Après plusieurs secousses dans l'année sur les marchés boursiers, la crise financière a éclaté au début du mois d'août, pendant les congés d'été.
En effet, le jeudi 9 août, un vent de panique a soufflé sur les grandes places boursières. De New York à Tokyo, en passant par Paris, Londres et Francfort, les indices boursiers, les Dow Jones et autres CAC 40, censés mesurer le prix global des actions, ont reculé partout. Ils étaient principalement affectés par la chute du prix des actions des sociétés financières. Tout le monde voulait en vendre, mais personne ne voulait en acheter.
Le même jour, BNP Paribas, première banque française, annonçait qu'elle gelait l'activité de trois de ses fonds spécialisés dans le négoce de titres financiers, en clair spécialisés dans la spéculation. Les titres ne valaient plus rien et les fonds suspendaient le paiement à leurs clients. Mais, avant la BNP, bien que plus discrètement, les sociétés Axa et Oddo avaient agi de la même manière.
Les banques allemandes, réputées être particulièrement prudentes et fiables, étaient entraînées dans le même tourbillon. Une des principales d'entre elles, spécialisée dans les prêts aux petites et moyennes entreprises, était au bord de la faillite.
D'un seul coup, les banques cessèrent de se prêter de l'argent les unes aux autres, ce qu'elles font d'ordinaire chaque jour, parce qu'elles se méfiaient, ne sachant pas - tellement les opérations financières sont opaques, même pour les spécialistes - quelles étaient les banques qui avaient placé de l'argent dans ces prêts à risques et jusqu'où elles pouvaient être impliquées.
Le flot monétaire passant d'une banque à l'autre en permanence qui irrigue le système financier mondial fut brutalement stoppé. Au trop-plein d'argent succéda une crise de liquidités, menaçant l'économie dans son ensemble.
Ce même 9 août, tombèrent des informations concernant les interventions des banques centrales. La Banque centrale européenne (BCE) annonça avoir injecté 94,8 milliards d'euros pour soutenir les banques. La dernière en date des interventions aussi massives remontait aux attentats du 11 septembre 2001. La Réserve fédérale américaine accorda 24 milliards de dollars à ses banquiers en difficulté, suivie par la Banque du Japon. D'autres interventions suivirent au cours des jours et des semaines suivantes, jusqu'à plusieurs centaines de milliards en totalisant l'argent versé par les grandes banques centrales.
Un nommé Jochen Sanio, dirigeant l'office régulateur boursier allemand, estima que son pays était « menacé de la plus grave crise financière allemande depuis 1931 ».
Et quand on sait ce qu'a été la crise financière allemande à l'époque, cela fait trembler, quand bien même ledit personnage ne sait pas plus que quiconque jusqu'où la crise actuelle peut aller !
Dans les derniers jours d'août et les premiers de septembre, une accalmie sembla intervenir. Les dirigeants politiques multiplièrent les déclarations rassurantes. Mais l'état de faillite dans lequel s'est retrouvée la Northern Rock, huitième banque de Grande-Bretagne, sauvée in extremis par la banque centrale du pays agissant sur ordre du gouvernement, a montré que ce n'était qu'une pause. Et on revit alors l'image - qui semblait d'un autre temps, celui de la grande crise de 1929 - de particuliers faisant la queue devant les grilles de la banque Northern Rock pour essayer d'obtenir au moins une partie de l'argent qu'ils y avaient déposé. Pendant les seules journées des 14 et 15 septembre, l'équivalent de trois milliards d'euros aurait été retiré par des clients paniqués, que la banque n'a pu rembourser que grâce à l'argent de la banque centrale.
Une crise annoncée
Malgré la brutalité de son apparition, ce coup de tonnerre financier n'a cependant pas éclaté dans un ciel serein. Il est l'aboutissement d'un nouveau cycle de spéculations, l'éclatement d'une bulle spéculative dans l'immobilier parti des États-Unis.
C'était une crise annoncée. Économistes comme banquiers constataient depuis des mois qu'aux États-Unis, comme d'ailleurs dans le reste du monde, une bulle spéculative s'était formée dans l'immobilier et que, tôt ou tard, elle pouvait, voire devait éclater. Cela a été dit et répété par bien des experts de l'économie. Un peu comme les météorologues actuels sont capables d'annoncer longtemps à l'avance un cyclone ravageant ou bien les Caraïbes ou bien le sud des États-Unis, du moins la possibilité d'un cyclone dès qu'il se forme à l'autre bout de l'Atlantique, du côté des Açores. Mais pas plus que les météorologues ne peuvent empêcher les cyclones de se former, les maîtres capitalistes du monde ne peuvent empêcher les cyclones financiers de dévaster périodiquement leur monde. En causant parfois pour la population des dégâts bien plus importants encore que les cyclones naturels.
Par-delà son déroulement concret, ses raisons spécifiques, sa place dans la succession des crises financières qui s'enchaînent depuis une trentaine d'années, cette crise financière rappelle l'irrationalité fondamentale du système économique capitaliste. Tellement irrationnel et anarchique que l'activité économique, résultant pourtant de l'activité humaine et des rapports de propriété, apparaît aujourd'hui aux hommes comme une force extérieure à la société, aussi extérieure que les catastrophes naturelles le sont.
