États-Unis - Le Parti Démocrate : un "ami" des travailleurs... ou des bureaucrates ?

Εκτύπωση
Septembre 1993

Il n'aura fallu que quelques mois à Bill Clinton et au nouveau gouvernement Démocrate pour montrer quelles étaient leurs véritables intentions. Les projets de loi sur "l'emploi" et sur la "relance économique" ont été jetés aux oubliettes. Clinton a proposé, et la majorité Démocrate au Congrès a adopté un budget qualifié par le très modéré New York Times de "budget digne de M. Bush". Et quand le Congrès à majorité Démocrate a refusé d'annuler l'amendement Hyde (qui interdit que les fonds du système d'aide aux soins médicaux soient utilisés dans les cas d'avortement), Clinton n'est pas intervenu, malgré la promesse faite pendant la campagne électorale de considérer la "lutte" pour l'abolition de cette mesure comme l'une de ses priorités.

L'État de grâce continue

Pourtant, la presque totalité des dirigeants syndicaux du pays continuent à soutenir Clinton, voire à lui tresser des lauriers.

En mars dernier, le Conseil exécutif de l'AFL-CIO apportait son plein soutien au premier budget de Clinton en déclarant : "Le programme du président permettra l'établissement de nouvelles priorités pour que l'Amérique de demain recommence à investir". Peu de temps après, Clinton supprimait les quelques mesures favorables au monde du travail que comportait son projet de budget. Mais le soutien du Conseil exécutif ne s'est pas démenti pour autant. A la mi-mai par exemple, voici ce qu'il affirmait à l'occasion d'une réunion consacrée aux "échéances de la législature" :"l'arrivée au pouvoir de Clinton [...] apporte un souffle nouveau et fait revivre l'espoir pour les campagnes [entreprises auprès du Parlement] qui sont à l'ordre du jour du Conseil exécutif."

Certains dirigeants syndicaux se sont même montrés, à titre individuel, carrément dithyrambiques. Lane Kirkland, par exemple, le président de l'AFL-CIO, déclarait à l'issue d'une rencontre avec le ministre du Travail, Robert Reich : "Après une longue traversée du désert, nous avons enfin atteint, je pense, une oasis." Le président du syndicat des métallos, Lynn Williams, a pour sa part déclaré qu'il se sentait "très bien, très dynamisé, très encouragé" par l'arrivée au pouvoir de l'équipe Clinton.

Évidemment, certains dirigeants syndicaux se sont montrés plus prudents, insistant sur le changement que représente l'arrivée des Démocrates plutôt que sur l'avenir radieux qu'ils seraient censés garantir. Ainsi, Owen Bieber du syndicat de l'automobile (UAW) déclarait au congrès des métallos en juin dernier : "Pendant des années nous avons dû subir des gouvernements réactionnaires dont la dévotion à l'idéal de la libre entreprise n'avait d'égale que leur hostilité aux syndicats. Nous avons subi douze longues années de pouvoir Républicain jusqu'à ce que le peuple américain en ait enfin assez et élise Bill Clinton à la présidence."

Au moment du vote du premier budget Clinton, en août, l'UAW commençait déjà à tempérer quelque peu ce genre d'enthousiasme. Alan Reuther, responsable des relations du syndicat avec les parlementaires, déclarait "L'UAW n'est évidemment pas d'accord avec toutes les mesures de ce budget. Mais, ajoutait-il, dans l'ensemble, il représente un pas en avant qui devrait permettre de réduire le déficit du gouvernement fédéral et de développer les investissements en ressources humaines."

Frank Garrison, dirigeant de l'AFL-CIO du Michigan, affirmait pour sa part lors du défilé organisé le Jour de la Fête du Travail à Détroit que "Clinton n'est peut-être pas un très bon ami des travailleurs, mais c'est un ami."

