Discussion sur les textes d’orientation

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décembre 2024-janvier 2025

Sur la situation intérieure

Rebondissement de la crise gouvernementale : vers un nouvel attelage de bric et de broc

Le gouvernement Barnier est donc tombé et Macron se retrouve, comme l’été dernier, à chercher un mouton à cinq pattes, en espérant ne pas être entraîné, lui-même dans la chute de Barnier. On est donc, de nouveau, dans une crise gouvernementale. C’est nouveau et en même temps, ça ne l’est pas.

On le sait depuis la dissolution, tant que l’Assemblée reste divisée en trois blocs d’égale importance, il sera très difficile, aux uns comme aux autres, de trouver une majorité. Jusqu’en juillet prochain, date à laquelle il sera possible de dissoudre à nouveau l’Assemblée, le système restera, en grande partie, ingouvernable.

Barnier qui avait obtenu la clémence du RN, a apporté un semblant de stabilité pendant trois mois. Tout cela s’est fracassé sur le changement de cap de Le Pen qui a finalement décidé de le censurer. Qu’est-ce qui a fait changer Le Pen de stratégie ? Des retours de sa base électorale qui voulait la chute du gouvernement et qui aurait pris la non-censure comme un reniement ? Le risque qu’elle devienne inéligible le 31 mars, l’a-t-elle convaincue d’arracher une présidentielle anticipée, en poussant Macron à la démission ? Bien malin qui peut le dire.

Bien malin aussi celui qui peut assurer que Macron ne démissionnera pas. Il l’a redit dans son allocution de jeudi soir. Mais le fait même qu’il se gargarise d’avoir reconstruit Notre-Dame et réussi les JO, ce pour quoi il n’est pas pour grand-chose, montre qu’il est complètement déconnecté. Où cela le mènera-t-il ? On n’en sait rien. La seule certitude, c’est que tous ces politiciens roulent pour le grand capital, en plus, bien sûr, de rouler pour eux-mêmes ! C’est donc reparti pour un tour, un tour de foire d’empoigne politicienne, de grenouillages et de retournements d’alliance. Et cela ne peut déboucher que sur un nouvel attelage de bric et de broc.

Et comme un camarade s’est étonné de la formule « le NFP a tout d’un mort vivant » : la mort du NFP n’a pas été officiellement constatée, mais c’est tout comme. On a d’un côté LFI qui tient sa ligne et milite pour une présidentielle anticipée, dans la perspective de présenter Mélenchon une nouvelle fois, alors que le PS, le PCF et les écologistes sont prêts, comme ils disent, à chercher des compromis. Vous avez peut-être entendu ces derniers jours Roussel, du PCF, Tondelier, des écolos ou Faure, du PS : ces dirigeants du Nouveau Front populaire disaient, en juin, vouloir « tout changer ». Aujourd’hui, ils font des offres de service gouvernemental. Et quand les journalistes leur demandent s’ils seraient prêts à gouverner avec des macronistes, ils ne disent pas non. Roussel a même expliqué que dans les périodes de crise, le PCF avait toujours répondu présent et qu’il avait même participé au gouvernement de De Gaulle en 1945. En tout cas, les arcanes constitutionnels et les combines parlementaires offrent un tas de possibilité. On verra bien !

Sur le fond, ils n’ont pas besoin d’un programme commun, parce qu’ils raisonnent tous dans le même sens, ils ont tous les mêmes lignes rouges : que la bourgeoisie conserve son pouvoir sur l’économie et qu’elle continue de s’en mettre plein les poches. À partir de cet accord tacite fondamental, ils peuvent s’entendre sur un tas de choses.

Bricoler dans l’urgence pour rassurer les financiers

Ce sera du bricolage, du temporaire, du court terme, tout ce que vous voulez. Mais ce sera du bricolage pour gérer les affaires de la bourgeoisie. Leur grande préoccupation, commune, ce n’est pas de stopper la vague de licenciements et de fermetures d’entreprise. C’est de rassurer les marchés financiers.

Les partis qui ont voté la censure, le RN comme LFI, se sont démenés pour rassurer les milieux patronaux et ont montré patte blanche devant les financiers en assurant qu’ils ne laisseraient pas filer les déficits.

On l’a expliqué dans le texte, les 3 200 milliards de dettes mettent l’État français sous la pression des financiers et sous la menace d’une flambée des taux d’intérêt qui s’imposerait non seulement à l’État, mais aussi, plus ou moins rapidement, aux entreprises et aux ménages, car le taux d’intérêt auquel l’État emprunte sert de référence aux autres taux d’intérêt.

Dans Les Echos du 3 décembre, avant le vote de la motion de censure, on lit : « En cas de chute du gouvernement certains s’attendent à une réaction assez violente sur le marché obligataire. Tout nouveau dérapage budgétaire risque d’être immédiatement sanctionné par une envolée des taux. […] La France se retrouve désormais dans le collimateur des bond vigilates ». Ces « justiciers obligataires » sont des investisseurs qui se font eux-mêmes justice en se jetant sur les pays qu’ils considèrent comme trop endettés, pour les forcer à assainir leurs finances publiques et continuer d’être des vaches à lait.

En 2022 au Royaume-Uni, ces « justiciers » autoproclamés ont poussé Liz Truss, la Première ministre aussi éphémère qu’ultralibérale, à la démission. Comble de l’ironie, elle a été balayée après avoir annoncé une bonne nouvelle pour la bourgeoisie : 45 milliards de livres de baisses d’impôts. Mais comme elle n’avait pas pris en compte l’impact sur les finances publiques et que cela allait faire flamber la dette britannique, les justiciers ont massivement vendu les obligations britanniques. Ils ont fait grimper les taux des emprunts de l’État, et la livre sterling a dévissé. Il paraît qu’un quotidien britannique mettait tous les jours à sa une la photo d’une laitue, en pariant que Truss démissionnerait avant que la laitue soit fanée, et ce journal a gagné.

Ces tout derniers jours, Les Echos se veulent rassurants sur les dangers d’une crise financière française pour un tas de raisons. Mais le journal pointe toutes les conséquences négatives de cette instabilité : « Le CAC 40 est le plus mauvais élève des indices boursiers. Il recule de 4 % alors que ses voisins gagnent 10 % depuis le début de l’année. Les valeurs françaises décrochent depuis juin, c’est-à-dire la dissolution. Parce que […] la Bourse de Paris a horreur de l’incertitude […], les investisseurs s’interrogent sur le déficit et la charge fiscale à venir pour les entreprises […] De plus, du côté des résultats, les perspectives sont moroses. »

Autrement dit, si la menace d’un effondrement financier s’éloigne, « le poison financier » fait tout doucement son œuvre. Les financiers sont les véritables maîtres des horloges. C’est la crainte de leur spéculation, la crainte qu’ils provoquent un krach financier qui poussent aujourd’hui le personnel de la bourgeoisie à présenter un semblant de stabilité.

La démocratie impérialiste, une démocratie qui n’en a plus que le nom

Tous les commentateurs dissertent sur la crise de la démocratie. Mais rien que parler de démocratie est une escroquerie. C’est avoir un siècle de retard comme on le dit dans le texte. Parce que c’est le grand patronat qui domine toute l’économie et ce faisant toute la société, ses politiciens, ses intellectuels, ses journalistes. Avec l’impérialisme et la naissance de mastodontes financiers et industriels aussi puissants que les États, la fraction la plus riche de la bourgeoisie a établi un accès direct au pouvoir, une relation quasi fusionnelle avec les plus hauts cercles du pouvoir.

Pour l’illustrer, nous renvoyons à un reportage de Radio France sur la famille Saadé, cinquième fortune française, et son groupe CMA CGM, numéro trois mondial du transport maritime employant 160 000 salariés dans 160 pays. Le groupe est devenu aussi un géant de la logistique terrestre et désormais des médias (BFM TV, RMC, La Provence, La Tribune Dimanche…).

Rodolphe Saadé est l’empereur de Marseille. Il y emploie 5 000 salariés, possède une tour qui domine la Méditerranée. Il sponsorise l’Olympique de Marseille, il a financé une partie des infrastructures pour la visite du pape en 2023, pour l’arrivée de la flamme olympique en mai, et multiplie les œuvres caritatives grâce à sa fondation.

La sœur de Rodolphe, Tanya Saadé, se charge de connecter la CMA CGM aux mondes socio-économiques et politiques locaux en organisant des dîners. Elle a par exemple détecté et fait monter Sabrina Agresti-­Roubache qui est devenue secrétaire d’État à la Ville dans le gouvernement Attal.

Cette famille qui s’est enrichie au Liban était liée à Rafik Hariri, grand ami de Jacques Chirac. Les mauvaises langues disent que c’est ce qui a permis aux Saadé, tout petits affréteurs, de racheter la CGM lorsqu’elle a été privatisée en 1996 et de faire fortune.

La famille est aussi une intime de Jean-Yves Le Drian. Ministre de la Défense puis des Affaires étrangères entre 2012 et 2022, aujourd’hui représentant personnel de Macron pour le Liban. Leur amitié date de 1991-1992, quand Le Drian était secrétaire d’État à la Mer de François Mitterrand. Il avait alors réformé le statut des dockers, contre la CGT. C’est le même Le Drian qui a rapproché Emmanuel Macron et Rodolphe Saadé.

De l’avis de beaucoup de politiciens, la CMA CGM est une entreprise stratégique pour l’État français. La compagnie travaillerait même, main dans la main, avec la DGSE. Comme elle est bien implantée dans différents ports, au Liban et en Syrie, elle sert d’yeux et d’oreilles au renseignement français.

Alors quoi de plus naturel que l’État assure la protection des navires de la CMA CGM en mer Rouge ? Ou qu’il lui crée une niche fiscale qui a coûté 9 milliards d’euros ?

