Situation intérieure

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décembre 2024-janvier 2025

En France, la montée des idées réactionnaires sur fond de crise politique

Le fait le plus notable de la situation intérieure est l’accélération de l’évolution réactionnaire. Sur fond de crises et de guerres, les idées sécuritaires, nationalistes et xénophobes se banalisent, comme en attestent les scores du Rassemblement national lors des élections européennes et législatives.

Macron ayant cru bon de dissoudre l’Assemblée nationale et de provoquer des législatives anticipées, la poussée de l’extrême droite se double désormais d’une crise politique. L’Hémicycle est maintenant divisé en trois blocs d’importance comparable et en onze groupes parlementaires. Cela impose un gouvernement de coalition, situation courante dans nombre de pays, mais inédite en France sous la Ve République. Situation d’autant plus compliquée que le petit jeu politicien consiste toujours à isoler le Rassemblement national, qui est fort de 142 députés avec son allié Ciotti.

Macron a ainsi mis deux mois pour trouver un Premier ministre capable de bricoler une majorité intégrant les macronistes et qui soit avalisée par Le Pen. La mission, un CDD qui durera jusqu’à la prochaine dissolution, au plus tôt à l’été prochain lorsque de nouvelles élections législatives seront possibles, a été confiée au politicien LR Michel Barnier. Celui-ci a mis près d’un mois pour composer son gouvernement.

À l’exception de Retailleau qui a pris le médiatique poste de ministre de l’Intérieur, son équipage ne compte aucun poids lourd, les principaux dirigeants de la droite et de la macronie n’ayant pas voulu monter dans le Titanic gouvernemental. Chacun cultive son quant à soi et se prépare pour la prochaine présidentielle. Raison pour laquelle Attal, Darmanin, Philippe, Wauquiez, Retailleau ou Bayrou, censés appartenir à la majorité, passent leur temps à se tirer dans les pattes.

Combien de temps cet attelage tiendra-t-il ? Dans le débat budgétaire qui se déroule actuellement à l’Assemblée, bien malin qui peut distinguer les soutiens officiels du gouvernement des opposants officiels. On connaissait le soutien sans participation gouvernementale du Parti communiste au gouvernement Blum en 1936, pour lier les mains de la classe ouvrière et la soumettre à l’ordre bourgeois. Aujourd’hui, les politiciens expérimentent la participation gouvernementale sans soutien !

Le jeu est irresponsable du point de vue des intérêts de la bourgeoisie et de son système, puisqu’il contribue à affaiblir et discréditer un gouvernement que la classe politique actuelle serait bien en peine de remplacer. La bourgeoisie, classe sociale individualiste, arriviste et sans autre principe que « après moi le déluge », sélectionne ainsi des serviteurs à son image. Ils aggravent l’instabilité indissociable du système capitaliste et constituent une partie du problème.

Le Pen et Bardella dans l’antichambre du pouvoir

Aux élections européennes, avec 31,5 % et même 40 % des voix si on ajoute les scores de Reconquête et des autres listes d’extrême droite, le Rassemblement national est arrivé en tête dans 93 % des communes, dans 457 des 577 circonscriptions. Aux législatives qui ont suivi, il a rassemblé les suffrages de près de 10 millions d’électeurs, contre 4,2 millions à celles de 2022. Seule l’opération du front républicain entre le Nouveau Front populaire et la macronie a empêché Bardella de s’installer à Matignon. Mais le RN est plus que jamais en position de force.

Le RN s’est engagé à ne pas faire tomber immédiatement le gouvernement Barnier et cela lui donne les moyens de peser sur sa politique. Sous la pression du RN, le gouvernement a annoncé qu’il présentera une nouvelle loi Immigration, le dix-neuvième texte sur ce thème en vingt ans. Le Pen ne craint pas que Retailleau et LR lui volent la vedette : l’opération de siphonnage des voix de l’extrême droite que Sarkozy avait réussie en 2007 relève de l’histoire ancienne. Aujourd’hui, le RN s’est constitué un socle électoral solide dans toutes les catégories sociales et à l’échelle de tout le pays. Pour ceux qui veulent une politique anti-immigrés et sécuritaire, le RN incarne désormais le vote utile.

