En réaffirmant qu'il admirait le maréchal Pétain et que les chambres à gaz étaient un « détail de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale », Jean-Marie Le Pen a déclenché une crise politique au sein du Front national. Au-delà du mélodrame familial qui met en scène trois générations de la famille Le Pen - le patriarche se retirant finalement au profit de sa petite-fille Marion Maréchal-Le Pen pour conduire la liste du FN dans la région PACA lors des prochaines régionales - cet épisode illustre la coexistence de deux lignes politiques entremêlées au sein du FN.
L'une est incarnée par Marine Le Pen, lancée depuis son accession à la tête du parti en 2011 dans l'entreprise dite de « dédiabolisation ». La nouvelle génération qui l'entoure - celle des Philippot, Aliot, Rachline et autres Ravier - ambitionne visiblement d'accéder au pouvoir par la voie électorale, parlementaire et institutionnelle. Elle s'inscrit dans le contexte politique et social actuel où, malgré la crise économique et les attaques permanentes contre les conditions de vie et de travail des classes populaires, il n'y a pas de luttes sociales d'envergure, où la grande bourgeoisie n'est pas menacée par le prolétariat organisé et combatif, où il n'y a pas des millions de petits bourgeois ruinés et désespérés prêts à se mobiliser dans la rue.
Les succès électoraux du FN[[Voir encadré à la fin de cet article]], accélérés par l'arrivée de Hollande à l'Élysée et par le dégoût provoqué dans les milieux populaires par la politique antiouvrière du PS au pouvoir, ont ouvert l'appétit de cette bande de jeunes loups. D'ores et déjà, le FN a mis à bas le bipartisme qui réglait depuis plusieurs décennies le jeu des institutions électorales entre deux grands partis bourgeois, l'un dit de droite, l'autre s'affirmant de gauche. Ces institutions ont certes été taillées sur mesure pour permettre aux grands partis adoubés par la bourgeoisie de gouverner par alternance en atténuant les « gifles » électorales. Mais, de progression électorale en progression électorale, la question de l'accès du Front national au pouvoir, seul ou dans le cadre d'une coalition de droite et d'extrême droite dont il pourrait être le centre de gravité, n'est désormais plus une hypothèse farfelue.
L'autre ligne est celle dont le fondateur du FN ne cesse de rappeler l'existence : la référence au régime de Pétain, l'admiration pour des organisations terroristes d'extrême droite comme l'OAS et la conquête du pouvoir en s'appuyant sur des milices et des moyens extraparlementaires. Même si Marine le Pen a exclu les membres du FN, y compris des cadres, qui affichaient trop ostensiblement leur admiration pour les régimes fascistes ou manifestaient de façon trop grossière leur racisme et leur xénophobie, ce courant reste l'ADN du FN. Il suffit de voir le succès d'estime remporté devant les militants par le vieux Le Pen forçant l'accès à la tribune à l'occasion du rassemblement du 1er mai dernier devant l'Opéra de Paris, alors même qu'il était interdit de discours avant d'être carrément suspendu de son statut d'adhérent.
Deux voies qui s'opposent tout en se complétant
Ces deux lignes, l'une électorale et institutionnelle, l'autre violente et extraparlementaire, s'opposent et se complètent à la fois.
Elles s'opposent quand il s'agit de séduire des millions d'électeurs appartenant à des couches sociales variées ou d'attirer vers le FN une myriade de notables locaux indispensables pour diriger des départements et des régions, à l'image des grands électeurs qui ont permis, pour la première fois dans son histoire, l'élection de deux sénateurs FN. 430 grands électeurs dans les Bouches-du-Rhône, soit 12,4 % d'entre eux, et 400 dans le Var (19 %) ont permis à Stéphane Ravier et David Rachline d'être élus sénateurs. Sur l'ensemble des départements renouvelables, les listes du FN ont rassemblé 3 972 voix, soit quatre fois plus que le nombre de grands électeurs se réclamant explicitement de ce parti. Les grands électeurs sont principalement des maires de petites communes et certains conseillers municipaux dans des villes moyennes, souvent sans étiquette politique, mais représentatifs de l'état d'esprit de leurs administrés. Cette capacité à obtenir le soutien de plusieurs milliers de grands électeurs est l'un des effets visibles de la dédiabolisation.