Ce n'est là rien de nouveau pour les dirigeants syndicaux qui ont tous eu, dans le passé, à prendre des positions semblables - sous le gouvernement Jimmy Carter de 1977-1980 par exemple. Ils attendent peu de choses de ce gouvernement et savent que les "premiers pas" en direction d'un avenir meilleur seront... longs à venir. Certains dirigeants à l'échelon le plus élevé des appareils syndicaux laissent même entendre que les syndicats devront peut-être faire pression sur Clinton (pour lui redonner un peu de "colonne vertébrale" ?). L'AFL-CIO a ainsi mis sur pied un comité dirigé par le président du syndicat des mineurs (UMW), Richard Trumpka, avec pour tâche l'organisation d'une campagne de soutien au projet de loi à propos du droit des grévistes à être réembauchés. Le syndicat des teamsters (camionneurs et assimilés) vient de faire parvenir à Clinton 200 000 teamstergrammes demandant à Clinton de soutenir un projet d'assurance-maladie "à la canadienne" - c'est-à-dire un système plus directement financé par l'État.

Bob Kinsley, responsable à l'organisation du syndicat des travailleurs de l'électricité (UE), est même allé jusqu'à expliquer que "ce qu'il faut maintenant, c'est que les travailleurs établissent leurs propres priorités, distinctes de celles de Clinton et des Démocrates. Nous devons être présents sur le terrain, nous organiser avec nos alliés naturels dans les villes, les quartiers, pour créer un fort courant à gauche, à la gauche du gouvernement Clinton, de manière à contrebalancer le pouvoir des grandes sociétés et des conservateurs qui s'emploient déjà à le tirer vers la droite."

Les défilés organisés dans tout le pays à l'occasion de la Fête du Travail comportaient surtout des mots d'ordre relatifs aux accords de libre-échange entre les États-Unis, le Canada et le Mexique (NAFTA). Sur cette question, les intervenants des syndicats expliquaient que le président avait tort à 100 % - et qu'il fallait le convaincre qu'il faisait fausse route. (L'intérêt porté par les syndicats aux accords NAFTA soulève évidemment bien d'autres questions sur leur politique actuelle).

A les entendre, on finirait presque par croire que Clinton est une pauvre victime, piégée par les manœuvres des patrons américains !

Il y a enfin des dirigeants syndicaux prêts à critiquer ouvertement Clinton. Les dirigeants du syndicat des travailleurs du pétrole, de la chimie et de l'atome (OCAWU), par exemple, ont exprimé leurs doutes au sujet de Clinton pendant la campagne électorale - sans que cela les empêche d'appeler à voter finalement pour lui. Les dirigeants en question ont même récemment parlé de la nécessité d'un parti ouvrier. Mais c'était pour mieux avancer, après avoir créé un comité pour étudier la question, l'argument éculé selon lequel le temps n'est pas encore venu et que le gouvernement Démocrate reste la seule solution réaliste aujourd'hui.

"Nous n'avons pas le choix"

Les dirigeants des vieilles organisations de "droits civiques", ainsi que les élus Démocrates noirs qui se présentent comme les porte-parole des pauvres, sont apparus aussi excessifs que les dirigeants syndicaux dans leurs louanges à Clinton avant la campagne électorale. Jesse Jackson a parcouru le pays et mené campagne pour ramener le maximum de votes pour Clinton, s'adressant par exemple directement à la population noire lors d'une "spéciale" sur une chaîne câblée consacrée aux artistes noirs. Quand on demandait à Jackson ce qui le poussait à mener cette campagne, étant donné les relations plutôt tendues entre lui et Clinton, il répondait que "Clinton représente un changement de direction et un espoir économique pour les plus démunis". Il ajoutait que ses réticences devant l'incapacité de Clinton à toucher la population noire étaient compensées par le fait que Clinton n'avait pas hésité à lui donner sa place dans la campagne, et que la campagne menée par Clinton rassemblait "tout le monde sous le même chapiteau".

