Trois mois de grèves et de manifestations dans l'Education nationale

Εκτύπωση
Eté 2003

La riposte aux attaques du gouvernement est venue sans doute d'un secteur où il ne l'attendait pas. Alors que tout semblait sur les rails et que, fort de sa majorité au Parlement, il pouvait penser qu'il avait la voie libre et que son projet sur les retraites passerait sans grosses difficultés, assuré, croyait-il, du consensus des confédérations syndicales, ce furent les personnels de l'Education nationale, et plus particulièrement les enseignants, qui mirent le feu aux poudres, car ils furent les déclencheurs et le fer de lance d'un mouvement qui, par son ampleur, par sa durée et sa détermination, a contribué à modifier la situation. Et bien au-delà de ce seul secteur.

Le mouvement de grève et de manifestations dans l'Education nationale s'est développé ces trois derniers mois, de fin mars pour les premiers partants à la mi-juin. Il s'est opposé aux mesures du gouvernement concernant la décentralisation et la réforme des retraites et a touché l'ensemble du pays. Cette mobilisation a été inégale selon les quartiers, les villes, les régions. Elle a parfois été plus forte dans les écoles primaires, parfois dans les collèges, les lycées et les lycées professionnels. Mais elle s'est structurée partout autour d'une minorité déterminée qui, de proche en proche, étendait la grève reconductible et trouvait un encouragement et des troupes nouvelles à la faveur des journées d'action programmées par les syndicats enseignants pour certaines, et par l'ensemble des syndicats pour celles qui concernaient la lutte contre les attaques sur les retraites qui visent l'ensemble des salariés.

Le personnel de l'Education nationale compte plus d'un million de salariés. Selon les chiffres fournis par le ministère pour 2001 (personnels du public et du privé sous contrat), 358 000 sont des enseignants du primaire, quelque 508 000 sont des enseignants du second degré et 80 000 exercent dans le supérieur. Les établissements scolaires fonctionnent aussi grâce au travail d'environ 290 000 non-enseignants, de catégories très diverses, telles que les surveillants, documentalistes, conseillers d'éducation, conseillers d'orientation-psychologues, employés des services centraux, etc., mais les trois quarts de ces non-enseignants sont regroupés sous le sigle ATOSS (administratifs, techniciens, ouvriers, personnels de service, de santé et sociaux). La fraction la plus nombreuse et la plus mal payée de ces ATOSS soit à peu près 110 000 personnes est constituée par les TOS : ouvriers d'entretien, techniciens et personnel des cantines. Ces catégories étaient directement visées par les mesures de décentralisation qui devaient se traduire par une modification de leur statut puisque, d'agents de l'Education nationale, ils devaient passer sous la responsabilité des Conseils généraux ou régionaux. Mais c'est l'ensemble du personnel de l'Education nationale, et en premier lieu les enseignants, qui ont dénoncé cette réforme qu'ils ont considérée comme le début d'un démantèlement du service public de l'Education.

Le mécontentement du personnel enseignant de l'Education nationale : une épine dans le pied des gouvernements depuis des années

Les journalistes, les responsables politiques, les sociologues ou autres plumitifs de toute sorte ont évoqué un "malaise des enseignants", formule qui est revenue régulièrement dans les périodes de grève que l'Education nationale a connues à plusieurs reprises au cours des dix dernières années.

Grève en Seine-Saint-Denis en 1998 pour obtenir plus de moyens. Mouvement contre les réformes du ministre Allègre en 1999, qui proposait de réduire certains horaires d'enseignement et projetait de "dégraisser" le "mammouth" qu'était, d'après lui, l'Education nationale. Grève en 2000 essentiellement dans l'enseignement professionnel sur les conditions de travail et contre les économies prévues sur le dos des élèves. Mouvement des instituteurs en 2000 pour réclamer 1 000 postes dans la Haute-Garonne. Et il y eut d'autres mouvements encore.