L'enchaînement concret conduisant à la crise actuelle
Les éléments de la crise financière actuelle se sont mis en place dès le lendemain de la crise boursière précédente, celle qui, dans les années 2001-2002, avait suivi l'effondrement des actions des entreprises du secteur informatique.
Rappelons que ce qu'on a appelé à l'époque l'éclatement de la « bulle Internet » était, lui aussi, l'aboutissement de plusieurs années de spéculations qui portaient sur les entreprises du secteur informatique. Les capitaux en quête de placements se portaient sur l'achat d'actions de nouvelles sociétés, d'entreprises émergentes de ce secteur. Les entreprises d'informatique, dites aussi de « nouvelles technologies », avaient alors le charme de la création spontanée. Grâce aux innovations technologiques et au génie, technologique ou financier, de jeunes vedettes du secteur, certaines de ces entreprises enregistraient une croissance exponentielle. Leurs profits n'étaient pas nécessairement immédiats mais les investisseurs se disaient que, si quatre faisaient faillite, la cinquième rapporterait dix fois la mise. Rien de tel pour les capitaux en mal de placement attirés par le profit escompté. Les actions des entreprises informatiques s'arrachaient. Leurs prix s'envolèrent, jusqu'à la fin de l'année 2000. Puis, tout au long de l'année 2001, la chute de l'indice boursier des valeurs technologiques (NASDAQ) montra que les sociétés créées dans l'informatique n'étaient pas toutes des Microsoft et que les jeunes loups du secteur n'étaient pas tous des Bill Gates.
La « crise de l'Internet », c'est-à-dire l'effondrement des prix des actions des entreprises d'informatique, a rempli son rôle : la plupart des « jeunes pousses » prometteuses se sont cassé la figure. Celles qui étaient les plus prometteuses furent rachetées par plus gros qu'elles. Et, le grand nettoyage effectué au prix de fermetures d'entreprises et de licenciements dans le secteur, l'informatique reprit sa croissance normale (si le mot a un sens dans l'économie capitaliste).
Les capitaux qui avaient alimenté la bulle Internet cherchèrent ailleurs. Ils allaient notamment financer de gigantesques opérations de fusions-acquisitions par lesquelles les grandes entreprises en avalaient d'autres, pour donner naissance à des mastodontes plus grands encore - sans que, pour autant, les capacités de production en soient augmentées et sans que des emplois supplémentaires soient créés. Là n'était d'ailleurs pas le but : les fusions-acquisitions visaient surtout à conquérir le marché du concurrent, seule voie pour élargir le marché d'un produit dans un contexte de stagnation de l'économie. Nous ne nous en occuperons pas plus longuement ici, pas plus que des multiples autres formes de placements purement financiers. Mais parmi les secteurs qui attiraient ceux qui avaient de l'argent à placer, il y en avait un qui semblait prometteur et de surcroît plus sûr que les nouvelles technologies : c'était la pierre ou le ciment, c'est-à-dire l'immobilier !
L'irrésistible ascension de la spéculation immobilière
C'est aux États-Unis que s'est produit cet éclatement de la bulle spéculative de l'immobilier, facteur déclenchant de la crise financière actuelle.
La montée des prix dans l'immobilier, pour des raisons de plus en plus spéculatives, n'est cependant pas spécifique aux États-Unis. Elle infecte l'économie de tous les pays industriels. Depuis plusieurs années, la hausse des prix de l'immobilier est même, un peu partout, une des composantes majeures de la prétendue croissance économique. Ce n'est pas pour rien.
Le capitalisme n'a, nulle part, la capacité de régler convenablement la question du logement, dont parlait déjà Engels, qui est en réalité la question du logement populaire. Les besoins réels qui, suivant la situation économique générale, suivant le niveau de l'emploi et des salaires, se traduisent par des demandes solvables ou pas, sont toujours supérieurs à l'offre. Rien que cela tire, en général, les prix de l'immobilier vers le haut. « Investir dans la pierre » a toujours été considéré comme sûr, sinon toujours comme le plus profitable (même si l'immobilier a déjà connu en 1997 un krach, suite, déjà, à une période spéculative. Mais à l'époque, la spéculation portait surtout sur des immeubles de bureaux).
Échaudée par l'effondrement des actions d'Internet en 2001-2002, la petite bourgeoisie ayant de l'argent à placer se tourna donc vers l'immobilier. Les prix se mirent à grimper. Les achats spéculatifs avec. Ceux qui en avaient les moyens achetaient des logements ou des maisons, non pas pour y loger, ni même pour mettre leur argent en sécurité, mais pour revendre ultérieurement avec profit.
Jusque-là, ce n'était que de la spéculation ordinaire, comme il y en a en permanence en économie capitaliste et qui peut se porter sur n'importe quoi dont le prix est - ou semble être - en hausse. Pour qu'une spirale spéculative ample s'engage, pour qu'elle finisse par entraîner tout le système financier, il fallait que les banques s'en mêlent. Les crédits accordés par le système bancaire ont surmultiplié la demande. Pourquoi refuser d'emprunter pour acheter des biens immobiliers, alors que ceux-ci prenaient d'année en année de la valeur, permettant de rembourser largement les prêts ?