Après la victoire de Clinton, John Jacob, dirigeant de la National Urban League, déclarait : "En 1992, le Noir américain tourne un visage plein d'espoir vers l'avenir, même si la situation d'aujourd'hui comporte sa part de désespoir et de rébellion. L'espoir engendré par la victoire de Clinton doit être souligné."

Et quand Clinton nomma Vernon Jordan, ex-dirigeant de la National Urban League, à la tête de son équipe de transition, les commentaires de presque toutes les organisations noires furent dithyrambiques. Il en a été de même quand, après son arrivée à la Maison Blanche, Clinton a nommé de nombreux Noirs à des postes de responsabilité dans son gouvernement.

Invité à la Maison Blanche avec un certain nombre d'autres leaders noirs, Benjamin Chavis, dirigeant du NAACP, affirmait : "Nous avons regagné un peu du terrain perdu sous les gouvernements Reagan et Bush. Le fait que je sois reçu à la Maison Blanche, comme vous avez pu le constater, renforce la capacité du NAACP à remplir sa mission."

Il a fallu attendre le 3 juin, date à laquelle Clinton a renoncé à nommer Lani Guinier au poste de responsable de la Section des droits civiques au ministère de la Justice, pour que des critiques commencent à se faire jour. Pour le magazine Newsweek, ce jour-là, le groupe parlementaire noir "retrouva sa voix". Kweisi Mfume, porte-parole du groupe, qui est censé être le bastion du "libéralisme" au Congrès, s'en prit violemment à Clinton pour avoir renoncé à cette nomination. Selon Mfume, c'était la preuve que Clinton faisait peu de cas des électeurs noirs qui avaient assuré sa victoire. Pour la première fois, des Démocrates "libéraux", comme Mfume lui-même, notaient que le projet de budget de Clinton (publié en février) comportait bien peu de dépenses au niveau social. Mfume est même allé jusqu'à dire que le temps était venu de "revoir et réviser notre attitude face à ce gouvernement". Quelques jours plus tard, cependant, Mfume annonçait que le groupe noir à l'assemblée voterait malgré tout le budget de Clinton : "beaucoup parmi nous, membres de ce parti, comprennent que nous n'avons pas d'autre choix."

Au fur et à mesure que le moment du vote du budget approchait, et qu'il devenait évident que Clinton ne pouvait pas se permettre de perdre une seule voix "libérale", Mfume trouvait des qualités au projet de Clinton, même s'il continuait à émettre des réserves : "Ce projet est insuffisant à bien des égards, mais il est grand temps qu'on renverse la tendance des douze dernières années, avec ses Robin des Bois qui détroussaient les pauvres. Il faut des mesures en faveur des classes laborieuses, mais il faut aussi réduire le déficit."

Début août, à la veille du vote sur un budget Clinton "digne de Bush", plusieurs membres du gouvernement se sont adressés à une réunion de la National Urban League, dont les réactions ont été, selon l'Associated Press, "polies mais tièdes". Mais l'espoir de John Jacob restait intact et il soulignait la "sensibilité" et la "compréhension" des membres du gouvernement qui avaient répondu à l'invitation de la National Urban League. Il s'est tout de même permis une critique, voilée, en déclarant : "Au gouvernement, semble régner l'idée qu'on fait ce qu'on peut avec ce qu'on a. Nous essaierons d'élargir leurs idées là-dessus."

Quelles que soient les critiques formulées, elles servent en fait à cacher le fait que le président Démocrate agit comme l'ancien président Républicain. Et même si les critiques se font plus acerbes dans l'avenir, ce qui est toujours possible, on peut penser que les politiciens noirs et les dirigeants des organisations de droits civiques continueront à apporter leur soutien au gouvernement Démocrate. Ils continueront ainsi à répandre l'idée que le Parti Démocrate est, ou pourrait être, le parti des travailleurs et des pauvres.