Les enseignants ont donc réagi à différentes reprises au manque de moyens qui est leur lot quotidien. Manque de personnel, surcharge des classes, manque de crédits, locaux vétustes dans bien des collèges ou des lycées professionnels. Manque de surveillants et de maîtres d'internat. Mécontentement devant la non-reconduction des emplois-jeunes qui ne seraient pas totalement remplacés et dont 20 000 devaient et doivent toujours être licenciés. Projet de ne pas compenser par des embauches tous les départs en retraite, dans l'Education comme dans l'ensemble de la fonction publique. Menace sur l'augmentation du nombre d'annuités pour accéder à la retraite à taux plein, comme pour les autre salariés.

Un nombre croissant d'enseignants contestait la politique du gouvernement, non seulement parce qu'elle rendait leur propre activité professionnelle plus difficile mais tout autant parce que la dégradation de l'école publique contribuait encore plus à l'aggravation des conditions de vie des familles, dont ils avaient les enfants à charge, dans les quartiers populaires. La diminution, voire la suppression, des fonds sociaux qui permettaient notamment à des enfants de familles démunies bien souvent de prendre au moins un repas par jour à la cantine et de participer aux voyages scolaires lorsque les parents ne pouvaient plus payer, est apparue comme une intolérable injustice. Les projets de réduction du personnel non enseignant dans les établissements fut perçue comme une mesure qui aggraverait encore les tensions au sein des établissements. Les enseignants des quartiers populaires vivent au quotidien les conséquences des choix patronaux et gouvernementaux, qu'il s'agisse des licenciements et du chômage, de la précarité dans l'emploi ou des problèmes de logement. Et ce n'est pas un hasard si le mouvement de protestation contre les plans gouvernementaux a souvent pris naissance dans des établissements situés au coeur des banlieues difficiles des grandes villes.

L'année scolaire 2002-2003 avait été marquée par quelques journées d'action. On avait appris au début de l'année scolaire que les aides-éducateurs qui sont des emplois-jeunes allaient être licenciés. On savait aussi que 5 600 postes d'étudiants-surveillants seraient supprimés et que leurs conditions de travail, leurs horaires, empireraient avec la création d'un statut nouveau d'assistant d'éducation, plus précaire. Les organisations syndicales enseignantes s'étaient contentées les 17 octobre, 26 novembre, 8 décembre et 28 janvier de prendre l'initiative de journées d'action symboliques. Pendant l'hiver, dans quelques villes comme Toulouse ou Marseille et en Corse, un mouvement de grève reconductible d'une minorité de MI-SE (surveillants d'internat et d'externat) rejoints par des emplois-jeunes était resté relativement isolé.

Ce fut la décentralisation et, en particulier, la façon dont elle fut annoncée qui mirent le feu aux poudres.

En effet, c'est le 28 février que Raffarin annonça à Rouen que les TOS, les assistants sociaux, les conseillers d'orientation-psychologues et les médecins scolaires seraient décentralisés en 2004. Cela voulait dire qu'en changeant de statut, ils pourraient ne plus être affectés à un établissement scolaire donné, voire disparaître complètement des établissements, selon les choix des élus locaux. Planait aussi la menace que, comme dans d'autres secteurs qui avaient été décentralisés auparavant, on s'orienterait vers une privatisation de certains services.

Les catégories concernées réagirent, les syndicats enseignants aussi qui décidèrent une journée d'action contre ces mesures, le 18 mars. Une semaine plus tard, un appel à la grève reconductible fut lancé par différentes assemblées générales et, là où le mouvement existait déjà, par quelques directions départementales du SNES, à l'occasion d'une journée d'action concernant les personnels décentralisés. Mais les objectifs du mouvement naissant allaient bien au-delà des problèmes catégoriels initiaux. Le mouvement plus général et plus ample de grève reconductible contre la décentralisation et la réforme des retraites s'amorçait.

