Ce texte est adapté d’un article paru aux États-Unis dans la revue Class Struggle (n° 116, été 2023) publiée par nos camarades du groupe trotskyste The Spark.
Lors de sa campagne électorale de 2018, l’actuel président mexicain, Andrés Manuel López Obrador, fit la promesse de lancer la « quatrième transformation » du pays, assurant qu’elle ne serait « pas moins profonde que l’Indépendance, la Réforme et la Révolution ».
La première transformation à laquelle il se réfère, ce sont les guerres d’indépendance contre la couronne espagnole. Commencées en 1810, elles aboutirent à l’indépendance du Mexique en 1821. Dans leur combat contre l’armée impériale, les classes supérieures mexicaines s’y étaient appuyées sur des mobilisations populaires : paysans et ouvriers agricoles, mineurs et muletiers, populations autochtones... qui échappèrent plus d’une fois à leur contrôle.
La seconde, la Réforme, désigne les guerres civiles qui secouèrent le pays de 1857 à 1867. Elles aboutirent à l’instauration d’un État mexicain unifié et consolidé sous la direction du général Porfirio Diaz, en même temps qu’à l’affermissement du pouvoir des propriétaires fonciers dans les campagnes. Pendant cette période, marquée par des interventions militaires directes de la France et des États-Unis, l’agitation sociale fut importante parmi les travailleurs agricoles et les tribus amérindiennes.
La troisième désigne la révolution qui débuta en 1911, dont nous reparlerons.
Les luttes de classes qui ont accouché de ce que López Obrador appelle les « transformations » ont jeté les bases du développement capitaliste qui a conduit au Mexique d’aujourd’hui. Une classe bourgeoise au sens propre du terme est née. Les fondements d’une économie industrielle ont été jetés, faisant du pays un endroit particulièrement attrayant pour les entreprises des États-Unis qui voulaient investir dans la production, alors même que le Mexique se libérait de sa longue tutelle coloniale1.
Selon la Banque mondiale, en 2022, l’industrie manufacturière mexicaine a produit plus de richesses que celle de n’importe quel pays d’Amérique latine et de n’importe quel pays sous-développé, à l’exception de l’Inde et de la Chine, qui comptent chacune plus de dix fois plus d’habitants. Les entreprises états-uniennes profitent énormément de leur emprise sur le Mexique. Mais la majeure partie de la population mexicaine reste enlisée dans la pauvreté et la violence, et a désespérément besoin d’une quatrième transformation, pour reprendre le vocabulaire du président.
La nécessaire quatrième transformation dont se réclame López Obrador n’a jamais été plus qu’un slogan électoral. Aucun homme politique, ni aux États-Unis ni au Mexique, n’a l’intention, et encore moins la capacité, de s’appuyer sur l’héritage des révolutions du passé. Mais ce sont bien les transformations auxquelles le président fait référence qui ont engendré le Mexique d’aujourd’hui et ont fait naître la classe ouvrière, seule force sociale capable de mener à bien la transformation de la société capitaliste en société socialiste, au Mexique comme dans le monde entier.
La troisième transformation : la révolution mexicaine et ses conséquences, 1910-1940
Bien que la dictature de Porfirio Diaz ait été garante des intérêts fondamentaux des propriétaires d’haciendas2 et de la bourgeoisie naissante, les uns et les autres ont commencé à trouver son poids de plus en plus gênant, pour leur vie quotidienne comme pour leurs intérêts commerciaux. Et ils étaient étouffés par l’impérialisme américain, allié indéfectible de la dictature.
Une partie de la bourgeoisie s’opposa à la dictature, exerçant une pression suffisante pour que Diaz se sente obligé de promettre des élections équitables en 1910. Mais, après avoir établi un cadre pour ces élections, Diaz fit arrêter son principal adversaire électoral. Ce candidat, le riche propriétaire d’haciendas Francisco Madero, appela la population à se soulever pour soutenir sa candidature à la présidence. Et certains officiers, avec leurs soldats, se joignirent à lui.
Comme lors des deux transformations précédentes, cette lutte au sommet ouvrit la porte à une vague de rébellions. Dans l’État du Morelos, Emiliano Zapata rassembla les paysans en une armée qui redistribuait les terres des haciendas dans les zones sous son contrôle. Dans le nord, Pancho Villa forma une armée de travailleurs des haciendas, lui aussi en vue du partage des terres. En 1914, à la tête de leurs armées, ils envahirent Mexico. Cette occupation de la capitale fit grand peur à la classe dirigeante. Mais, au bout de quelques semaines, les paysans, sans autre objectif que la terre et sans plan pratique pour l’obtenir, repartirent d’où ils étaient venus.