Alliés depuis longtemps... contre les travailleurs

Il est vrai que le Parti Démocrate représente le seul choix possible pour les dirigeants des syndicats et pour les petits- bourgeois noirs qui mènent ou aspirent à mener une carrière politique. La raison en est simple : le Parti Démocrate leur a effectivement, à l'occasion, ouvert ses portes.

La bureaucratie syndicale a été intégrée à l'appareil du Parti Démocrate, ainsi qu'à l'appareil d'État, à la fin des années trente et au début des années quarante. Les dirigeants syndicaux qui ont joué leur rôle dans la démobilisation d'une classe ouvrière encore combative et l'ont empêchée de former son propre parti, ont reçu à cette époque, en guise de récompense, soit des postes dans le Parti Démocrate, soit des privilèges de la part du gouvernement. (Un autre sort attendait, bien sûr, les dirigeants ouvriers qui tentèrent de rester fidèles aux intérêts de leur classe - gauchistes, trotskystes et, jusqu'à un certain point, ceux du Parti Communiste - ou même ceux qui étaient simplement fidèles aux luttes qui avaient créé les syndicats : l'appareil d'État était mis à contribution et ils étaient tantôt exclus des syndicats, tantôt jetés en prison, ou même éliminés physiquement).

Une évolution semblable s'est produite à la fin des années soixante et au début des années soixante-dix quand des dirigeants noirs ont accepté la tâche qui consistait à maintenir la mobilisation de la population noire dans le cadre de la légalité bourgeoise. Le Parti Démocrate leur a alors ouvert ses portes et a favorisé leur carrière. (Quant aux dirigeants les plus combatifs, ils ont subi le même sort que leurs prédécesseurs du mouvement ouvrier des années quarante-cinquante).

Pendant les douze ans de gouvernement Républicain, sous Reagan et Bush, les leaders syndicaux et les politiciens noirs se sont évidemment retrouvés sur la touche. Ils n'avaient même pas droit au semblant de respect que leur accorde traditionnellement le Parti Démocrate. Ainsi, alors que les hommes politiques noirs continuaient leur percée, se faisant élire en plus grand nombre au niveau local sous l'étiquette Démocrate, le ministère de la Justice contrôlé par les Républicains s'évertuait à les invalider sous le moindre prétexte. Quant aux dirigeants syndicaux, Reagan s'était fait une spécialité de les traiter de "patrons syndicaux", tablant sur le mécontentement des travailleurs vis-à-vis des syndicats. A l'époque, la Maison Blanche n'était donc spécialement favorable ni aux uns, ni aux autres. Son accès leur était souvent même carrément interdit.

Il n'est donc pas surprenant qu'ils soient tous si contents aujourd'hui de revoir les Démocrates au pouvoir. Selon le magazine Progressive, Gerald McEntee, du syndicat des employés municipaux, régionaux ou d'État, attend avec fébrilité sa première invitation à visiter la Roseraie de la Maison Blanche. "Je n'ai jamais mis les pieds dans la Roseraie", aurait-il déclaré. McEntee et ses semblables ont donc enfin droit à un peu de considération - sans parler des postes qui leur sont maintenant accessibles.

Le gouvernement Clinton n'a pas épargné ses efforts pour que les dirigeants syndicaux se sentent aimés. Robert Reich, le ministre du Travail, a dit d'eux qu'ils étaient "les porte-parole les plus doués, ou plutôt les seuls véritables porte-parole des travailleurs américains de base." Il a aussi affirmé son intention de les inviter régulièrement à "discuter". L'ancien président de l'UAW, Doug Fraser, a été quant à lui nommé membre permanent de la nouvelle commission sur l'Avenir des Relations Employés-Employeurs. L'UAW s'est même félicitée de la nomination à la tête du National Labor Relations Board de Willian Gould, un ex-enseignant de Harvard qui fut, il y a 20 ans, conseiller juridique de l'UAW.

