Pour les élections au Parlement européen du 26 mai prochain, Lutte ouvrière présentera une liste conduite par Nathalie Arthaud et Jean-Pierre Mercier.
Dans la campagne, nous ferons appel à la conscience de classe des travailleurs. Celle-ci commence par le sentiment d’appartenir à la classe sociale de celles et ceux qui n’ont que leur salaire pour vivre. De celles et ceux qui ne maîtrisent pas leurs propres conditions d’existence, à commencer par leur emploi, par leur pouvoir d’achat et tout ce qui en dépend.
Cette conscience commence par la fierté de faire partie de ceux qui, par leur activité, font fonctionner toute l’économie, des usines aux banques, des circuits de distribution aux transports, etc. D’être aussi celles et ceux qui constituent l’ossature de la vie sociale ; ceux qui soignent, enseignent, transmettent, qui assurent les mille et un services indispensables à la vie de la collectivité, des crèches aux Ehpad.
La conscience de classe commence par la conviction que tous ceux qui travaillent ont le droit de vivre une vie correcte, correspondant à ce qui est nécessaire et possible dans notre 21e siècle, qui n’acceptent pas la dégradation de leurs conditions d’existence et ne se résignent pas à leur situation.
La conscience de classe, sur le terrain politique, c’est cependant bien plus que cela. C’est la conviction d’appartenir à la classe sociale qui a la possibilité mais aussi la vocation historique d’incarner un autre avenir pour l’humanité qu’une organisation sociale dominée par le grand capital et par la grande bourgeoisie qui le monopolise.
Cette conscience-là était incarnée dans le passé par des partis qui avaient pour objectif l’émancipation de la classe ouvrière par la seule voie possible : la révolution sociale, le renversement du pouvoir de la bourgeoisie, la liquidation de la propriété privée des moyens de production et la réorganisation de l’économie au profit de la collectivité.
Cette conscience-là, déformée, pervertie, trahie par les grands partis qui l’ont incarnée jadis, qui se sont revendiqués du socialisme puis du communisme, s’est effacée, laissant la classe ouvrière sans boussole ou avec des repères trompeurs. Le climat délétère du capitalisme agonisant pèse sur l’état d’esprit des travailleurs eux-mêmes et, plus encore, sur leur vision de la société, sur les rapports de classe. Ce n’est pas nouveau, la conscience de classe au sens politique du terme a toujours été un combat contre la pression dissolvante du capitalisme, de l’individualisme au chauvinisme.
C’est ce combat qui a été abandonné, progressivement ou brutalement, par les grands partis issus de la classe ouvrière, le PS et le PCF. Au point que les mots les plus simples, le vocabulaire de la lutte de classe – à commencer par exploiteur et exploité, grande bourgeoisie, grand capital et classe ouvrière – ont été chargés d’une tout autre signification que celle transmise par la tradition ouvrière. L’influence pourrissante du capitalisme corrompt jusqu’aux mots. La société se résume aux « classes moyennes ». Une fraction croissante de la classe ouvrière se voit désignée comme « autoentrepreneuse ». Et, quand le pouvoir parle de réformes, ce n’est pas pour améliorer, ne serait-ce que progressivement, le sort des exploités, mais pour leur asséner de nouveaux coups.
Il appartient aux militants qui ont pour objectif de reconstruire un parti communiste révolutionnaire de profiter de toutes les occasions pour transmettre les traditions et les valeurs du mouvement ouvrier, jusqu’aux mots pour les désigner. Les élections, les campagnes électorales en constituent une.
États nationaux et Union européenne : des instruments d’oppression au service de la grande bourgeoisie
Nous rappellerons que le Parlement européen, comme toutes les institutions élues dans la démocratie bourgeoise, sert de feuille de vigne à une armada de fonctionnaires non élus et, derrière elle, à la domination du grand capital. Il prétend représenter les peuples de l’Union européenne (UE). Il ne les représente pas plus que les Parlements nationaux ne représentent les intérêts de leur propre peuple, ni sous Macron ni auparavant. Il ne le peut pas pour cette raison fondamentale que les exploiteurs et les exploités ont des intérêts opposés et que le prétendu « intérêt national » exprime, dans la société de classes, l’intérêt de la classe dominante.