Les banques à la recherche de placements rentables s'en donnèrent à cœur joie. Elles avaient de l'argent à revendre - si l'on peut dire - et l'économie dans son ensemble regorgeait de sommes accumulées grâce aux profits élevés des entreprises conjointement à leur faible inclination pour les investissements productifs.
Les choses se passaient de cette même manière à peu près partout dans les pays industriels. À ceci près qu'aux États-Unis, l'amplitude de cette évolution fut proportionnelle à la richesse du pays. De plus, la législation américaine donne aux prêteurs sur hypothèque les coudées encore plus franches qu'ailleurs.
Les banques et officines spécialisées dans ce type de prêts les plaçaient même auprès de clients peu fortunés en prenant pour garantie la maison ou le logement, assurées qu'elles étaient qu'en cas de défaillance de l'emprunteur la vente du bien leur permettrait de rentrer dans leur argent avec même une coquette plus-value.
La mise en mouvement du système de crédit a greffé sur la spéculation portant sur le prix des immeubles eux-mêmes bien d'autres spéculations.
Pour prêter aux clients finaux, les banques hypothécaires avaient besoin de fonds. Elles s'en procuraient en vendant aux banques les reconnaissances de dette de leurs clients. Ces reconnaissances elles-mêmes se mettaient à vivre une vie indépendante, devenant à leur tour des objets de spéculation.
Impossible d'entrer ici dans les détails techniques de ces produits financiers dont la complexité a souvent échappé jusques et y compris à leurs créateurs. Les banques elles-mêmes, en rachetant aux banques hypothécaires les reconnaissances de dette signées par leurs clients - et, par la même occasion, le droit de saisir les logements hypothéqués en cas de non-paiement -, s'en servaient comme de liquidités dans leurs transactions avec d'autres banques et les plaçaient auprès de leur clientèle. Leurs spécialistes financiers avaient inventé une opération que leur jargon désigne sous le nom de « titrisation ». Elle consiste à mélanger plusieurs sortes de reconnaissances de dette détenues par la banque, celles dont le remboursement paraissait sûr avec d'autres au remboursement plus aléatoire, pour en faire un bloc unique et émettre de nouveaux titres représentant ce bloc. Le mécanisme est sensiblement le même que celui utilisé par des officines qui proposent aux particuliers endettés de racheter leurs diverses dettes pour en faire une seule - plus facile à gérer, affirment leurs prospectus publicitaires. Bien sûr, elles ne font pas cela pour les beaux yeux du débiteur. Elles ajoutent leur propre commission aux intérêts et agios qui courent.
L'avantage, pour les banques, de cette opération est qu'elle mélange des crédits risqués avec d'autres qui le sont moins et, par là même, dissimule le risque et rend plus facile à négocier les papiers qui représentent le crédit unique. Mieux encore : à partir de ces titres, on en fabrique d'autres, aux initiales absconses, comme RMBS, acronyme anglais de Residential Mortgages Backed Securities, c'est-à-dire « titres adossés à des crédits immobiliers », ou CDO, Colleteralised Debt Obligations, soit « obligations collatéralisées ». Ces expressions exotiques désignent des titres de plus en plus risqués, mais qui rapportent de plus en plus gros.
Ces nouveaux titres circulaient à leur tour entre banques. Ils étaient vendus, aussi, à des entreprises ou à des particuliers. Leur valeur nominale était tirée vers le haut par la hausse des prix de l'immobilier, sans même que l'on sache avec précision à quelles dettes précises ils correspondaient. Plus personne ne savait, non plus, qui était endetté et vis-à-vis de qui.
Bien sûr, les banquiers qui vendaient ces bouts de papier savaient que, parmi les emprunteurs, il y en avait qui seraient défaillants. Les acheteurs de ces bouts de papier qui étaient d'autres institutions financières, généralement des fonds spéculatifs, connaissaient aussi le risque. Mais plus élevé était le risque, plus grand était le profit tiré de l'achat et de la revente de ces papiers.
Il faut remarquer ici que ces fonds spéculatifs ne sont nullement des tumeurs sur un organisme financier par ailleurs sain. Ils sont souvent des filiales des banques elles-mêmes, spécialisées seulement dans une activité spéculative plus risquée. Les fonds avec lesquels ils jouent au casino viennent aussi bien des banques que de la trésorerie de grandes entreprises désireuses de placer leurs liquidités de manière particulièrement profitable. Ce n'est pas pour rien que la crise financière s'est propagée si vite, des officines spécialisées dans la spéculation aux banques ou aux sociétés d'assurance : en fait, ce sont les mêmes !
La course vers le précipice
Ce système ne pouvait fonctionner que tant que la demande était croissante sur le marché immobilier, tirant tout à la fois les prix des maisons et des logements vers le haut et élargissant la demande de crédit. Lorsque, fin 2005 déjà, la demande de la clientèle aisée commença à plafonner aux États-Unis, les banques hypothécaires, en concurrence les unes avec les autres sur ce marché juteux, pour rapporter l'expression d'un expert d'une société financière, « ont cherché par tous les moyens à faire du volume ».
Les courtiers des banques hypothécaires allaient chercher des emprunteurs en faisant des offres de crédit alléchantes. Des crédits à taux variables, par exemple, très bas les deux ou trois premières années, mais en forte augmentation par la suite.