Parallèlement, le RN parachève sa quête de respectabilité et de crédibilité vis-à-vis du grand patronat. Il continue de réviser son programme et supprime les points urticants pour celui-ci. Pour prouver sa capacité à gouverner, il a rédigé un contre-budget qui fait la part belle aux niches fiscales et aux allègements de charges des entreprises, et qui préserve, bien sûr, les intérêts des propriétaires de grandes sociétés et les gros patrimoines. En bon élève désireux de s’intégrer, il participe à toutes les institutions à sa portée.

Mais le RN a fort à faire pour devenir le premier choix de la bourgeoisie. Celle-ci n’a en effet pas les mêmes liens de confiance avec le RN que ceux qu’elle a avec les politiciens de droite, de la macronie ou du Parti socialiste, complètement intégrés aux réseaux patronaux. Entre ces derniers et la bourgeoisie, il y a des liens familiaux, amicaux et professionnels de longue date, ce qui n’est pas le cas avec les responsables du RN. Des grands patrons comme Bolloré, des journalistes ou chroniqueurs bien introduits s’emploient à réduire ce handicap en introduisant les responsables du RN dans leur milieu, mais cela ne peut pas se faire du jour au lendemain.

Le RN peine aussi à se constituer un ancrage local dans toutes les régions. Vu les candidats sulfureux qu’il a présentés aux législatives, il n’a pas encore constitué partout un vivier de cadres. Nombre de députés RN parachutés dans leur circonscription restent des inconnus pour leurs propres électeurs ainsi que pour les notables locaux. Mais tous ces handicaps ne sont manifestement pas un obstacle pour accéder au pouvoir.

Le Pen n’est pas encore au pouvoir, mais son programme l’est déjà

Le RN oriente déjà toute la vie politique. À l’heure de l’instabilité politicienne, la démagogie contre les immigrés et les musulmans est une valeur sûre. Pour surfer sur celle-ci, Barnier a confié le ministère de l’Intérieur au sénateur Retailleau.

Retailleau ne dépareillerait pas dans un gouvernement ­Bardella-Le Pen. Cet ancien proche de Philippe de Villiers, catholique bien-pensant et amateur des clichés racistes dignes de la France coloniale, s’oppose à une prétendue islamisation de la société. Adepte de la préférence nationale, des quotas migratoires, du durcissement des conditions du regroupement familial et des restrictions du droit du sol, il fait la politique du Rassemblement national. Cela souligne l’ineptie du front républicain et du prétendu barrage qu’il aurait été contre le RN.

À la rentrée, Retailleau s’est fait remarquer en affirmant « l’État de droit, ça n’est pas intangible, ni sacré ». Ce n’était pas une erreur grammaticale, mais un clin d’œil à la frange la plus réactionnaire, par exemple à ce milieu de généraux, à la retraite ou pas, qui dans une lettre publiée par le magazine Valeurs actuelles en 2021, disaient leur détermination à ramener l’ordre et à défendre « les valeurs de la nation », par la force si besoin était.

Selon un sondage du mois de septembre commandé par Le Parisien, 51 % de la population estime que « seul un pouvoir fort » peut restaurer l’ordre et la sécurité et 23 % de la population ne croit plus dans le « système de la démocratie ». Les législatives ont sans doute renforcé ces tendances, puisque nombre d’électeurs du RN comme du NFP ont le sentiment amer de s’être fait voler la victoire. Le fait que le gouvernement soit conduit par un homme dont le parti n’a remporté que 5 % des suffrages apparaît comme un déni démocratique. Et cela s’ajoute aux nombreuses attaques gouvernementales imposées à coups d’article 49.3 ces dernières années, à commencer par la réforme des retraites.

Un parlementarisme bourgeois qui n’a plus rien de démocratique

Depuis des années, nous évoquons la crise de la démocratie bourgeoise française dans la mesure où la classe politique traditionnelle est discréditée et ne parvient plus à faire illusion et à s’imposer au travers des élections. Mais la fin réelle de la démocratie bourgeoise a sonné au moment où le capitalisme est entré dans sa phase impérialiste.

La bourgeoisie ascendante a eu besoin de créer des parlements pour y discuter collectivement de l’organisation de son État, de son rôle et des lois générales favorables à ses affaires. Certains grands patrons, tels que l’industriel Eugène Schneider du Creusot ou le banquier Casimir Périer, ont tenu à y siéger en personne. Et pendant des décennies, notamment en Grande-Bretagne et en France, le vote censitaire a assuré que les décisions se prendraient bien entre bourgeois. C’est progressivement et avec mille précautions que le droit de vote a été élargi pour aboutir au suffrage universel. La France, qui se proclame le pays des droits de l’homme depuis la Révolution de 1789, ne l’a vraiment instauré qu’en 1944, en accordant le droit de vote aux femmes, quatorze ans après la Turquie de Mustafa Kemal.