Pendant près de dix ans, la situation resta instable. Des armées paysannes se levaient, puis disparaissaient. Pendant ce temps, renforcée par les hommes de main des propriétaires fonciers, l’armée mexicaine se reconstitua, sous la direction de « généraux révolutionnaires » qui avaient mené des luttes non seulement contre les paysans mais aussi les uns contre les autres. Ces généraux fondèrent ensuite un nouveau parti politique appuyé sur l’armée. Prenant le pouvoir en 1929, ils établirent un régime militaire qui devait durer jusqu’en 2000. Après avoir changé de nom à plusieurs reprises, ce parti prit en 1946 celui de Parti révolutionnaire institutionnel (PRI).
La reconstitution de l’armée et la création du parti ne mirent pas fin aux combats dans les campagnes. Même après la fin des conflits à grande échelle, une guerre civile larvée pour la possession de la terre se poursuivit dans les années 1930 entre les milices paysannes et les « gardes blancs » au service des propriétaires d’haciendas. En 1933, les dirigeants du parti au pouvoir (à l’époque baptisé le Parti révolutionnaire national) choisirent comme président l’un des généraux, Lázaro Cárdenas, car il avait su contenir la mobilisation paysanne dans son État natal du Michoacán, en intégrant les organisations paysannes au sein de son pouvoir régional. Une fois au pouvoir au niveau national, son gouvernement lança une réforme agraire par en haut. L’État devint le propriétaire officiel d’environ 20 millions d’hectares, un dixième de la superficie du pays, provenant des haciendas, et il donna aux paysans le droit de cultiver ces terres, qu’ils avaient déjà en grande partie occupées. Cela suffit à lier les principales organisations paysannes au parti de Cárdenas et à l’État.
Cárdenas mena une politique similaire à l’égard des organisations de la classe ouvrière. Il se prononça en faveur de la syndicalisation et même de certaines grèves, notamment contre les entreprises étrangères. Les travailleurs saisirent la balle au bond. En 1933, on n’avait enregistré que 15 grandes grèves. Ce nombre passa à 202 en 1934 et à plus de 600 en 1935. Les syndicats furent légalisés, mais dans un cadre juridique strictement délimité par l’État : une série de règles limitaient leurs initiatives et posaient toutes sortes de conditions à la légalité de leurs actions. En 1936, la principale fédération syndicale fut intégrée au parti de Cárdenas, qui s’élargit alors et changea à nouveau de nom pour devenir le Parti de la révolution mexicaine.
En juin 1938, Trotsky analysait comme suit la situation du Mexique sous Cárdenas :
« Dans les pays industriellement arriérés, le capital étranger joue un rôle décisif. D’où la faiblesse relative de la bourgeoisie nationale par rapport au prolétariat national. Cela crée des conditions particulières pour le pouvoir d’État. Le gouvernement peut gouverner soit en se faisant l’instrument du capitalisme étranger et en tenant le prolétariat sous le joug d’une dictature d’État, soit en manœuvrant avec le prolétariat et en allant jusqu’à lui faire des concessions, afin de se ménager une certaine liberté par rapport aux capitalistes étrangers. La politique actuelle [du gouvernement mexicain] relève de cette deuxième option. Ses plus grandes conquêtes sont les expropriations des chemins de fer et des industries pétrolières. »3 Entre 1929 et 1937, le Mexique nationalisa en effet les chemins de fer, qui appartenaient principalement à des investisseurs américains et britanniques. Un an plus tard, il les confiait à une « gestion ouvrière », c’est-à-dire aux syndicats déjà intégrés au parti de Cárdenas. En 1938, une vague de grèves dans l’industrie pétrolière conduisit à une décision de la Commission nationale de médiation d’augmenter les salaires des travailleurs du pétrole, ce que les entreprises refusèrent. Cárdenas en prit prétexte pour exproprier l’ensemble de l’industrie pétrolière. Son administration lança une campagne pour soutenir cette initiative : il incita un maximum de Mexicains à participer à leur petite échelle au processus de nationalisation, en leur demandant de donner quelques pesos pour aider à payer l’indemnité que l’État mexicain offrait aux compagnies. La Grande-Bretagne ne pouvait pas y faire grand-chose. Et les États-Unis, à l’approche de la Deuxième Guerre mondiale, étaient plus soucieux d’assurer la stabilité de leur frontière sud que d’aider les compagnies pétrolières concernées, dont la plupart étaient de toute façon britanniques.