Ainsi, après la petite bourgeoisie ayant les moyens, ils jetèrent leurs filets sur des catégories populaires plus pauvres. Pourquoi la pauvreté de leurs cibles aurait-elle été gênante ? Depuis des temps immémoriaux, les usuriers savent que plus un client est pauvre, plus il est facile de le voler ! Le tout, c'est de prendre des précautions. La précaution était précisément le caractère hypothécaire du prêt. Si l'emprunteur ne pouvait pas rembourser, sa maison était saisie.
Les courtiers étaient d'autant plus efficaces, leurs propositions, à première vue, mirobolantes marchaient d'autant mieux qu'à la base il y avait un besoin réel dû à la cherté du logement locatif et au mal-logement. Ce type de crédit, pour lequel le jargon économique a repris le mot américain de « subprime », se multiplia. Pour reprendre la définition du bulletin d'information du Crédit Agricole formulée en prudent langage de banquier, « un crédit subprime est un crédit accordé à des clients « à risque », soit qu'ils aient eu des difficultés financières par le passé, soit que leur capacité de remboursement ne soit pas pleinement documentée ».
À ce qu'il paraît, à l'intérieur de cette catégorie de prêts, il y a une sous-catégorie particulièrement risquée, appelée « Ninja ». Rien à voir avec les sympathiques tortues des dessins japonais. En fait, c'est l'acronyme de l'expression anglaise « No Income No Job or Asset », c'est-à-dire « pas de revenu, pas d'emploi ni d'activité (à mettre en garantie) ».
« La part de ce type de crédit dans l'ensemble des crédits hypothécaires », écrit encore le spécialiste du Crédit Agricole, « est passée de 7,4 % en 2002 à 21,5 % en 2006 (soit 640 milliards de dollars sur 3 000 milliards) ».
Décrivant tout ce processus, un article du Monde diplomatique de septembre 2007 commente : « Voilà comment émerge la catégorie (...) de « subprimes mortgages », ces prêts immobiliers dont les attributaires inconnus des établissements de crédit sont d'une solvabilité plus que douteuse ».
Le rédacteur de cet article décrit avec une commisération teintée de méfiance cette catégorie d'emprunteurs rendus implicitement responsables du déclenchement de la crise. Ah, si les banques hypothécaires avaient eu la prudence de ne prêter qu'à des gens solvables !
Parmi les commentateurs de la crise financière, il se trouve même des imbéciles pour en rendre responsables les mal-logés des États-Unis qui ont mordu à l'hameçon lancé par les courtiers des banques hypothécaires. Ceux-là sont pourtant les premiers à payer pour la crise par la perte de leurs logements fraîchement acquis, saisis par les banques.
Dans ce sous-entendu, « la crise, c'est la faute à l'insolvabilité des pauvres », il y a cependant un fond de vérité.
Le fonctionnement capitaliste de l'économie ne vise à satisfaire que les besoins solvables. Le crédit ne fait que masquer cette réalité, il ne la change pas.
Le jour devait arriver cependant où, pour les acquéreurs de logements les plus modestes, passé le bonheur des premiers mois où l'on ne remboursait que des sommes modérées et où l'on pouvait se sentir propriétaire de son logement, ont commencé à tomber les premières échéances lourdes. Nombre d'emprunteurs n'ont pas pu rembourser...
Puis, au long de l'année 2006, les défauts de paiement se multiplièrent. Les saisies de logements aussi. Le nombre de logements saisis s'élèverait d'ores et déjà à plus d'un million. On estime qu'il dépassera largement les deux, voire les trois millions.
Les logements que leurs propriétaires étaient contraints de vendre pour rembourser les emprunts ou saisis par les banques pour être revendus faisaient baisser les prix dans l'immobilier. La spirale spéculative passait à la phase descendante. Les premières faillites se produisirent chez les prêteurs.
La crise de l'immobilier aux États-Unis est loin d'être terminée. Les défaillances de paiement ne pourront que se multiplier durant l'année 2008 car, contrairement aux spéculateurs sauvés à coups de centaines de milliards par la banque centrale, ni cette banque ni l'État n'interviendront pour sauver de la détresse ces quelque deux millions de familles qui se sont endettées jusqu'au cou pour acheter un logement qu'elles perdront inévitablement.
Mais, entre-temps, la crise immobilière a été le facteur déclenchant d'une autre crise, celle du système bancaire.
Comment la contagion s'est propagée des Etats-Unis...
Des crises sectorielles, il s'en produit fréquemment en économie capitaliste, même dans les périodes considérées globalement comme étant en croissance.
La crise de l'immobilier américain aurait pu en rester là, n'eussent été l'engagement des banques dans l'affaire et la spéculation sur les titres représentant les dettes hypothécaires qui s'est greffée sur la spéculation immobilière proprement dite en la dépassant en ampleur.
L'ensemble des opérations financières diverses se greffant sur l'immobilier était comme une sorte de pyramide à l'envers. Les sommes mises en mouvement par la circulation des titres directs ou dérivés étaient bien plus fortes encore que les sommes directement prêtées. Ces papiers représentant les dettes hypothécaires ont été tellement profitables pendant les quatre ou cinq dernières années de gonflement de la bulle spéculative que nombre de grandes banques et de grandes entreprises en détenaient.