Dans toutes ces affaires-là, il n’y a pas l’ombre de la démocratie. C’est la dictature du grand capital qui s’impose, même du point de vue des affaires de la bourgeoisie, car les décisions ne sont discutées et tranchées que dans un tout petit cercle d’initiés, ce qui ravale les élections, le Parlement et le gouvernement au rôle de théâtres d’ombres. Cela n’a plus rien à voir avec la période où, au 19e siècle, les différentes fractions de la bourgeoisie britannique s’affrontaient au parlement pour savoir s’il fallait une politique protectionniste ou libre-échangiste.

Comme on le souligne dans le texte, cela ne signifie pas que nous n’ayons pas de droits démocratiques à défendre. Les libertés d’expression, de réunion, de manifestation sont précieuses pour les travailleurs qui veulent se battre. Il y a eu de grandes luttes pour les obtenir, et dans bien des pays, des femmes et des hommes se battent, souvent au péril de leur vie, pour les imposer.

Depuis quelques années ces droits reculent du fait de la remise en cause du droit de se rassembler, de manifester et, parfois, de porter un simple drapeau. Ils reculent pour les travailleurs immigrés, avec ou sans papiers, avec la déchéance de la nationalité, les expulsions ultrarapides, avec une durée de séjour en centre de rétention toujours plus longue. La guerre au Moyen-Orient, le prétexte de la lutte contre l’antisémitisme et « l’apologie du terrorisme » ont été utilisés cette année pour interdire des manifestations, pour faire taire…

Si l’évolution autoritaire se poursuit, sous une pression politique toujours plus forte de l’extrême droite, la défense de ces libertés démocratiques redeviendra certainement, y compris pour nous, dans les pays riches, un combat à mener au nom des intérêts de la classe ouvrière.

Le Pen toujours dans l’antichambre du pouvoir

Car derrière l’imbroglio politicien, l’évolution réactionnaire de la société se poursuit et le RN et Le Pen restent en position de force. Ses rivaux de droite et les macronistes leur font un procès en irresponsabilité parce qu’ils ont voté la censure. Ils espèrent que ce vote leur fera perdre l’influence qu’ils ont gagnée dans les milieux patronaux de la droite traditionnelle. Mais pourquoi les dirigeants du RN seraient-ils tenus pour plus irresponsables que les autres ? Même Hollande, même Aurélien Rousseau, ex-ministre macroniste, ont voté la censure. Par ailleurs tout le monde souligne l’irresponsabilité générale de tous les députés, de tous les politiciens, à commencer par ceux qui ont gouverné, et par Macron !

Le Pen doit faire le grand écart entre un électorat populaire qui éprouve de la haine vis-à-vis de Macron et un milieu de droite conservatrice. D’où un certain nombre de contorsions. Le Pen continue d’apparaître comme portant les intérêts des classes populaires en étant contre la hausse de l’électricité et pour la revalorisation de toutes les retraites… sans jamais faire payer quoi que ce soit au patronat. Dans l’instabilité générale et malgré son procès, elle fait figure de pôle de stabilité. Si ce n’est pas elle, ce sera Bardella se disent ses électeurs. Dans cette dernière séquence, elle est apparue comme la dirigeante politique la plus puissante. C’est à elle que Barnier a dû faire des concessions. C’est aussi elle qui a plié le match. Ses députés et ses porte-parole, plus nombreux, se déploient plus qu’avant et sont totalement intégrés au jeu politique. Ils ont même été plus conséquents et moins sectaires que la gauche en votant la motion de censure du NFP.

Le RN est la roue de secours du système politicien bourgeois. Si crise il y a, c’est qu’il est encore mis à l’écart par tous ses rivaux. Le RN, qui avec ses alliés d’extrême droite a fait onze millions de voix aux législatives, est maintenu en dehors du pouvoir. La droite de Retailleau, qui défend les mêmes positions que le RN, a refusé de suivre Ciotti et a reconstitué son cordon sanitaire. Aux législatives, le « tout sauf le RN » a vu la renaissance du fameux front républicain, l’alliance entre la gauche et les macronistes, et a empêché Bardella d’atteindre les 289 députés donnant la majorité absolue. Cela alors même que le NFP n’avait aucune intention de gouverner avec les macronistes.

Cette impasse est donc intégralement créée par la rivalité que se mènent les partis de la bourgeoisie. Celle-ci finira-t-elle par taper du poing sur la table et pousser à une recomposition de la droite et du RN ? C’est une possibilité. La situation peut aussi se résoudre naturellement si les scores du RN continuent de monter et s’il finit par engloutir la droite comme c’est le cas par exemple en Italie. Cela fera partie des enjeux des futures élections.

Le plus grand danger pour la bourgeoisie : des révoltes sociales

Sans déflagration financière et économique, la bourgeoisie peut bricoler et faire avec un gouvernement faible. Cela ne veut pas dire que l’État lui-même est un État faible. Une solution autoritaire est d’ailleurs toujours possible. On a vu comment, en Corée du Sud, le président pouvait en 24 heures se transformer en putschiste. On sait qu’il existe au sein de l’appareil d’État français des hommes capables de cela. En Corée, le président putschiste a été rapidement renié et isolé par tous les partis politiques, (y compris le sien) et il a été finalement lâché par l’armée. L’échec du putsch a été salué par la Bourse de Séoul : visiblement les milieux d’affaires ne souhaitaient pas ce putsch. Et tant que la classe capitaliste ne se heurte pas au véritable danger d’une explosion sociale et qu’elle continue d’imposer sa politique, il n’y a pas de raison qu’elle prenne le risque politique de se mettre entre les mains d’hommes qu’elle contrôle moins que son personnel politique.

Mais c’est tant qu’il n’y a pas de crise sociale profonde. Or, il faut se préparer à cela, car les révoltes sociales sont inscrites dans la situation. Plus de 65 000 faillites ont été enregistrées pour cette année, bien plus que l’année dernière. Il s’agit surtout de microentreprises. Cela équivaut, d’après les estimations d’un syndicat de petits patrons, à 1 500 suppressions d’emplois chaque semaine. Il faut y ajouter la crise dans le bâtiment, dans l’agriculture, dans la grande distribution, dans la chimie, dans la sidérurgie et, bien sûr, l’automobile.

Depuis un mois que le texte présenté au congrès a été rédigé, les annonces de plans de licenciements se sont précipitées et l’atmosphère, les discussions dans les entreprises ne sont déjà plus les mêmes. Le problème, c’est que le prolétariat n’attende pas trop longtemps pour réagir. Et qu’il ne soit pas doublé par d’autres catégories sociales, dont on sait qu’elles n’apporteront aucune solution à la société et qu’elles peuvent se retourner contre les travailleurs. Par exemple, les agriculteurs sont pris dans mille contradictions. Ils dénoncent le poids de l’État tout en lui demandant toujours plus d’aides. Ils défendent le marché, la libre entreprise et la concurrence, mais ils veulent aussi des revenus garantis et des marchés encadrés que seule une économie planifiée pourrait assurer. Ils sont contre les accords de libre-échange et dénoncent l’importation de fruits et légumes, mais ils veulent eux-mêmes exporter. Leur dénonciation du Mercosur est l’expression parfaite de leur impuissance. Car renoncer au commerce international, c’est nier le capitalisme qui ne peut plus vivre dans les frontières nationales depuis plus d’un siècle. Alors même que dans leur grande majorité, ils font partie des plus fidèles défenseurs de la propriété privée et du capitalisme.

Il en va ainsi des nombreux artisans, commerçants ou travailleurs à leur compte qui ont un pied dans le monde du travail et un autre dans celui du patronat. Ils pourront peut-être faire preuve d’une organisation et d’une combativité supérieure à celle de la classe ouvrière, ils n’ont cependant aucune réelle solution pour résoudre leurs problèmes et n’offrent aucune issue face à la société capitaliste. Seule la classe ouvrière peut le faire.

Dans certaines assemblées locales, des camarades se sont demandé si nous ne faisions pas preuve de trop d’optimisme en disant que les forces de la classe ouvrière sont intactes alors qu’elle est de plus en plus émiettée avec la disparition des grandes concentrations ouvrières, et qu’elle montre un recul de conscience et de combativité. Mais les forces de la classe ouvrière ne se mesurent pas tant en nombre de grèves que par son rôle dans l’économie. Par le fait que la bourgeoisie ne peut pas vivre sans les travailleurs. « Avant tout, la bourgeoisie produit ses propres fossoyeurs. Sa chute et la victoire du prolétariat sont également inévitables », comme le dit Marx.

Bien sûr, il y a des montées ouvrières et des reculs profonds. Un de ces reculs profonds fut la Première Guerre mondiale. Le prolétariat russe pouvait sembler au fond du trou, avec des millions de tués. Et pourtant, ses forces étaient tellement intactes qu’il s’est emparé du pouvoir en octobre 1917. Quand Trotsky écrit en 1938 le Programme de transition, la classe ouvrière internationale est défaite, ses cadres les plus dévoués sont en camp de concentration en Allemagne, en URSS, ou assassinés par les sbires d’Hitler, de Staline ou de Franco. Et Trotsky proclame la 4e Internationale. Nous citons les dernières lignes du Programme de transition :

« Des sceptiques demandent : mais le moment est-il venu de créer une nouvelle Internationale ? Il est impossible, disent-ils de créer une Internationale “artificiellement” ; seuls, de grands événements peuvent la faire surgir, etc. Toutes ces objections démontrent seulement que des sceptiques ne sont pas bons à créer une nouvelle Internationale. En général, ils ne sont bons à rien. […]

La 4e Internationale est déjà surgie de grands événements : les plus grandes défaites du prolétariat dans l’Histoire. La cause de ces défaites, c’est la dégénérescence et la trahison de la vieille direction. La lutte des classes ne tolère pas d’interruption. La Troisième Internationale, après la Deuxième, est morte pour la révolution. Vive la 4Internationale ! »

Sur la situation internationale

« Crise politique : consternant », titre à sa une Le Parisien du 6 décembre 2024. On pourrait trouver bien d’autres mots dans le dictionnaire des synonymes après la censure du gouvernement et le discours de Macron. Comme une nouvelle dissolution ne pourrait pas avoir lieu avant le 8 juillet 2025, il faut que Macron se débrouille avec le même Parlement…

L’hypothèse sur laquelle ils ont l’air de travailler n’est pas un accord gouvernemental, mais une promesse de non-agression, c’est-à-dire la promesse de ne pas censurer. Mais, bien au-delà de cette promesse – que les uns et les autres tiendront ou pas, de toute façon, dans le contexte d’aujourd’hui – la situation en France est largement, voire totalement dépendante de la situation internationale : la crise économique et la montée guerrière.