Dans un autre article écrit le même mois4, Trotsky explique : « Le Mexique semi-colonial lutte pour son indépendance nationale, politique et économique. (...) L’expropriation est le seul moyen efficace de sauvegarder l’indépendance nationale et les conditions élémentaires de la démocratie. (...) L’expropriation des champs de pétrole n’est ni du socialisme ni du communisme. Mais c’est une mesure d’autodéfense nationale très progressiste. » Enfin, considérant que « la lutte autour du pétrole mexicain n’est qu’une des escarmouches annonciatrices des futures grandes batailles entre oppresseurs et opprimés », il prévoyait deux issues possibles5. D’une part, la possibilité que, « par l’intermédiaire de syndicats sous contrôle, le capitalisme d’État puisse tenir les travailleurs en échec, les exploiter cruellement et paralyser leur résistance ». À l’inverse, il envisageait la possibilité révolutionnaire que, « s’appuyant sur les positions acquises dans des branches exceptionnellement importantes de l’industrie, les travailleurs puissent mener l’offensive contre toutes les forces du capital et contre l’État bourgeois ». En tout état de cause, écrivait-il, « pour que les travailleurs utilisent cette nouvelle forme d’activité dans l’intérêt de la classe ouvrière, et non de l’aristocratie ouvrière et de la bureaucratie, une seule condition est nécessaire : l’existence d’un parti marxiste révolutionnaire » qui parvienne, entre autres choses, à « gagner de l’influence dans les syndicats et à assurer une représentation ouvrière révolutionnaire dans l’industrie nationalisée ». En 1938, ce parti n’existait pas et il ne fut pas créé. Les potentialités révolutionnaires de la situation ne se concrétisèrent donc pas.
Un développement bourgeois à l’ombre de l’impérialisme
Le Mexique n’ayant pas emprunté la voie révolutionnaire, il vit au cours des quarante années suivantes l’État s’appuyer sur les industries nationalisées pour subventionner les entreprises et donner une base industrielle au pays, avec suffisamment de succès pour que son développement économique soit qualifié de « miracle mexicain ». La nouvelle dictature, vue comme plus « perfectionnée » par bien des observateurs bourgeois, sut tirer parti de la période de répit offerte aux pays d’Amérique latine par la Deuxième Guerre mondiale. L’Europe étant préoccupée par la guerre sur son sol et l’impérialisme américain par son expansion en Asie grâce à la guerre, le Mexique profita de l’occasion pour s’industrialiser.
Outre les usines, les fabriques et les mines, le pays se dota d’une infrastructure de base en matière de transport, d’éducation et de santé, même si de nombreux villages restaient à l’écart de ces progrès matériels.
Dans les campagnes, la réforme agraire par en haut conduisit de nombreuses personnes à revenir à l’agriculture vivrière, alors même que, pas si loin d’elles, des villes et des industries modernes prenaient leur essor. D’une manière générale, la productivité du travail dans les campagnes mexicaines était très faible, et la majeure partie des paysans vivaient dans une grande pauvreté. L’économie paysanne ne pouvait pas vraiment assurer un niveau de vie adéquat ni employer l’ensemble des jeunes générations, ce qui entraîna un flux constant de demandeurs d’emploi vers les villes.
Dans cette période de richesse croissante pour les bourgeois liés au régime et de pauvreté persistante pour la majeure partie de la population, la dictature établie par le PRI se fit de plus en plus répressive. En 1959, les militaires écrasèrent une série de grèves dans les chemins de fer. En 1962, la police tua des dizaines de paysans qui réclamaient une réforme agraire. En 1968, les troupes mexicaines massacrèrent des centaines de manifestants étudiants dans le quartier de Tlatelolco, juste avant les Jeux olympiques de Mexico. Le massacre de Tlatelolco, dite de la place des Trois cultures, marqua le début de ce qu’on appela au Mexique la « sale guerre ». Entre les années 1960 et 1980, avec l’aide des États-Unis, les forces de sécurité mexicaines firent disparaître, torturèrent et exécutèrent des milliers de personnes accusées d’appartenir à des organisations militantes.
Le parti qui, sous Cárdenas, avait choisi de s’appuyer sur la classe ouvrière pour lutter contre l’impérialisme, avait manifestement changé de cap, s’appuyant plutôt sur la dictature d’État pour maintenir la classe ouvrière sous contrôle.