La démocratie parlementaire avait été depuis déjà longtemps vidée de toute substance. Dès que l’économie capitaliste est entrée dans sa phase impérialiste, de grands trusts financiers et industriels dominant la vie économique, la grande bourgeoisie a imposé leurs décisions à l’ensemble de ses congénères moins puissants sans en passer par le Parlement, le personnel gouvernemental et étatique étant à sa disposition. Les parlements dans lesquels se heurtaient les intérêts des différentes catégories bourgeoises et dont les votes tranchaient les grandes décisions intéressant le patronat, se transformèrent en chambres d’enregistrement des conseils d’administration les plus puissants. Parler de déni démocratique en 2024, c’est avoir plus d’un siècle de retard.

C’est le jeu du Parti communiste devenu stalinien qui a alimenté la croyance que le Parlement et le vote de chacun comptaient réellement pour changer le sort des travailleurs. De ce point de vue, le tonitruant Georges Marchais, souvent considéré comme plus radical et lutte de classe que ses successeurs, a joué le rôle le plus néfaste, car il l’a fait à une période où la combativité et le niveau d’organisation des travailleurs ouvraient bien d’autres perspectives.

« L’État de droit » est l’État de droit bourgeois, pour lequel la liberté n’existe réellement que pour les plus riches et pour lequel la démocratie est un paravent de la dictature de la bourgeoisie. Mais la liberté de parole, la liberté syndicale, la liberté de réunion et de manifestation qu’il octroie sont précieux pour les exploités et pour les révolutionnaires que nous sommes. Ces quelques droits n’existent que dans les pays les plus riches ayant accumulé suffisamment de richesses au travers du pillage colonial et impérialiste pour hisser une fraction de leurs classes populaires au rang d’aristocratie ouvrière attachée à la défense de l’ordre social existant. Cela ne s’est pas fait en un jour. La bourgeoisie des pays riches a mis près d’un siècle avant de réussir à enfermer les exploités dans la cage de ses institutions. En France, il lui a fallu en tout pas moins de cinq républiques édifiées sur bien des massacres dans les classes populaires pour aboutir à une formule qui assure une stabilité gouvernementale et institutionnelle.

Le fait que ces droits soient gravés dans la pierre des édifices publics ne les rend pas éternels. Ils reflètent un certain niveau d’accumulation de richesses et un certain état du rapport des forces entre la bourgeoisie et la classe ouvrière. Ils reculent et peuvent être remis en cause par l’évolution réactionnaire.

La gauche divisée

Tandis que le RN se façonne une image de parti fort et respectable, la gauche apparaît divisée. Après s’être copieusement invectivés lors des européennes, le PS, La France insoumise, les Écologistes et le PC sont pourtant parvenus à se rabibocher pour constituer le Nouveau Front populaire. La volonté de sauver leurs sièges de député les a poussés, un temps, à enterrer la hache de guerre. C’est aussi d’un commun accord, et toujours dans l’optique de sauver leurs places, qu’ils ont fait passer les macronistes, responsables de toutes les attaques antiouvrières depuis sept ans, pour des alliés dans la lutte contre le RN.

Cette politique a été soutenue de Hollande jusqu’à Poutou, puisque le NPA-L’Anticapitaliste a joué sa part de la comédie en appelant au barrage contre le fascisme et en présentant son ancien candidat à la présidentielle sous la bannière du NFP. Le Rubicon étant franchi, le NPA Besancenot-Poutou a aussi appelé à voter pour les candidats macronistes, dont Borne et Darmanin au second tour, dans le cadre du front républicain. Ce faisant, il a joint ses petites forces à la gauche gouvernementale et aux directions des confédérations syndicales, à commencer par la CGT, pour tromper les travailleurs sur qui sont leurs véritables ennemis.

