Moyen-Orient - De l'Intifada des territoires occupés à l'accord israélo-palestinien

Εκτύπωση
Septembre 1993

Seul l'avenir dira si la reconnaissance officielle de l'Organisation de Libération de la Palestine par Israël et réciproquement, et surtout l'accord sur "des arrangements intérimaires d'autonomie" - devenu pour la presse l'accord "Gaza et Jéricho d'abord" - intervenu en ce mois de septembre 1993, sont vraiment l'amorce d'un règlement durable dans un conflit israélo-arabe dont les origines remontent, en fait, au lendemain de la première guerre mondiale.

Mais même si l'on ne peut dire encore, entre autres, s'il conduira à la création d'un État palestinien dans les territoires occupés par Israël depuis la guerre de 1967, c'est incontestablement un tournant de ce conflit. Et c'est d'abord un tournant dans l'attitude politique des dirigeants israéliens. Du côté palestinien, il est évident en effet que les dirigeants de l'OLP et en premier lieu Yasser Arafat étaient prêts depuis longtemps à un compromis.

Le retour d'un gouvernement travailliste en Israël en 1992, après quinze ans de gouvernements dominés par la droite et le parti Likoud, compte sans doute en fait fort peu dans les raisons de ce tournant, même s'il sera probablement largement invoqué. Il faut rappeler en effet que, dans le passé, cette "gauche" israélienne ne s'est pas montrée moins belliciste que la droite. Les guerres de 1948,1956,1967,1973 ont été menées par des dirigeants travaillistes et la seule paix jamais signée jusqu'à présent entre Israël et un État arabe a été l'accord de 1979 entre l'Égyptien Anouar El Sadate et l'Israélien Menahem Begin, un des représentants de l'aile la plus radicale du sionisme. Et si l'actuel ministre des Affaires étrangères, Shimon Pérès, principal protagoniste israélien des pourparlers secrets qui ont mené à l'accord, passe pour un partisan de longue date d'une solution négociée, le Premier ministre et vieux rival de Pérès, Yitzhak Rabin, a, lui, la réputation d'un "faucon", partisan d'une politique de force dont témoigne toute sa carrière ; de la guerre de 1967, qu'il mena en tant que chef de l'état-major israélien, à la répression de l'Intifada à partir de 1987, que comme ministre de l'Intérieur du gouvernement de coalition Likoud-travailliste il promit de "mater", ou, plus récemment encore, à des actions comme l'expulsion de 415 Palestiniens en décembre 1992, ou même les bombardements du Sud-Liban en juillet 1993, qu'il a donc décidés en tant que Premier ministre.

Bien des facteurs sont sans doute entrés en ligne de compte dans la décision des dirigeants israéliens. Mais fondamentalement, on peut dire que celle-ci est d'abord un recul devant le mouvement de révolte des Palestiniens des territoires occupés, l'Intifada. Celle-ci, commencée en décembre 1987 dans la bande de Gaza, a bien sûr connu depuis des hauts et des bas ; mais elle n'a jamais vraiment cessé et l'armée israélienne s'est montrée incapable d'en venir à bout.

C'est sans doute cela qui explique un fait qui peut sembler paradoxal : les dirigeants israéliens ont signé un accord qui sauve le prestige de l'OLP au moment même où celui-ci semblait de plus en plus compromis, alors que pendant des années, ils n'ont jamais qualifié cette organisation autrement que comme un groupement "de terroristes et d'assassins" avec lequel il n'était pas question de traiter et dont ils affirmaient souhaiter la destruction.

C'est qu'en fait, malgré tous leurs discours et leurs surenchères, les dirigeants israéliens savaient depuis longtemps à quoi s'en tenir sur la direction de l'OLP. Ils savaient qu'elle pouvait, dans leur propre intérêt, devenir en cas de besoin un facteur de maintien de l'ordre, y compris contre le peuple palestinien lui-même.

La politique de l'OLP : une suite de capitulations

L'OLP a pendant longtemps cultivé l'image d'une organisation nationaliste radicale, prônant la "Révolution palestinienne" par le biais de la "lutte armée" pour la libération totale de la Palestine, affirmant son "anti-impérialisme" et bien sûr son "anti-sionisme" excluant toute reconnaissance de l'État d'Israël. Son leader Yasser Arafat cultive encore cette image en arborant à tout moment un costume de combattant fait d'un treillis militaire, d'un keffieh à carreaux blancs et noirs et d'un revolver à la ceinture, avant peut-être de l'abandonner pour une tenue de notable d'un micro-État.