Sous la surveillance directe de l’impérialisme
La croissance de l’économie mexicaine rendit le pays encore plus attractif pour les capitaux états-uniens, une fois passée la reprise économique d’après-guerre. Les investissements en provenance des États-Unis affluèrent. Longtemps, c’étaient les excédents produits par l’industrie pétrolière nationalisée qui avaient permis la croissance. Mais, au début des années 1980, le prix du pétrole s’effondra. Le Mexique fut contraint de se tourner vers les marchés financiers internationaux, dominés par les États-Unis, pour renflouer les finances publiques. Ces renflouements en série furent assortis de conditions qui obligèrent le pays à ouvrir, plus encore qu’avant, son économie aux investissements et au commerce étrangers. Le processus fut couronné par l’ALENA (Accord de libre-échange nord-américain, signé en 1994 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique), qui consista essentiellement en une codification des changements en cours.
Depuis le début de cette évolution, il y a quarante ans, le Mexique a absorbé un flot d’investissements internationaux qui ont favorisé un développement industriel et agricole spectaculaire. Et le Mexique est devenu, à bien des égards, un sous-traitant de l’industrie états-unienne. En 2019, il était le premier partenaire commercial des États-Unis, et il n’a été qu’à peine dépassé par le Canada depuis lors. De nombreuses usines mexicaines sont complètement intégrées à des chaînes d’approvisionnement transfrontalières : les pièces font des allers-retours entre le Mexique et les États-Unis avant de se retrouver dans un produit fini. Ces chaînes sont très majoritairement contrôlées par des entreprises états-uniennes, européennes ou japonaises produisant en grande partie pour le marché des États-Unis. Le Mexique fabrique et exporte chaque année pour 100 milliards de dollars de véhicules vers les États-Unis pour Stellantis, Ford, Nissan ou Volkswagen, qui comptent parmi les vingt plus importants employeurs du Mexique.
La transformation économique des quarante dernières années a frappé de plein fouet les petits producteurs mexicains, en particulier la paysannerie. Ils n’ont pu rivaliser avec le maïs et les haricots bon marché cultivés aux États-Unis, qui ont inondé le pays depuis les années 1990 et entraîné la faillite de plus de deux millions de petites exploitations. Les petits commerces n’ont pas plus été en mesure de faire face à la concurrence. La plus grande chaîne de supermarchés au Mexique aujourd’hui est Walmart, qui est aussi le plus grand employeur privé du pays. Actuellement, près de la moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, extrêmement bas au Mexique, notamment parce que les emplois créés n’ont pas suffi à compenser ceux détruits dans les petites exploitations agricoles et le petit commerce. Comme le souligne López Obrador lui-même, alors qu’environ 1,2 million de Mexicains entrent sur le marché du travail chaque année, « au cours des quinze dernières années, seuls 500 000 emplois ont été créés par an ». Ainsi chaque année, et depuis longtemps, 700 000 Mexicains n’ont le choix qu’entre trois voies : l’émigration, l’économie informelle et la délinquance voire le crime. C’est bien le manque d’emplois qui est à l’origine de la violence incessante, largement causée par les cartels de la drogue qui se sont considérablement développés depuis les années 1980 et sont eux-mêmes liés à diverses parties de l’appareil d’État. De plus, l’énorme armée de réserve industrielle constituée par les travailleurs privés d’emploi aide les employeurs à faire pression sur les salaires.
Alors que López Obrador s’est fait élire il y a cinq ans en promettant que sa quatrième transformation ferait fonctionner l’économie et le gouvernement mexicains « pour le bien de tous, et des pauvres en premier », ses politiques ont été, pour l’essentiel, peu différentes de celles des présidents précédents : elles ont été conçues pour servir les intérêts de la bourgeoisie mexicaine et, surtout, des entreprises états-uniennes qui dominent l’économie du pays.
Loin de redéfinir les relations du Mexique avec l’impérialisme, López Obrador s’est efforcé de vendre le pays comme une alternative à la Chine, en vantant ses salaires encore plus bas. En 2019, le secrétaire à l’Économie a publié une brochure intitulée Les atouts du Mexique à l’intention des investisseurs étrangers potentiels. À la suite d’un graphique, la première phrase de la brochure explique : « Comme on peut le constater, les coûts de la main-d’œuvre au Mexique sont nettement inférieurs à ceux du Brésil, de la Pologne et de la Corée, entre autres. »
Oui, une quatrième transformation est nécessaire : une transformation qui ne s’attaquera pas seulement aux problèmes de la terre, de l’emploi et de la pauvreté, mais aussi aux forces qui contrôlent le Mexique, c’est-à-dire à la classe capitaliste mexicaine et, surtout, à l’impérialisme américain.