Au départ, dans la région parisienne, ce sont des minorités d'enseignants d'une dizaine d'établissements du secondaire de Saint-Denis (93) qui se mirent en grève. A Toulouse, l'élan fut donné par une assemblée générale de 140 enseignants (surtout des instituteurs), venus essentiellement du quartier du Mirail, le plus populaire de la ville, où les enseignants avaient mené en 2000 une grève de trois semaines pour l'embauche de 1 000 instituteurs sur le département. A Marseille, des instituteurs du centre ville et des quartiers nord votèrent la grève. De même au Havre, à Montpellier, à Rouen et à Bordeaux ou dans l'île de La Réunion. Plusieurs foyers démarraient de façon indépendante et partout le mouvement se montrait contagieux.

Dans un certain nombre de ces établissements, dans ces quartiers ou dans ces villes, les enseignants s'étaient forgé au cours des luttes passées une expérience et quelques traditions d'organisation. Ils convoquèrent des assemblées générales sans attendre les initiatives syndicales. Dès le début, l'idée se répandit qu'une minorité de grévistes d'un établissement pouvait entraîner une autre minorité semblable dans l'école ou le collège d'à côté et, de proche en proche, faire boule de neige.

Un mouvement de grève qui se généralise dans toute l'Education nationale

Tandis qu'avant les vacances scolaires de Pâques, les grévistes tentaient d'entraîner des minorités dans la grève reconductible, les dirigeants du SNES et localement ceux du SNUIPP pour le primaire (tous deux regroupés au sein de la FSU) adoptaient une position de soutien aux grèves déjà engagées. Le SNES de Seine-Saint-Denis a, par exemple, annoncé son soutien à la grève reconductible dès le 27 mars. Puis, à la suite du succès d'une journée d'action du 3 avril, à Toulouse, le SNES du département a adopté la même attitude. Mais il ne militait pas activement pour développer le mouvement de grève. Les grévistes craignaient que la coupure des vacances de Pâques ne donne un coup d'arrêt au mouvement, d'autant plus que la succession des périodes de congé, ne coïncidant pas d'une région à l'autre, divisait le mouvement. Néanmoins, la FSU avait fixé au 6 mai une journée nationale contre le projet de décentralisation et contre la réforme des retraites.

La reprise du mouvement n'attendit pas cette échéance. Pendant que la région parisienne était en vacances, à Toulouse, au Havre, dans l'île de La Réunion, la grève continuait. Et dès la fin des vacances dans la région parisienne, la grève y repartit avec la même ampleur qu'avant les congés. En région parisienne, elle s'étendit rapidement à l'ensemble de la Seine-Saint-Denis, puis, progressivement, aux autres départements d'Ile-de-France. Des manifestations eurent lieu le jeudi 24 avril, qui suivait la rentrée, et se succédèrent tous les mardis et les jeudis, les journées spécifiques à l'Education nationale s'articulant avec des journées englobant d'autres catégories mobilisées contre la réforme des retraites.

A cette phase du mouvement, les syndicats enseignants, et notamment le plus puissant d'entre eux, la FSU, appelaient à développer le mouvement sans prendre en charge l'extension de la grève. Mais leurs déclarations aidaient les grévistes à en entraîner d'autres, surtout ceux qui n'envisageaient pas une lutte gréviste sans le SNES. Partout des minorités anticipaient sur l'échéance du 6 mai.

Le fait que la journée du 6 mai ait été un immense succès à l'échelle de tout le pays fit que le nombre d'établissements en grève se multiplia le 7 mai et les jours suivants, créant une dynamique, suscitant un enthousiasme contagieux. Les syndicats prirent plus directement en charge l'extension de la grève, en particulier dans des régions où elle n'avait pas commencé. Le SNUIPP prit en main la situation dans les régions où le personnel de l'enseignement primaire hésitait encore.