Toute l'histoire de l'OLP a cependant montré combien, pour les dirigeants palestiniens et en particulier Arafat, cette "Révolution palestinienne" était du domaine de la phrase et couvrait, dans la réalité, une politique diamétralement opposée.

Et pourtant la question palestinienne était grosse d'un énorme potentiel révolutionnaire. De la Syrie et de l'Irak à l'Égypte, de la Jordanie au Liban, chaque défaite des armées arabes, en 1948, en 1956, en 1967, fragilisait des régimes déjà particulièrement instables et contribuait à édifier un peu plus les masses populaires arabes sur ce que valaient les prétentions "anti-impérialistes" de leurs dirigeants. L'afflux des réfugiés palestiniens expulsés par Israël était, dans chacun de ces pays, comme un vivant témoignage de l'oppression impérialiste et de la capitulation des régimes arabes devant celle-ci.

Mais bien plus encore, lorsque - en particulier après la guerre de 1967 - ces réfugiés palestiniens commencèrent à se mobiliser, à s'armer sans plus accorder aucune confiance aux dirigeants arabes, ils n'étaient plus seulement un facteur de déstabilisation, mais pouvaient devenir un véritable facteur révolutionnaire capable de faire exploser les régimes réactionnaires arabes mis en place et soutenus par l'impérialisme.

Au Liban, en Jordanie, en Syrie, c'étaient des centaines de milliers d'hommes qui se retrouvaient regroupés dans des camps, qui s'armèrent et constituèrent leurs milices, n'ayant désormais plus rien à perdre et étant prêts à se battre, non seulement contre l'armée israélienne mais contre ces régimes arabes qui les avaient trahis.

Le niveau de conscience et d'organisation, la détermination des réfugiés palestiniens étaient, de ce point de vue, sans doute bien plus élevés que ceux des peuples des États arabes au sein desquels ils vivaient. Mais ils n'en étaient nullement isolés. Ils étaient au contraire vus avec sympathie, et même comme une avant-garde possible par les masses arabes, tant déçues par le prétendu anti-impérialisme des dirigeants égyptiens ou syriens - pour ne pas parler des autres - et qui cherchaient vers qui se tourner.

Ainsi, si les dirigeants des États arabes n'étaient que des faux amis, et même des ennemis féroces pour les Palestiniens, ceux-ci se trouvaient en revanche au contact direct de véritables alliés qui pouvaient représenter une force considérable : les exploités du reste du monde arabe. Aux exploités du Liban et de Jordanie, de Syrie ou d'Égypte, les Palestiniens apparaissaient comme des frères de lutte, comme une incarnation possible de cette lutte commune des exploités de tout le monde arabe, de cette unité arabe tant invoquée dans les discours des dirigeants arabes - mais seulement dans les discours. Et justement, disséminés dans les différents pays arabes, les Palestiniens étaient une force transgressant toutes ces frontières et qui incarnait physiquement cette unité possible dans la lutte contre l'impérialisme et contre ses représentants locaux.

C'est cette situation qui mettait à portée de main des dirigeants palestiniens la possibilité de se placer, effectivement, à l'avant-garde d'une révolution à l'échelle de toute cette région du Proche et du Moyen-Orient secouée par tant de crises. Et s'ils avaient su s'adresser aux autres peuples arabes, rechercher leur alliance et non celle de leurs dirigeants réactionnaires, les dirigeants palestiniens auraient pu peut-être faire voler en éclats cet édifice de dictatures et de régimes réactionnaires, toujours plus ou moins alliés et plus ou moins rivaux, qui est à la base de la domination impérialiste au Moyen-Orient et dont l'État d'Israël n'est finalement qu'une partie.

Les événements qui se produisirent au Liban et en Jordanie en particulier, mais aussi en général l'extrême sensibilité de tout le monde arabe à la question palestinienne, montrent que cela était loin d'être une hypothèse d'école. Malheureusement, les premiers à en être conscients furent les dirigeants arabes eux-mêmes qui en tirèrent les conséquences en écrasant le mouvement palestinien ; tandis que les dirigeants palestiniens montraient, eux, par toute leur attitude, que c'était bien de cette politique révolutionnaire qu'ils ne voulaient pas.