Les deux voies s'opposent plus encore quand il s'agit de convaincre les cadres de la bourgeoisie que le FN est un parti fréquentable, un parti de gouvernement comme un autre. Certes, le patronat sait bien que la famille Le Pen, elle-même millionnaire, est profondément respectueuse de la propriété privée. Il y a des précédents récents en Europe où des partis d'extrême droite ont été associés au pouvoir. En Italie, Berlusconi a longtemps dirigé le gouvernement en coalition avec la Ligue du Nord et l'Alliance nationale issue directement des néo-fascistes italiens. En Autriche, le FPÖ de Jörg Haider, admirateur de la Waffen-SS, a participé au gouvernement fédéral au début des années 2000.
Mais chaque pays a sa propre histoire politique et, en France, depuis des décennies, les principaux partis de droite, dont le courant gaulliste est le centre de gravité, ont toujours refusé de gouverner aux côtés de l'extrême droite. Oh, il y a de nombreux transfuges et les différences idéologiques sont souvent bien minces. Le jeune arriviste Guillaume Peltier, qui a passé quatre ans au FN puis sept ans au Mouvement pour la France de Philippe de Villiers avant de rallier Sarkozy, n'aurait certainement aucun problème pour gouverner aux côtés de ses anciens amis. Et que dire d'un homme de l'ombre comme Patrick Buisson, ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire d'extrême droite Minute, qui resta conseiller de Sarkozy durant tout son mandat. Mais, par inclination personnelle ou au nom de l'héritage gaulliste, les dirigeants de la droite ont jusqu'à présent maintenu un cordon sanitaire avec le Front national, trop directement héritier de l'OAS - qui tenta de tuer de Gaulle - et trop complaisant à l'égard du régime de Vichy.
Les progrès électoraux du FN s'amplifiant, cette ligne de partage du personnel politique et de l'électorat de la droite pourra se résorber. Mais cela pourrait se traduire par des crises politiques, par un éclatement et une recomposition au sein de la droite, que la bourgeoisie française n'a aucune raison de souhaiter.
En outre, la démagogie virulente du FN contre l'Union européenne et l'euro, ou encore son protectionnisme en matière économique, sont totalement opposés à la politique souhaitée par la grande bourgeoisie, qui est de maintenir l'union économique de l'Europe et de sauver la zone euro malgré ses tares congénitales. Même si, au pouvoir, le FN fera ce que le Medef et la grande bourgeoisie lui demanderont, il ne pourra pas tourner casaque du jour au lendemain et sans dommages collatéraux. C'est pourquoi les milieux patronaux ne font rien, actuellement, pour faciliter l'accès du FN au pouvoir. La presse économique patronale, comme le journal Les Échos, critique impitoyablement ses prises de position. Plus significatif encore, le FN n'a pas réussi à trouver une banque en France pour financer ses campagnes. Il a dû se tourner vers la Russie de Poutine. Sans le nerf de la guerre, il est difficile de gagner l'élection présidentielle !
C'est largement pour montrer sa compatibilité avec l'exercice du pouvoir que Marine Le Pen tient tant à la dédiabolisation de son parti. Un épisode ridicule mais significatif vient de l'illustrer : celle qui ne rate pas une occasion de se démarquer du « système » est allée parader en robe du soir à la surprise party organisée à New York par le magazine Time, qui venait de la consacrer parmi les cent personnalités influentes de l'année.
En même temps, les deux lignes se complètent car les succès électoraux actuels du FN nourrissent en son sein les plus réactionnaires et, dans son sillage, des groupes identitaires et autres groupuscules violents que l'on a vus agir lors de la Manif pour tous en 2013. Renforcés par les succès du FN et par la banalisation des idées racistes et réactionnaires dans toute la société, ces groupes pourraient se sentir de plus en plus libres de s'en prendre physiquement à des migrants, à des personnes en raison de leur origine ou à des militants politiques, syndicaux ou antiracistes.
On le voit en Hongrie où l'exercice du pouvoir par un parti très à droite, le Fidesz, qui a fait inscrire le caractère chrétien de la Hongrie dans la Constitution, fait prospérer un parti encore plus réactionnaire, aux ambitions fascistes, le Jobbik. Celui-ci entretient une milice paramilitaire qu'il envoie en toute impunité attaquer physiquement les Roms mais aussi parfois des travailleurs en grève. Lors des élections de l'an dernier, le Jobbik a progressé, rassemblant 20 % des voix contre 16 % quatre ans plus tôt. Il vient d'ailleurs de remporter une élection législative partielle, faisant ainsi son entrée au Parlement.