Quant à Jesse Jackson, le leader noir Démocrate, s'il n'a pas vraiment été accueilli à bras ouverts, il a en tout cas été cité à l'occasion par la Maison Blanche qui s'est bien gardée de l'attaquer. Clinton, en plus d'avoir demandé à Vernon Jordan de conduire son équipe de transition, a nommé quatre Noirs, hommes politiques ou membres de professions libérales, dans son gouvernement - plus que tout autre président avant lui. Il y a aujourd'hui 40 députés noirs au Congrès, dont 14 ont été élus en novembre 1992 en même temps que Clinton.

En échange de cette considération, le Parti Démocrate attend, lui, bien autre chose. Le ministre du Commerce, Ron Brown, a clairement dit que, à l'intérieur de la nouvelle commission, il comptait sur les syndicats pour que "les travailleurs et les employeurs deviennent non seulement des partenaires sur le plan de la compétitivité économique mais aussi les artisans d'une voie nouvelle qui permette aux entreprises américaines de remporter la victoire sur le marché mondial." En d'autres termes, il demande aux syndicats d'aider les patrons à faire en sorte que les travailleurs produisent toujours plus.

Quant aux politiciens noirs, on attend d'eux qu'ils soutiennent le programme législatif de Clinton au Congrès, et ce, quels que soient les obstacles venus de l'aile "libérale" de l'Assemblée. Le budget du gouvernement Clinton comprend pourtant de nouvelles mesures anti-sociales qui pèseront inévitablement sur la classe ouvrière et en particulier sur ses couches les plus pauvres - c'est-à-dire sur la grande majorité de la population noire. Mais, après un certain nombre de critiques initiales, les membres noirs du Congrès se sont inclinés et ont apporté à Clinton les voix dont il avait besoin pour faire passer son budget "à la Bush". Et au Sénat, où le vote était serré, ils ont fait en sorte que pas une voix de Démocrate libéral ne manque à Clinton.

Faire pression sur les Démocrates, un moyen de les soutenir

Évidemment, pour les dirigeants syndicaux et les politiciens noirs, tous les prétextes sont bons pour apporter leur soutien à Clinton. Ils mettent par exemple en avant les promesses de Clinton au sujet du projet de loi à propos du droit des grévistes à être réembauchés. Mais ils ne disent pas que ce projet de loi ne vise qu'à garantir aux travailleurs "remplacés" pendant une grève la priorité à l'embauche si, par la suite, l'entreprise embauche à nouveau ! Qu'est-ce qu'une "priorité" à l'embauche qui met des grévistes derrière les jaunes qui ont pris leur place pendant la grève ? Il n'est de toute façon pas assuré que le projet de loi passe l'obstacle du vote du Sénat : Clinton ne l'a en tout cas pas mis sur la liste de ses priorités.

Mais de toute évidence, leur principal argument reste encore et toujours le même. C'est un argument qu'ils connaissent bien pour l'avoir utilisé depuis longtemps en d'autres circonstances, parfois encore plus difficiles. Cet argument, quelle que soit la manière dont il est tourné, revient à dire tout simplement : les Démocrates représentent le moindre mal. Ou, comme le disait Kweisi Mfume : "Nous n'avons pas le choix". Ou, comme le dit l'OCAWU, les Démocrates au pouvoir c'est "la seule solution réaliste".

Cette pétition de principe une fois posée, les bureaucrates syndicaux et les politiciens noirs peuvent se faire l'écho de la déception éprouvée par beaucoup de gens. Ils peuvent même se permettre de critiquer les Démocrates, et Clinton en particulier. Quelques-uns d'entre eux, Jesse Jackson par exemple, ou Tony Mazzochi de l'OCAWU, peuvent même aller jusqu'à suggérer la création de structures à l'extérieur du Parti Démocrate (Coalition Arc-en-ciel, Partisans d'un Parti Ouvrier, etc.), prétendument pour obliger les Démocrates à "faire ce qu'il faut". Certaines "critiques" proposent même un certain nombre d'actions destinées à faire pression sur Clinton ou les Démocrates.