Et pas seulement aux États-Unis. La propagation de la crise à l'Europe a montré l'implication des grandes banques britanniques, françaises, allemandes, suisses ou espagnoles.
Et la sophistication croissante de ce que les banques appellent « les produits financiers » qui, pendant un temps, a masqué la crise en est devenue un des facteurs amplificateurs.
Ces titres s'arrachaient, tant que les acteurs avaient la certitude, ou le croyaient, qu'en les achetant, ils pouvaient facilement les revendre, et les revendre avec profit. C'est-à-dire, en somme, tant qu'ils inspiraient confiance.
Mais si cette certitude disparaissait ? Si les titres, si profitables auparavant, apparaissaient pour les vulgaires bouts de papier qu'ils sont ?
C'est bien ce qui se passe depuis l'éclatement de la crise. Chaque banque sait que sa partenaire et néanmoins concurrente, la banque voisine, possède des titres basés sur des crédits pourris qui ne seront jamais remboursés. Mais elles ne savent pas quelle part de ces crédits pourris elle détient dans ses supposés avoirs, dans son bilan et, par conséquent, quelle confiance on peut lui faire.
Une indication cependant : la Deutsche Bank, dont le PDG vient de reconnaître avoir fait « des erreurs » dans ses placements d'argent, a annoncé par la même occasion que les titres qu'elle « n'est plus en mesure de revendre » représentent quelque 29 milliards d'euros ! La banque survivra sans doute, surtout si l'État allemand la soutient, comme le font tous les autres États vis-à-vis de leurs banques. Mais, en revanche, le patron de cette banque a d'ores et déjà annoncé qu'il n'est pas question de procéder à l'embauche prévue de 4 000 nouveaux salariés (aux États-Unis également, le premier contingent de salariés mis à la porte suite à la crise est celui d'employés de banque).
Or, les banques s'échangent en permanence des crédits et des liquidités. Le système bancaire fonctionne à travers ces échanges quotidiens où une banque qui est obligée d'emprunter aujourd'hui peut devenir prêteuse deux jours après. Mais quelle est la banque qui, dans les conditions d'aujourd'hui, a envie de se faire rembourser avec des titres où il y a une part indéterminée de titres dérivant des prêts hypothécaires aux États-Unis qui ne valent plus rien ?
C'est pourquoi une brutale méfiance s'est installée d'un seul coup entre les banques.
On se doutait bien que « le roi était nu », mais c'est désormais une certitude !
... en Europe
Dans la propagation en Europe de la crise dont le facteur déclenchant se trouve aux États-Unis, il n'y a nul mystère. Pour cette raison générale d'abord que le capitalisme a tissé de longue date des liens à l'échelle du monde tels que les grandes crises ne respectent nullement les frontières nationales. La crise de 1929, d'une tout autre ampleur que celle qu'on connaît aujourd'hui - du moins jusqu'à présent -, ne s'est pas limitée à Wall Street, et ce n'est même pas aux États-Unis qu'elle a fait le plus de dégâts. Même le renforcement des barrières protectionnistes nationales n'a pas arrêté la propagation.
Ce qu'on appelle la mondialisation financière qui, au-delà de l'ambiguïté de ce terme, couvre aussi et surtout la dérégulation et le déplacement plus libre que jamais des capitaux, a cependant accentué le phénomène. Toutes les grandes banques européennes possèdent dans leurs portefeuilles des titres s'appuyant directement ou indirectement sur les prêts hypothécaires émis par les banques américaines. Leur métier étant précisément d'émettre des titres de crédit, de négocier et de vendre ceux qui se trouvent sur le marché financier, pourquoi n'auraient-elles pas accepté d'enrichir leur portefeuille de prêts hypothécaires si rentables ?
Les entreprises de production participaient au mouvement. « Les trésoriers d'entreprise sont friands de ces produits censés procurer à moindre risque un supplément de rendement par rapport aux marchés monétaires », affirmait le directeur général de la banque d'Orsay.
On comprend pourquoi la presse spécialisée se demande avec angoisse à quel moment et de quelle manière la crise financière se traduira par une crise tout court, par une nouvelle phase de récession, comme l'économie en a connu plusieurs au cours des trente dernières années d'instabilité économique généralisée. Elle se garde bien de donner des réponses que, de toute façon, elle n'a pas. Car, si la crise de confiance entre banques, en asséchant le crédit, a rendu rapidement publique la crise du système financier, personne ne sait dans quelle mesure les trésoreries des grandes entreprises ont été fragilisées par le fait qu'une partie de leurs réserves est composée de titres qui ne valent rien. Personne ne sait, non plus, quelle conséquence aura, pour les entreprises, la difficulté accrue d'obtenir des crédits. La crise a, par ailleurs, aggravé la baisse du dollar par rapport à l'euro. Quelle conséquence cela aura-t-il sur le commerce mondial en général et sur les exportations européennes en particulier ?
