Les élections présidentielle et législatives ont dessiné la physionomie de la scène politique institutionnelle pour les cinq années à venir - du moins si la vie politique devait se limiter à la scène institutionnelle et si, de plus, le nouveau président, Sarkozy, ne s'avise pas, comme son prédécesseur, de jouer à la dissolution intempestive. La droite l'a emporté largement en plaçant un des siens à la présidence et son principal parti, l'UMP, s'est assuré la majorité absolue à la Chambre des députés.
Que la droite cumule les deux positions n'est certes pas un fait exceptionnel. Ce qui l'est bien d'avantage, c'est qu'elle y parvienne après avoir déjà monopolisé le pouvoir pendant les cinq années précédentes.
Depuis 1981 et le retour de la gauche au pouvoir, après vingt-trois ans d'abstinence, les élections législatives ont systématiquement abouti à une alternance. Le camp qui gouvernait, déconsidéré par ces années de règne, laissait le pouvoir à l'opposition qui, à son tour, se déconsidérait à la législature suivante. C'est ce qui fait le charme de la démocratie parlementaire aux yeux de la bourgeoisie : quand une politique est déconsidérée aux yeux d'une majorité d'électeurs, ce n'est pas la politique qui change, mais l'équipe chargée de l'appliquer.
Démentant un précédent d'un quart de siècle, après et malgré cinq ans de pouvoir, la droite a réussi à se succéder à elle-même.
Imbu tout autant de lui-même que du succès de son parti au premier tour, Borloo n'a pas pu s'empêcher d'annoncer trop tôt le projet d'une TVA sociale. Mal lui en a pris, l'opinion publique a interprété, à juste titre, le projet d'une hausse de cinq points de la TVA comme une augmentation des prix du même ordre. Du coup, l'électorat de gauche s'est partiellement remobilisé, témoignant au passage d'une réactivité qui avait tout d'un avertissement en direction de la majorité de droite contente d'elle-même. L'UMP a payé la leçon de 35 sièges de députés : l'électorat n'était pas prêt à tout avaler.
Quant au Parti socialiste, il a eu droit à l'heureuse surprise de sauver les meubles. Il est même parvenu à gagner 58 sièges de plus et est passé de 149 députés à 207 par rapport à la législature précédente.
De son côté, le Parti communiste, que d'aucuns avaient déjà rayé de la carte, retrouve, à trois sièges près, le même nombre de députés que dans l'Assemblée précédente. Bien sûr, entre les 21 sièges que le PC détenait avec les apparentés et les 18 qu'il sauvegarde, il y a la fameuse barre des 20 députés exigés par le règlement de l'Assemblée pour pouvoir constituer un groupe parlementaire. Mais le PC a déjà contourné le problème en s'entendant avec les Verts et quelques non-inscrits pour constituer un groupe technique. Et qui sait, la majorité finira peut-être par accepter que la barre descende de vingt à quinze députés, comme le souhaite le PC.
Les acteurs sont donc installés sur la scène, le spectacle peut commencer. Sarkozy dispose d'une majorité absolue pour faire passer toutes les mesures qu'il veut faire passer. La gauche constitue cette opposition numériquement forte qu'elle avait réclamée aux électeurs pendant la campagne électorale.
La classe possédante ne risquait rien, de toute façon, en cas d'alternance. Elle peut cependant se féliciter d'avoir au gouvernail l'équipe politique la plus proche de son cœur et de sa vision politique. Avec Sarkozy, ex-avocat d'affaires, ex-maire de la ville huppée de Neuilly, ami personnel de quelques-unes des grandes familles bourgeoises de ce pays, elle a, à la présidence, un homme qui servira ses intérêts non seulement par obligation professionnelle, mais par conviction intime.
En annonçant par avance quelques-unes des mesures qu'il comptait prendre, les unes pour favoriser les riches, les autres pour écraser un peu plus les classes populaires, Sarkozy a même réussi à faire de son succès électoral une sorte de plébiscite en faveur de la politique qu'il entendait mener. Quoi de mieux pour la bourgeoisie que de pouvoir prétendre que le mal que ses serviteurs politiques au pouvoir feront aux classes laborieuses, ils le feront avec l'approbation des victimes ?