L’union actuelle entre des États qui sont tous au service de leur classe de possédants n’est cimentée que par leur volonté commune d’assurer à leurs capitalistes un marché aussi large que possible pour faciliter la circulation de leurs marchandises et de leurs capitaux. Mais cette volonté commune affichée dissimule la brutalité des rapports de force entre les États impérialistes d’Europe et la partie la moins développée du continent. La guerre menée aux classes laborieuses de Grèce par les puissances impérialistes d’Europe occidentale, par leurs banques et leurs dirigeants, en a fourni la dernière des illustrations. La mise en coupe réglée des anciennes Démocraties populaires par les grandes entreprises capitalistes, allemandes, françaises, britanniques, en est une autre illustration. De l’automobile aux hypermarchés capitalistes, en passant par les banques, l’Europe centrale et orientale, de la Pologne à la Bulgarie, est redevenue un terrain d’affrontement entre multinationales, comme elle l’était avant la Deuxième Guerre mondiale.
L’union de tous les peuples d’Europe est une nécessité pour ce continent à l’histoire si partagée, aux peuples si entremêlés, aux économies si interdépendantes, et qui a pourtant été si souvent déchiré par des guerres. Mais l’Union européenne n’est pas une union des peuples. C’est l’association de bandes de brigands, les pays impérialistes d’Europe occidentale, dont les plus puissants, France, Allemagne et Grande-Bretagne, se partagent la domination sur le continent.
Que les brigands capitalistes des différents pays soient associés ou qu’ils s’affrontent, ils mènent toujours la guerre contre ceux qui n’ont que leur travail pour vivre.
S’agissant d’élections qui ont le Parlement européen pour objet et l’avenir de l’Europe pour prétexte, nous défendrons le point de vue qui correspond aux intérêts politiques de la classe ouvrière. L’unification de l’Europe fait partie de notre programme. Le morcellement de ce continent entre États nations rivaux, défendant les intérêts spécifiques des bourgeoisies nationales, est un des aspects les plus réactionnaires, les plus nuisibles de l’organisation capitaliste de la société.
Il y a un siècle déjà, Trotsky défendait la perspective des États-Unis socialistes d’Europe. L’incapacité de la bourgeoisie dominant l’Europe à les réaliser est l’expression de son incapacité à réaliser quoi que ce soit de progressiste, c’est-à-dire allant dans le sens du progrès de la société humaine.
C’est la rivalité entre les bourgeoisies impérialistes française, allemande, britannique, etc., qui a creusé, lors de deux guerres fratricides devenues mondiales, un fossé de sang entre des peuples qui avaient tissé entre eux mille liens économiques, culturels, humains, au long d’une histoire commune. Cette rivalité entre bourgeoisies, même lorsqu’elle ne se traduit pas par la guerre, pèse sur les travailleurs. C’est en invoquant la concurrence, la nécessité d’être compétitives les unes vis-à-vis des autres, que les différentes bourgeoisies aggravent les conditions de travail et de salaire de tous les travailleurs.
Depuis un siècle, l’interdépendance économique est devenue bien plus forte encore. La mondialisation a multiplié les liens et les élargit à l’échelle de la planète. Les États-Unis d’Europe devront être intégrés dans une fédération mondiale des peuples, réglant collectivement les grands problèmes planétaires qui concernent l’avenir même de l’humanité – réchauffement climatique, pollution des mers, menaces contre nombre d’espèces vivantes et par là contre la vie elle-même.
Ces grands problèmes ne peuvent pas être résolus sur la base de la propriété privée des moyens de production, de la concurrence et du morcellement de monde en États nationaux.
L’Europe ne pourra être unifiée, en assurant une vie démocratique à tous ses peuples, en particulier aux minorités aujourd’hui opprimées, que par le renversement du pouvoir de la bourgeoisie.
Comment le capitalisme pourrait-il ouvrir une perspective aussi grandiose qu’une Europe sans frontières et intégrée à la communauté humaine dans son ensemble ? Il n’est même pas capable d’assurer la satisfaction des besoins les plus élémentaires de tous, alors pourtant que les forces productives de l’ensemble de l’humanité ont atteint un niveau où ces besoins pourraient et devraient être satisfaits.