L'évolution globale de l'économie mondiale a été marquée au long du quart de siècle passé par une financiarisation croissante de l'économie, par une domination accrue du capital financier sur le capital industriel. Mais la dérégulation a facilité aussi une telle fusion entre capital financier et capital industriel que les plus grosses entreprises de production elles-mêmes participent au marché financier et à ses spéculations en réalisant souvent, voire de plus en plus, davantage de profits dans le domaine financier que dans le domaine productif.
De la succession des crises financières à leur quasi-permanence
Si le facteur déclenchant de la crise financière actuelle se trouve dans l'immobilier aux États-Unis, ses raisons fondamentales sont bien plus profondes. La considérer comme une crise indépendante de l'évolution générale de l'économie n'a pas de sens, il est plus stupide encore d'en rendre responsables les familles américaines modestes qui ont emprunté pour se loger, et même les banques hypothécaires qui leur ont offert des crédits. C'est à peu près comme ceux qui, devant la mainmise sur telle ou telle entreprise de fonds de pension américains et devant les restructurations et les licenciements qui en résultent, s'en prennent aux « instituteurs du Midwest » dont les fonds de pension gèrent les retraites.
La crise financière déclenchée à partir de l'immobilier américain se situe dans une succession de crises boursières ou financières plus ou moins graves se répercutant plus ou moins sur la production.
Le Monde diplomatique de septembre 2007 rappelle qu'il « aura été difficile de passer plus de trois ans d'affilée sans un accident majeur. (...) 1987, krach mémorable des marchés d'actions ; 1990, krach des « junk bonds » (« obligations pourries ») et crise des « savings and loans » (caisses d'épargne américaines) ; 1994, krach obligataire américain ; 1997, première tranche de crise financière internationale (Thaïlande, Corée, Hong Kong) ; 1998, deuxième tranche (Russie, Brésil) ; 2001-2003, éclatement de la bulle Internet ...»
Et l'article se limite aux vingt dernières années !
L'auteur de l'article, Frédéric Lordon, critiquant un journaliste qui s'émerveillait que l'économie capitaliste ait été capable de surmonter ces crises et de repartir de plus belle, écrit que « le fait est qu'on ne peut pas ne pas être étonné avec lui. À ceci près que le journaliste oublie ce qu'il en a coûté à chaque fois aux salariés de régler les ardoises de l'ébriété financière. Car, invariablement, la dégringolade des marchés frappe les banques donc le crédit puis l'investissement, la croissance... et l'emploi. »
Pour formuler la chose en des termes moins euphémiques, chaque crise s'est traduite par des vagues de licenciements dans les pays qui ont été dans l'œil du cyclone, par un abaissement des salaires, par un recul de la production de biens matériels.
Et surtout, au-delà des conséquences directes de telle ou telle crise spécifique, l'économie capitaliste s'en sort globalement au détriment des classes exploitées.
En abaissant partout et par une multitude de moyens la part des salariés dans le revenu national, la classe capitaliste est parvenue à sortir de l'aspect de la crise qui la préoccupait exclusivement, c'est-à-dire la baisse du taux du profit.
Une des expressions de la crise économique amorcée dans les premières années soixante-dix, cette baisse du taux de profit a poussé les groupes industriels et financiers et les États dans une offensive multiforme pour rétablir le taux de profit au détriment de la classe ouvrière. Dans un contexte où le rapport des forces était défavorable aux salariés, cette offensive a été couronnée de succès. On estime que le recul du taux de profit a été stoppé au début des années quatre-vingt et que, dans les années quatre-vingt-dix, ce taux a atteint et dépassé son niveau d'avant la crise.
Mais les investissements productifs n'ont pas repris pour autant.
Le fond du problème est là. Depuis maintenant trente-cinq ans, depuis les premières manifestations de la longue période de stagnation de l'économie internationale sous la forme d'une crise du système monétaire international et du « choc pétrolier », les investissements productifs n'ont jamais été relancés de façon durable.
En fait, les crises évoquées ci-dessus, sans même parler des secousses intermédiaires, sont les formes successives d'un même mal fondamental. La prétendue croissance dans les pays impérialistes, illustrée par la hausse de leurs produits intérieurs bruts (PIB), masque la réalité de l'économie productive. Dans la croissance du PIB des États-Unis au cours des toutes dernières années, la hausse des prix de l'immobilier a eu une part non négligeable. On a aujourd'hui l'illustration de son caractère hasardeux.
Les profits continuent simplement à gonfler la masse financière, en permanence à la recherche de placements rentables, alors que la base productive, là où se crée réellement la valeur, ne s'élargit pas ou s'élargit très peu.
Personne ne peut deviner le devenir de la crise actuelle. Elle peut déboucher sur une chute de la production industrielle, des fermetures d'usines, une nouvelle poussée du chômage. Il se peut cependant qu'avec l'aide des États et des banques centrales, le système financier s'en sorte une fois de plus, donnant une fois de plus à des économistes, des journalistes, des hommes politiques, l'occasion de s'émerveiller devant la souplesse du capitalisme.
Le cours des actions, en chute libre en août, est déjà reparti à la hausse. Depuis, la Bourse fait du yo-yo, avec même une forte hausse globale au mois de septembre. Selon ce qu'en rapporte le journal Le Monde, un gérant d'actions de WallStreet se serait interrogé : « La crise, quelle crise ? » . Les dirigeants des trois grandes banques, l'américaine Citigroup qui prévoit une chute de 60% de ses profits et les suisses UBS et Crédit Suisse, sont certainement moins portés à cette légèreté de ton, frappées que leurs banques ont été par les conséquences de leurs placements en titres spéculatifs basés sur les crédits hypothécaires américains.