La politique prévisible de Sarkozy
La situation économique et les besoins de la bourgeoisie définissent la politique de Sarkozy bien plus sûrement que tous ses discours et engagements. L'orientation politique fondamentale de tous les gouvernements qui se succèdent est, de longue date, de préserver les profits de la classe capitaliste dans un contexte économique poussif.
La bourgeoisie est incapable d'élargir les bases de la production et refuse d'investir à long terme. Elle vit et s'enrichit surtout d'opérations financières. L'endettement de l'État n'est qu'une des expressions d'une économie vivant à crédit.
La bourgeoisie vit de plus en plus en prédateur sur l'économie, qu'elle décompose bien plus qu'elle ne la développe. Elle le fait avec la complicité de l'État qui, progressivement, livre aux intérêts privés, c'est-à-dire à la bourgeoisie, tout ce qui, dans l'économie, ne fonctionne pas tout à fait suivant les lois du marché et de la concurrence, services publics compris. Les avatars de ce qui fut, il n'y a pas si longtemps, EDF-GDF illustrent tout à la fois cette décomposition économique et l'avidité parasitaire de la bourgeoisie.
Contrairement à la légende entretenue si longtemps par la gauche et surtout le PCF, EDF-GDF nationalisée n'a jamais été au service de l'ensemble de la population. Elle a toujours été au service des entreprises, c'est-à-dire de la bourgeoisie. Mais au moins elle fonctionnait en fonction des intérêts généraux de cette dernière, à laquelle elle fournissait, sans à-coups dans les prix ou dans la continuité des approvisionnements, l'énergie nécessaire au fonctionnement correct des entreprises. Après avoir découpé EDF-GDF en deux entités concurrentes l'une par rapport à l'autre, voilà que depuis le 1er juillet, le marché de l'énergie est livré à la concurrence et à la course au profit des fournisseurs.
Les gouvernements de gauche comme de droite ont donc livré le secteur de l'énergie aux appétits des capitaux privés. L'État avait assuré, au fil des décennies, les gros investissements - les barrages comme les centrales nucléaires coûtent cher. Aux capitaux privés d'en tirer profit. Les plumitifs de la presse et des médias, et les économistes payés pour louer l'excellence d'un système économique aberrant, vont vanter les mérites de la concurrence et prétendre que les consommateurs y gagneront car cela se traduira par une baisse des prix. Ils savent que, dans tous les pays d'Europe de l'Ouest, de l'Angleterre au Danemark, partout où le monopole de l'État a été brisé au profit des capitaux privés et de la concurrence, cela s'est traduit par une augmentation de 70 %, 80 %, voire plus, du prix de l'énergie. Comment pourra-t-il en être autrement, en France, puisqu'évidemment les groupes capitalistes qui s'introduisent dans ce secteur le font pour tirer le meilleur profit de leur placement ?
Il n'est pas difficile de deviner que ces sociétés privées, d'un côté, augmenteront les prix et, de l'autre, chercheront à faire des économies sur les investissements. Les consommateurs payeront pour le premier aspect. Toute la société paiera pour le second, car les économies faites sur les investissements se traduiront par une dégradation de l'outil de production. L'Angleterre en a fait la triste expérience : la concurrence introduite dans les chemins de fer a non seulement conduit à des hausses de prix, mais surtout à l'arrêt des investissements même simplement de maintenance, avec les conséquences dramatiques pour le fonctionnement du réseau ferroviaire. Le capital financier trouve son compte dans ce genre d'opération. Les profits financiers sont en hausse, et les revenus de la haute bourgeoisie avec.
Mais cette économie de prédation ne crée pas de richesse. Elle permet seulement aux groupes financiers les plus puissants de mettre la main dessus.
Il faut bien pourtant que des richesses continuent de se créer, pour que les capitaux rapportent. Les profits élevés depuis plusieurs années, le montant des dividendes distribués, reposent en dernier ressort sur l'aggravation de l'exploitation de la classe ouvrière.