Mais quel type d'actions les bureaucrates syndicaux et les leaders noirs proposent-ils exactement ? Voter en plus grand nombre pour augmenter le poids électoral des travailleurs et des pauvres - en d'autres termes, pour augmenter le nombre de voix Démocrates ; aider les syndicats et les organisations noires à avoir plus d'influence à l'intérieur du Parti Démocrate - en d'autres termes, lui donner plus d'argent sous forme de cotisations ; solliciter directement les Démocrates au pouvoir par la publicité et par l'expédition de télégrammes, cartes postales et autres ; soutenir les idées de justice économique et sociale en participant à des manifestations, bien contrôlées, comme celle de juin dernier à Détroit ou celle qui a eu lieu en août à Washington - manifestations qui ont réservé une place de choix aux politiciens du Parti Démocrate. A l'extrême limite, ils peuvent donc mettre sur pied des structures extérieures au Parti Démocrate, puisque ces structures ne se donnent jamais pour but que d'agir sur le Parti Démocrate.

Ce qui revient, quelles que soient les critiques formulés, à renforcer le Parti Démocrate et à garder la classe ouvrière à sa traîne.

Préparer l'avenir

Il n'y a pas que les travailleurs à être dégoûtés des politiciens, Démocrates ou Républicains, il y a aussi des militants syndicaux, y compris parmi ceux qui ont des responsabilités aux échelons inférieurs des syndicats, qui rechignent à soutenir les Démocrates ou Clinton. Mais comme ils ne voient pas d'alternative, ils se sentent piégés et ne savent que faire sinon s'incliner devant le raisonnement des directions syndicales ou des politiciens noirs, membres du Parti Démocrate.

Puisqu'il n'y a pas d'autre choix qu'entre le Parti Démocrate et le Parti Républicain - suivant ce raisonnement - ne vaut-il pas mieux choisir le premier ? Ne vaut-il pas mieux soutenir des politiciens qui, au moins, se disent "les amis du monde du travail", plutôt que des hommes qui s'en prennent ouvertement aux travailleurs et à la population noire ?

Et à ceux qui remettent en cause ce raisonnement, il est répondu que les milieux populaires n'ont jamais jusqu'à maintenant montré leur capacité à sortir de ce dilemme.

Il est vrai qu'il n'existe pas de mouvement ouvrier de masse et il n'y a pas de signe qu'il surgisse dans un avenir proche. Jusqu'à maintenant, les travailleurs ont à peine réagi face à la crise qui dure, sous une forme ou une autre, depuis près de vingt ans. Il y a eu très peu de tentatives de la part des travailleurs de résister, même dans des secteurs limités, à la diminution continue de leur niveau de vie et à la dégradation des conditions générales d'existence, au travail comme sur les lieux d'habitation. Le nombre de grèves est au plus bas. Et alors que les événements de Los Angeles ont montré qu'il pouvait y avoir des explosions spontanées de colère, il n'y a toujours pas de mouvements sociaux dignes de ce nom. Quant à l'activité politique, la plupart des travailleurs s'en détournent. Et quand il y a des élections, ils votent Démocrate... ou ne votent pas du tout.

Évidemment, ceux qui refusent d'appeler la classe ouvrière à lutter ont tendance à noircir le tableau... et à glisser sur le fait que les actions ou les inactions des dirigeants syndicaux comptent pour beaucoup dans la situation actuelle. Mais même si la situation était aussi noire que certains nous la décrivent, elle ne justifierait toujours pas le soutien qu'ils apportent aux Démocrates.

Tout d'abord, soutenir les Démocrates ne peut rien rapporter du tout aujourd'hui. Si la classe ouvrière n'est pas prête à se battre, elle n'obtiendra rien du tout, quelle que soit l'équipe au pouvoir. Sans luttes, elle n'aura pas le pouvoir de faire valoir ses intérêts, encore moins d'imposer ses solutions. Le seul type de pression à laquelle les Démocrates aient jamais été sensibles, c'est la pression des masses mobilisées pour des actions qui débordent les cadres imposés par eux.