Mais surtout, même si la crise financière actuelle est surmontée, le problème posé par la financiarisation croissante de l'économie ne sera pas réglé pour autant.
Il est significatif qu'alors que la crise financière rendait le crédit plus cher et plus difficile à obtenir, le journal économique Les Échos annonçait : « L'Américain Carlyle vient de lever un nouveau fonds de 5,35 milliards d'euros pour faire des LBO en Europe. C'est le double de la taille de ses deux précédents fonds européens. Si les grands fonds ne semblent pas avoir de difficultés à lever de l'argent frais, les plus petits actionnaires pourraient souffrir. »
Passons sur le jargon technique. Disons seulement que Carlyle est un des plus grands fonds spéculatifs américains et que les LBO sont une forme très spéculative d'achat à crédit d'entreprises.
Pendant l'effondrement financier dû à la spéculation, la spéculation continue ! Le casino de la finance mondiale reste ouvert.
La crise aura balayé une certaine quantité de petits spéculateurs en même temps qu'elle aura emporté les logements d'un grand nombre de ménages modestes. Mais les plus gros repartent dans de nouvelles spéculations ou dans les mêmes. L'inventivité des financiers a créé de longue date des instruments pour spéculer, aussi, à la baisse.
Il paraît, par exemple, qu'aux États-Unis, après la débâcle de l'immobilier, de nouvelles officines financières apparaissent pour exploiter le fait que l'accroissement brutal du nombre de logements disponibles pousse les prix à la baisse. « C'est le moment d'acheter ! », voilà le cri de guerre des courtiers de ces officines pour placer de nouveaux crédits.
La baisse du dollar par rapport à l'euro, avec les difficultés qu'elle recèle pour les exportateurs des pays d'Europe, ouvre d'ailleurs un nouveau champ pour la spéculation. L'existence de l'euro a, certes, mis fin à la spéculation monétaire entre les pays d'Europe concernés. Mais elle n'a pas mis fin à la possibilité de spéculation entre l'euro et le dollar, sans parler de la livre sterling anglaise, du franc suisse ou du yen japonais. Il n'est pas difficile de prévoir que les capitaux spéculatifs qui quittent l'immobilier iront ailleurs, et pourquoi pas vers la spéculation sur les monnaies, c'est-à-dire sur les variations du taux de change entre ces différentes devises.
Un système en folie
C'est un système fou. Bien des économistes, et pas seulement ceux qui se revendiquent du courant altermondialiste, en dénoncent la folie. Généralement pour réclamer plus de régulation ou, encore, une action politique décidée « pour séparer le bon grain de l'ivraie », le capital productif du capital spéculatif.
Débat relancé après l'intervention massive des banques centrales dans la crise présente. Les altermondialistes dénoncent, à juste titre, ces interventions qui sauvent la mise aux spéculateurs et qui constituent un encouragement puissant à la spéculation. Pourquoi se gêner alors que, dans ce jeu de casino planétaire, quand on gagne, on empoche, et quand on perd, l'État - ou les banques centrales - éponge vos pertes ?
Mais comment séparer le capital productif du capital spéculatif ? C'est le même capital ! Les fonds spéculatifs les plus aventuriers sont souvent des émanations des banques les plus respectables. Ils en sont à lever des capitaux consacrés à la spéculation auprès des entreprises productives elles-mêmes.
Bien sûr, la dérégulation et la mondialisation financière donnent aux crises de l'économie capitaliste de nouvelles formes. Mais les crises de l'économie capitaliste ne datent pas des dérégulations.
Alors, s'il importe d'essayer de comprendre chaque crise particulière de l'économie capitaliste, d'essayer d'en démonter les mécanismes et de montrer ses dégâts pour les classes exploitées, on ne peut le faire qu'en reliant tout cela au fonctionnement de l'économie capitaliste.
La critique des aberrations de l'économie capitaliste d'aujourd'hui ne se limite pas au milieu altermondialiste. Elle vient parfois de hauts responsables de l'économie capitaliste, il est vrai que c'est généralement lorsqu'ils ne sont plus en fonction. Un homme comme Stiglitz, prix Nobel d'économie en 2001 et ex-économiste en chef de la Banque mondiale, en est le prototype, lui qui résumait ainsi, dans un article-débat publié sur le site du journal Les Échos, sa critique du fonctionnement de l'économie : « Un régime commercial international injuste qui fait obstacle au développement ; un système financier international instable qui débouche sur des crises à répétition, à l'issue desquelles les pays pauvres se retrouvent dans une situation d'endettement insurmontable ; et un dispositif international de propriété intellectuelle qui empêche l'accès à des médicaments abordables capables de sauver des vies alors que le sida ravage le monde en développement. (...) Alors que l'argent devrait circuler des pays riches vers les pays pauvres, au cours des dernières années c'est l'inverse qui s'est produit. Les riches sont mieux préparés face aux fluctuations des taux d'intérêt et de change, et les pauvres font les frais de cette volatilité. »
Et le chroniqueur économique du Monde, Éric Le Boucher, n'ayant pourtant pas une réputation de gauchiste ni même d'altermondialiste, de s'enflammer : « (Les banques) empruntent des milliards aux banques centrales et, saisies d'horribles craintes sur leur propre santé et sur celle de leurs consœurs, elles refusent de se prêter entre elles »... « Des gens si bien payés ont fait des bêtises, ils ne méritent aucune impunité. Ils doivent nettoyer leurs écuries, estimer dès maintenant l'ampleur de leurs pertes, le dire, reprendre les crédits normaux à l'économie réelle et prendre les moyens pour s'interdire de recommencer. Sinon, il faudra le leur imposer » (Le Monde du 9-10 septembre 2007).
