouvrière en particulier, le résultat des élections législatives toutes récentes montre que le régime s'achemine vers une crise institutionnelle.
La transformation du mouvement politique autour de Solidarnosc en un ou deux partis importants, susceptibles d'alterner au pouvoir, n'a pas été réussie. Le parti le plus important ayant recueilli moins de 13 % des voix dans une Assemblée dispersée entre un grand nombre de partis rivaux - où l'ancien parti stalinien réussit la performance d'apparaître en deuxième position (et même en première si on lui ajoute les voix du parti paysan pro-stalinien) - le parlementarisme polonais apparaît mort-né, conduisant à de probables tentatives de régime autoritaire de la part de Walesa ou d'un plus réactionnaire encore.
Pour des raisons et dans des contextes différents, les deux autres pays de l'Est dont on dit qu'ils se sont engagés sur la voie démocratique, la Tchécoslovaquie (minée par le conflit entre personnels politiques tchèques et slovaques) et la Hongrie (avec son personnel politique particulièrement minable), ne semblent pas assurés d'une bien grande stabilité. Ces régimes parlementaires instables, frappés d'impuissance ou, au contraire, menacés de tentations autoritaires, peuvent cependant convenir tout à fait à la classe privilégiée locale comme à la bourgeoisie internationale tant qu'ils maintiennent l'ordre social.
Quant à la Roumanie, la Bulgarie et à plus forte raison l'Albanie, elles ne font que recouvrir des régimes autoritaires d'un peu de vernis multipartiste au goût du jour.
En l'absence d'un mouvement ouvrier capable d'utiliser les quelques possibilités démocratiques pour construire de véritables organisations révolutionnaires prolétariennes, les libertés se limitent pour l'instant à la libre expression d'idées réactionnaires, anti-communistes et anti-ouvrières. Elles seront d'ailleurs probablement supprimées dès qu'il y aura la moindre menace qu'elles ne se limitent plus à cela.
La "démocratie" polonaise ne cherche même pas à cacher la dictature sociale de l'Église et de la religion dans sa variante intégriste. La société polonaise n'est sortie de la barbarie stalinienne que pour subir la barbarie médiévale de l'Église.
En Tchécoslovaquie, le système parlementaire sert de plus en plus de champ clos aux rivalités des castes politiques tchèques et slovaques (mais il est vrai que le fait que ces rivalités restent enfermées dans ce champ clos serait encore un moindre mal).
En Hongrie, la transition "démocratique" entamée par les dirigeants du Parti Communiste eux-mêmes est en train d'accoucher d'une chasse aux sorcières anti-communiste, au nom bien entendu de la liquidation des séquelles de l'ancien régime.
Mais c'est la montée continue du nationalisme qui est le fait le plus menaçant pour les classes exploitées, comme pour les sociétés d'Europe de l'Est dans leur ensemble. Cette montée du nationalisme est encouragée par les dirigeants politiques eux-mêmes qui, pour "consoler" les classes exploitées de l'effondrement de leur niveau d'existence, leur servent un peu partout, même si c'est sous des formes plus ou moins virulentes, des discours sur la gloire nationale et distillent l'hostilité contre les peuples voisins ou contre les minorités nationales présentes sur leur territoire.
Sur ce terrain, ils trouvent inévitablement plus nationalistes et plus démagogues qu'eux. L'oppression s'aggrave contre la minorité nationale turque en Bulgarie ou la minorité hongroise en Roumanie. L'oppression de ces minorités sert, réciproquement, de prétexte pour alimenter le nationalisme du pays qui prétend les protéger.
L'aggravation des relations entre les composantes tchèque et slovaque de la Tchécoslovaquie au cours de l'année écoulée montre que la montée des nationalismes n'est pas arrivée à son terme.
Mais c'est évidemment en Yougoslavie que cette montée des nationalismes opposés a pris la tournure la plus grave. Bien que la Yougoslavie n'ait pas été vraiment un modèle d'égalité entre peuples, c'est tout de même la démagogie nationaliste développée par les dirigeants des différentes républiques yougoslaves, pour conserver ou pour renforcer leur pouvoir, qui a conduit à la résurgence puis à l'aggravation des hostilités interethniques.
Ces dirigeants, issus aussi bien en Serbie qu'en Croatie ou en Slovénie de l'ancienne nomenklatura titiste, semblent aujourd'hui débordés sur le terrain de la démagogie nationaliste. En Croatie, par des formations paramilitaires fascisantes se revendiquant des oustachis ; en Serbie, par des groupes ultranationalistes monarchistes.