La lune de miel de tout ce beau monde n’a duré que le temps des élections. Les divisions apparues au moment de choisir un potentiel Premier ministre, les anathèmes régulièrement lancés contre La France insoumise, qui sortirait de « l’arc républicain », ainsi que la rupture entre Mélenchon, Ruffin et d’autres de ses anciens soutiens, ont fini de dissiper les rares espoirs d’un retour d’un gouvernement d’union de la gauche. Le NFP a tout d’un mort-vivant, pour les mêmes raisons liées aux ambitions électorales qui divisent la droite et la macronie. Mélenchon et son parti apparaissent comme des obstacles à l’ascension de ceux qui, au sein du NFP, comme Glucksmann ou Roussel, se voient une carrière de ministre et plus.

Ces derniers ont trouvé un terrain pour disqualifier Mélenchon : sa politique vis-à-vis d’Israël. Certains ne se sont pas privés de l’accuser d’antisémitisme, participant ainsi à la campagne de dénigrement plaçant LFI en dehors de « l’arc républicain ». Ils ont ainsi joint leur voix au concert réactionnaire et conforté les travailleurs qui, par préjugé antimusulman, rejettent Mélenchon ou la LFI.

Contrairement aux cris de victoire de Mélenchon à l’issue des législatives, malgré la tentative de lancer un gouvernement Lucie Castets et les salves d’autosatisfaction à chaque amendement gagné par la gauche, les députés du NFP ne peuvent pas s’opposer à la mise en œuvre de la politique antiouvrière de Barnier. Le bluff politicien n’a jamais été une arme pour les travailleurs et le réformisme que ces forces politiques véhiculent est une plaie que tout travailleur conscient doit combattre.

Les attaques de Barnier et de la bourgeoisie

L’offensive de la bourgeoisie contre la classe ouvrière est menée à la fois par le gouvernement et par le grand patronat, sur le front du budget pour le premier, dans les entreprises pour le second. Aussi faible que soit l’attelage de Barnier, celui-ci a une mission : faire reposer sur le monde du travail le poids de la dette, qui n’a cessé de dériver pour atteindre 3 200 milliards d’euros.

Même si la dette profite aux financiers parce qu’elle constitue une manne continue et assurée, l’État comme la grande bourgeoisie ont besoin qu’une forme d’équilibre des finances publiques soit rétablie. Il ne s’agit pas de se soumettre à un quelconque diktat européen, mais d’assurer les intérêts généraux des capitalistes. À un certain niveau de déficit et de dette, sanctionné par une dégradation de la note attribuée par les agences financières, l’État se place sous une menace spéculative qui causerait d’importantes pertes aux porteurs de titres de la dette française et qui augmenterait les taux d’intérêt auxquels l’État français pourrait emprunter.

Une crise de la dette enrichirait une fraction des financiers en étranglant l’État au détriment de l’ensemble de la bourgeoisie dopée aux subventions publiques. L’équilibre et les rapports de force établis au sein même de la grande bourgeoisie s’en trouveraient menacés, tout comme l’appareil d’État régalien, pilier de l’ordre bourgeois.

Barnier est donc contraint, comme tout autre gouvernement l’aurait été, de remettre de l’ordre dans les finances publiques dans l’urgence. Un de ses principaux leviers est d’augmenter les impôts et les taxes, moyens les plus rapides et les plus sûrs de faire rentrer de l’argent dans les caisses, en demandant à la bourgeoisie d’y contribuer de façon symbolique. Pour ce qui est des coupes dans les dépenses publiques, Barnier joue davantage du rabot que de la hache. Ce choix a lui aussi été imposé par l’urgence et la nécessité de faire les choses en douceur pour ne pas faire exploser sa majorité composée de bric et de broc.

L’attaque la plus brutale est celle dont on parle le moins. C’est celle qui se déroule sur le front des entreprises et qui est directement menée par le grand patronat. L’aspect le plus visible est la saignée en cours dans l’industrie automobile. Fermetures de fonderies, fournisseurs et équipementiers étranglés par des baisses de commandes, annonces de licenciements et de fermetures d’usines s’accélèrent. Les grands constructeurs se préparent eux-mêmes à annoncer la fermeture d’usines historiques. À l’occasion du Salon de l’auto, Tavares a tranquillement expliqué que 10 % supplémentaires de voitures chinoises vendues en Europe, ce serait 1,5 million de voitures européennes en moins, et sept usines d’assemblage rayées de la carte.