Du 6 au 13 mai, et plus encore les jours suivants, on passa de quelques régions engagées dans la lutte à l'extension de la grève dans l'ensemble du pays. Cela ne signifiait pas que tous les enseignants étaient en grève reconductible chaque jour. Partout, cependant, des centaines d'enseignants s'engageaient à leur tour dans le mouvement. La détermination grandissait. Les réunions et les discussions avec les parents d'élèves afin de leur expliquer le mouvement, voire de les associer et de se concerter avec eux pour résoudre les problèmes, se multipliaient car de nombreux établissements scolaires étaient fermés.

Les grévistes de l'Education nationale essaient d'entraîner les salariés des autres secteurs dans la grève

Depuis le début du mouvement, les grévistes les plus déterminés avaient conscience que, pour faire reculer le gouvernement sur deux problèmes aussi importants que la décentralisation et les retraites, il fallait que le mouvement s'étende à d'autres secteurs. Certains avaient en mémoire des expériences vécues en 1995 et se souvenaient des assemblées générales de cheminots, d'agents de la RATP, de postiers ou autres, auxquelles des enseignants avaient participé.

Ces idées étaient d'autant plus présentes dans les esprits que, dans de nombreuses villes, des militants syndicalistes (SNES, CNT ou SUD) et des militants d'extrême-gauche liés à Lutte Ouvrière, à la LCR ou au PT militaient depuis le début du mouvement dans cette perspective.

Durant la semaine du 6 au 13 mai et surtout à partir du succès du 13, partout, en région parisienne, mais aussi de Lille à Toulouse, de Bordeaux à Marseille, de Nantes à Lyon, non seulement dans les grandes villes mais aussi dans les villes moyennes, voire les plus petites, on vit des groupes de grévistes de l'Education nationale intervenir au-delà des établissements scolaires. Ils n'organisaient plus seulement la tournée des collèges, des lycées et des écoles, mais aussi celle des bureaux de poste, des centres RATP, des dépôts SNCF, des dépôts de transports urbains ainsi que des entreprises privées.

Et l'accueil relançait l'enthousiasme de ceux qui y participaient.

Des enseignants qui, jusqu'à présent, n'étaient ni des militants syndicalistes, ni des militants politiques, devinrent au fil des jours les militants d'un mouvement qui dépassait le cadre de l'Education nationale.

Ici, les enseignants étaient présents à des assemblées générales de cheminots, qu'ils invitaient à leur propre AG. Parfois, se sont formalisées des assemblées générales interprofessionnelles. Là, c'est avec des agents de la RATP à Paris ou des traminots à Marseille, des postiers, des salariés des impôts ou encore des communaux que les liens se sont tissés. Tracts d'appel aux manifestations aux portes des entreprises, sur les marchés ou dans les boîtes à lettres, manifestations locales communes, coups de téléphone pour s'informer réciproquement, tout cela faisait partie du quotidien des activités des grévistes. Quand, ponctuellement, la police est intervenue pour évacuer un dépôt de bus ou un centre de tri, il a suffi d'un coup de téléphone pour que les présents à une AG d'établissement ou de ville viennent à la rescousse.

Les enseignants, qui affirmaient depuis des semaines dans leurs mots d'ordre et leurs banderoles leur refus des choix sociaux du gouvernement et du patronat et scandaient souvent "Il y en a ras-le-bol de ces guignols qui cassent les usines et ferment les écoles", se tournèrent aussi vers les entreprises privées : les petites qui se trouvent dans les quartiers, dans les petites villes, où ils agirent souvent au coude à coude avec les militants syndicalistes, en particulier ceux des unions locales, contents de voir des forces vives les aider ; mais aussi vers les plus importantes, celles qui, si elles avaient rejoint la grève, auraient pu créer les conditions d'un mouvement infiniment plus puissant. Dans la région de Marseille, les enseignants se sont tournés, entre autres, vers les entreprises privées de l'Etang de Berre ; à Rouen, vers Renault-Cléon ou Rhône-Poulenc ; en région parisienne, vers Citroën, Alstom ou la SNECMA ; à Toulouse, vers Motorola, Siemens ou Air France. Et ce ne sont que des exemples. Mais si l'accueil était chaleureux, seuls de tout petits contingents de salariés du privé ont débrayé pour participer aux manifestations.