Tant que se perpétue l’organisation actuelle de la société, tout en militant pour son renversement, les communistes révolutionnaires continuent à défendre le droit démocratique élémentaire pour chacun de circuler et de s’installer librement, quelle que soit son origine, européenne ou non. Ils affirment que les travailleurs appartiennent à la même classe, avec les mêmes intérêts et un même combat à mener pour leur émancipation. Ils opposeront l’internationalisme à toutes les formes de démagogie nationaliste. Ils considèrent que le renforcement des frontières et la chasse aux migrants sont des expressions de l’évolution réactionnaire de la société et sont mortellement préjudiciables aux intérêts des travailleurs.
Les partis politiques de la bourgeoisie en compétition dans les élections européennes se partagent entre ceux qui présentent l’UE comme une chance et ceux qui la dénoncent comme la source de tous les maux. Ils mentent autant les uns que les autres.
Nous n’avons pas du tout l’intention de prendre parti pour l’un ou l’autre de ces deux camps. Porter le débat sur le choix entre plus ou moins d’Union européenne est un faux débat pour entraîner les travailleurs, une fois de plus, à oublier leurs intérêts de classe.
Contre le grand capital, le camp des travailleurs
Lutte ouvrière se présente dans ces élections pour faire entendre les intérêts matériels et politiques de la classe ouvrière. Cela commence par les exigences vitales face à la crise de l’économie capitaliste qui pousse des masses croissantes vers le dénuement et vers la misère. Nous nous présentons pour montrer que même ces exigences les plus élémentaires ne peuvent être satisfaites sans remettre en cause le capitalisme et le règne de la grande bourgeoisie sur la société.
Nous nous présentons pour défendre le droit élémentaire des classes populaires à une vie digne de ce 21e siècle, sur le plan matériel comme sur celui, immatériel, de la dignité humaine.
Même pour imposer ce droit, il faut exproprier la classe capitaliste, lui enlever la propriété des grandes usines, des banques, des chaînes de distribution, des grands moyens de production et les mettre à la disposition de la collectivité.
La classe ouvrière ne pourra accéder à la conscience claire de cette nécessité qu’au travers de luttes pour sa survie. Mais, pour que ces luttes ne soient pas détournées vers des voies de garage ou, pire encore, n’alimentent pas des forces politiques violemment hostiles à la classe ouvrière, il faut aux travailleurs un programme de lutte, des objectifs et une organisation. Il faut un parti ouvrier révolutionnaire.
Pendant la courte période où le mouvement des gilets jaunes se développait et portait le désespoir et la révolte des catégories parmi les plus écrasées du monde du travail – ouvriers de petites entreprises, retraités, chômeurs – il a soulevé une multitude de problèmes. Ces questions, largement popularisées, doivent nous guider dans la formulation concrète de nos interventions.
Les gros contingents de la classe ouvrière, ceux des grandes entreprises, ne se sont pas mis en mouvement. Mais ils se sont retrouvés dans les problèmes soulevés, car c’étaient aussi les leurs. D’où la sympathie dont le mouvement a bénéficié parmi les travailleurs.
D’où aussi le nombre de travailleurs, y compris de grosses entreprises, qui étaient attirés vers les ronds-points et dans les manifestations.
D’où les discussions que tout cela a entraînées, rompant avec le climat de résignation, ne serait-ce que du fait que certains ont osé ! Cela a été l’apport principal du mouvement des gilets jaunes.
Qu’en restera-t-il au fil du temps, de la stabilisation et du recul du mouvement ?
Les problèmes posés demeurent et les mouvements de contestation à venir – il y en aura inévitablement devant les attaques de la bourgeoisie – tourneront autour des mêmes questions, dès lors qu’ils entraîneront telle ou telle catégorie du monde du travail.
Problèmes liés au chômage et au pouvoir d’achat des salariés comme des retraités. Questions liées aux injustices sociales, à l’inégalité croissante entre le monde des exploités et celui des exploiteurs. Questions autour de la politique du gouvernement et de l’absence de transparence de ses décisions.
Les questions posées sont déjà récupérées, et le seront de plus en plus, par des courants politiques représentant diverses options pour la bourgeoisie, allant de la gauche réformiste à la Mélenchon à l’extrême droite dans toutes ses variantes, y compris les plus ouvertement fascistes. En apportant leurs propres réponses, tous ces courants interpréteront, affadiront et transformeront les questions.