Nous reviendrons sur l’insistance avec laquelle Poutine vient de rappeler tout récemment que la Russie est une puissance nucléaire et qu’en cas de besoin, il saura utiliser les moyens dont il dispose… En gros, c’était la réponse du berger à la bergère. Biden venait d’autoriser l’Ukraine à utiliser contre le territoire russe les fusées à longue portée que les États-Unis lui fournissent. Du bluff ? Possible… Mais ce n’est évidemment pas une certitude.

D’un côté, les États-Unis et l’Union soviétique se sont fait face pendant les quarante-deux années de guerre froide, et cette longue période qui s’est terminée par la dislocation de l’Union soviétique a non seulement connu des guerres mais parmi elles de grandes guerres. La guerre de Corée a duré trois ans, ne s’est pas officiellement terminée par un traité de paix, et le pays est toujours divisé en deux, les derniers événements en Corée du Sud nous le rappellent. Puis il y a eu la guerre du Vietnam – la guerre américaine –, chacune a fait des millions de morts. Mais jamais les deux grandes puissances n’ont utilisé l’arme nucléaire. Alors, on peut se dire qu’il n’y a pas de raison que cette fois-ci le climat guerrier se termine par un Hiroshima ou un Nagasaki multiplié par dix ou par cent.

Mais ce raisonnement ne conduit pas à une certitude et, si l’avenir nucléaire de l’humanité dépend du face-à-face d’un Trump et d’un Poutine, c’est mal parti… Par ailleurs, la menace elle-même fait partie de la guerre. Pendant les quelque quarante ans de guerre froide, combien de grosses têtes ont, au fond, justifié « l’équilibre de la terreur » en laissant penser qu’il était justement le seul équilibre que l’humanité ait trouvé pour éviter la guerre. Ce n’est pas tout à fait une assurance pour que la paix règne enfin sur Terre.

Mais, de toute façon, autant dire que, même sous forme de pure menace, la réalité de cette menace est bien plus pesante que la comédie que les politiciens nous jouent au Palais-Bourbon.

*

Oui, le monde est un tout, et pas uniquement en raison de la mondialisation capitaliste. Mais même si, évidemment, le capitalisme puis l’impérialisme ont accéléré, voire rendu explosive la mondialisation, celle-ci ne date ni d’hier ni d’avant-hier. Bien avant d’être capitaliste, elle a été simplement humaine. Elle est un des éléments essentiels de toute l’histoire de la société humaine et de son expansion depuis ses origines en Afrique à l’ensemble du monde.

Mais un des nombreux aspects des contradictions du capitalisme à l’époque impérialiste est que c’est justement à l’époque où l’humanité est la plus mélangée et où la planète est une seule et devrait être indivisible, qu’il n’y a jamais eu autant de frontières, autant de barbelés, pour découper l’humanité en entités étatiques. La constitution de ces entités nationales à la fin de l’époque féodale a été progressiste et riche de possibilités, mais elles sont devenues aujourd’hui un anachronisme complet. Surtout à une époque où les principaux problèmes, à commencer par celui de l’air qu’on respire, ne peuvent être résolus qu’à l’échelle de l’ensemble de l’humanité.

La succession des COP est une preuve tangible. On en est à la 29e ! Et pendant que les journalistes glosent à longueur d’antenne sur le fait que la dernière en date des COP s’est tenue en Azerbaïdjan, qui est un pays à la fois producteur de pétrole et dirigé par un dictateur, ce qui est le signe d’une humanité qui plonge de plus en plus dans la barbarie, c’est d’abord le chiffre 29 qui devrait choquer… Face aux problèmes écologiques qui menacent la survie même de l’humanité, c’est cette reprise pour la 29e fois, sans que ce soit avec plus d’efficacité qu’à la première COP, qui est choquante. C’est le signe de l’incapacité totale, absolue, de la société capitaliste de permettre à l’humanité de faire face à ses problèmes vitaux.

Alors que les connaissances continuent à progresser et arrivent à un niveau jamais atteint, la propriété privée des moyens de production et le morcellement étatique bloquent le développement de la société humaine. La propriété privée des moyens de production et la concurrence permanente qui oppose les uns aux autres leurs détenteurs capitalistes se conjuguent avec la rivalité des États nationaux.

*

Depuis la parution des textes qui ont été discutés dans les différentes assemblées locales, les aspects principaux de la situation internationale, la crise de l’économie capitaliste et la multiplication des conflits armés se sont poursuivis et, par là même, aggravés.

Le cliquetis des armes et les explosions des bombes se mélangent aux discours des dirigeants.

L’autorisation donnée à Zelensky d’utiliser des missiles américains de longue portée contre la Russie, côté Washington, comme la réplique de Moscou brandissant la menace nucléaire, ont fait franchir au climat guerrier une étape supplémentaire.

Le cheminement exact vers une généralisation de la guerre n’est pas prévisible. Nous le répétons depuis le début de la guerre russo-ukrainienne. Cela tient surtout au fait que ce cheminement se définit par sa marche même. Comme l’eau qui dévale une pente rocheuse sans qu’on puisse deviner par quel parcours elle passe, mais dont l’aboutissement n’a rien de mystérieux. Et on peut dire que, si la guerre continue à se généraliser, elle finira en conflagration générale qui entraînera tous les pays du monde, plus encore que les deux guerres mondiales précédentes.

Et si, aujourd’hui, les deux pôles en opposition semblent se dessiner comme étant les deux grandes puissantes que l’on sait, les États-Unis, avec leurs alliés, et la Russie, si la généralisation se poursuit, elle finira tôt ou tard par impliquer également la Chine.

Sur le Moyen-Orient

Dans plusieurs assemblées locales, une partie de la discussion a porté sur le Moyen-Orient. Pour ce qui est de la partie du texte Crise et guerres au temps du capitalisme sénile consacrée au « Moyen-Orient livré à la barbarie impérialiste », le passage qui a fait discuter est le suivant :

« Dans la guerre menée au peuple palestinien par l’État d’Israël et qui est en train de s’étendre, nous souhaitons la défaite militaire du second, car elle serait une défaite du camp impérialiste et son affaiblissement. Cette défaite est actuellement peu probable et ne dépend pas de nous. Mais ce qui dépend de nous est de lutter, là où nous sommes, contre la politique de notre propre gouvernement et de ceux des autres États impérialistes. C’est de dénoncer leur participation à l’oppression des peuples et leur complicité dans les massacres en cours. »

Le fait que nous avons dit et écrit, en ce mois d’octobre 2024, que nous sommes pour la défaite militaire de l’État d’Israël, a entraîné de nombreuses discussions. On ne l’avait pas écrit comme ça avant, alors pourquoi ? Il y a pourtant une raison évidente, c’est qu’après un an d’une répression féroce menée par l’armée israélienne à Gaza, le gouvernement israélien a commencé à étendre sa guerre, d’abord contre le Hezbollah au Liban et en fait contre toute la population libanaise, mais aussi en visant l’Iran. On peut donc légitimement se demander jusqu’où le gouvernement de Netanyahou veut aller dans une opération militaire qui va au-delà de la répression des Palestiniens et de la Cisjordanie, déjà terrible, une opération qui prend une dimension régionale. Alors, il est nécessaire d’affirmer, ou plutôt de réaffirmer que dans une telle guerre nous sommes pour la défaite du camp impérialiste, et donc de l’État d’Israël. Et si cela surprend, c’est bien une preuve que le dire ou le répéter était nécessaire.

Ce n’est certes pas une position nouvelle. Dans toutes les guerres d’Israël, nous avons affirmé notre pleine solidarité avec le peuple palestinien et notre soutien à ses aspirations nationales contre la politique des dirigeants sionistes. Dès le lendemain du 7 octobre 2023, nous avons réaffirmé cette solidarité, ce qui veut dire que nous étions dans son camp, contre le colonialisme israélien appuyé par l’impérialisme, dont il est le bras armé. Et lorsqu’on combat un impérialisme qui est aussi un peu notre propre impérialisme, on est pour sa défaite, comme nous sommes pour la défaite de notre propre impérialisme, l’impérialisme français, dans les guerres qu’il mène, en particulier quand il mène ses guerres coloniales. L’ennemi principal est dans notre propre pays, c’est vrai en France et c’est vrai pour des militants révolutionnaires en Israël, qui ne devraient pas hésiter à dire qu’ils sont pour la défaite militaire de leur État et de ses guerres impérialistes. Des défaites militaires, peuvent naître les révolutions.

C’est une position qui n’a pas changé, qui vient d’une analyse qui n’a pas changé, l’analyse de ce qu’a représenté le sionisme et de la nature des crises entraînées par la politique impérialiste au Moyen-Orient. La seule question est de savoir comment nous exprimons cette position à tel ou tel moment, en fonction du déroulement des événements, pour nous faire comprendre au mieux. Car non seulement nous affirmons cette solidarité élémentaire, mais nous voulons défendre une politique qui est profondément la nôtre, la politique communiste révolutionnaire qui devrait devenir celle du prolétariat. Le fait de nous affirmer dans le camp des peuples et des nations opprimés est indissociable du fait de défendre en même temps cette politique prolétarienne. L’un et l’autre sont liés et il n’y a pas de contradiction entre l’un et l’autre.