Cette volonté d'entraîner les salariés d'autres secteurs afin de faire reculer le gouvernement sur ses projets n'a pas suffi pour généraliser les luttes grévistes et créer un rapport de forces pouvant contraindre le gouvernement à reculer.

Conscients que le gouvernement cherchait à diviser le mouvement de protestation, les enseignants dénoncèrent à plusieurs reprises les quelques annonces du gouvernement sur le report du plan de décentralisation et continuèrent d'affirmer et de démontrer que leur lutte contre la décentralisation s'inscrivait dans la même perspective que la lutte pour le retrait de la réforme des retraites. Ce fut vrai le 19 mai quand le gouvernement annonça qu'il engagerait des discussions bilatérales avec les syndicats. Ce fut vrai le 27 mai quand il évoqua le report et un étalement des dates de la mise en place de la décentralisation. Ce fut vrai aussi à partir du 10 juin où le gouvernement annonça qu'il revenait sur la décentralisation des conseillers d'orientation, assistants sociaux et médecins scolaires mais pas sur celle des TOS, ni sur rien d'autre. C'est ce jour-là aussi que les policiers dispersèrent à coups de gaz lacrymogènes des milliers de manifestants sur la place de la Concorde à Paris et arrêtèrent des manifestants qui s'étaient réfugiés dans l'Opéra.

On peut dire que, pendant des semaines, dans l'ensemble du pays, des milliers de grévistes de l'Education nationale ont milité activement pour l'extension du mouvement. Ils espéraient que les centrales syndicales, en particulier la CGT, appelleraient à la grève générale et contribueraient à développer la grève dans l'ensemble du secteur public et dans le secteur privé. Beaucoup d'entre eux, encouragés par des militants d'extrême gauche qui croient un peu trop à l'efficacité des appels à l'adresse des syndicats, pensaient que les dirigeants des grandes centrales s'orienteraient vers la grève générale. Après la fin de non-recevoir des dirigeants de la CGT qui, au lendemain du 13 mai, s'opposèrent à la continuation de la grève dans différents secteurs de la SNCF et de la RATP, bien des enseignants mirent à nouveau leurs espoirs dans l'extension du mouvement gréviste au lendemain de la grande journée interprofessionnelle du dimanche 25 mai, puis, à nouveau, dans la journée interprofessionnelle du 3 juin. Pendant tout ce temps, la grève des enseignants s'essoufflait sans doute un peu, mais elle continuait avec l'idée qu'il fallait tout tenter pour rallier les autres secteurs à la lutte gréviste. Un nombre important de grévistes restait tourné vers les autres secteurs. Mais la fin rapide de la grève des cheminots et de la RATP apparut à beaucoup comme la preuve que l'extension n'était pas pour tout de suite. Et le 12 juin, le discours de Thibault à Marseille mit un terme à tout espoir de voir la CGT reprendre à son compte la généralisation de la grève.

Le mouvement de l'Education nationale restait à nouveau seul dans la lutte. Grèves, manifestations, assemblées générales continuèrent mais ni les syndicats enseignants, ni les grévistes ne choisirent sérieusement de bloquer les épreuves du bac. Et de toute façon, les vacances toutes proches sont devenues une échéance incontournable.

Un vaste mouvement où la base s'organise et décide

Selon les périodes comme selon les régions, les villes et les catégories de personnel qui entraient en lutte, les responsables syndicaux, les simples militants syndicalistes, les militants politiques ont joué des rôles différents dans le développement du mouvement mais, au cours des trois mois de mobilisation, il n'y a pas eu de rupture ni même d'affrontements importants entre les différentes composantes du mouvement.