L'avenir du FN, entre une évolution vers un grand parti d'extrême droite particulièrement réactionnaire mais intégré dans le jeu parlementaire, et une formation fascisante s'attaquant à la classe ouvrière et aux militants de gauche, ne se déterminera pas dans l'affrontement tragi-comique interne à la famille Le Pen, ni même en interne au FN. La question sera tranchée par la situation économique et ses conséquences sociales. Si l'aggravation de la crise et l'intensification des attaques portées par la bourgeoisie finissent par déclencher des mobilisations sociales et des affrontements entre la classe ouvrière et la bourgeoisie, ou une radicalisation de la petite bourgeoisie frappée par la crise, les partisans des méthodes musclées à l'extrême droite, autrement dit des méthodes de type fasciste, seront alors disponibles et renforcés.
Les cadres qui entourent Marine Le Pen à la tête du FN sont des opportunistes capables d'adapter leur stratégie au gré des circonstances. Portés par leurs succès électoraux, ils se sont démarqués avec empressement des déclarations du vieux Le Pen. Dans l'état actuel de la situation politique, ils veulent montrer leur compatibilité avec les institutions républicaines. Ils mettent en avant les personnalités de la société civile qu'ils ont su séduire, l'avocat Collard, député du FN, ou l'ancien journaliste Ménard, nouveau maire de Béziers. Le vice-président du FN et proche conseiller de Marine Le Pen, Florian Philippot, est un énarque, gaulliste et souverainiste qui a démarré sa carrière en soutenant Chevènement en 2002. Ces gens-là aspirent aux ors de la République.
Mais la plupart des membres du nouveau comité central du FN, élu en 2011, ont rejoint le FN à l'époque où Le Pen père le dirigeait. Ils n'étaient gênés ni par ses petites phrases ni par son idéologie. À commencer par Marine Le Pen elle-même. Pour ne citer que quelques noms parmi ces nouveaux dirigeants, Stéphane Ravier, 44 ans, sénateur-maire du 7e secteur de Marseille, a adhéré au FN à l'âge de 16 ans, séduit par les idées du vieux Le Pen. Louis Aliot, dont la mère rapatriée d'Algérie était elle-même membre du FN, a fait ovationner lors d'un meeting Bastien-Thiry, organisateur pour l'OAS de l'attentat du Petit-Clamart contre de Gaulle. David Rachline, sénateur-maire de Fréjus de 26 ans, a fait un passage à Égalité et réconciliation, le mouvement identitaire et antisémite d'Alain Soral, avant de s'en éloigner pour policer son image[[Voir l'article « Dieudonné et Soral, ces deux figures de l'extrême droite », Lutte de classe n° 166 (mars 2015).]].
Quant aux cadres dans l'ombre du FN, ceux qui animent aujourd'hui le micro-parti Jeanne dédié au financement des campagnes de Marine Le Pen ou l'agence Riwal qui organise sa communication, ce sont des anciens du GUD, cette association étudiante d'extrême droite qui faisait le coup de poing dans les années 1970.
Tout cela indique la continuité entre la nouvelle génération dirigeante du FN et l'ancienne. Selon les circonstances, les chantres de la dédiabolisation d'aujourd'hui pourraient devenir demain ou après-demain les parrains de milices paramilitaires envoyées contre les travailleurs mobilisés.
Sur le terrain électoral ou extraparlementaire, le FN est un danger pour la classe ouvrière
De toute façon, quelle que soit l'évolution future du FN, ses succès sont un danger pour les travailleurs. La progression de son influence électorale pèse déjà sur toute la société en favorisant les idées les plus réactionnaires et en aggravant tous les facteurs de division parmi les travailleurs, la xénophobie, le racisme, le repli communautaire. Son accès au pouvoir, même par la voie strictement parlementaire, aggraverait encore ces divisions. Elle menacerait particulièrement la fraction immigrée de la classe ouvrière.
Cette progression est d'autant plus dangereuse que le Front national a réussi à renforcer son influence dans les rangs mêmes de notre classe. Notre expérience militante tout comme divers reportages diffusés aux lendemains des élections départementales le confirment : des travailleurs, des retraités, des chômeurs, longtemps électeurs du PS ou parfois du PCF, électeurs de Hollande en 2012, ont voté pour le FN lors des derniers scrutins. Déçus et écœurés par la politique du PS au pouvoir, désespérés face à leur situation personnelle qui se dégrade, cherchant à bon compte un nouveau sauveur suprême - en l'occurrence une femme providentielle - faute d'avoir confiance dans la force collective de leur classe, ces travailleurs déboussolés, parfois plus prompts à dénoncer d'autres pauvres, immigrés ou vivant avec des prestations sociales, que les grands patrons responsables du chômage, ont voté pour le Front national avec comme principal argument : « ceux-là, on ne les a jamais essayés ».