Il n’y a pas de contradiction pour nous, mais nous n’en sommes pas moins face à deux pressions contradictoires : d’une part, les pressions reflétées dans le déluge de commentaires venant de la presse et des médias, qui expriment le point de vue israélien de façon plus ou moins directe, allant jusqu’à traiter d’antisémites tous ceux qui le critiquent. Et d’autre part, nous avons aussi à répondre aux milieux propalestiniens ou pro-arabes, en particulier parmi les travailleurs immigrés ou d’origine immigrée, qui se sont sentis vengés par l’action du 7 octobre 2023, au point de ne pas accepter que l’on soit critique à l’égard du Hamas ou des nationalistes palestiniens en général.

On peut comprendre cette dernière réaction venant de ceux qui se sentent les victimes directes de la politique israélienne, mais quand cette pression vient d’organisations d’extrême gauche, c’est qu’elles ont trouvé-là l’occasion d’exercer leur opportunisme. Ainsi nous avons eu à répondre à Révolution permanente, qui, à notre avis, exprimait à l’égard du Hamas un suivisme plus ou moins explicite consistant à parler de celui-ci comme de « la résistance palestinienne », qu’il fallait donc soutenir sans critique.

C’est pourquoi en même temps que nous condamnions encore une fois la politique israélienne nous avons tenu à affirmer que nous ne sommes en rien solidaires des méthodes et de la politique du Hamas et des nationalistes palestiniens, ni en général des nationalistes bourgeois. En l’occurrence, si nous avions fait de la défaite de l’État d’Israël notre slogan au lendemain de l’affaire du 7 octobre, non seulement cela aurait été décalé par rapport à la réalité de la situation, mais cela aurait été nous confondre avec tout ce courant qui approuvait le Hamas pour cette attaque, en considérant que cette organisation islamiste a ainsi enfin remis le problème palestinien à l’ordre du jour, cette question que le gouvernement Netanyahou avait réussi à mettre sous le tapis, et donc que le Hamas avait bien défendu le peuple palestinien. Nous ne l’avons pas fait et au lendemain du 7 octobre notre banderole condamnait le Hamas en même temps que Netanyahou, en disant « Prolétaires, unissons-nous ». Il s’agissait d’être clairs sur ce point, au contraire d’une grande partie de l’extrême gauche pour qui, dans ce contexte, brandir comme slogan « Vive la Palestine » ou « Vive la résistance palestinienne » n’est qu’une façon honteuse de se ranger derrière les nationalistes et de renoncer à défendre un point de vue de classe.

En même temps, une politique qui dit « Prolétaires de tous les pays, unissons-nous » ne doit pas être suspendue en l’air. Elle doit s’insérer dans la réalité, sinon elle risque d’être perçue comme une façon de renvoyer tout le monde dos à dos en se réfugiant dans un avenir idéal et en se lavant les mains de ce qui est en train d’advenir. C’est pourquoi affirmer de qui nous nous sentons solidaires dans un conflit est aussi une nécessité.

Aujourd’hui nous rappelons cette position – pour la défaite de l’État d’Israël. C’est une position, pas nécessairement un slogan pour les manifestations. Les slogans peuvent changer en fonction des situations, ils servent à se faire comprendre et ils peuvent être plus ou moins réussis. Au-delà de ces slogans, qui peuvent changer, ce qui est fondamental pour nous est d’exprimer une politique communiste révolutionnaire. Il n’est pas toujours simple de nous faire comprendre, d’abord parce que pour beaucoup de gens ce n’est pas crédible. Mais l’affirmation de cette politique est une constante, alors que le choix d’un camp ou l’affirmation d’une solidarité dans des guerres où le prolétariat n’agit pas en tant que classe peut varier et dépendre de bien des facteurs.

À l’époque impérialiste, les camps peuvent suivre des combinaisons compliquées et changeantes, le Moyen-Orient en est un bel exemple. Ainsi nous sommes solidaires des aspirations nationales des Kurdes, mais jusqu’à quel point pouvons-nous l’être quand nous voyons que l’impérialisme les utilise contre des États qui cherchent à desserrer son emprise ? Ce n’est pas toujours simple. On peut dire aujourd’hui que dans une guerre d’Israël contre l’Iran nous serons dans le camp de l’Iran, car c’est évidemment le régime iranien qui est la cible de l’impérialisme, mais demain cela peut évoluer, l’Iran peut conclure d’autres alliances, etc. De même, aujourd’hui dans une guerre qui serait déclenchée par l’impérialisme américain contre la Chine nous serions dans le camp de la Chine, mais qui dit que la configuration actuelle des alliances sera la même demain, et que l’on ne verra pas par exemple la Chine se retourner et se trouver dans le même camp que l’impérialisme américain contre la Russie ?

Dans le cas de la Palestine, quand nous affirmons notre solidarité avec le peuple palestinien, notre soutien à ses aspirations nationales, nous l’affirmons en tant que tendance prolétarienne qui veut abattre l’impérialisme et qui pense que seule la lutte du prolétariat pourra mettre fin à ce système et ainsi déboucher sur la reconnaissance des droits des nations aujourd’hui opprimées. Nous disons aussi que la population israélienne ne pourra vivre en paix que si elle trouve la voie de la coexistence avec ses voisins, que cela implique de cesser de se faire le bras armé de l’impérialisme contre les peuples voisins. Même aujourd’hui la politique de Netanyahou crée des fissures en Israël, ne serait-ce que parce que des gens, dans la population ou parmi les soldats, commencent à en avoir assez de la guerre et à se demander où on les mène. C’est par là que peut commencer une prise de conscience, comme c’est souvent le cas dans les guerres.

Alors pour nous, la population israélienne doit en finir avec l’État d’Israël en tant qu’appareil politique et militaire de sa bourgeoisie et de la bourgeoisie impérialiste. Que cet État finisse par subir une défaite militaire est souhaitable car cela l’affaiblira et il y aurait une chance que cela ébranle l’union nationale sur laquelle s’appuie un Netanyahou. Cela pourrait ouvrir les yeux de la population israélienne et peut-être ouvrir la voie à une révolution, naturellement à condition que les prolétaires israéliens sachent s’engouffrer dans la brèche, et qu’il y ait des révolutionnaires capables de proposer leur politique. Bien sûr, peut-être qu’il n’y en aura pas et que l’histoire prendra une autre voie, sans doute pire. Mais nous espérons qu’il y en aura, et si nous existons, c’est bien pour défendre la possibilité d’une telle politique et la possibilité qu’il y ait des révolutionnaires, en Israël et dans le monde arabe, qui aient envie de s’en emparer.

Dire que nous sommes pour la défaite de l’État d’Israël, ce n’est pas dire que nous sommes pour le départ de la population juive. Ce n’est pas non plus dire que nous sommes pour la victoire, par exemple, du Hamas ou de l’État iranien. Dire en France, lors d’une guerre franco-allemande, que l’ennemi principal était dans notre pays, ce n’était pas ignorer que la bourgeoisie allemande et son État étaient aussi des ennemis du prolétariat. Mais c’était dire qu’il fallait d’abord nous battre contre notre propre bourgeoisie pour lui arracher le pouvoir, quitte à avoir ensuite à affronter d’autres bourgeoisies. Mais alors, c’était avoir à les affronter en tant que classe ouvrière ayant conquis le pouvoir, qui aurait utilisé ses armes de classe et se serait adressée aux classes ouvrières des autres pays pour s’en faire des alliées contre leurs propres bourgeoisies.

Ce raisonnement-là, on peut le tenir aussi au Moyen-Orient bien sûr. Le prolétariat israélien doit régler ses comptes avec sa bourgeoisie et le prolétariat palestinien aussi, et le prolétariat iranien aussi. La seule différence est que la bourgeoisie iranienne, par exemple, se sert de l’existence d’Israël pour justifier sa politique aux yeux des masses au nom de l’anti-impérialisme, comme le font bien des bourgeoisies des pays sous-développés, comme le fait la bourgeoisie algérienne par exemple en se servant d’une réalité que tout le monde connaît. Mais même au nom de l’anti-impérialisme, des révolutionnaires iraniens ne doivent pas accepter l’union nationale derrière leur bourgeoisie. Ils doivent dire qu’ils combattent l’impérialisme en tant que système d’oppression de la bourgeoisie mondiale, dont la bourgeoisie iranienne, ou algérienne, ou nationaliste palestinienne, sont des éléments même quand elles prétendent le combattre.

Alors, il ne faut pas, et il ne faudra pas, perdre notre boussole, même si c’est parfois difficile dans l’extrême imbrication de conflits que peut générer le système impérialiste. Quand nous disons que nous sommes dans un camp, ce n’est ni une contradiction ni une façon de nous éloigner d’une politique prolétarienne, c’est et cela doit être la même chose, ce sont deux aspects d’une même politique, que nous voulons continuer à défendre avec la même boussole communiste révolutionnaire.

La discussion du congrès a entraîné l’abstention d’un camarade concernant la partie du texte d’orientation consacrée au Moyen–Orient. La critique portait sur la phrase disant de la politique de Netanyahou qu’il s’agit « d’une véritable politique d’épuration ethnique, menée depuis la création de l’État d’Israël, mais qui n’a jamais réussi à empêcher le peuple palestinien d’exister et de croître », en ajoutant que l’actuelle guerre « ne pourra pas non plus le faire disparaître ». Pour ce camarade, au contraire il faudrait envisager le pire et « Gaza ne serait pas le seul exemple de peuple contraint à déménager ou à disparaître » comme on l’a vu aux États-Unis où, après le massacre des Indiens, « il n’y a plus de problème indien ».