Si, entre le 18 mars et le 5 mai, la centrale syndicale la plus influente de l'Education nationale, la FSU, représentée par le SNES dans l'enseignement secondaire et par le SNUIPP dans le primaire, a accompagné les grèves reconductibles plus qu'elle ne les a étendues, en se consacrant surtout au succès des temps forts, elle a réellement développé le mouvement gréviste après le 6 mai à l'échelle de l'ensemble du pays par l'intermédiaire des dizaines de milliers de militants syndicalistes à qui le développement du mouvement, l'entrée dans la lutte de milliers de jeunes enseignants donnaient espoir et courage.

L'ampleur de la mobilisation a varié selon les régions et les villes. Mais, même si la grève reconductible est restée minoritaire et, selon les périodes, n'a concerné en moyenne qu'entre 10 et 20 % du personnel de toute l'Education, avec de grandes disparités selon les régions et les villes, ils étaient à l'échelle du pays plusieurs dizaines de milliers à la faire, tandis que des centaines de milliers d'autres faisaient grève dans les temps forts ou certains jours seulement. Mais partout, les grévistes rencontraient la sympathie de la population, des familles, et ressentaient la solidarité de larges couches de la population. Ils se battaient pour autre chose que leurs intérêts d'enseignants, pour que quelque chose change dans la société, et ils eurent bien souvent le sentiment que l'opinion, ou du moins une grande partie d'entre elle, avait compris le sens de leur lutte. Et ce fut pour tous les grévistes quelque chose de moralement décisif.

Les "temps forts" qui s'accompagnaient d'une très ample participation aux manifestations ont fait que, dans de nombreux établissements, rares sont ceux qui n'ont pas participé au mouvement.

Mais la force du mouvement est aussi venue de la participation dès le début de nombreux grévistes à des assemblées générales larges et vivantes, où les grévistes qui devenaient des militants actifs de la grève essaimaient de plus en plus largement. Pendant plusieurs semaines, l'assemblée générale d'Ile-de-France a rassemblé de 300 à 800 personnes tandis que, dans chacun des départements de cette région, d'autres AG en rassemblaient de 200 à 400, voire 600. Parallèlement, se tenaient aussi des AG de ville ou de district. En même temps, à Toulouse par exemple, l'AG de la ville réunissait jusqu'à 800 personnes, celle de Nantes jusqu'à 1 000 personnes. Ouvertes, larges, elles accueillaient des militants d'autres secteurs.

Mais le plus significatif, et sans doute le plus prometteur pour l'avenir, est que le même phénomène, la même volonté de tisser des liens au travers de ce mouvement, d'y jouer un rôle actif, de décider ensemble des initiatives à prendre, existait aussi dans des villes plus petites où les réunions d'enseignants sont devenues des points de rendez-vous pour les travailleurs et les militants ouvriers de la ville. Dans l'Aude, l'Isère, la région de Clermont-Ferrand, la Haute-Garonne, la Bretagne, les exemples ne manquent pas de cet élan qu'a donné le mouvement du personnel de l'Education nationale.

Cette importante participation des enseignants aux assemblées générales de toutes sortes, qu'elles aient été initiées par les responsables des syndicats, par les militants locaux, par des militants politiques d'extrême gauche, est incontestablement un aspect positif de ce mouvement, même s'il n'a pas fait céder le gouvernement.

L'idée que le personnel de l'Education nationale ne pouvait à lui seul imposer un recul au gouvernement était largement partagée. Et les positions modérées de la FSU sur la tenue du bac, l'initiative de la reprise dans le primaire décidée par le syndicat, majoritaire et de loin dans cette catégorie, ne rencontrèrent pas l'opposition d'une majorité de grévistes. D'autant que les dirigeants syndicaux se gardèrent bien de parler de succès ou de se mettre en travers d'un mouvement qui, de toute façon, se trouvait confronté à l'échéance des vacances.

Et au-delà d'une certaine déception de n'avoir pas entraîné d'autres secteurs et des interrogations sur le rôle des grandes centrales syndicales, l'idée qu'il faut préparer pour l'avenir des luttes d'ensemble est largement répandue.