Il s'agit en premier lieu, bien sûr, de l'aggravation de l'exploitation directe dans les entreprises : le blocage des salaires, la flexibilité du temps de travail, l'aggravation de son intensité, la généralisation de la précarité. Là, le maître d'œuvre est directement le patronat, et l'État se contente d'un rôle d'auxiliaire, de " facilitateur ", en assouplissant la législation du travail, en adaptant les lois aux conditions exigées par le patronat. Mais pour peser sur ces différentes formes de salaire différé que sont les cotisations patronales pour la Sécurité sociale ou la Caisse de retraite, l'État est en première ligne pour porter les coups aux salariés. Les attaques contre les services publics, services qui, dans une certaine mesure, compensent l'insuffisance des salaires, ont la même signification. L'État, au lieu de faire des transferts des classes riches vers les classes pauvres pour compenser, un peu, l'inégalité sécrétée par le fonctionnement de l'économie capitaliste, fait l'inverse. Les diminutions de la part patronale des cotisations sociales, qui représentent des sommes colossales, finissent par être payées par les classes populaires par un moindre remboursement des médicaments, par la franchise pour les actes médicaux qui, de fait, écartent du système de soins une fraction croissante de la population.
Sarkozy a eu le cynisme d'annoncer un certain nombre de mesures qui sont exigées par la bourgeoisie et il y en aura bien d'autres si cela ne dépend que d'eux. Mais il y en a eu bien d'autres déjà avant, sous les gouvernements de droite précédents comme d'ailleurs sous les gouvernements de gauche.
La feuille de route de Sarkozy est donnée par la classe capitaliste. Quant au fond, elle ne diffère pas de celle de ses prédécesseurs. Il ne lui reste qu'à la mettre en musique. Mais c'est justement là où le bât blesse ou, en tout cas, peut blesser. Car le rôle d'un Sarkozy, comme de tous les dirigeants politiques, est de faire en sorte que cette politique passe sans provoquer de remous et, à plus forte raison, sans provoquer d'explosion sociale. Et quand bien même Sarkozy tient le Parlement, il ne contrôle pas les réactions qu'il peut provoquer dans la population.
D'autant qu'il n'est pas évident qu'il tiendra si facilement sa propre majorité parlementaire. Les premières récriminations sont venues de ceux qui, dans la foulée de l'élection de Sarkozy et d'un premier tour triomphal aux législatives, se croyaient déjà députés, avant de voir le siège leur échapper. Ils ont été relayés par ceux qui se sont sentis lésés par les quelques places offertes à des transfuges venant de la gauche.
Les notables alsaciens de droite, par exemple, n'ont toujours pas digéré la place offerte au si peu socialiste Bockel, maire de Mulhouse, alors que tant d'entre eux se voyaient bien à sa place de secrétaire d'État. Sans parler de la prime que sa nomination offre à Bockel dans les futures compétitions électorales, aux régionales, aux municipales, etc.
La fidélité de ces notables à Sarkozy est à la mesure de l'avantage qu'ils en tirent pour leur propre carrière. Ces députés, ces notables, cette base de la droite bien réactionnaire, ne sont ni disposés à faire des risettes aux dirigeants syndicaux ni à céder des prérogatives à leurs concurrents de gauche.
Mais il ne s'agit là que d'un tout petit ennui dans leur exercice du pouvoir. Le véritable problème pour Sarkozy, c'est comment éviter et, le cas échéant, atténuer, les réactions venant de la part de ceux, dans les classes populaires, qui sont les victimes désignées des mesures qu'il se prépare à prendre.
Les politiciens de la droite, bien que plus proches du cœur de la bourgeoisie, ont cet inconvénient qu'ils ont moins que la gauche la faculté de créer des illusions dans les classes laborieuses. C'est d'ailleurs l'ultime argument de la gauche réformiste pour se faire bien voir par la bourgeoisie : les " réformes ", c'est-à-dire les mesures anti-ouvrières prises par la gauche, suscitent moins de vagues que celles de la droite. Ce n'est pas toujours vrai, loin de là, et Mitterrand comme Jospin ont connu des mouvements sociaux. Les mesures prises par la droite suscitent cependant a priori plus de méfiance dans les classes populaires.