Le mouvement a fait émerger un certain nombre de « militants gilets jaunes », dont certains n’avaient aucun engagement politique antérieur, et d’autres qui, même s’ils en avaient un, s’en étaient éloignés. Ce noyau militant a un rôle manifeste dans l’organisation du mouvement, dans sa durée. Beaucoup ont été dégoûtés des partis institutionnels. Ils ont été cependant amenés à des préoccupations politiques dans un contexte dominé par des idées, au mieux, réformistes, mais, plus encore, réactionnaires. Le mouvement en lui-même pousse à la politisation. Mais il n’y a pas de génération spontanée dans les idées et dans les programmes. Contester l’ordre établi ne dit pas ce qu’il faut mettre à la place et qui le fera. Ces militants se trouvent dans une impasse. S’ils parviennent à constituer une force politique, ne serait-ce qu’en présentant une liste gilets jaunes aux élections européennes – ce qui n’est pas acquis –, cela peut donner, dans des genres différents, le Mouvement 5 étoiles d’Italie ou Podemos d’Espagne.
Pour les communistes révolutionnaires, la campagne des élections européennes peut et doit être une occasion de donner aux questions posées par le mouvement des réponses correspondant aux intérêts de la majorité exploitée ou opprimée de la population. Des réponses que le mouvement ne pouvait pas apporter en raison de sa composition sociale et des politiques proposées par les forces qui essayaient d’y jouer un rôle, dans la plupart des cas sous le masque de l’apolitisme.
Le pouvoir d’achat semblait être le dénominateur commun de la contestation. Mais cette revendication fut dès le début piégée par le fait que sa satisfaction opposait les petits patrons engagés dans le mouvement et les salariés, à commencer par les leurs.
Instinctivement, les gilets jaunes ont cherché à résoudre cette contradiction en l’ignorant, c’est-à-dire en évitant ce qui fâche. Mais l’apolitisme, largement partagé par nombre de gilets jaunes de bonne foi, ne pouvait être une garantie de développement pour le mouvement. Il en était au contraire un des principaux freins. Il a permis notamment à l’extrême droite d’avancer masquée et de cacher ses perspectives antiouvrières.
Les classes exploitées ne peuvent pas prendre conscience de leurs intérêts politiques en s’interdisant de les poser, de crainte que cela divise le mouvement.
Toutes les classes populaires subissent le poids écrasant du grand capital sur la société. Mais il est impossible de prendre conscience de cette réalité-là, d’en tirer toutes les conclusions sur les rapports entre classes, de comprendre en quoi les intérêts des classes populaires diffèrent et s’opposent, en quoi ils coïncident et comment ils peuvent déboucher sur des perspectives communes, en s’interdisant de parler des classes sociales ou de l’exploitation, toutes choses jugées comme « politiques ».
La contestation embrassant des couches populaires diverses ne peut déboucher sur une perspective commune, unifiant toutes les catégories populaires victimes de la dictature du grand capital, que si la classe ouvrière se mobilise en tant que telle.
La classe ouvrière est au cœur du système capitaliste. Elle est la seule que la propriété privée ne lie à aucun aspect de ce système et qui peut pousser la contestation du système jusqu’à le mettre à bas.
Elle ne pourra le faire qu’en agissant là où elle est forte, là où sont concentrés les principaux contingents des travailleurs : dans les grandes entreprises, celles de la production mais aussi de la finance, du transport, de la grande distribution. Mais ce faisant, elle devra être la meilleure combattante, la porte-parole de toutes les catégories sociales victimes de l’ordre capitaliste. Elle ne pourra le faire que sous son propre drapeau, avec ses propres exigences et ses propres moyens.
Bloquer l’économie, ou la faire fonctionner dans l’intérêt collectif ?
Ce qui a le plus enthousiasmé les médias bourgeois dans le mouvement des gilets jaunes à ses débuts, c’est le « caractère original » des blocages de ronds-points qui ont perturbé la vie économique et ont rendu le mouvement plus visible. Mais cela en a aussi gelé les limites, étroites.