L'affrontement de bandes nationalistes rivales a mené la Yougoslavie à la dislocation, la guerre ethnique s'alimentant d'elle-même, les horreurs causées aujourd'hui par les uns justifiant l'horreur de demain par les autres. Dans l'état actuel des choses, on ne voit guère ce qui pourrait sauver l'unité de la Yougoslavie (quelles que soient les formes juridiques futures reconnues par la diplomatie internationale). Pourtant, la dislocation de la Yougoslavie, comme tout morcellement supplémentaire dans la région serait une régression. Et cette régression économique, politique, culturelle, ne serait même pas, au moins partiellement, compensée par une liberté un peu plus grande pour les peuples car, en raison de leur interpénétration, chaque entité même réduite aurait encore sa ou ses minorités qui risqueraient d'être plus opprimées que jamais.
En outre, ce morcellement sur la base des nationalismes exacerbés ne pourrait que favoriser l'émergence de régimes autoritaires, voire de dictatures.
L'intervention diplomatique des puissances impérialistes européennes ne montre pour l'instant que leur impuissance à arrêter les affrontements interethniques malgré leur intérêt à une stabilisation dans cette région explosive. Mais les différences d'attitudes qui commencent à se dessiner, à l'égard notamment de l'indépendance slovène et croate, ne reflètent sûrement pas un respect plus ou moins grand du "droit des peuples à disposer d'eux-mêmes", mais des divergences d'intérêts notamment entre l'Allemagne ainsi que l'Italie qui ont un pied dans ces deux républiques, et les autres puissances. Et il faut se souvenir comment, dans le passé, les rivalités des grandes puissances se sont greffées sur les conflits entre nationalités et ont contribué à leur exacerbation.
Il ne s'agit pas d'évoquer Sarajevo, et les débuts de la première guerre impérialiste mondiale. Pour cette guerre-là, les rivalités balkaniques n'ont joué que le rôle de détonateur. Mais il faut rappeler que la guerre mondiale elle-même a été précédée d'une succession de guerres balkaniques, ensanglantant périodiquement la région. Etant donné que l'interpénétration des peuples ne s'arrête pas aux frontières de la Yougoslavie, et que notamment l'Albanie se trouve impliquée par le Kosovo, la Bulgarie par la Macédoine, et la Hongrie par la minorité hongroise de la Voïvodine, les conflits interethniques en Yougoslavie sont porteurs d'une menace d'extension à l'échelle de la région.
Les nouveaux régimes installés en Europe de l'Est n'ont jusqu'à présent apporté, en guise de restructurations économiques, qu'un recul économique, qu'une différenciation sociale plus grande et qu'une misère accrue pour les classes exploitées. Ils n'ont apporté, en guise de démocratie, que des régimes justifiant et renforçant l'exploitation et le mauvais sort fait à la classe ouvrière.
Tout cela confirme à l'évidence que la classe ouvrière n'avait pas intérêt à rester à la remorque de forces bourgeoises pour abattre les régimes staliniens, même si cette bourgeoisie prétendait mener son combat au nom de la démocratie. Mais la démocratie n'est qu'un moyen de tromper la classe ouvrière, si celle-ci n'est pas capable de saisir les possibilités qu'elle offre pour défendre ses intérêts de classe.
La classe ouvrière des pays de l'Est sera inévitablement amenée au moins à des luttes défensives par l'évolution des choses elle-même. D'autant que cette classe ouvrière ne manque pas de combativité, comme l'a montré la décennie passée en Pologne surtout, mais aussi, dans une moindre mesure, en Tchécoslovaquie, en Roumanie ou en Hongrie. Mais le problème n'est pas la combativité de la classe ouvrière mais l'absence d'une perspective politique qui ne saurait être que celle de la révolution prolétarienne internationale.
Personne n'a réellement les moyens de prédire quand et sous quelle forme pourront renaître, de la débâcle du stalinisme et des désillusions envers les régimes qui en ont pris la succession, des organisations révolutionnaires communistes. La réponse à cette question ne peut être qu'une affirmation militante.
Il serait ridicule de croire pouvoir élaborer en chambre et à distance ce qui devrait être la politique d'une organisation révolutionnaire dans les différents pays d'Europe centrale (et franchement surréaliste de donner des positions tactiques dans les diverses phases et rebondissements des conflits interethniques qui déchirent la Yougoslavie).