Les dirigeants palestiniens n'étaient en effet que des nationalistes, et cela même pas au sens d'un nationalisme arabe concevant la lutte à l'échelle de toute cette région artificiellement morcelée par toute la politique de l'impérialisme, mais dans le sens le plus étroit : celui de nationalistes palestiniens exprimant les intérêts de notables d'une minuscule région du monde arabe qui aspiraient simplement, comme tous leurs semblables, à disposer d'un appareil étatique et des avantages allant avec.

En trente ans d'existence de l'OLP, les occasions n'ont pas manqué qui ont permis de juger de cette politique. Ce fut le cas d'abord en Jordanie, au lendemain de la guerre de juin 1967, où l'afflux des réfugiés palestiniens dans un État au régime affaibli par sa défaite se révéla un péril pour le pouvoir du roi Hussein lui-même. La présence de milices palestiniennes sur le sol jordanien, le soutien des réfugiés à celles-ci et leur hostilité à Hussein, mettaient l'OLP dans la situation de renverser ce régime particulièrement réactionnaire. Elle ne le voulut pas, considérant que son seul objectif était de combattre Israël, et chercha à rassurer le roi. Celui-ci, estimant que deux assurances valaient mieux qu'une, n'en procéda pas moins au massacre du "septembre noir" de 1970 dont firent les frais les milices de l'OLP et les Palestiniens des camps de réfugiés, politiquement complètement désarmés par cette attitude de leurs propres dirigeants. Au terme du massacre, on vit pourtant un Yasser Arafat souriant, sans aucune honte, lors d'une poignée de mains de "réconciliation" avec Hussein, au cours d'une rencontre sous l'égide du dirigeant égyptien d'alors, Nasser.

Le fait se reproduisit quelques années plus tard au Liban, lorsque les Palestiniens se trouvèrent plongés au cœur des événements qui devaient conduire à la guerre civile, déclenchée par le parti d'extrême droite des Phalanges contre les Palestiniens et les partis de la gauche libanaise.

En effet, au Liban aussi, la présence des réfugiés palestiniens, celle des milices palestiniennes dans les camps, tendaient à déstabiliser la situation politique. Les masses libanaises pauvres se sentaient d'instinct du côté des Palestiniens et les partis de gauche libanais eux-mêmes s'en trouvaient renforcés. Là aussi, les dirigeants palestiniens se crurent quittes en déclarant qu'ils n'avaient pas l'intention de se mêler des affaires intérieures du Liban, leur seul objectif étant la libération de la Palestine.

Mais la droite libanaise estima, tout comme Hussein l'avait fait en Jordanie, que deux précautions valaient mieux qu'une. Elle prit en avril 1975 l'initiative de la guerre civile, une guerre qui allait se traduire par des massacres sans nombre pour les masses populaires libanaises et palestiniennes, que leurs propres organisations - celles de la gauche libanaise pour les premières, de l'OLP pour les secondes - avaient contribué à désarmer politiquement. Les milices de la droite libanaise ne suffisant pas, on vit d'ailleurs en 1976 l'armée syrienne de Hafez El Assad - un autre prétendu "allié" des Palestiniens - venir leur prêter main forte pour écraser celles de la gauche libanaise et des Palestiniens.

Une ébauche d'organisation étatique pour la bourgeoisie palestinienne

Ainsi, bien avant de pouvoir affronter l'État israélien lui-même autrement que par les opérations de commando de l'OLP, bien peu susceptibles d'ébranler militairement celui-ci, la situation plaçait les Palestiniens face à des dirigeants arabes qui se révélaient leurs ennemis les plus immédiats. Mais dans chaque cas, ce furent les dirigeants palestiniens qui se refusèrent absolument à mener un tel combat.