La perspective politique de la classe ouvrière n’est pas de bloquer la vie économique. Elle est de la réorganiser, de la faire fonctionner autrement. Elle est d’enlever à la grande bourgeoisie la propriété des grands moyens de production et le commandement de toute la vie économique.
De cette différence de perspective découlent les différences pour ce qui est des réponses à toutes les questions soulevées à l’intérieur du mouvement des gilets jaunes.
La question du pouvoir d’achat pour commencer. Elle a été commune à diverses catégories populaires. Les travailleurs de petites entreprises, les retraités, les chômeurs – la couche la plus dispersée, la plus écrasée de la classe ouvrière – en constituaient la majorité.
Pour la classe ouvrière, derrière la question du pouvoir d’achat, il y a pour, paraphraser Trotsky (le Programme de Transition), les « deux maux économiques fondamentaux dans lesquels se résume l’absurdité du système capitaliste, à savoir le chômage et la cherté de la vie ».
La transformation d’un nombre croissant de travailleurs en chômeurs réduits à la charité publique est une catastrophe pour l’ensemble de la société. Aujourd’hui comme au temps de Trotsky, le seul objectif qui vaille face à cette catastrophe est la répartition du travail existant entre tous les travailleurs, sans diminution de salaire. La durée de la semaine de travail doit être déterminée en fonction de cette répartition.
Pour défendre le pouvoir d’achat des salariés et des retraités contre le renchérissement de la vie dû aux hausses des prix aggravées par les prélèvements étatiques, le seul objectif qui vaille est l’augmentation des salaires et des retraites et leur indexation automatique sur les prix.
En exprimant la volonté légitime de mieux contrôler ce que l’État fait de l’argent de nos impôts, le mouvement des gilets jaunes a également soulevé, quoique de façon limitée, extrêmement confuse et ambiguë, la question du monopole des décisions par les prétendues élites. Pour l’essentiel, la réponse sur laquelle s’est retrouvée la quasi-totalité du mouvement a été : « Macron démission ! » S’y est ajouté par la suite le référendum d’initiative citoyenne.
Les élites du pouvoir étatique, si bien incarnées en la personne de Macron et son mépris de classe, ne sont cependant pas suspendues en l’air. Même les hommes d’État qui ne sont pas issus de la grande bourgeoisie ont été formés, dressés, pour servir ceux qui monopolisent les capitaux, le véritable pouvoir dans la société. S’en prendre à la classe capitaliste n’était pas dans les objectifs du mouvement des gilets jaunes, si ce n’est sous la forme innocente de dénoncer l’injustice de certaines mesures symboliques comme la suppression de l’ISF.
La transparence sur le comment et le pourquoi des décisions est une préoccupation légitime que seuls les travailleurs peuvent pousser jusqu’au bout, en la traduisant en fonction de leurs intérêts de classe.Le remplacement du chef de l’État en place par un autre, ou un référendum, fût-il « citoyen » ou « populaire », offrent une fausse solution à un vrai problème. La question de fond, confusément posée par les gilets jaunes, est : qui contrôle et dans l’intérêt de qui ?
La réponse ne peut pas se limiter à la transparence du fonctionnement de l’État. Elle doit viser, autant et plus, les entreprises capitalistes sur lesquelles repose le fonctionnement de l’économie et de la société.
La transparence dans la gestion des entreprises ne peut être réalisée que par la suppression du secret industriel et commercial et par le contrôle ouvrier sur les entreprises.
La classe ouvrière dans son ensemble et dans toute sa diversité est la seule à pouvoir réaliser le contrôle de la vie économique.
Même la classe capitaliste ne contrôle, n'encadre et ne maîtrise l’économie que par l’intermédiaire de salariés. Dans les entreprises, pour en assurer le fonctionnement, dans les banques et les compagnies d’assurances, et jusque dans les officines spéculatives, la grande bourgeoisie passe par l’intermédiaire de toute une hiérarchie de salariés, jusqu’aux employés les plus mal payés.
Ensemble et organisés, c’est-à-dire liés entre eux, guidés par la conscience de classe et un programme, ces employés n’auraient aucun mal à exercer le contrôle ; cette fois, non pas dans l’intérêt d’une classe de parasites, mais dans leur propre intérêt et dans l’intérêt des classes laborieuses. Ensemble, ils ont les moyens de mettre le doigt non seulement sur toutes les magouilles particulières, sur tous les détournements individuels dont l’actualité est pleine, mais aussi de mettre au jour l’appropriation de l’ensemble de l’économie par le seul grand capital et le détournement des forces de production collectives au profit d’une minorité de parasites.