Il lui a été répondu que nos textes de congrès ne font pas des pronostics sur l’avenir. Ils veulent analyser la situation et, à partir des positions qui sont les nôtres, exprimer une politique qui puisse servir à ceux qui veulent lutter dans le camp des exploités. Si nous constatons bien que les dirigeants israéliens cherchent l’extermination des Palestiniens, en conclure qu’ils parviendront nécessairement à leurs fins serait abandonner tout espoir que cette politique soit mise en échec. Or défendre une politique révolutionnaire veut dire justement défendre la possibilité que la lutte des masses réussisse à inverser l’évolution actuelle, que ce soit maintenant ou plus tard et que ce soit au Moyen-Orient ou ailleurs. C’est bien dans cette perspective que le texte veut se placer.

Les tensions internationales

Dans notre texte général sur la crise et les rivalités internationales, nous avons constaté une fois de plus que la guerre économique ne se déroule pas seulement entre l’Europe, dont la France, et la Russie, mais bien plus encore entre l’Union européenne et les États-Unis. Et que le changement de rapport des forces induit par la crise est entièrement en faveur de l’impérialisme américain.

Au-delà des raisons précises pour lesquelles l’impérialisme américain s’est renforcé au détriment des impérialismes européens, il faut une fois de plus revenir au handicap principal de l’Europe par rapport aux États-Unis : son morcellement en États indépendants. L’Europe souffre depuis plus d’un siècle de ce morcellement. Elle a été totalement incapable de le surmonter, malgré sa prétention à y parvenir avec la prétendue construction européenne. Il a été tenté surmonter ce morcellement par la violence de la guerre, sous Hitler ; par les négociations, en dehors. Le dernier avatar d’une forme d’union européenne est celui qui a cours : l’UE.

Cette prétendue construction n’en est pas une, absolument pas. Les bourgeoisies d’Europe, qu’elles soient membres de l’Union européenne ou qu’elles souhaitent en faire partie, sont toujours aussi divisées entre bourgeoisies concurrentes et rivales.

Dans un article écrit par les camarades de notre tendance en 1949, publié dans le no 2 de la Lutte de classes sous le titre « Qui unifiera l’Europe ? », la réponse a été, à l’époque, et ce serait la même aujourd’hui : « Personne, et en tout cas pas la bourgeoisie ». Un sous-titre de l’article précise : « L’unification occidentale …, une jambe de bois ». Le texte commentait ce qui était d’actualité à cette époque : « […] dix nations participeront le 28 mars, à Londres, à une Conférence qui créera définitivement le Conseil de l’Europe. C’est là le premier résultat de l’action entreprise notamment par Churchill en Angleterre, Spaak en Belgique et Blum-Reynaud en France pour créer une “Union européenne”». Et l’article d’expliquer : « À son époque de maturité (1789-1871), le capitalisme avait créé, par une série de révolutions bourgeoises, l’État national. Indispensable à l’économie marchande, cet État représentait un progrès par rapport au morcellement qui l’avait précédé. Mais, par la suite, en raison de la croissance et de la concentration inouïes des moyens de production dans les pays industriellement avancés, le marché national, que le capitalisme s’était créé, est devenu trop étroit. Et les barrières douanières dressées par chaque pays pour se protéger de la concurrence “étrangère” finirent par enserrer l’économie dans autant de camisoles de force. La conquête des colonies a bien fourni, pendant des dizaines d’années (1871-1914), à certains d’entre eux, “premiers arrivés”, un moyen efficace de s’en sortir en multipliant par dix et par vingt leur espace national. Mais ces pays, l’Angleterre et la France surtout, suscitèrent ainsi contre eux de la part des “tard venus”, comme l’Allemagne, une lutte sans merci. Ce fut la première guerre impérialiste de 1914-1918 pour savoir qui des brigands anglo-français ou allemands aurait la première place dans l’oppression et l’exploitation des peuples. » L’article rappelle que l’unification de l’Europe morcelée est une nécessité à la fois économique et politique, dont l’absence a été une raison de la décadence de l’Europe par rapport aux États-Unis avant d’ajouter : « C’est pourquoi l’Internationale communiste, au temps de Lénine et de Trotsky (1919-1924), avertit inlassablement les travailleurs européens : Sans la révolution prolétarienne, l’Europe succombera sous la barbarie. En effet, seuls les États-Unis socialistes d’Europe, en unifiant le vieux continent, pouvaient lui éviter le sort terrible que lui réservait le maintien de l’État national-capitaliste. »

Ce texte date de 75 ans. Les positions exposées sont toujours les nôtres. Même les prévisions qui y sont exprimées pourraient être reprises telles quelles à notre compte. Ce qui ne témoigne nullement de nos capacités de prévision, mais du retard de l’histoire ou, pour parler plus juste, de l’incapacité de la bourgeoisie à faire ce que le progrès de l’humanité exige !

L’article poursuit : « Pour comprendre la véritable signification des efforts actuels “d’unification”, il faut ne pas perdre de vue que la victoire des “alliés”, en 1945, n’a pas amélioré la situation de l’Europe. Tout comme celle de Hitler en 1940, elle l’a poussée encore plus bas. Aux maux anciens s’en ajoute un, décisif : la coupure, par le rideau de fer, de l’Ouest européen industriel des contrées agricoles de l’Est. » Et d’ajouter : « En fait, les pays occidentaux ne peuvent subsister sur des bases capitalistes qu’avec le soutien financier, politique et militaire des États-Unis. »

L’allusion au rideau de fer qui était en train de s’installer entre l’Europe occidentale et le glacis de l’URSS, bien que ce ne soit plus d’actualité, mérite cependant qu’on s’y arrête.

Cette vérité, constatée déjà en 1949 par nos camarades de l’époque, n’a pas été démentie par la suite, malgré ce simulacre d’unité qu’est l’Union européenne, que l’on voit se décomposer sous nos yeux.

La conclusion de l’article est : « C’est pourquoi, en aucun cas, ces essais ne peuvent être, à l’Europe mutilée, d’un plus grand secours que ne l’est, à un vétéran estropié, une jambe de bois. »

Le passage rappelle que si, pendant les quelque 75 ans qui nous séparent de la date de la rédaction de cet article, les bourgeoisies européennes n’ont pas réussi à créer une Union européenne qui en soit une, la bureaucratie stalinienne n’a pas fait mieux dans le glacis qu’elle occupait.

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Le mouvement trotskyste officiel, privé d’une direction après l’assassinat de Trotsky, considérait les pays du futur glacis de l’Union soviétique avec beaucoup de perplexité. La nature de classe de leurs États a été l’objet de débats nombreux qui allaient préluder à la première grande scission de la 4e Internationale qui se veut officielle, entre un courant qui se revendique toujours de la continuité avec la 4e Internationale de Trotsky et le courant qui s’est constitué autour notamment de Pierre Lambert.

Dans un premier temps, l’écrasante majorité de ceux qui ont participé à ce débat considéraient à juste raison comme bourgeois les États reconstitués à partir des débris des appareils que l’armée soviétique occupante a trouvés sur place. Puis, au fil des luttes entre partis qui se disputaient au gouvernement, au fur et à mesure que l’influence des partis communistes, appuyés par l’armée soviétique, se renforçait, d’un seul coup lesdits États bourgeois se sont transformés en États ouvriers « déformés », sans révolution prolétarienne. Par quel miracle ? Celui qui a fait que les cliques staliniennes au pouvoir ont fini par se qualifier elles-mêmes « Démocraties populaires » et par prétendre représenter le socialisme variante stalinienne tel qu’il en existait en URSS. Cette opération du Saint-Esprit version Pierre Frank, Michel Pablo et consorts portait le doux nom d’« assimilation structurelle » !

Qu’il soit dit qu’au milieu de ces divagations, qui allaient en annoncer d’autres à propos de la Chine, du Vietnam, et bien plus tard, du Cuba de Castro, voire de Zanzibar, notre courant a défendu, dès l’occupation de l’Europe de l’Est par les troupes de la bureaucratie, le mot d’ordre : « Retrait des troupes soviétiques des pays de l’Est ».

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La bureaucratie soviétique n’a pas plus unifié l’Europe de l’Est sous sa domination que les bourgeoisies occidentales leurs États. C’eût été un pas progressif vers une diminution du morcellement étatique. Même fait dans son intérêt de caste, c’est-à-dire pour favoriser sa mainmise et son contrôle de la gestion économique des pays conquis, cela, la bureaucratie ne l’a jamais envisagé. Elle a créé une sorte de copie du Marché commun, appelée Comecon. Mais elle n’a surtout pas voulu une unification politique. Et pour cause : unifier le glacis aurait été créer une entité de près de 100 millions d’habitants face à l’Union soviétique bureaucratisée qui en comptait au même moment 200 millions. Cela aurait été un risque trop grand pour qu’elle le courre.

Dans cette partie centrale de l’Europe, la période de la première moitié des années 1950, bouleversée par une succession de révoltes et de révolutions, de Berlin-Est en 1953 à la Hongrie en 1956 en passant par l’ébullition polonaise, a justifié les craintes de la bureaucratie soviétique. Dans la première moitié des années 1950, la partie orientale de l’Europe a connu une véritable vague de luttes politiques de la classe ouvrière. Des ouvriers du bâtiment de la StalinAllee à Berlin en 1953 à la révolution hongroise d’octobre-novembre 1956, en passant par l’agitation populaire en Pologne et des grèves en Tchécoslovaquie, les pays du glacis se succédaient dans différentes formes de luttes, s’­inter-influençaient, s’entraînaient.

Cette vague de protestations, largement marquée par son caractère ouvrier, n’a été brisée que par l’intervention des troupes de l’armée de Khrouchtchev contre la révolution en Hongrie dans les jours qui ont suivi le 4 novembre 1956. Malgré la diversité de cette vague de protestations et sa différence de profondeur d’un pays à l’autre, elle a été marquée par l’intervention du prolétariat. Faut-il rappeler que c’est la classe ouvrière de Hongrie qui a été la dernière, non seulement en Europe mais dans le monde, à avoir créé des conseils ouvriers ? Et, triste ironie de l’histoire, ces conseils ouvriers ont atteint l’apogée de leur rôle face à l’armée dite soviétique, après la défaite militaire de la révolution hongroise.