En fait, en tant que dirigeants nationalistes bourgeois, ils aspiraient en tout et pour tout à avoir leur propre appareil d'État et attendaient que la possibilité leur en soit donnée par les dirigeants des États arabes, par Israël, par l'impérialisme. C'est pourquoi ils étaient du côté des Assad, des Hussein, contre les masses populaires arabes et finalement contre les masses palestiniennes elles-mêmes. Et chaque fois qu'il fallut choisir, ils se trouvèrent du côté de ces dirigeants, y compris contre leur propre peuple, avec pour conséquence de laisser celui-ci désarmé face à des ennemis prêts à le massacrer.

Les dirigeants nationalistes palestiniens ne sont sans doute pas différents de la plupart des dirigeants nationalistes du tiers monde qui ont conduit, ces dernières décennies, des luttes de libération nationale menant à la constitution d'États indépendants. C'est la situation du peuple palestinien, pris en tenaille entre l'État d'Israël et sa politique pro-impérialiste d'une part, et d'autre part des États arabes qui, malgré leurs discours de solidarité, se méfiaient avant tout du facteur de déstabilisation que pouvaient représenter les réfugiés palestiniens, qui laissait à leurs dirigeants nationalistes bien moins de place qu'à d'autres. Mais pour le peuple palestinien cette situation aurait pu être en réalité un atout de taille.

Malheureusement, le nationalisme étroit des dirigeants palestiniens, borné aux frontières de la Palestine du temps du mandat britannique, respectueux de l'absurde découpage du monde arabe opéré par l'impérialisme, loyal à l'égard des régimes arabes y compris les plus réactionnaires, les amenait à enfermer leur peuple dans un piège sans issue.

La politique de l'OLP a consisté en une suite de capitulations qui, à chaque fois, se sont traduites pour les Palestiniens par un écrasement sanglant. En revanche l'OLP, en tant qu'organisation, en a à chaque fois recueilli un bénéfice. Alors que l'impérialisme, l'État d'Israël et les États arabes, tant qu'ils n'y étaient pas contraints, estimaient inutile de concéder au peuple palestinien le moindre droit à l'existence nationale, ils ont compris l'intérêt qu'il y avait à maintenir l'existence d'un appareil comme l'OLP, prêt à servir en cas de besoin.

Autant l'OLP a été combattue dans la mesure où ses milices, dans les camps de réfugiés notamment, pouvaient être l'expression d'une mobilisation des masses palestiniennes et être vues comme un exemple par les autres peuples arabes, autant en tant qu'appareil coupé de ces masses elle pouvait recevoir un important soutien, financier en particulier, des régimes arabes. Elle put ainsi constituer un appareil de fonctionnaires, entretenir des missions diplomatiques, créer des institutions culturelles, subventionner des universités, des hôpitaux, et bien sûr un appareil militaire, et constituer ainsi une sorte de pré-État attendant son heure, d'abord dans des pays proches de la Palestine comme la Jordanie, la Syrie et surtout le Liban, et dans la dernière période en Tunisie, lorsque l'invasion du Liban par les forces israéliennes en 1982 aboutit à la chasser complètement de ce dernier pays.

Une grande partie du combat des dirigeants palestiniens et en particulier d'Arafat, dans ces conditions, consista à rechercher cette forme de soutien des États arabes tout en évitant de devoir lier son sort à l'un d'entre eux en particulier. Passé maître dans l'art du louvoiement entre ces différents régimes, tirant parti de leurs rivalités, passant une grande partie de sa vie à voyager entre les différentes capitales, Arafat eut ainsi des heurts avec tous ces régimes les uns après les autres mais réussit finalement à se maintenir à peu près à égale distance d'eux tous - à la différence d'autres leaders palestiniens moins habiles et ayant lié leur sort à un régime particulier, à la Syrie ou à l'Irak par exemple.

Arafat put maintenir ainsi son indépendance à leur égard, toute précaire qu'elle soit, jouer son jeu dans l'étroit créneau que les multiples contradictions de la politique moyen-orientale pouvaient laisser au nationalisme palestinien et, finalement, à cette petite et fragile couche sociale, la petite bourgeoisie palestinienne, dont l'OLP représentait les intérêts. Et cela se concrétisa, sur le plan diplomatique, par les reconnaissances successives de l'OLP comme représentant du peuple palestinien au cours de différents sommets arabes et par l'Assemblée générale de l'ONU en 1974.