Marine Le Pen, comme tant d'autres démagogues d'extrême droite dans le passé, a adapté son discours pour récupérer des voix au sein des classes populaires. Elle a promis d'augmenter le smic ou de ramener la retraite à 60 ans - promesse que son père ne supporte pas, même par démagogie - sur fond de discours hostiles à l'Europe et à la « mondialisation financière ». En opposant « ceux qui travaillent dur et n'ont droit à rien » aux prétendus « assistés », elle vise toujours les pauvres et bien sûr jamais les actionnaires gavés de crédits d'impôt et autres exonérations de cotisations sociales. Le leitmotiv de tous ses discours reste la haine des étrangers, surtout s'ils sont de confession musulmane. Elle sème ainsi les divisions au sein des travailleurs.
Cette progression du FN et son influence dans les rangs de notre classe inquiètent de plus en plus de militants ouvriers, de travailleurs conscients et plus généralement d'électeurs de gauche. Leur inquiétude est plus que légitime. Mais la seule réponse à cette menace ne peut être que militante.
Il faut bien sûr commencer par convaincre ceux des travailleurs qui se sont laissé embobiner par les marchands d'illusions du FN, que ces politiciens les méprisent et les tromperont plus encore que ceux en qui ils ont placé leur confiance dans le passé. Nombre d'électeurs ouvriers du FN ne sont encore pas réellement gagnés ni à ses idées ni à son programme et peuvent encore être convaincus que le FN est autant au service de la bourgeoisie, du grand capital, que l'« UMPS » qu'il dénonce, mais en plus menaçant encore pour la classe ouvrière.
Mais il est surtout vital de comprendre quelles sont les causes politiques immédiates et lointaines de cette progression parmi les travailleurs.
Les responsabilités écrasantes du stalinisme
Les principaux responsables de cette situation, dans laquelle une fraction de la classe ouvrière est tellement déboussolée qu'elle en vient à considérer ses pires ennemis comme des sauveurs potentiels, sont les dirigeants des partis qui se prétendaient ouvriers. Le Parti socialiste étant depuis un siècle un parti de gouvernement au service de la bourgeoisie, ceux qui par leur influence et leur crédit parmi les travailleurs portent la responsabilité principale sont les dirigeants staliniens.
Depuis plus de 80 ans, toute leur politique a consisté à mettre la classe ouvrière à la remorque de la bourgeoisie, qu'elle soit incarnée par de Gaulle dans les années 1940 ou Mitterrand dans les années 1970 à 1990. Ces dirigeants ont détourné méthodiquement toutes les luttes un peu sérieuses vers le terrain électoral.
Ils n'ont donné comme perspective à leurs militants, à leurs électeurs, aux travailleurs qui leur faisaient confiance, que de choisir celui des politiciens bourgeois en qui ils devaient placer leur confiance pour changer leur sort, que de réaliser « l'union de la gauche » puis la « gauche plurielle », c'est-à-dire de s'aligner derrière le PS pour gérer loyalement les affaires de la bourgeoisie. D'espoirs de changement avec l'arrivée de la gauche au pouvoir en déceptions répétées à chacun de ses passages où elle exécute servilement toutes les demandes du patronat et trahit ses promesses électorales, une fraction de l'électorat ouvrier en est arrivée à chercher du côté du Front national un nouveau sauveur potentiel.
Au fil des déceptions, le PCF a perdu progressivement ses électeurs. Mais il a fait perdre aux travailleurs pire encore : leur conscience de classe ; la conscience qu'ils formaient une classe sociale spécifique, la conviction que, par-delà leurs différences d'origine, de nationalité, de religion ou de qualification, ils avaient entre eux des intérêts communs, inconciliables et opposés à ceux de la bourgeoisie.
Le PCF n'a plus été au gouvernement depuis treize ans et il est dans l'opposition depuis l'arrivée de Hollande à l'Élysée. Mais il continue de payer les illusions électoralistes qu'il a semées. Aux yeux des électeurs populaires séduits par le FN, le PCF et le Front de gauche font partie du même bloc de la « gauche ». Leurs appels systématiques à voter pour le PS au 2e tour, leurs appels récurrents au « front républicain », c'est-à-dire à voter pour la droite sous prétexte, disent-ils, de « faire barrage au Front national », contribuent à obscurcir la conscience les électeurs.