Et on peut dire qu’en dehors de servir ses intérêts propres, la bureaucratie stalinienne a rendu son dernier service aux impérialismes européens eux-mêmes. Non seulement elle a brisé une montée ouvrière à l’Est de l’Europe, mais également empêché qu’elle puisse entraîner la partie occidentale du continent. On ne peut évidemment pas réécrire l’histoire, mais le même ferment de protestation travaillait la classe ouvrière des deux côtés du futur rideau de fer. En un certain sens, en écrasant une insurrection ouvrière à l’Est, en 1956, à Budapest, la bureaucratie soviétique a complété la responsabilité, à l’Ouest, des partis communistes staliniens dans l’étouffement du développement des possibilités révolutionnaires en Occident. La classe ouvrière écrasée en Hongrie, l’avenir allait appartenir pour une longue période à des dirigeants nationalistes rêvant de plus en plus ouvertement de se ranger dans le camp occidental, y compris lors de la vague de grèves en Pologne (1980), contrôlée par Walesa et l’Église catholique.

C’est la même raison, diviser pour régner, qui marqua l’attitude de la bourgeoisie française au moment de la décolonisation, pendant laquelle elle préféra reprendre de petites entités créées sous le colonialisme pour dessiner les nouveaux États dits indépendants, plutôt que les entités, plus larges, comme l’AEF (Afrique équatoriale française) ou l’AOF (Afrique occidentale française).

À propos de la crise de l’économie capitaliste

Il y a à peine un mois, nous avons affirmé dans notre texte que : « La presse bourgeoise, en particulier économique, semble hantée par la crainte d’une éventuelle crise financière dans un monde capitaliste largement financiarisé, susceptible d’aboutir à un effondrement économique comparable à celui de 1929, peut-être en pire. » Et plus loin : « Le spectre d’une crise financière majeure a de quoi hanter la grande bourgeoisie ! »

Il faut croire que ce que les économistes de la bourgeoisie craignaient est en train d’arriver. Avec quelle rapidité, et surtout quelles conséquences sociales, nous sommes en train de voir la flambée des licenciements et des fermetures de boîtes… Nous écrivons et nous répétons dans les éditoriaux de nos bulletins d’entreprise que la guerre de la grande bourgeoisie contre la classe ouvrière est en train de s’amplifier et que réagir à l’aggravation de cette guerre devient une nécessité vitale pour la classe ouvrière, simplement pour défendre ses conditions d’existence élémentaires.

Nous ne sommes pas les seuls à le dire puisque la presse bourgeoisie elle-même le répète. Mais nous sommes les seuls à le faire, non pas avec le langage des chefs de la gauche politique et des appareils réformistes de toute nature, en prodiguant des conseils à la bourgeoisie, du genre: nécessité de relancer l’industrie française, etc., mais avec un langage communiste révolutionnaire. Un raisonnement qui commence par dire que, face à la crise qui s’amplifie, il n’y a pas d’autre solution pour le prolétariat que de s’attaquer à la grande bourgeoisie, avec pour objectif la révolution prolétarienne contre le fondement même de son système, c’est-à-dire la révolution prolétarienne visant le renversement révolutionnaire et l’expropriation de la bourgeoisie.

En conclusion

Les temps qui se préparent seront durs. Durs pour notre classe, le prolétariat. Durs pour la société. Durs pour l’humanité. Durs, évidemment, pour les militants que nous sommes. Durs, ils le sont déjà depuis dix ans pour ceux qui vivent dans l’est de l’Ukraine, directement engagés dans la guerre active. On ne peut plus durs à Gaza, détruit déjà aux neuf dixièmes. Durs pour ceux qui vivent en Ukraine, en Russie et au Moyen-Orient. Durs en tant que militants et à des degrés différents pour nos camarades d’Haïti mais aussi en Côte d’Ivoire. Bien au-delà des deux régions déjà en guerre de haute intensité qui attirent l’attention des médias occidentaux, les temps sont durs aussi pour d’autres régions, de l’Éthiopie au Soudan, etc., où les guerres, dont pas grand monde ne parle, ont fait plus de victimes, de morts et de destructions que les deux régions précitées. Mais durs aussi pour les innombrables victimes de famines dans les pays pauvres, qu’elles soient la conséquence de la crise économique ou celle des guerres et des sanctions.

Et puis, la catastrophe climatique s’ajoute à la liste des catastrophes dont l’impérialisme est responsable. Nous avons relevé, dans l’éditorial il y a un mois, la réaction de la population de Valence contre le roi et le Premier ministre espagnols et les cris « assassins » à leur encontre, justifiés ne serait-ce que par leur incapacité à mobiliser immédiatement l’armée pour chercher les noyés dans les parkings souterrains. Et si toutes les radios et toutes les télévisions ont été obligées de témoigner de la colère de la population, et contre le roi, et contre le très démocratiquement élu Premier ministre, c’est que l’Espagne est située en Europe et que cela pourrait arriver – et cela est déjà arrivé – en Allemagne, en France, en Belgique. Et, là encore, il s’agit de riches pays européens, de grandes puissances impérialistes, qui sont si prompts à réagir pour mobiliser leur armée quand il s’agit de tenir en laisse leurs ex-colonies.

Et pendant que les gouvernements, dont le nôtre, au temps où il y en avait un, multiplient les campagnes hypocrites pour en appeler au changement des comportements individuels, comme éteindre la lumière en sortant, on passe sur la responsabilité des grandes entreprises, c’est-à-dire la soif de profit de leurs propriétaires capitalistes, qui n’ont que faire du changement climatique dès lors qu’ils peuvent réaliser des économies sur les mesures à prendre.

*

La crise économique et les guerres se confondent de plus en plus pour former une entité unique que personne ne maîtrise, et surtout pas la grande bourgeoisie qui prétend diriger le monde.

Depuis trois ou quatre ans que la crise économique se double d’une généralisation des conflits armés, tout un chacun peut constater que la situation s’aggrave d’une année à l’autre. Pour le moment, on n’a pas connu le pire et on ne peut que constater l’incapacité de ceux qui dirigent le monde au nom de la bourgeoisie, eux qui ne savent rien faire d’autre que de gérer leur impuissance et de la faire payer aux classes exploitées et aux opprimés.

Il est inutile de spéculer sur la façon dont la guerre se généralisera, à quel rythme, à partir de quel moment les guerres locales s’élargiront en guerres régionales, et la façon dont toutes ces guerres conflueront en une troisième guerre mondiale. À bien des égards, la Troisième Guerre mondiale a déjà commencé. Pas avec la même intensité qu’à Gaza, au Liban ou dans certaines régions de l’Ukraine. Mais disons-nous bien, rien qu’en regardant l’évolution des choses depuis trois ans, qu’elle s’amplifie et qu’elle s’intensifie.

Et pour ce qui est de la crise économique, ce n’est pas l’augmentation de la production d’armes en tout genre, ni la construction de bunkers comme en Allemagne, qui pourraient faire oublier que la crise actuelle n’a pas encore connu d’effondrement financier qui pourrait lui donner une tout autre dimension. Ce qui paraît évident, c’est que le prolétariat n’est pas préparé à s’opposer à la guerre et est encore moins en situation de l’empêcher. Dans un de ses derniers textes Bonapartisme, fascisme et guerre dicté le 20 août 1940 quelques heures avant d’être assassiné par Staline, Trotsky est revenu à la guerre précédente pour affirmer : « Nous avons été pris au dépourvu en 1914.

Pendant la dernière guerre, non seulement le prolétariat en général, mais également son avant-garde et, dans une certaine mesure, l’avant-garde de cette avant-garde furent pris au dépourvu. L’élaboration de principe d’une politique révolutionnaire vis-à-vis de la guerre commençait à une époque où la guerre embrasait déjà le monde de toutes parts et où l’appareil militaire commandait sans partage. Un an après le déclenchement de la guerre, la petite minorité révolutionnaire était encore obligée de s’adapter à une majorité centriste lors de la conférence de Zimmerwald. Avant la révolution de Février et même après, les éléments révolutionnaires ne se considéraient pas comme prétendants au pouvoir, mais comme représentants de l’opposition d’extrême gauche. Même Lénine reléguait la révolution socialiste dans un avenir plus ou moins lointain. […]

Dans ses écrits de 1915, Lénine faisait allusion aux guerres révolutionnaires que le prolétariat victorieux aurait à mener. Mais il s’agissait d’une question de perspective historique imprécise, et non de la tâche du lendemain. L’attention de l’aile révolutionnaire était dirigée sur la question de la défense de la patrie capitaliste. Évidemment, les révolutionnaires répondaient à cette question par la négative. C’était tout à fait juste. Mais cette réponse purement négative servit de base pour la propagande et l’éducation des cadres. Elle ne pouvait gagner les masses qui ne voulaient pas d’un conquérant étranger.

Dans la Russie d’avant-guerre, les bolcheviks formaient les quatre cinquièmes de l’avant-garde prolétarienne, c’est-à-dire les ouvriers qui participaient à la vie politique (journaux, élections, etc.). Après la révolution de Février, le pouvoir illimité passa aux mains des partisans de la défense nationale, mencheviks et socialistes révolutionnaires.

Il est bien vrai que, dans l’espace de huit mois, les bolcheviks gagnèrent l’écrasante majorité des ouvriers. Ce n’était pas le refus de défendre la patrie bourgeoise qui joua le rôle décisif dans la conquête de la majorité. Mais le mot d’ordre : « Tout le pouvoir aux soviets ». Et seulement ce mot d’ordre révolutionnaire !