En agissant en tant que classe, en dépassant les intérêts locaux ou corporatifs, les travailleurs en lutte franchiront, à travers le contrôle, les premiers pas vers la réorganisation complète de l’économie, pour arracher les moyens de production à leurs propriétaires parasites, pour donner du travail à tous et le répartir équitablement. Le vieux mot d’ordre des classes laborieuses, « faire payer les riches », prendrait enfin sa signification.
Unité de la lutte sous la direction de la classe ouvrière
Dans sa phase montante, le mouvement des gilets jaunes, recrutant en majorité dans les couches les plus écrasées du monde du travail, a entraîné en même temps d’autres catégories populaires : des professions libérales, des paysans ou des artisans parfois, des éléments de la vaste catégorie des « entrepreneurs » qui n’exploitent personne, voire jusqu’à des petits patrons.
L’unité du mouvement invoquée de bonne foi par nombre de gilets jaunes n’est pas du tout contradictoire avec l’affirmation par les travailleurs de leurs revendications et de leurs perspectives de classe. Au contraire.
Si les travailleurs ne défendent pas leurs intérêts de classe, s’ils n’affirment pas leur propre politique, la contestation ne peut aboutir dans le meilleur des cas qu’à répondre partiellement aux revendications des catégories petites-bourgeoises.
Au contraire, en affirmant une politique de classe, la perspective des travailleurs doit être, tout en défendant leur propre peau, d’offrir également une politique aux autres catégories populaires.
Au-delà des travailleurs salariés, les petits paysans, les artisans, voire certains petits patrons, qui fournissent les grandes enseignes de la distribution, trouveraient leur intérêt à s’associer dans le contrôle des entreprises capitalistes. Le contrôle des chaînes commerciales démontrerait que, si les prix à la consommation sont en hausse alors que les revenus de ces fournisseurs sont en baisse, c’est qu’entre les deux s’intercale le profit capitaliste, celui des chaînes de distribution mais aussi celui des banques.
Ne pas laisser le contrôle des banques au grand capital est la seule façon de mettre fin à l’utilisation du crédit au profit de la grande bourgeoisie parasite. C’est la seule voie pour offrir aux petits paysans, aux artisans et à une multitude d’autres catégories petites-bourgeoises des conditions de crédit plus favorables, c’est-à-dire des prêts indispensables pour exercer leur métier d’agriculteur, d’artisan, d’entrepreneur indépendant, etc., sans générer de profit pour la finance capitaliste.
La population laborieuse mobilisée pour ce contrôle serait tout naturellement amenée à la nécessité d’exproprier les banques et les établissements financiers privés, de les regrouper dans une banque étatisée unique, placée sous le contrôle des travailleurs.
Tout cela semble aujourd’hui lointain et donc abstrait. Mais si le mouvement des gilets jaunes montre quelque chose, certes à une petite échelle et dans d’étroites limites, c’est avec quelle rapidité les choses peuvent changer dès lors que se mettent en mouvement les classes populaires aujourd’hui résignées.
En un certain sens, les gilets jaunes ont soulevé aussi la question du parti. Leur mouvement l’a fait surtout par la négative. L’hostilité envers les partis institutionnalisés a été la marque de fabrique du mouvement en ses débuts (là, il ne s’agit pas de l’activisme des militants du Rassemblement national (ex-FN) et assimilés ou des mélenchonistes, dissimulés derrière l’apolitisme). Mais le mouvement lui-même se pose la question de se structurer en vue, notamment, des élections européennes.
La discussion autour de cette aspiration, confuse, contradictoire, nous facilite les choses pour affirmer que, oui, il ne suffit pas de rejeter les partis de la bourgeoisie, il faut un parti pour les exploités, pour les pauvres. Il faut expliquer aussi qu’il faut que le parti des exploités sache quelle classe sociale est l’ennemie des exploités, quels sont les amis ou les alliés possibles. Le parti communiste révolutionnaire ne peut se constituer qu’autour d’un objectif partagé, autour d’un programme.