Et, même sur le terrain des idées, la propagande nationaliste et protectionniste diffusée par le PCF a contribué à préparer le terrain aux idées du FN. Lors de son émission télévisée sur Canal+, le 19 avril dernier, Hollande a déclaré que la propagande du FN ressemblait « à un tract du PCF des années 1970 ». Cette petite phrase illustre certes le mépris de Hollande à l'égard du PCF et de ses militants. Ce sont les militants communistes de cette époque, leur dévouement sans limite, les millions de tracts qu'ils ont distribués pour convaincre les travailleurs de soutenir le Programme commun, qui ont permis à Mitterrand et au PS d'accéder au pouvoir. Au bout du compte, ce sont ces militants qui ont contribué à ce qu'un Hollande soit aujourd'hui à l'Élysée pour mettre en musique les exigences patronales. On comprend que cette petite phrase, qui laisse entendre malhonnêtement que les militants du PCF pourraient avoir quelque chose en commun avec ceux du FN, ait choqué et fait réagir les responsables du PCF. Mais Hollande exprimait pourtant, avec cynisme et condescendance, une vérité : en rabâchant qu'il fallait « produire français », en dénonçant avec virulence l'entrée de la Grèce et de l'Espagne dans le Marché commun européen sous prétexte de protéger les intérêts des viticulteurs et des maraîchers du Sud-Ouest, en réclamant même à plusieurs reprises une régulation de l'immigration, le PCF a effectivement distillé un poison nationaliste sur lequel le FN peut aujourd'hui prospérer.
Les militants ouvriers ne pourront pas combattre la progression des idées du Front national parmi les classes populaires sans rompre avec le nationalisme et le protectionnisme économique et sans faire le bilan de ces décennies où la seule perspective offerte aux classes populaires par les dirigeants du PCF a été de bien voter pour avoir une « bonne gauche » au pouvoir.
Réarmer politiquement la classe ouvrière
À ce jour, la montée de l'extrême droite prend une forme surtout électorale. Outre le poison que cette progression distille dans les rangs des travailleurs et le recul que son accès au pouvoir signifierait pour les classes populaires, elle renforce en coulisse les partisans de méthodes plus musclées.
L'aggravation de la crise se traduira inévitablement par des explosions sociales, spontanées ou organisées. Si la bourgeoisie n'arrive pas à y faire face, si elle n'arrive pas à imposer les reculs sociaux qu'exige la concurrence acharnée entre les capitalistes, en s'appuyant sur des gouvernements et des partis classiques, avec la complicité des directions syndicales complaisantes, elle n'hésitera pas à s'appuyer sur des moyens extraparlementaires et violents, comme elle l'a fait à diverses reprises dans le passé. En ce sens, une course de vitesse est engagée entre l'extrême droite et le mouvement ouvrier.
Or, pour l'heure, l'extrême droite est largement mieux préparée que les travailleurs pour affronter une telle situation. Face à la montée du nazisme en Allemagne et la menace de l'arrivée de Hitler au pouvoir à partir de 1931-1932, Trotsky s'était adressé à des millions de militants ouvriers entraînés par leurs dirigeants dans une politique suicidaire. Par-dessus la tête de ces dirigeants, il proposait une politique à un mouvement ouvrier alors puissant et éduqué politiquement. Étant donné la profondeur de la crise économique et politique et le degré de mobilisation des classes sociales, jetées les unes contre les autres, il n'y avait plus alors de solution intermédiaire. Il n'y avait qu'une seule alternative : soit le prolétariat prenait le pouvoir en entraînant derrière lui les petits bourgeois ruinés et radicalisés, soit les nazis accédaient au pouvoir en embrigadant la petite bourgeoisie pour briser le prolétariat.
Aujourd'hui, nous n'en sommes absolument pas là. La menace de l'extrême droite n'est pas aussi immédiatement mortelle pour les travailleurs que ne l'étaient les Sections d'assaut hitlériennes. La situation sociale ne l'exige pas.
Mais le mouvement ouvrier, lui, est infiniment plus faible qu'il ne l'était à l'époque où Trotsky tentait de lui donner une politique. Par de multiples aspects, on part aujourd'hui de beaucoup plus loin. C'est pourquoi les militants ouvriers inquiets des succès du FN doivent s'atteler à réarmer la classe ouvrière. Ils doivent mettre leur énergie et le crédit qu'ils ont parmi leurs camarades de travail pour les aider à retrouver confiance dans leur force collective, pour gagner de nouvelles générations aux idées de la lutte de classe.