La critique de l’impérialisme, de son militarisme, le refus de défendre la démocratie bourgeoise, et ainsi de suite, n’auraient jamais gagné aux bolcheviks une majorité croissante de la population. »

Nos perspectives fondamentales et nos tâches proches

Nos perspectives n’ont pas changé depuis les lignes suivantes, déjà citées à un précédent congrès, écrites par Rosa Luxemburg, pour le 20e anniversaire de la mort de Marx, le 14 mars 1903 :

« S’il fallait formuler en quelques mots ce que Marx a fait pour le mouvement ouvrier d’aujourd’hui, on pourrait affirmer que Marx a pour ainsi dire découvert la classe ouvrière moderne en tant que catégorie historique, c’est-à-dire en tant que classe soumise à des conditions d’existence déterminées et dont la place dans l’histoire répond à des lois précises. Avant Marx, il existait sans doute dans les pays capitalistes une masse de travailleurs salariés qui, poussés à la solidarité par la similitude de leurs existences au sein de la société bourgeoise, cherchaient à tâtons une issue à leur situation et parfois un pont vers la terre promise du socialisme. Marx ne les a élevés au rang de classe qu’en les liant à une tâche historique particulière : la tâche de la conquête du pouvoir politique en vue d’une transformation socialiste de la société. […]

C’est Marx seulement qui a réussi à placer la politique de la classe ouvrière sur le terrain de la lutte des classes consciente et à la forger ainsi en une arme fatale contre l’ordre social existant. La base de la politique ouvrière social-démocrate actuelle [aujourd’hui, on dirait communiste révolutionnaire] c’est la conception matérialiste de l’histoire en général et la théorie de Marx du développement capitaliste en particulier. Seuls ceux pour qui l’essence de la politique social-démocrate et l’essence du marxisme sont un égal mystère peuvent concevoir la social-démocratie, et plus généralement une politique consciente de la classe ouvrière, en dehors de la doctrine de Marx. »

Dans un de ses derniers textes programmatiques, le Manifeste d’alarme de la 4e Internationale, rédigé en mai 1940, cinq mois avant son assassinat, Trotsky affirmait : « La longueur du document est déterminée par la nécessité de présenter à nouveau notre programme dans son ensemble en relation avec la guerre. Le parti ne peut pas conserver sa tradition sans répéter périodiquement les idées générales de notre programme. »

S’il ne nous vient pas de formulation équivalente chez Lénine, il suffit de lire tous ses ouvrages politiques de base pour être conscients qu’il passe son temps à taper sur le même clou. Alors, si nous citons une fois de plus ces phrases de Rosa Luxemburg, c’est parce qu’il s’y trouve en résumé l’essentiel du marxisme, c’est-à-dire ce qui est fondamental dans le marxisme. Mais il y a aussi ce qu’elles ne disent pas mais qui sont des idées aussi éloquentes que ce qu’elles disent. Ce qu’elle dit d’essentiel, ce n’est pas seulement l’idée fondamentale du Manifeste communiste : « L’histoire de toute société jusqu’à nos jours n’a été que l’histoire des luttes de classes. » Ce constat est à la base de l’idée fondatrice du socialisme scientifique. Jusqu’ici « les philosophes n’ont fait qu’interpréter le monde de différentes manières. Ce qui importe, c’est de le transformer » (Marx, Thèses sur Feuerbach). En d’autres termes, il n’y a pas seulement le constat scientifique, l’analyse scientifique du fonctionnement de la société capitaliste, mais il y a surtout le rôle du prolétariat.

Oui, ce qui distingue les communistes révolutionnaires, c’est qu’ils ne sont pas des commentateurs, ni des journalistes, ni des bavards qui se prétendent intellectuels, interprètent le monde et décrivent tous ses maux, mais ne désignent pas la classe sociale qui est capable de transformer le monde et qui est la seule à pouvoir le faire, au-delà de son état d’esprit du moment, au-delà du mal dont souffre la société en un moment donné.

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Être communiste révolutionnaire, ce n’est pas seulement raisonner à partir du constat que l’histoire de l’humanité est l’histoire de la lutte de classe. C’est désigner le prolétariat comme la seule classe dont la lutte poussée jusqu’au bout, c’est-à-dire jusqu’à la prise du pouvoir, détruira le capitalisme.

Mais en disant ce qu’est le fondement du marxisme, Rosa Luxemburg dit aussi ce qu’il n’est pas. Pour ne prendre que cet exemple : les écologistes, même les plus honnêtes, et il y en a quelques-uns, non pas parmi les politiciens qui se réclament de l’écologie et de l’écologisme, mais parmi des scientifiques qui cherchent des solutions aux multiples conséquences du capitalisme par rapport à l’écologie (réchauffement climatique, disparition des espèces, etc.), posent ces problèmes mais sans jamais ou rarement remettre en cause l’organisation capitaliste de la société. À plus forte raison, sans désigner la classe sociale qui a le rôle historique et la capacité de détruire le capitalisme.

Pesons chacune des phrases de Rosa Luxemburg lorsqu’elle constate : « Avant Marx, il existait sans doute dans les pays capitalistes une masse de travailleurs salariés qui, poussés à la solidarité par la similitude de leurs existences au sein de la société bourgeoise, cherchaient à tâtons une issue à leur situation et parfois un pont vers la terre promise du socialisme. » Ladite masse de travailleurs n’avait pas besoin de la science apportée par Marx pour se battre et pour défendre ses conditions d’existence. Mais l’apport de Marx, c’est-à-dire le marxisme, c’est d’avoir élevé le prolétariat « au rang de classe porteuse de l’avenir », « en le liant à une tâche historique particulière : la tâche de la conquête du pouvoir politique en vue d’une transformation socialiste de la société ».

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Cette jonction du mouvement ouvrier ou, plus exactement, de son avant-garde avec le marxisme, c’est-à-dire l’analyse scientifique du capitalisme et de son fonctionnement, était une découverte fondamentale, et pour le mouvement ouvrier et, par là même, pour l’humanité et son avenir. Découverte fondamentale que le réformisme social-démocrate d’abord, puis le stalinisme ont détruite, ont fait complètement oublier. Comment ? À travers quelles défaites ou trahisons ?

Nous n’y reviendrons pas cette année. Nous y avons consacré une grande partie de notre congrès de l’année dernière. Les épisodes de l’histoire du mouvement ouvrier font partie, doivent faire partie de notre culture politique collective. Ils en sont la base. La connaissance et la compréhension des succès comme les défaites (bien plus nombreuses) sont à acquérir et à transmettre pour qu’elles fécondent toute notre politique.

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Voilà notre identité. Voilà notre raison d’être. Nous sommes aujourd’hui peut-être les seuls à vouloir transmettre tout cela. Non pas en raison de la richesse de notre propre expérience qui est très réduite, mais parce que les idées marxistes et surtout leur jonction avec le mouvement ouvrier, complétées par Lénine, qui en fit la preuve par la pratique, font partie de l’héritage que nous avons reçu du mouvement ouvrier du passé.

La lutte de classe en tant que moteur de l’histoire, d’autres y ont pensé avant Marx (Michelet). Mais Marx a été le premier à établir le lien entre l’analyse scientifique de la marche du capitalisme et le chemin pour le renverser. Pour nous aujourd’hui, il n’est pas question de réviser le marxisme. On nous accuse pour cela de sectarisme. Sectaires, nous ne le sommes pas ; en mai-juin 1968, nous avons eu une politique unitaire vis-à-vis des autres organisations du mouvement trotskyste. Mais ce qui nous caractérise, c’est la fidélité au raisonnement marxiste que nous sommes les seuls à défendre. Et plus encore que la fidélité, c’est la conscience que le capital politique que nous ont légué nos prédécesseurs a été le sommet de la science révolutionnaire, élaborée dans des situations extrêmes où la lutte de classe était exacerbée à un point maximum.

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Eh oui, être marxiste, c’est militer pour la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière ! Le marxisme commence là, et tant qu’on ne s’identifie pas à cette tâche-là, tant qu’on ne voit pas l’évolution de la société et tous les remous de l’actualité avec ces yeux, avec cette perspective-là et, pour être plus concret, dans ce but-là, on n’est pas marxiste. Être marxiste, ce n’est pas sympathiser avec le sort des travailleurs, les aider à partir en retraite à 60 ans plutôt qu’à 62 ans, c’est viser la destruction de la société capitaliste de la seule façon possible : en arrachant le pouvoir politique à la bourgeoisie. C’est militer pour que la classe ouvrière prenne le pouvoir politique, exproprie la bourgeoisie et remplace l’organisation capitaliste en prenant en main la gestion de l’ensemble de la société.

Nous ne voyons pas seulement dans la classe ouvrière la classe sociale exploitée, opprimée, une classe sociale qui est à plaindre, mais la classe sociale qui est potentiellement capable de se battre et de pousser le combat jusqu’à son aboutissement ultime, la destruction de la classe bourgeoise en tant que classe exploiteuse. Tout le reste en découle. Être communiste révolutionnaire n’est pas être réformiste, même si on doit aussi se battre pour la moindre réforme. L’internationalisme n’est pas la solidarité, même si le prolétariat a intérêt à être solidaire d’une multitude de catégories sociales opprimées, voire à disputer la direction de leurs combats aux nationalistes, aux féministes, etc. Et, plus largement, toutes les revendications mises en avant dans les grèves à un niveau élémentaire ou dans de grands affrontements de classe n’ont pas de sens si elles ne sont pas menées avec pour objectif de parvenir à la destruction du capitalisme.