La prudence de Sarkozy depuis qu'il a accédé à l'Élysée montre qu'il est conscient des risques venant de la rue (ou ses conseillers en sont conscients pour lui). Sarkozy candidat faisait de la démagogie en direction de l'électorat de droite, extrême droite comprise. Sarkozy président doit imposer des mesures anti-populaires en évitant de susciter des réactions susceptibles d'être préjudiciables à la bourgeoisie. C'est le même Sarkozy et c'est la même politique. Mais il sait qu'aussi lié qu'il soit à la bourgeoisie, celle-ci ne lui pardonnerait pas si, en prenant des mesures même exigées par elle, il déclenchait dans la classe ouvrière des réactions susceptibles de s'étendre, de se généraliser et de menacer la bourgeoisie dans ses intérêts.
Tout laisse penser que Sarkozy cherchera à s'entendre avec les directions et les appareils syndicaux. Le fait qu'il ait reçu les dirigeants des confédérations syndicales avant même d'être investi est plus qu'un geste électoral, c'est l'annonce d'une orientation politique. Il ne s'agit pas seulement d'obtenir la caution, directe ou hypocrite, des directions syndicales à l'égard des mesures que le gouvernement compte prendre. Encore faut-il que cette caution soit crédible. Les dirigeants syndicaux sont d'autant plus enclins à accepter une politique de " négociations entre partenaires sociaux " que c'est aussi leur politique. Mais pour temporiser, pour canaliser lorsque cela se révélera indispensable, il faut qu'ils disposent d'une certaine autorité.
La gauche réformiste a été prise complètement à contre-pied par les débuts du gouvernement Sarkozy-Fillon. Pas seulement par le fait que quelques-uns de ses représentants les plus connus ont accepté de jouer le jeu d'ouverture de Sarkozy en se jetant sur les postes ministériels qui leur ont été concédés, mais aussi par le fait même de cette politique d'ouverture. Mais au fond, il ne pouvait pas en être autrement. Pendant toutes les campagnes électorales, le principal axe de la gauche a été d'attaquer Sarkozy pour ses méthodes, dénoncer son autoritarisme, son goût pour l'exercice solitaire du pouvoir. La virulence des attaques contre les méthodes de Sarkozy était cependant destinée à masquer l'absence d'opposition au contenu de sa politique. Mais comment la gauche aurait-elle pu attaquer Sarkozy vraiment sur ce terrain, alors que la politique qu'elle proposait n'était guère différente ? Et voilà que Sarkozy, loin de chercher à écraser l'opposition de gauche au Parlement, lui offre une présidence de commission et annonce son intention de lui donner un statut et un rôle.
Il s'agit là plus que d'un geste destiné à embarrasser le Parti socialiste. Il s'agit de donner l'impression que ce dernier a un rôle en tant qu'opposition. La constitution d'un " cabinet fantôme " à l'initiative d'Ayrault, en singeant ce qui se pratique en Angleterre, est passablement ridicule. Mais elle est destinée à montrer que l'opposition de gauche entend être " constructive ". La démarche de Sarkozy à l'égard de l'opposition parlementaire procède de la même démarche que celle vis-à-vis des dirigeants syndicaux. Sarkozy a tout intérêt à ce que le mécontentement ou la colère que susciteront ses mesures ne s'exprime que sous la forme de débats parlementaires dans l'hémicycle ou dans les couloirs de l'Assemblée nationale. Mais là-dessus, le Parti socialiste est pleinement en accord avec lui. " Le Parlement plutôt que la rue ", voilà l'essence de la politique de tous les partis qui se placent sur le terrain de la bourgeoisie. Le moulin à paroles du Palais Bourbon, c'est la démocratie. L'explosion d'en bas, la rue, les grèves, c'est l'anarchie ou, pire, le saut dans l'inconnu.