La chance de l'OLP : l'Intifada

Il y avait loin cependant entre cette reconnaissance, par de nombreux régimes et même par l'impérialisme, de l'intérêt qu'il y avait à laisser exister cette organisation nationaliste parlant au nom des Palestiniens dispersés dans le monde arabe, et le fait de forcer Israël - mais aussi plus accessoirement les régimes arabes - à lui concéder un territoire. On peut dire que de ce point de vue l'éclatement de l'Intifada, à la fin de l'année 1987, a été la chance d'Arafat et de l'OLP.

La révolte, née spontanément à partir d'un événement mineur mais qui était l'expression d'une tension devenue intolérable à l'intérieur des territoires occupés, ne devait rien à la politique de l'OLP, dont les principaux cadres étaient du reste éloignés des Territoires, et même depuis 1982 des bases de repli proches comme le Liban. Loin du champ des affrontements, son appareil en exil était du coup en grande partie hors d'atteinte de la répression ; en revanche il pouvait se révéler indispensable dès lors que cette répression s'avérait inopérante.

En fait, les signes d'une évolution se firent sentir très vite après le début de l'Intifada. Pour commencer, le roi Hussein de Jordanie prit acte de la nouvelle situation. Le chef de ce régime jordanien qui avait annexé la Cisjordanie au lendemain de la guerre de 1948 - niant donc tout comme Israël les droits nationaux des Palestiniens reconnus par le plan de partage de l'ONU de 1947 - annonça renoncer à toute prétention sur la rive occidentale du Jourdain. C'était éliminer "l'option jordanienne", souvent invoquée par les dirigeants israéliens pour nier la question palestinienne en déclarant que les Arabes de Cisjordanie n'étaient rien d'autre que des sujets du roi Hussein.

Dès ce moment, une concertation était sans doute en route entre Hussein, l'OLP et probablement, de façon discrète, au moins un certain nombre de dirigeants israéliens. C'est quelques mois plus tard, lors du Conseil national palestinien réuni du 12 au 15 novembre 1988, que l'OLP reconnut officiellement les résolutions 242 et 338 de l'ONU, impliquant la reconnaissance de l'État d'Israël. A l'issue de cette réunion l'État palestinien fut solennellement proclamé, ce qui donnait le signal d'une offensive diplomatique de l'OLP pour faire reconnaître officiellement par les autres États cet État encore sans territoire.

Dans l'immédiat, le bilan fut maigre. Arafat eut encore à affirmer explicitement, en décembre 1988 à Genève, que l'OLP reconnaissait le droit à l'existence d'Israël, avant que les États-Unis acceptent d'engager avec la centrale palestinienne un "dialogue substantiel". Enfin, le 2 mai 1989, Arafat déclara "caduque" la Charte nationale palestinienne affirmant l'indivisibilité de la Palestine et donc niant le droit à l'existence d'un État juif séparé. Aucune évolution ne fut encore visible du côté israélien, ni même du côté américain. Les dirigeants américains se saisirent même du premier prétexte - une action de commando menée par une des composantes de l'OLP - pour rompre, en juin 1989, le "dialogue" précédemment engagé avec l'OLP.

On peut dire pourtant que dès ce moment, l'OLP s'était mise en position d'être cet interlocuteur responsable dont l'impérialisme et Israël pouvaient finir par avoir besoin si le fardeau de l'Intifada finissait par devenir trop lourd.

La crise du Golfe, en 1990-1991, sembla évidemment sonner le glas des espoirs de l'OLP, d'autant plus que celle-ci choisit le camp de l'Irak, à l'inverse de la plupart des États arabes et bien sûr des États-Unis et d'Israël. Les Palestiniens en payèrent le prix avec leur expulsion massive du Koweit, tandis que l'OLP fut sanctionnée, financièrement par l'arrêt de la manne que lui versaient auparavant les monarchies du Golfe, et diplomatiquement par un isolement accru. Il y eut bien, à la sortie de la guerre, l'affirmation par le président des États-Unis, Bush, que le moment était venu de "régler les problèmes du Moyen-Orient". Mais après l'inauguration en grande pompe de la conférence de Madrid en octobre 1991, ou l'OLP n'était représentée que par le truchement d'une délégation incluse dans la délégation jordanienne, les dirigeants américains se contentèrent visiblement de la poursuite de rencontres sans issue.