Le caractère révolutionnaire du Programme de transition n’est pas dans telle ou telle revendication particulière. Chacune peut être transformée en un fade breuvage réformiste, telle l’échelle mobile traduite en indexation des salaires. Le caractère révolutionnaire du Programme de transition réside dans le fait que, suivant la dynamique des luttes ouvrières, il vise à faire progresser la conscience des travailleurs vers la nécessité de prendre le pouvoir. Même les phrases les meilleures, même les plus justes, ne sont que des phrases. Ce qui change la société, ce sont les forces sociales, c’est-à-dire les classes sociales. Dès qu’on oublie cela, on ne peut rien comprendre à rien, et on peut demander, dans le meilleur des cas, sa carte d’adhésion à une des officines qui s’intitulent 4e Internationale, mais qui n’ont plus rien de révolutionnaire. Les plus radicales des revendications du Programme de transition n’ont pas de sens ni aucune vertu si elles ne conduisent pas au pas suivant, c’est-à-dire à la volonté de détruire le pouvoir de la bourgeoisie pour le remplacer par le pouvoir des travailleurs.

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Un article d’Inprecor (revue d’information et d’analyse, publiée sous la responsabilité du bureau exécutif de la 4e Internationale, même si elle précise que les articles ne représentent pas nécessairement le point de vue de la rédaction), de mai 2024, intitulé « Crise mondiale, conflits et guerres. Quel internationalisme pour le 21e siècle ? », est une interview de Pierre Rousset, dont il est précisé en bas de page qu’il est « un dirigeant de longue date de la 4e Internationale, militant du Nouveau parti anticapitaliste. Il a participé à la fondation et a dirigé l’Institut international de recherche et de formation (IIRE-IIRF) de la 4e à Amsterdam puis Paris ». Utile précision pour qu’aucun lecteur n’ignore que cette interview représente la politique de ce regroupement qui se prétend trotskyste ! Eh bien, dans cet article programmatique, il n’y a pas un mot sur la division de la société en classes, pas un mot sur la lutte de classe, pas un mot sur le marxisme, le bolchevisme ou le trotskysme.

Le lecteur apprendra quelques expressions nouvelles comme « crise mondiale multidimensionnelle » ou encore « polycrises ». La seule idée qu’il peut en tirer, c’est qu’au mot « internationalisme » on peut tout aussi bien substituer le mot « solidarité ». Il aurait pu ajouter aussi bien l’expression « Aimons-nous les uns les autres », avec 2000 ans de retard, et avec la signature « Jésus Christ » !

Nos tâches dans l’immédiat et dans le futur proche

S’il y avait par exemple une montée des idées d’extrême droite et qu’il faille diffuser nos bulletins dans des entreprises où l’extrême droite a des militants – nous pouvons connaître de telles situations –, il faudrait évidemment qu’on assure la défense de nos diffusions. Le danger pesant sur nos diffusions pourrait concerner les militants extérieurs et peut-être même ceux de l’intérieur.

Le propre des crises économiques est qu’elles sont susceptibles de mettre en mouvement des catégories sociales qui sont menacées ou qui se sentent telles. Quelles sont ces catégories ? Dans quel ordre se mettent-elles en bagarre ? Dans quelle mesure la bourgeoisie et ses serviteurs peuvent-ils les pousser les unes contre les autres ?

L’avenir proche se jouera sur ces questions. Une certaine forme de mobilisation des paysans est déjà en route.

Et, pour ne citer qu’un chiffre, le nombre de faillites de PME recensées par la Banque de France au cours des douze derniers mois dépasse les 5 300. C’est-à-dire qu’au cours de l’année qui vient de s’écouler, plus de 5 300 PME ont dû fermer boutique. Le record précédent datait de la période qui a suivi la crise financière des subprimes de 2008, et il était d’environ 4 800 faillites. Quand on regarde cette courbe des faillites, elle est en augmentation continue depuis deux ans. Et rien ne laisse penser qu’elle va s’infléchir.

Derrière les chiffres de progression des faillites de petites et moyennes entreprises, il y a des pans entiers de la petite bourgeoisie poussés vers la colère. Colère contre qui ? Contre la grande bourgeoisie, contre les banquiers qui les poussent vers la déchéance, ou contre la classe ouvrière ? Ou contre telle ou telle de ses composantes (« immigrés qui nous envahissent », « fonctionnaires trop bien payés pour ce qu’ils font », « chômeurs qui le sont parce qu’ils ne sont pas capables de traverser la rue pour trouver du travail », etc.) ? Dans ce domaine, on a une petite expérience du passé quand l’adversaire contre qui il fallait se battre, c’étaient les staliniens, mais ils n’ont aujourd’hui plus le poids nécessaire pour tenter de nous écarter.

Rappelons que les bulletins d’entreprise, inventés dans le contexte de la situation en France à une certaine époque (celle de petits groupes de quelques militants pour qui c’était une forme d’expression qu’on peut assurer même dans des conditions difficiles), se sont vérifiés comme des instruments utiles dans des situations aussi variées que celle de la Martinique et de la Guadeloupe, celle des États-Unis, et, par la suite, aussi en Côte d’Ivoire et même en Haïti. Si nous avions des camarades militant en Ukraine, il n’est pas dit que, malgré la guerre, on ne puisse pas continuer à faire circuler des bulletins, et pas seulement par diffusion interne, mais peut-être, au moins de temps en temps, par diffusion externe.

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Dans les entreprises, pour le moment, s’il y a des réactions ponctuelles parmi les travailleurs, pour ne prendre que l’exemple récent de Michelin, on sent que l’air est chargé d’électricité devant les attaques patronales, et il y a de quoi ! Lorsqu’une direction annonce des projets de licenciements dans une entreprise, il faut qu’on anticipe, qu’on y envoie non seulement les camarades retraités de l’entreprise et les camarades extérieurs qui les entourent. Il faut être attentif, il faut être surtout réactif. Ne pas craindre d’anticiper. Proposer aujourd’hui ce que les gens seront prêts à faire demain. Il faut se mettre en situation de sentir le climat, mesurer la colère et proposer des actions qui permettent de mesurer l’état d’esprit.

Que faire et comment ? Nous ne pouvons évidemment pas fournir un « petit livre rouge » ou un « bréviaire pour militant », dans le genre des brochures qu’on a vu fleurir dans la période de Mai 68, donnant des conseils sur quoi faire face à la police, etc. Ce n’est évidemment pas comme cela que les choses se passent. Une lutte, toute lutte demande une politique qu’on ne peut pas discuter en général, si ce n’est qu’il faut tout faire pour en être et qu’il faut avoir pour objectif qu’au cours de la mobilisation, les travailleurs de l’entreprise se donnent pour direction des comités de grève démocratiques. Sans parler d’un « bréviaire pour militant », nous devons tous avoir en tête notre programme, le Programme de transition, écrit à une époque différente de la nôtre, mais pas si éloignée cependant que ça. Nous ne maîtrisons évidemment pas l’évolution de la crise et, par conséquent, pas les mots d’ordre à mettre en avant, et pas forcément dans quel ordre. Nous avons eu l’occasion de discuter à un de nos congrès, il y a quelques années, de la rapidité avec laquelle l’inflation, et son ampleur, ont mis en avant l’objectif de l’échelle mobile des salaires.

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Pour terminer, insistons sur le fait que notre identité, notre raison d’être, c’est de militer pour la révolution communiste internationale, qui peut se déclencher, comme disait Lénine dans Le Gauchisme, par une « circonstance aussi “imprévue” et aussi “insignifiante” qu’une de ces mille et mille fourberies malhonnêtes du militarisme réactionnaire (l’affaire Dreyfus) pour mettre le peuple à deux doigts de la guerre civile », mais qui doit se terminer par la prise de pouvoir du prolétariat. Par quel cheminement cela se produira-t-il et où ? Nous n’en savons rien. Mais notre objectif fondamental est là. Et cela donne à la solidarité, qui a suscité diverses discussions parmi nos camarades, et aussi important que puisse paraître ce choix en un moment donné, une place limitée dans l’histoire de l’humanité et pour son avenir.

Voilà nos idées et notre engagement fondamentaux. Mais cet engagement ne peut se réaliser que s’il y a des femmes, des hommes, des militants qui sont prêts à consacrer leur vie à cela. Et, étant marxistes, nous avons la conviction que le capitalisme ne peut pas être l’avenir de l’humanité. Le marxisme, c’est-à-dire le léninisme, le trotskysme, reste le meilleur guide pour que la révolution sociale cesse d’être un rêve et devienne un objectif de combat pour les générations futures de travailleurs. Nous avons dit que les temps à venir seraient durs. Mais les temps les plus durs n’arrêtent pas l’histoire. Par bien des côtés, c’est le contraire. La dureté des temps est pour ainsi dire indispensable pour pousser des femmes, des hommes, et surtout des jeunes vers l’activité militante. Elle est indispensable pour les sélectionner, pour leur apprendre comment être inventif, comment résister à la répression et aux conditions difficiles. Nos camarades d’Afrique et surtout de Haïti nous en donnent une idée.

Tout en nous méfiant des prévisions, il y a bien plus de risques que la génération ici présente régresse vers les conditions d’Haïti, que le contraire : que les camarades d’Haïti vivent nos conditions de privilégiés d’ici… Il faut qu’on ait le courage et surtout la capacité politique de résister en trouvant les moyens adaptés pour y parvenir ! Les partis à construire, l’Internationale seront les porte-parole d’une nécessité historique et les artisans de son accomplissement. En rejetant, dans notre texte sur la situation internationale, l’affirmation de l’historien américain Francis Fukuyama sur La fin de l’histoire en 1992, nous avons écrit que « Les lois du développement historique, c’est-à-dire la vie et les actions des quelque huit milliards d’êtres humains qui peuplent la planète, sont infiniment plus puissantes que les divagations d’un individu ou même l’agitation désordonnée de tous les décideurs du monde. »

Ajoutons, pour paraphraser Engels dans L’Origine de la famille, que c’est là, dans le combat victorieux pour instaurer le communisme, que commencera la véritable histoire. L’humanité sortira enfin de la barbarie, de la société de classes, et commencera la partie consciente de son histoire civilisée. Mais cette histoire-là, elle ne pourra commencer qu’une fois le pouvoir de la bourgeoisie renversé par la victoire de la révolution prolétarienne !