En revanche, pour des militants qui se revendiquent de Marx, de Lénine et de Trotsky, il n'y a nul mystère pour ce qui est des principes sur lesquels une organisation révolutionnaire devrait se bâtir. On peut même en entrevoir les grandes lignes de l'orientation générale dans les conditions de pays sortant d'une longue période de dictatures staliniennes, ressenties de surcroît comme des incarnations d'une oppression étrangère, imposées et protégées qu'elles avaient été par la bureaucratie soviétique.
Une organisation révolutionnaire se démarquerait évidemment le plus nettement de la prostitution des idées communistes qu'a représenté le stalinisme et surtout le stalinisme au pouvoir. Elle dénoncerait sa responsabilité dans l'état de désorientation actuelle de la classe ouvrière.
Mais les dictatures staliniennes sont mortes et enterrées par l'histoire en Europe centrale (mais on ne peut nullement exclure que, s'il n'apparaît pas un courant communiste révolutionnaire assez crédible pour offrir une perspective, des partis issus du courant stalinien connaissent un regain d'influence notamment dans les couches les plus pauvres du prolétariat, les plus écrasées par le capitalisme sauvage en cours). Le combat principal d'une organisation communiste révolutionnaire ne doit cependant pas être contre les fantômes du passé, ce passé eût-il été infâme, et de par la dictature, et de par la prétention d'avoir été exercée au nom du prolétariat et pour le communisme. Le combat prioritaire actuel est contre les forces bourgeoises et petites-bourgeoises qui ont pris le relais du stalinisme.
La tâche première d'organisations révolutionnaires serait d'œuvrer pour que la classe ouvrière de ces pays renoue avec les idées et les traditions de la lutte de classe consciente. Ce qui implique de se démarquer le plus nettement de toutes les forces politiques bourgeoises ou petites-bourgeoises qui exercent une influence dans la classe ouvrière, que cette influence soit exercée au nom du "démocratisme", au nom de la religion ou au nom du nationalisme (même sous sa forme démocratique, c'est-à-dire mettant le combat contre une oppression nationale sur son drapeau, et à plus forte raison, sous sa forme chauvine).
Dénoncer évidemment toutes les forces ouvertement anti-ouvrières, réactionnaires qui tentent de profiter de la désorientation des travailleurs pour véhiculer parmi eux les pires pourritures religieuses, chauvines, fascisantes.
Mais susciter, attiser, aussi, systématiquement la méfiance des travailleurs à l'égard des forces bourgeoises ou petites bourgeoises qui se présentent au nom de la démocratie. Démontrer systématiquement l'opposition entre les phrases creuses de ces forces sur la "liberté", la "démocratie", le "droit des peuples", etc. et la réalité. S'opposer vigoureusement au "démocratisme" abstrait qui met le prolétariat à la remorque de forces politiques prétendument démocrates mais qui est, surtout, défenseur de l'exploitation et de l'oppression des travailleurs. S'opposer tout aussi vigoureusement aux partis nationalistes bourgeois. Mettre systématiquement en évidence tout ce qui sépare les intérêts de la classe ouvrière des intérêts des couches bourgeoises et petites-bourgeoises, comme tout ce qui unit les intérêts de la classe ouvrière, dans la diversité de ses langues, de ses nationalités.
L'évolution des pays de l'Europe centrale, et plus particulièrement celle de la Yougoslavie - qui n'est, sans doute, malheureusement, que le premier exemple dans la région d'une guerre civile qui n'est porteuse d'aucun avenir - illustre à quel point, tant que l'initiative politique appartient exclusivement aux représentants politiques de la bourgeoisie, ces pays, petits par la taille et par la population, morcelés, pas vraiment développés sur le plan économique, inévitablement écrasés par les ambitions économiques et politiques des puissances impérialistes, ne pourront connaître que la misère et la barbarie.
Seule la révolution prolétarienne, arrachant le pouvoir à des couches privilégiées parasitaires nécessairement réactionnaires, révolution ayant pour ambition de démolir les multiples frontières et de créer une entité plus vaste, à l'échelle au moins de toute l'Europe centrale et balkanique, mais assurant en même temps à chaque peuple le droit de se diriger politiquement lui-même, pourrait créer les conditions d'un nouvel essor.
Et malgré les aléas de la situation actuelle et le recul des idées socialistes ou de la notion de dictature de prolétariat, il n'y a d'autre avenir pour l'Europe, que dans une Union socialiste des peuples d'Europe, grands et petits.
$$s11 novembre 1991