Dans la chimie, 1 000 emplois ont été supprimés en France depuis début 2024 et 15 000 seraient menacés d’ici à trois ans. À mots à peine voilés, les industriels menacent du pire si le gouvernement ne leur verse pas les cinq milliards d’aide à la décarbonation prévus pour les 50 principaux sites de la filière. On entend également que le luxe et la Tech seraient eux aussi au point mort, préparant, là encore, les esprits à des suppressions d’emplois. Dans cette période de concurrence acharnée imposée par des marchés solvables qui se contractent et par les modifications du rapport de force entre les capitalistes américains, européens et leurs rivaux chinois, la bourgeoisie ne veut pas perdre un centime et s’emploie à renforcer partout l’exploitation, en aggravant les cadences, en détériorant les conditions de travail ou en investissant dans des pays où la main-d’œuvre est bon marché.

Une classe ouvrière absente sur le terrain social et politique

La grande bourgeoisie sait qu’elle est assise sur un volcan et que ses attaques peuvent finir par provoquer une explosion sociale incontrôlable. Le principal problème est que la classe ouvrière n’est pas du tout préparée à cette situation. La plupart des travailleurs sont passifs, résignés voire fatalistes. Quelques luttes sont menées dos au mur et ne dépassent pas l’échelle locale. Les dernières mobilisations, celle contre la retraite à 64 ans et celle des gilets jaunes, sont citées en exemple comme preuves de l’impossibilité de gagner. Mais, comme cela s’est produit dans le passé, la combativité resurgira.

Le plus grave est que la classe ouvrière n’a pas de direction politique en mesure de l’aider à se préparer. Dans le Programme de transition, écrit en 1938, Trotsky dénonce « la crise historique de la direction du prolétariat ». Il accuse les PC et la Troisième Internationale de l’époque de trahir les intérêts de la classe ouvrière : « Le principal obstacle dans la voie de la transformation de la situation pré-­révolutionnaire en situation révolutionnaire, c’est le caractère opportuniste de la direction du prolétariat, sa couardise petite-bourgeoise devant la grande bourgeoisie, les liens traîtres qu’elle maintient avec celle-ci, même dans son agonie. » Plus loin, il poursuit : « L’orientation des masses est déterminée, d’une part, par les conditions objectives du capitalisme pourrissant ; d’autre part par la politique de trahison des vieilles organisations ouvrières. De ces deux facteurs, le facteur décisif est, bien entendu, le premier : les lois de l’histoire sont plus puissantes que les appareils bureaucratiques. Quelle que soit la diversité des méthodes des social-traîtres – de la législation “sociale” de Léon Blum aux falsifications judiciaires de Staline – ils ne réussiront jamais à briser la volonté révolutionnaire du prolétariat. »

Aujourd’hui, nous n’en sommes plus là. Le Parti communiste, totalement intégré à l’État bourgeois, ne se pose plus en « direction du prolétariat ». Il ne se revendique plus de la classe ouvrière et de son combat pour renverser la bourgeoisie. Il n’a pas à se contorsionner comme entre les années 1930 et 1980, quand il continuait de promettre la révolution et le socialisme pour mieux canaliser et étouffer les mouvements sociaux. LFI tout comme les Écologistes n’ont, quant à eux, pas de liens autres avec la classe ouvrière qu’un lien électoral. Ils n’ont pas de militants et pas de politique pour les travailleurs dans les entreprises. Tous ont contribué à paver la voie au RN.

Que le parti le plus influent dans la classe ouvrière sur le plan électoral soit le RN témoigne du recul politique et moral de notre classe. En effet, à l’exception de certaines banlieues populaires de grandes agglomérations comme Paris ou Lyon, le RN est majoritaire dans le monde ouvrier, dans les campagnes, dans de nombreuses villes petites et moyennes, et dans les anciennes régions industrielles comme le Nord-Pas-de-Calais. En l’absence de luttes collectives, cela peut durer. Tant que les travailleurs ne trouvent pas la force de s’attaquer à la bourgeoisie et à ses valets politiques, ils suivront les démagogues qui proposent de rogner les droits d’autres travailleurs, des chômeurs et des étrangers, et ils seront sensibles aux idées de repli exprimées par la préférence nationale.

Ces idées réactionnaires et nationalistes sont confortées par la gauche institutionnelle, le PCF, LFI, les Écologistes et les confédérations syndicales quand elles expliquent qu’il faut assurer la souveraineté nationale, rompre avec les traités de libre-échange et instaurer des barrières protectionnistes face à la concurrence internationale, des idées aux antipodes de la conscience de classe et de l’affirmation que la seule patrie des travailleurs est la classe ouvrière internationale.