Les raisons d'un accord...

En fait, c'est en marge de tout cela que la possibilité d'un accord continuait à mûrir, et d'abord dans la situation sur le terrain même : en Israël et dans les territoires occupés.

En Israël, l'impasse que représentait la poursuite à tout prix de l'occupation des Territoires au mépris d'un peuple qui n'en voulait plus, devenait de plus en plus sensible. Ainsi lors des élections de 1992, la campagne électorale de la droite israélienne, marquée par une radicalisation anti-arabe et une complaisance affichée pour les pogroms anti-arabes orchestrés par l'extrême droite, déboucha sur un désaveu et sur la victoire électorale du parti travailliste qui, lui, avait affirmé la nécessité de négocier.

Enfin, dans la presse israélienne, dans les milieux dirigeants et jusqu'au sommet de l'armée, des voix se firent entendre pour dire que la situation était devenue intenable et la poursuite de l'occupation impossible ; en particulier à Gaza, cette bande de terre de 40 km de long sur 10 de large où s'entassent 800 000 réfugiés pratiquement sans moyens d'existence, la situation était de l'aveu général devenue incontrôlable, d'autant qu'on y assistait au développement de groupes islamiques - en premier lieu le mouvement Hamas - cherchant à s'appuyer sur le désespoir de la population pour s'implanter au détriment des mouvements proches de l'OLP, dont les concessions successives ne semblaient déboucher sur rien.

Il devenait évident que les dirigeants israéliens étaient prêts à évacuer Gaza, pour peu qu'une autorité se présente qui puisse les y relayer. Mais il n'y en avait pas d'autre possible que l'OLP et Yasser Arafat trouva le moyen de faire savoir au gouvernement israélien qu'il était prêt, pour sa part, à exercer toute parcelle de pouvoir qu'on voudrait bien lui laisser. Il passait outre, pour cela, aux positions de sa propre organisation, l'OLP, et même de la délégation officielle des Palestiniens des Territoires, qui poursuivaient leurs contacts dans le cadre des pourparlers issus de la conférence de Madrid. Ni ceux-ci, ni la majorité de l'OLP, n'étaient encore prêts à négocier une "autonomie" dans laquelle Israël ne s'engageait à rien, en particulier, sur l'avenir de l'ensemble de la Cisjordanie et de Jérusalem, et encore moins à accepter la création d'un pouvoir palestinien ayant tous les attributs d'un État.

C'est dans ces conditions que s'est menée une négociation secrète dans laquelle au bout du compte la seule concession faite par Israël semble avoir été de céder, outre Gaza, une toute petite partie de territoire cisjordanien autour de la ville de Jéricho. Bourgade de douze mille habitants frontalière de la Jordanie, particulièrement calme et jamais touchée par l'Intifada, elle semble l'endroit tout trouvé pour permettre l'installation d'un gouvernement palestinien, mais qui soit hors d'atteinte des foules palestiniennes et en particulier de celles de Gaza.

Ainsi, dans l'intérêt commun de l'OLP et d'Israël, se mettra en place une autorité palestinienne dont l'accord stipule que, avant même la tenue d'élections auxquelles participeront l'ensemble des Palestiniens des Territoires, elle devra se doter d'une "puissante force de police", tandis qu'Israël conservera "la responsabilité de la défense et de la sécurité globale des Israéliens". On ne peut mieux dire que, bien avant qu'on leur promette même d'avoir tous les attributs d'un État, les dirigeants palestiniens sont invités à montrer leur capacité à s'imposer et à faire régner l'ordre au sein de la population palestinienne elle-même, à faire cesser l'Intifada et les jets de pierres contre les soldats israéliens, et à contrôler et empêcher d'agir les groupes, notamment intégristes, dont les actions anti-israéliennes se multipliaient.

L'itinéraire de ces hommes qui se réclamaient, au début des années soixante-dix, de la "révolution palestinienne", les mène ainsi, en tout et pour tout, au rôle de gardiens de l'ordre dans un micro-État, étroitement surveillés par l'armée israélienne mais aussi par les armées jordanienne, égyptienne ou syrienne. La compensation en sera, pour eux, des postes de notables et de gestionnaires d'une mini-bourgeoisie qui, dès maintenant, n'a d'autre espoir que les quelques financements que voudront bien lui procurer les dirigeants arabes, israéliens et impérialistes. Mais pour le peuple palestinien, passée la satisfaction que l'Intifada ait finalement fait reculer - si peu que ce soit - les dirigeants israéliens, le résultat risque de s'avérer bien maigre.