La force qui pourrait transformer le Mexique existe
Les changements survenus au cours des quarante dernières années ont fait grossir considérablement la seule force qui a la capacité de transformer le Mexique, à savoir la classe ouvrière mexicaine. Alors qu’en 1980 seule la moitié de la population vivait dans des villes de 15 000 habitants ou plus, plus de 80 % de la population du pays est aujourd’hui urbaine. Près d’un tiers des travailleurs mexicains n’ont pas d’emploi régulier et vivent de l’économie informelle, mais la classe ouvrière et les couches qui lui sont liées constituent la majeure partie de la population.
Au cours des dernières décennies, les entreprises étrangères ont installé plus de 5 000 usines, les maquiladoras. Elles emploient plus de deux millions de travailleurs, concentrés dans quelques villes proches de la frontière avec les États-Unis. Les travailleurs des maquiladoras, ainsi que les camionneurs, les cheminots et tous ceux qui les font fonctionner, occupent une place essentielle dans les chaînes d’approvisionnement de l’ensemble du continent nord-américain.
Et, malgré l’emprise de l’État sur les syndicats, ces travailleurs ont su organiser des grèves importantes : en 2019, à Matamoros, une vague de grèves sauvages a entraîné des dizaines de milliers de travailleurs des maquiladoras, et d’autres grèves y ont éclaté en 2020, à mesure que le Covid se propageait dans les usines.
Non seulement cette classe ouvrière possède une force qui lui permettrait d’affronter et d’écarter la classe bourgeoise nationale, mais elle aurait aussi les moyens, à l’occasion d’une révolution qui partirait du Mexique, de s’attaquer à l’impérialisme américain qui tient le Mexique sous sa coupe.
Les révolutions, lorsqu’elles se produisent, débordent les frontières nationales. Les luttes menées dans une région s’étendent à d’autres. Jusqu’où pourrait aller une révolution initiée par la classe ouvrière mexicaine ? Les travailleurs mexicains ont d’innombrables liens personnels, culturels et économiques avec les travailleurs de toute l’Amérique latine et des Caraïbes. De plus, point crucial pour ce qui est d’en finir avec l’emprise impérialiste, il y a tous ces liens qui unissent des travailleurs mexicains aux membres de leur famille installés dans l’ouest des États-Unis, en Floride et au Texas, ainsi que dans les grandes villes comme Chicago et Saint-Louis. Aux États-Unis vivent 37 millions de personnes d’origine mexicaine, un nombre important à mettre en regard des 128 millions de Mexicains vivant sur le territoire mexicain. Ne serait-ce pas l’une des grandes ironies de l’Histoire que de voir la révolution communiste internationale partir du Mexique, cette chasse gardée de l’impérialisme américain, avant de se propager jusqu’au cœur de la métropole elle-même ?
Bien des choses ont changé depuis 1938. Avant tout, la force potentielle de la classe ouvrière s’est considérablement accrue. Mais une chose reste inchangée : il faut créer un parti marxiste, un parti communiste révolutionnaire, et il faut qu’il gagne de l’influence dans cette classe ouvrière. Cela n’est pas propre au Mexique. Cette tâche est vitale dans le monde entier et surtout aux États-Unis, la citadelle impérialiste qui domine le monde, aujourd’hui bien plus encore qu’en 1938. Et, pour construire ce parti, il faut des femmes et des hommes comprenant au plus profond de leur être l’urgence de s’atteler à cette tâche.
27 juillet 2023
1Le Mexique fut envahi par les conquistadors espagnols autour de 1520. Cette conquête brutale aboutit à la disparition rapide de 95 % de la population autochtone, du fait des violences et des maladies. Pendant les trois siècles suivants, la société mexicaine, dominée par l’Église catholique et les représentants militaires et administratifs de l’Espagne, demeura arriérée. Seule l’extraction minière et les exploitations agricoles qui lui étaient liées connurent un relatif développement. (Note LDC).
2Une hacienda est une exploitation agricole de grande dimension.
3Léon Trotsky, « L’industrie nationalisée et la gestion ouvrière », Œuvres, tome 18, juin 1938, EDI.
4Léon Trotsky, « Le Mexique et l’impérialisme britannique », Œuvres, tome 17, 5 juin 1938, EDI.
5Les citations qui suivent sont tirées du premier article cité : « L’industrie nationalisée et la gestion ouvrière ».