Une fois élus aux Conseils régionaux, nos camarades se sont trouvés confrontés au problème de l'élection des présidents de ces Conseils régionaux. Nous nous sommes expliqués sur cette question dans l'article reproduit ci-dessous, paru dans Lutte Ouvrière datée du 27 mars 1998.
Dans toutes les régions où nous avions un ou plusieurs élus, il y a eu un candidat de Lutte Ouvrière dans les élections à la présidence de la région. Bien évidemment, cette candidature n'avait rigoureusement aucune chance d'aboutir. Mais la loi impose le scrutin secret, qui favorise toutes les magouilles. Elle interdit qu'il soit précédé d'un débat, mais exige des postulants qu'ils présentent par écrit leur candidature. Ce geste était donc la seule manière de rappeler sur la base de quel programme nos camarades avaient été élus, et quel programme ils défendraient donc dans cette assemblée. C'était aussi, au milieu de toutes les tractations plus ou moins malodorantes auxquelles ces élections ont donné lieu, le moyen de montrer que nous n'étions pas à la recherche d'une vice-présidence ou d'un quelconque autre poste en échange de nos suffrages, mais que nous étions là pour y défendre notre politique.
En fait, compte tenu de la représentation des différents partis dans les neuf assemblées où Lutte Ouvrière était représentée, les voix de nos camarades ne pouvaient jouer un rôle déterminant que lors du troisième tour, quand la majorité relative est suffisante pour désigner le président de région. Car, dans quelques régions, nos quelques voix pouvaient jouer un rôle décisif lors de ce troisième tour et, du côté de la "gauche plurielle", les sollicitations n'ont évidemment pas manqué.
A chaque fois que des représentants de cette gauche sont venus nous demander de les soutenir, comme dans la région Centre ou en Haute-Normandie, nos camarades ont répondu qu'ils ne pourraient voter que pour un candidat qui reprendrait, dans sa déclaration de candidature, les points de notre programme qui nous paraissaient essentiels.
Concrètement, cela voulait dire que nous demandions au candidat de la gauche à la présidence d'adjoindre à sa déclaration les paragraphes suivants, qui pouvaient être modifiés dans la forme, mais non sur le fond :
"Les travaux et l'action du Conseil régional doivent être orientés prioritairement vers la création d'emplois.
Il faut réviser toutes les subventions, avantages fiscaux et facilités de toute nature, primes à la création d'entreprises, rabais sur les terrains, aides à l'emploi, qui ont été concédés à des entreprises pour les attirer dans la région.
Il faut évaluer le nombre d'emplois réellement créés et maintenus depuis au moins les six dernières années et le coût, pour la région, de chaque emploi définitif créé, comparés à ce qu'aurait été le coût d'emplois directement créés par la région, par les départements ou les municipalités.
En effet, dans bien des domaines concernant la vie quotidienne de la population, écoles, hôpitaux, transports publics, des emplois peuvent être créés ou le plus souvent rétablis, sans investissements lourds, voire sans aucun investissement, contrairement au financement d'entreprises.
Je réexaminerai toutes les formations subventionnées afin de réorienter les crédits des formations artificielles, salles d'attentes pour diminuer artificiellement les statistiques du chômage, vers les formations qui débouchent immédiatement sur des emplois et, dans ce contexte, favoriser prioritairement des formations destinées aux chômeurs les moins qualifiés.
En résumé, je demanderai de réorienter les finances de la région vers la création directe d'emplois au moyen des économies ainsi réalisées.
Je réexaminerai toutes les concessions qui ont pu être faites à des entreprises privées pour la gestion des activités incombant précédemment aux services publics (transports, cantines scolaires, distribution de l'eau, etc.).
Je ferai en sorte de rendre transparents tous les accords passés par la région et les autres collectivités, j'interviendrai auprès des Conseils généraux et des municipalités pour les aider à réaliser ces crédits afin de pouvoir créer immédiatement et directement des emplois dans le domaine de leurs compétences respectives. Je demanderai à l'assemblée et aux conseils de rendre compte de l'activité du conseil dans les municipalités en invitant la population à assister à ses réunions et à participer, à conseiller, à critiquer nos travaux.
Je me servirai du crédit du Conseil régional pour insister auprès de l'Etat et du gouvernement pour que des mesures législatives immédiates soient prises pour interdire les licenciements collectifs, sans qu'aucune dérogation soit possible, en particulier dans les entreprises affichant des bénéfices, mesures assorties de sanctions financières lourdes en cas de non-respect de cette interdiction."
Il va sans dire que si le candidat de la "gauche plurielle" avait accepté, nous n'aurions eu aucune garantie qu'il respecte sa signature. Mais tous les travailleurs auraient alors pu juger sur pièce de ce que valaient ses engagements.
Comme on pouvait s'y attendre, de toute façon aucun n'a accepté. L'ex-ministre des Finances Michel Sapin (candidat socialiste dans la région Centre) a même explicité sa position, en refusant de s'engager à prendre position en faveur d'une loi qui interdirait les licenciements collectifs.
Mais à quoi aurait alors bien pu servir d'aider le candidat de la "gauche plurielle" à battre la droite, si celui-ci ne s'engageait pas à défendre les seules mesures réellement susceptibles de faire reculer le chômage ? Qu'est-ce que les travailleurs auraient pu y gagner ?
En fait, nos voix n'ont nulle part joué dans ce troisième tour un rôle déterminant, comme le montre l'analyse des résultats. Là où la droite l'a emporté, elle aurait gagné même si nous avions soutenu le candidat de la "gauche plurielle".
Mais nous étions néanmoins prêts à affronter dans le cas contraire la tempête de critiques qui n'aurait pas manqué de venir du camp des réformistes ouverts ou camouflés, car il est temps que tous ceux qui veulent faire carrière au service de la bourgeoisie, en utilisant à cette fin les voix des travailleurs, apprennent que celles-ci ne leur appartiennent pas par nature.