Ensuite, en soutenant le Parti Démocrate, même temporairement, même de façon critique, les militants syndicaux renforcent l'idée que les Démocrates sont du côté des travailleurs et des pauvres. C'est ce soutien qui donne au Parti Démocrate la légitimité qu'il conserve au sein de la population.

Quant aux travailleurs et aux Noirs qui n'ont pas d'illusions envers les Démocrates, le fait de voir leurs dirigeants soutenir des gens qui s'en prennent aux travailleurs ne peut que renforcer leur cynisme et leur désillusion. Pourtant le jour où la classe ouvrière ou tout autre groupe d'opprimés reprendra la lutte, il sera important pour eux de bien comprendre qui sont leurs véritables ennemis. On l'a vu lors des luttes des années trente et soixante. Alors, la classe ouvrière et la population noire se sont engagées dans des combats de grande envergure pour leurs revendications ; mais elles ont abandonné la lutte avant d'avoir obtenu l'intégralité de ce qu'elles demandaient, sans parler de ce qu'il aurait été possible d'obtenir au-delà des revendications immédiates. Pour aller plus loin, il aurait fallu une lutte consciente contre la bourgeoisie et ses défenseurs ; il aurait fallu que les amis - et les faux amis - des uns et des autres soient clairement identifiés. Mais ni dans les années trente, ni dans les années soixante, les masses n'avaient une conscience claire de ce qu'était le Parti Démocrate : l'un de leurs ennemis. Et la plupart des dirigeants se sont évertués à renforcer l'idée que les masses pouvaient compter sur le Parti Démocrate et donc qu'il ne fallait pas s'en prendre aux élus Démocrates. Cette confusion a servi à désarmer des secteurs entiers de la classe ouvrière, et plus tard de la population noire. Le prix à payer en a été très élevé : au lieu de prendre conscience de ce qui avait déjà été accompli grâce à leur mobilisation et à leur détermination, et donc de comprendre la force qui était la leur, ils ont reporté une partie du mérite de ce qu'ils avaient eux-mêmes accompli sur ceux qui avaient essayé de les empêcher d'agir. Des gains ont certainement été réalisés, mais ils n'étaient pas préparés à poursuivre la lutte, ni même à protéger durablement leurs acquis. Ils ont, au contraire, fait confiance aux Démocrates qui s'apprêtaient à trahir dès qu'ils se démobiliseraient.

Il est vrai que les travailleurs et les pauvres n'obtiendront des concessions que s'ils font pression sur le gouvernement. Mais les défenseurs du Parti Démocrate ne proposent pas vraiment de faire pression sur le gouvernement. Un bulletin de vote ou une carte postale ne sont pas des moyens de pression sérieux. Telle ou telle "campagne" peut gêner tel ou tel candidat, tel ou tel homme politique. Mais du point de vue de la bourgeoisie, dont les Démocrates défendent les intérêts, ce sont là des choses parfaitement inoffensives. C'est pourtant la bourgeoisie qui décide de lâcher du lest ou pas, directement ou par l'intermédiaire de l'appareil d'État et du Parti Démocrate.

L'histoire des années trente et soixante montre l'étendue des concessions que la bourgeoisie est prête à faire quand elle se sent réellement menacée. Mais dans les années trente comme dans les années soixante, on a vu aussi comment elle sait reprendre ce qu'elle a dû concéder - et plus encore - quand la menace s'éloigne. On a vu aussi les moyens qu'elle est prête à employer pour se débarrasser de ce qui reste de combativité et de conscience une fois le mouvement retombé. On a vu enfin le rôle joué par le Parti Démocrate pour l'y aider.

Le premier pas vers une défense réelle des intérêts de la classe ouvrière aux États-Unis consiste à rompre avec le Parti Démocrate. C'est aussi, évidemment, rompre avec la politique de la bureaucratie syndicale.