Ces idées peuvent empoisonner et diviser les travailleurs, elles peuvent les détourner de leurs véritables ennemis et des combats à mener, mais la réalité de la lutte de classe n’en existe pas moins. Celle-ci confronte quotidiennement les exploités à la bourgeoisie. Pendant que l’agitation politicienne passionne les commentateurs, les travailleurs subissent l’exploitation et y font face, comme ils le peuvent, la plupart du temps individuellement mais aussi parfois collectivement. Ils luttent face à la hausse des prix, aux difficultés pour se soigner ou pour que leurs enfants aient droit à une scolarité normale.

C’est en s’appuyant sur cette réalité sociale qu’il faut réveiller, attiser et diffuser la conscience de classe. La conscience que la société est divisée en exploiteurs et en exploités. La conscience que les véritables frontières séparent non pas les Français et les étrangers, les Blancs et les Noirs, les hommes et les femmes, mais ceux qui possèdent les moyens de production et ceux qui en sont démunis. La conscience que derrière des politiciens méprisants et prêts à tous les sales coups, c’est la classe capitaliste qui concentre le véritable pouvoir entre ses mains et que c’est elle qu’il faut abattre. Il faut développer la conscience que la classe ouvrière n’est pas seulement une classe opprimée et victime de l’exploitation mais la seule force potentiellement révolutionnaire.

La nécessité de construire un parti révolutionnaire

Malgré la rareté et la faiblesse des luttes de la classe ouvrière, sa force est intacte parce que son rôle fondamental dans la production et dans le fonctionnement de la société est inchangé. La bourgeoisie a besoin des travailleurs et de l’exploitation pour reproduire ses capitaux. Comme l’écrivaient Marx et Engels dans le Manifeste du parti communiste, « avant tout la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs ».

Les crises et les impasses qui se multiplient susciteront des réactions et feront bouger les consciences. Les périodes les plus sombres ont parfois accouché des plus grandes révolutions, c’est-à-dire de moments où des millions de femmes et d’hommes se transforment en combattants pour changer leur sort. C’est dans ces moments-là que la classe ouvrière peut changer la face du monde. C’est aussi dans ces moments-là qu’un parti révolutionnaire est indispensable. Sans un tel parti, les futures explosions sociales recèleront d’immenses menaces pour les travailleurs.

L’existence d’un courant révolutionnaire est décisive quand les travailleurs, entrés en révolution, sont en voie de créer leur propre pouvoir. Mais elle l’est aussi dans une période de reflux des luttes, quand les idées révolutionnaires sont menacées de disparaître face à l’idéologie bourgeoise et aux idées réactionnaires.

Quelles que soient les difficultés et les épreuves à venir et aussi petits que nous soyons, nous incarnons un courant révolutionnaire. À nous de le faire vivre et grandir, même à contre-courant. Même s’ils se taisent et sont isolés, à nous de trouver le chemin vers les travailleurs révoltés. À nous d’apporter des réponses aux salariés du rang et à nous de les aider à s’organiser. À nous, aussi, de convaincre les jeunes qui ne voient pas d’avenir à la société capitaliste. À nous de gagner au combat révolutionnaire ceux qui sont révoltés par le racisme ou l’oppression des femmes. À nous de convaincre ceux qui se mobilisent sur le terrain de l’écologie : il est impossible de sauver la planète sans renverser la minorité capitaliste, qui dirige l’économie et constitue le principal obstacle pour l’organiser rationnellement et faire en sorte qu’elle respecte les hommes et la nature.

Seule la classe ouvrière, qui est au cœur du système capitaliste et qui n’a à perdre que ses chaînes, peut pousser la lutte jusqu’au renversement complet de ce système, c’est-à-dire jusqu’à l’expropriation des capitalistes. Seule la classe ouvrière est capable d’impulser une économie collective organisée pour répondre aux besoins de tous et peut offrir une issue à la crise et au pourrissement du capitalisme dans tous les domaines.

Cette perspective nécessite que les révolutionnaires construisent un parti implanté dans le monde du travail qui, armé de l’immense capital politique légué par Marx, Lénine, Luxemburg, Trotsky, tienne le cap dans les périodes de montées révolutionnaires comme dans les pires années de réaction.

16 octobre 2024