... et ses limites

Après la reconnaissance officielle de l'OLP par Israël, après la joie qu'elle a provoquée dans l'ensemble des Territoires, notamment dans la Jérusalem arabe et en Cisjordanie, il sera difficile au gouvernement israélien de ne pas faire des pas supplémentaires vers l'instauration d'une autorité palestinienne. Et il n'est pas dit que les groupements d'extrême droite israéliens, qui voudraient se servir des colons de Cisjordanie comme de masse de manœuvre, trouvent vraiment parmi ceux-ci un soutien de masse pour une politique jusqu'au-boutiste.

Mais pour l'avenir, au-delà des négociations et des accords éventuels dont on peut parier qu'ils seront encore longs et tortueux, la question est de savoir ce qu'Israël a vraiment à offrir aux Palestiniens des Territoires, et même au-delà aux réfugiés de Jordanie, de Syrie ou du Liban, dont rien n'est dit sur leur retour possible mais qui ne peuvent désormais que l'espérer de plus en plus. C'est là que la question devient au moins autant économique que politique.

Car sur le plan institutionnel les dirigeants israéliens et palestiniens peuvent finir par trouver des formules pour faire coexister à l'intérieur des mêmes frontières deux nationalités, même si c'est avec bien des difficultés, dont le caractère sioniste de l'État d'Israël n'est pas la moindre - comment continuer en particulier à reconnaître le "droit au retour" et donc à la nationalité avec tous ses droits à n'importe quel citoyen juif venu de l'autre bout du monde, alors qu'on continuerait à le nier aux Palestiniens expulsés en 1948 ou 1967 ? Mais comment permettre cette coexistence si subsistent d'énormes inégalités : d'un côté, en Israël, les conditions de vie d'un pays impérialiste occidental, de l'autre en Palestine les conditions d'un tiers monde particulièrement misérable, ces inégalités recouvrant de surcroît la division nationale entre Israéliens et Palestiniens ?

Les suites de l'accord dépendent en grande partie de l'évolution des tensions économiques et politiques, non seulement en Israël et en Palestine, mais dans toute la région moyen-orientale.

Or celles-ci ne sont nullement en voie d'atténuation. La dégradation économique que cette région connaît comme bien d'autres, s'accompagne de nombreux facteurs d'explosions politiques et sociales. La guerre du Golfe, déclenchée par les États-Unis pour stopper les revendications irakiennes contre la flagrante inégalité du partage des richesses dans la région, n'a fait qu'enfoncer l'Irak dans un dénuement porteur d'explosions futures, et ranimer d'autres foyers de tension, au Kurdistan notamment. Au Liban, le seul bilan des interventions d'Israël est l'implantation des intégristes du Hezbollah, qui n'acceptent pas plus les incursions des troupes israéliennes que les Palestiniens ne les acceptaient avant eux.

Le recul du gouvernement israélien, même bien limité, reflète au fond sa crainte devant la multiplication de ces tensions, et la conscience que le mythe de l'invincibilité de l'armée d'Israël ne suffira pas éternellement à les éloigner. Il s'accompagne de l'espoir ténu que, pour prix de l'accord, un afflux d'aides économiques occidentales permettrait de faire de la région israélo-palestinienne un havre de prospérité au sein d'un Moyen-Orient à l'économie en pleine désagrégation, et permettrait au moins de conjurer les risques d'explosion de la société israélo-palestinienne elle-même. Mais il est permis justement d'en douter.

Le peuple palestinien est sans doute conscient que le peu que les dirigeants israéliens ont fini par lui reconnaître est d'abord et avant tout le résultat de sa propre lutte, de sa révolte opiniâtre et non des habiletés tactiques de ses dirigeants. C'est la leçon de l'Intifada, une leçon qu'il devra garder au cœur, lui comme tous les exploités de la région ; elle leur sera ô combien nécessaire, non seulement contre les dirigeants d'Israël mais aussi contre leurs propres dirigeants.