Contrairement aux mensonges de la gauche réformiste qui ont présenté l'élection de Sarkozy comme une catastrophe, ce n'est pas un pouvoir fort. Pas plus que ses prédécesseurs. Il n'a à sa disposition ni plus de policiers, ni des bandes armées civiles susceptibles de jouer le rôle d'auxiliaires de répression. Il n'a pas plus de moyens que ses prédécesseurs d'affronter la classe ouvrière si elle se mettait en colère. Il cherche à éviter l'affrontement. Ses inquiétudes reflètent, par un effet de miroir, la force potentielle du monde du travail.
L'évolution du Parti socialiste
C'est peu dire que, depuis son échec à la Présidentielle, le Parti socialiste est en crise. Les causes n'en sont pas, ou en tout cas pas seulement, les ambitions rivales de ses dirigeants. Avec la non-élection de Ségolène Royal, s'est close une époque historique, celle ouverte par la signature du Programme commun de 1972, c'est-à-dire la réintégration du Parti communiste, à l'époque encore électoralement puissant, dans la vie politique française.
Le Parti socialiste n'a pu revenir au pouvoir, avec Mitterrand, puis à plusieurs reprises au cours du quart de siècle passé, qu'avec l'aide du Parti communiste. Aide politique d'abord, car c'est l'alliance avec le Parti communiste qui a redonné, pendant toute cette période, au Parti socialiste son crédit dans l'électorat de gauche. Aide électorale enfin, parce que le Parti communiste a joué le rôle de ramasse-votes en livrant au PS, au deuxième tour, les votes recueillis par le PC au premier, quand bien même il ne s'est pas purement et simplement effacé dès le premier tour, comme en 1974, devant le " candidat commun de la gauche ", Mitterrand.
Le Parti communiste a chèrement payé cette stratégie d'alliance avec le Parti socialiste. Depuis le Programme commun, son influence électorale n'a cessé de diminuer, au point aujourd'hui qu'il n'est plus capable d'apporter au Parti socialiste le complément qui lui serait nécessaire pour revenir au pouvoir gouvernemental.
Pendant toute une période, le Parti socialiste a récupéré ce que perdait le PC en influence électorale. Le total des voix de gauche restait sensiblement le même et cela malgré les changements dans la répartition à l'intérieur de la gauche. Même dans ces conditions, la gauche n'a pu être majoritaire que parce qu'une partie des voix de droite était détournée vers le FN. Avec le recul de l'influence électorale du FN, le rapport entre la droite parlementaire et la gauche réformiste a basculé très nettement en faveur des premiers.
Son propre électorat est insuffisant pour permettre au Parti socialiste de revenir au pouvoir. L'influence électorale du PC étant devenue ce qu'elle est, le Parti socialiste a besoin d'alliés de rechange. Il ne les trouvera pas à gauche, mais il peut espérer les trouver du côté du centre. Ce n'est pas le débat confus au deuxième et au troisième degrés entre dirigeants socialistes qui indique la direction que prendra l'évolution de leur parti, mais la nécessité objective de changer de stratégie pour pouvoir constituer une majorité gouvernementale.
Aux élections de 2007, le Parti socialiste et le centre de Bayrou n'ont fait que se croiser, mais les appels de Strauss-Kahn et même de Hollande à constituer un parti plus large, plus ouvert vers le centre s'entend, constituent des indices pour l'orientation future et peut-être des premiers pas. En constituent aussi, des gestes comme celui de Ségolène Royal annonçant récemment que même le peu qu'elle avait dit en faveur des travailleurs dans son programme pendant la campagne présidentielle, comme le smic à 1500 euros, pourtant en brut et pas en net, et en fin de législature seulement, elle l'avait dit contrainte et forcée, et qu'elle-même n'était pas d'accord, pas plus qu'elle n'était d'accord avec la généralisation des 35 heures. De quoi se faire accepter par l'électorat de Bayrou ? Dans centre-droite, il y a droite.