Personne n'a de baguette magique pour déclencher les explosions sociales qui permettront d'enrayer la progression des idées réactionnaires, chauvines, xénophobes et des communautarismes. Mais ce qui est à la portée des militants ouvriers, ce à quoi ils doivent s'atteler, c'est d'en défendre la nécessité et de les préparer. Potentiellement, les forces de la classe ouvrière sont considérables car les travailleurs font tout tourner dans cette société. Mais encore faut-il en avoir conscience. Encore faut-il être conscient que personne ne mènera les combats à notre place, encore faut-il se préparer à les mener.
Les militants conscients doivent convaincre leurs camarades qu'il n'y a aucun sauveur suprême, pas plus à l'extrême droite qu'à gauche ni même à la gauche de la gauche. Ils doivent réimplanter cette conviction que seules leurs luttes collectives, guidées par la conscience claire de leurs intérêts de classe, permettront aux travailleurs de sortir de l'impasse, de rendre les coups, de défendre leurs intérêts vitaux face à la guerre de classe menée par le patronat, et qu'au bout du compte le prolétariat doit chercher à prendre la tête de la société car il est la seule classe capable d'offrir un autre avenir à l'humanité que le chaos et la barbarie dans lesquels le capitalisme est en train de la plonger.
Le 5 mai 2015
Une progression électorale accélérée depuis l'arrivée de Hollande à l'Élysée
Élections |
Candidat |
Nombre de voix |
% des exprimés |
Nombre d'élus |
Présidentielle 2002 (1er tour) |
J-M. Le Pen |
480 4713 |
16,9 |
|
Présidentielle 2007 (1er tour) |
J-M. Le Pen |
3 834 530 |
10,4 |
|
Présidentielle 2012 (1er tour) |
Marine Le Pen |
6 421 426 |
17,9 |
|
Municipales 2014 |
597 listes FN (82 en 2008 et 200 en 2001) |
1 000 000 |
15 maires FN élus |
|
Européennes 2004 |
Listes FN |
1 684 868 |
9,8 |
7 députés européens |
Européennes 2009 |
Listes FN |
1 100 000 |
6,34 |
3 députés européens |
Européennes 2014 |
Listes FN |
4 711 339 |
24,8 |
24 députés européens |
Sénatoriales 2014 |
3 972 |
2 sénateurs D. Rachline et S. Ravier |
||
Départementales 2015 (1er tour) |
1912 binômes FN (93 % des cantons) |
5 142 241 |
25,2 |
|
Départementales 2015 (2e tour) |
FN dans 1 104 cantons |
4 107 891 |
22,2 |
62 élus contre 2 sortants |
Après un court intermède en 2007, où Sarkozy avait siphonné les voix du FN en reprenant largement son discours, la déconsidération de l'UMP au pouvoir a de nouveau alimenté le vote pour le FN. Lors de la présidentielle de 2012, Marine Le Pen n'était pas qualifiée pour le 2e tour, contrairement à son père en 2002, mais elle obtenait plus de voix que lui, récupérant l'essentiel des voix perdues par Sarkozy.
Hollande au pouvoir s'est déconsidéré encore plus vite que son prédécesseur et, dès 2013, toutes les élections partielles, depuis celle de Villeneuve-sur-Lot, l'ancienne circonscription de l'ex-ministre Jérôme Cahuzac, furent marquées par la progression des scores du Front national et par sa capacité à être présent au second tour.
Les élections européennes de mai 2014 ont marqué de façon spectaculaire cette progression puisque, pour la première fois, le FN est arrivé en tête dans le pays. Les succès du FN aux élections municipales de mars 2014, avec la conquête de 15 mairies, lui ont permis d'accéder pour la première fois au Sénat.
Lors des élections départementales de mars dernier, le FN a pu trouver près de 8 000 candidats, en comptant les suppléants, issus de tous les départements, prêts à s'afficher publiquement pour le représenter. Ces élections ont donc confirmé la capacité à mobiliser des électeurs, malgré des taux d'abstention élevés. Le FN a réussi à élargir cet électorat dans des départements où il enregistrait jusque-là des scores assez modestes, dans l'Ouest par exemple. Si on en croit plusieurs instituts de sondages, il a attiré une fraction non négligeable de la jeunesse, près du quart des électeurs de moins de 25 ans. Et ces élections ont confirmé la capacité du FN à attirer une nouvelle fois des électeurs des classes populaires, dans des régions ravagées par le chômage et la crise.