Bien entendu, même dans leur indignation, ces gens-là ne se posent pas en adversaires du capitalisme. Au contraire, ils souhaitent l'améliorer, rendre son fonctionnement moins cahotique. Lorsqu'ils proposent une autre politique économique, c'est à la bourgeoisie qu'ils la proposent.
Mais les altermondialistes aussi, même si le ton de leurs critiques peut être différent.
L'auteur de l'article déjà cité du Monde diplomatique, aux sympathies altermondialistes visibles, a publié sur son site Internet un complément à son article, sous le titre : « Comment protéger l'économie réelle ? » : « Disons d'emblée clairement les choses : la véritable solution en la matière, celle qui doit impérativement demeurer à l'horizon d'une politique alternative, consistera à fermer pour de bon le casino et à mettre les roulettes au feu ». Comment ? Par le « découplage entre sphère réelle et sphère financière », en pratiquant par exemple « un taux (d'intérêt) pour l'économie réelle, un taux pour les amateurs de montagnes russes spéculatives ». Et de citer avec nostalgie les dispositifs mis en place aux États-Unis lors du New Deal, séparant les banques commerciales des banques d'investissement, « avec interdiction formelle aux premières de s'aventurer dans le champ des secondes et réciproquement ».
Stiglitz, de son côté, prône « la réforme du système de réserve mondial », « le commerce équitable », « réduire le champ de la corruption ». Alors que certains d'entre eux souhaitent clairement que des États prennent des mesures de régulation, voire protectionnistes, d'autres se contentent de faire appel à l'autodiscipline, à la conscience de la bourgeoisie capitaliste de ses intérêts généraux.
Mais, même dans le cadre de la démarche qui est la leur, ils se heurtent à cette réalité de l'économie capitaliste que Lénine avait résumée dans cette formule : « Un capitaliste est prêt à vendre la corde pour le pendre ».
Le moteur et la limite du fonctionnement capitaliste de l'économie sont le profit individuel. On a vu que, même dans la crise actuelle, tout le monde savait que la spéculation immobilière conduisait à la catastrophe. Une multitude de dictons dans le milieu boursier reprennent l'idée que « les arbres ne montent pas jusqu'au ciel ». Mais l'intérêt collectif de sa classe a rarement empêché un capitaliste individuel de se dire « après moi, le déluge » et d'essayer d'engranger jusqu'au dernier euro ou dollar du dernier coup spéculatif qui précède l'effondrement.
Bien sûr, une crise financière débouchant sur une crise économique généralisée peut mettre l'économie dans un tel état de décomposition que la bourgeoisie adopte la politique proposée par tous ces critiques ou, du moins, certains de ses éléments : étatisme, régulation, protectionnisme, etc. Cela s'est bien fait pendant la crise déclenchée en 1929, et rien ne permet d'affirmer que cela ne pourrait pas se refaire.
Mais l'étatisme de ces années de crise, aussi bien sous sa variante molle du New Deal aux États-Unis que sous sa variante féroce pour les classes exploitées de l'économie nazie sous Hitler, n'avait nullement pour objectif de rationaliser le capitalisme, pas plus qu'il n'en avait les moyens.
Les objectifs de l'étatisme, du protectionnisme, ont été, au contraire, de sauver la mise au grand capital et au fonctionnement capitaliste de l'économie dans cette période de crise.
C'est précisément dans cette période d'étatisme économique et de protectionnisme que Trotsky a insisté, dans Le Programme de Transition, sur la nécessité absolue de contrôler les banques et leur fonctionnement : « Impossible de faire un seul pas sérieux dans la lutte contre le despotisme des monopoles et l'anarchie capitaliste qui se complètent l'un l'autre dans leur œuvre de destruction si on laisse les leviers de commande des banques dans les mains des rapaces capitalistes. » Et il fixe, parmi les objectifs du Programme de Transition, celui de l'expropriation des banques privées, leur fusion dans une banque unique et l'étatisation du système de crédit sous le contrôle de la population.
Ces lignes restent pleinement d'actualité, dans une période où, certes, la crise financière n'a pas débouché sur une dépression économique généralisée, mais où, cependant, la financiarisation étouffe progressivement l'économie. Et, comme à l'époque, ce qui manque, ce n'est pas la perspective représentant les intérêts des classes exploitées et, plus généralement, de la société, mais la force pour l'imposer ou, plus exactement, la conscience politique pour mettre cette force en mouvement.
4 octobre 2007