L'avenir dira quelle forme et combien de temps prendra l'évolution du Parti socialiste vers la droite. Passera-t-elle par de simples alliances électorales circonstancielles avec Bayrou ? Ira-t-elle jusqu'à la fusion organique ? Si tel devait être l'aboutissement, l'évolution se ferait au profit de Bayrou car la fusion organique se ferait sur la base du programme du centre-droite, pas sur celui du Parti socialiste.
Cela fait bien longtemps que le Parti socialiste est devenu un parti bourgeois comme les autres. Les liens ténus qu'il a conservés avec le monde du travail datent d'un lointain passé de parti ouvrier, rafraîchi à partir de 1981 par son alliance avec le Parti communiste. Mais l'électorat populaire est resté, pendant toute une époque historique, fidèle à ces deux partis qui représentaient la gauche. Et cette fidélité a survécu à des périodes où, tantôt séparément, tantôt ensemble, les deux partis ont mené des politiques particulièrement réactionnaires et particulièrement opposées aux intérêts politiques du monde du travail, comme au lendemain de la guerre ou encore en 1956 et la guerre d'Algérie.
Mais cette fidélité est une survivance d'un passé qui s'éloigne et que les passages de la gauche au gouvernement et les déceptions que ces passages ont engendrées, n'ont pu qu'atténuer. Pour reprendre le charabia des politologues, l'électorat est devenu volatil. Le Pen dans un premier temps, et Sarkozy maintenant, ont tiré profit de cette désorientation, de cette démoralisation de l'électorat naguère de gauche. La notion même de gauche et de droite, leurs différences et leur opposition, n'ont plus grand sens depuis bien longtemps. Si l'on compare la politique menée par les uns ou par les autres lorsqu'ils dirigent le gouvernement, elles finissent pas ne plus signifier grand-chose, guère plus que ce qui sépare, aux États-Unis, le Parti républicain du Parti démocrate, malgré le discours à la mode pendant la campagne électorale.
Ce tournant du Parti socialiste vers le centre laissera probablement un espace politique sur la gauche du Parti socialiste. C'est cet espace politique qu'espérait capitaliser à son profit la nébuleuse dont les chefs de file sont issus du PC ou du PS, sans parler des outsiders comme Bové, ou tous ceux qui, comme la LCR, cherchent à capter le vent qui souffle.
Au pire pour eux, ce ne sera justement que du vent. Au mieux, toujours pour eux, ce sera une répétition de ce qui s'est passé à la fin des années cinquante et au début des années soixante, lorsque le Parti socialiste s'était tellement déconsidéré en menant la guerre en Algérie après avoir promis la paix, puis en se couchant devant De Gaulle, qu'il s'est trouvé des hommes, tel Rocard notamment, pour capitaliser à leur profit les déceptions et pour attirer vers le PSU ceux notamment qui ne voulaient pas rester dans une SFIO déconsidérée.
Dans les conditions d'aujourd'hui, un tel parti pourrait attirer, outre les déçus du PS et du PC, les déçus des Verts et toute une partie des altermondialistes et des associatifs.
Ce qui est en tout cas certain, c'est que même si cet espace politique sur la gauche du Parti socialiste s'élargit et se consolide, et même s'il se trouvera des individus ou des forces politiques qui sauront créer un parti susceptible d'occuper cet espace, cela ne résoudra en rien la nécessité de créer un parti qui se situe exclusivement sur le terrain des intérêts politiques de la classe ouvrière. Cela ne constituera même pas un pas dans cette direction.
Voilà l'avenir qui est inscrit dans la dynamique de la situation actuelle. Mais cet avenir peut être bouleversé par l'intervention d'en bas, celle des masses exploitées, aujourd'hui désorientées, mais que les coups successifs du patronat et du gouvernement finiront par exaspérer et pousser vers la seule voie de sortie : celle de la lutte, des grèves, de la mobilisation.
Seule une nouvelle période d'essor des luttes ouvrières pourra modifier le rapport de forces entre les travailleurs et le patronat. Mais elle recréera, aussi, les conditions dans lesquelles un parti représentant réellement les intérêts politiques de la classe ouvrière, et rien que ces intérêts, pourra enfin se reconstituer.
29 juin 2007