Avec la crise, dans cette situation où la bourgeoisie est à l’offensive pour reprendre des droits aux travailleurs, toute revendication sérieuse venant des salariés fera l’objet d’une lutte âpre et difficile. Et, lorsque les travailleurs se battront vraiment pour leurs intérêts de classe, ils feront leur expérience et réaliseront que, tant que la bourgeoisie tient les rênes des grands groupes industriels et financiers, elle les baladera, et que le seul moyen d’avancer réellement, c’est de contrôler ce qui se passe dans les entreprises. C’est de savoir quelles sont réellement les marges bénéficiaires et où passent les profits, combien sont investis, combien sont versés aux actionnaires…
Et la question du pouvoir et de l’expropriation de la bourgeoisie se posera, comme elle s’est déjà posée lors des grandes luttes sociales. C’est alors que « la classe ouvrière prendra conscience de cette vérité que, si elle veut vivre, le capitalisme doit mourir », pour reprendre une expression du Parti au temps où il était communiste.
La lutte pour les revendications quotidiennes immédiates et la lutte pour l’émancipation totale des travailleurs ne doivent faire qu’un seul et même combat. Eh bien, il faut que, dès aujourd’hui, les travailleurs les plus combatifs s’en convainquent : militer pour les intérêts des travailleurs, c’est militer pour la révolution sociale !
Pour un parti ouvrier communiste et révolutionnaire
Avec le recul et une forme de stabilisation du mouvement des gilets jaunes, celui-ci devient de plus en plus le champ clos entre courants et militants politiques – voire un champ d’entraînement paramilitaire – déjà drapeaux déployés ou encore masqués derrière l’apolitisme affiché.
D’autres mouvements de contestation surgiront cependant inévitablement.
Il faut se saisir de toutes les opportunités pour propager les idées et le programme du courant ouvrier révolutionnaire.
Il faut tout faire pour armer politiquement les travailleurs. Il faut les armer non seulement pour la défense de leurs intérêts matériels, mais aussi face à la menace que représente l’activisme des groupes d’extrême droite dans le mouvement de contestation. Celui-ci est un avertissement.
Si le capitalisme en crise et les mobilisations qu’il suscite ouvrent objectivement la possibilité pour la classe ouvrière d’accéder à une prise de conscience supérieure, il peut aussi permettre le renforcement des courants partisans de solutions autoritaires pour préserver l’ordre capitaliste.
L’émergence d’un parti ouvrier révolutionnaire serait l’expression la plus concrète de la prise de conscience de la classe ouvrière, en même temps que l’instrument indispensable de son développement.
Les soubresauts sociaux dont le mouvement des gilets jaunes a donné un avant-goût peuvent placer les travailleurs face à bien d’autres nécessités, y compris celle de se défendre face aux groupes fascistes.
Cela n’a rien à voir avec la petite guerre entre groupes gauchistes et groupes d’extrême droite qui se déroule devant l’indifférence, voire l’hostilité des travailleurs. Ces escarmouches sont peut-être les signes avant-coureurs d’une nécessité qui s’imposera aux travailleurs. Mais cette petite guerre ne relève pas de la lutte de classe.
C’est celle-ci, si elle se développe et prend de l’ampleur, qui peut rendre indispensable pour les travailleurs de se donner les moyens de se défendre et de défendre leurs organisations. Comme c’est la lutte de classe menée par le prolétariat conscient qui peut donner une perspective contre toutes les saletés qui surgissent de la pourriture de l’organisation capitaliste de la société, tel le racisme sous toutes ses formes.
C’est une reprise de confiance de la classe ouvrière en elle-même qui, seule, peut garantir même les libertés démocratiques élémentaires, et pas les discours hypocrites des dirigeants politiques de la bourgeoisie.
Toutes les campagnes électorales doivent nous servir pour défendre, propager les idées communistes révolutionnaires, mais aussi pour permettre à tous ceux qui se retrouvent dans ces idées de se reconnaître entre eux et de nous reconnaître comme défenseurs de ces idées.
C’est dans ce sens que notre campagne électorale s’intègre dans l’objectif de recréer un parti ouvrier communiste révolutionnaire.
1er mars 2019