Cet article est une traduction d'un article paru dans Class Struggle (n° 66, mars-avril 2006), revue publiée par les militants britanniques de l'Union communiste internationaliste (UCI - Workers'Fight).
L'avant-projet de réforme de la protection sociale du gouvernement Blair -qui vise plus particulièrement les bénéficiaires de l'allocation d'invalidité, c'est-à-dire la fraction la plus vulnérable des travailleurs sans emploi- a été présenté le 24 janvier par le ministre du Travail et des Retraites, John Hutton. Mais il n'a pas suscité la levée de boucliers attendue, contrairement à ce qui s'était passé en 1999, lorsque 65 députés travaillistes s'étaient opposés à un projet similaire, confrontant Blair à sa première rébellion parlementaire importante.
Pourtant, le principal objectif de cette réforme reste une réduction drastique des 2,7 millions de bénéficiaires de l'allocation d'invalidité. Mais il faut dire que, tirant les leçons du passé, le gouvernement a pris grand soin de "relooker" son projet.
C'est ainsi qu'aujourd'hui, le projet de Hutton parle bénignement du "droit au travail" de chacun. Mais c'est pour introduire aussitôt l'idée bien moins innocente qu'il faut en finir avec la "culture d'assistanat" et contraindre les travailleurs en invalidité à prendre un emploi sous peine de perdre leurs allocations. Il semblerait que cette présentation hypocrite ait suffi à clore le bec à toute opposition dans les rangs des parlementaires travaillistes -au moins pour le moment- et même à assurer au gouvernement le soutien de commentateurs habituellement critiques de sa politique sociale.
Suivant la procédure parlementaire, cet avant-projet aurait dû passer par une longue période de "consultation" avant de se transformer en projet de loi. Mais cette période de consultation a été raccourcie, puisqu'elle doit s'achever le 21 avril, et le gouvernement compte mettre son projet à exécution dès le mois de juillet. Il faut donc croire que Hutton ne s'attend pas à rencontrer de réelle opposition.
Le point d'orgue proclamé de cette réforme est le but grandiose d'atteindre un taux d'emploi de 80% parmi la population en âge de travailler. Non pas qu'un calendrier précis ait été défini pour réaliser cette "aspiration". Seul est précisé que, dans ce but, il faudra réintégrer trois millions de personnes dans le marché du travail d'ici à 2025.
Mais à qui entend-on offrir le "droit au travail" pour atteindre ce taux d'emploi de 80%? L'avant-projet répond de la façon suivante:"Pour atteindre notre objectif, nous réduirons d'un million le nombre de bénéficiaires de l'allocation d'invalidité, nous aiderons 300000 parents célibataires à trouver un emploi et nous augmenterons d'un million le nombre de vieux travailleurs".
Pourtant, d'après l'Office national de la statistique, le total des offres d'emploi est actuellement d'environ 616 800, ce qui est déjà bien insuffisant pour fournir un emploi aux 902 400 chômeurs officiellement reconnus. Alors, que dire des 2,7 millions d'allocataires en invalidité, sans parler des parents célibataires ni des travailleurs âgés que le gouvernement entend "aider" à retrouver un emploi!
La politique proposée est d'autant plus absurde quand on sait que seuls 40 % des employeurs envisageraient d'embaucher une personne souffrant d'une affection psychique (les malades souffrant d'une telle affection constituent un tiers des allocataires en invalidité), tandis que 90 % d'entre eux estiment qu'embaucher des personnes aveugles ou malvoyantes serait "difficile voire impossible".
Mais bien entendu, cette nouvelle "réforme" ne vise pas du tout à "aider" ceux qu'elle choisit pour cible, mais bien plutôt à les priver de toute allocation sociale. Pour les ministres de Blair, le calcul est simple: l'allocation invalidité coûte, à elle seule, 10,4 milliards d'euros par an à l'État, soit un quart du budget annuel de la défense ou encore l'équivalent du coût de trois années d'occupation militaire en Irak. À quoi il faut ajouter diverses allocations spécifiques en fonction des types d'invalidité et autres compléments de ressources, de sorte que la facture réelle pour l'État approche les 18,5 milliards d'euros. Et c'est précisément le montant de cette facture que le gouvernement veut réduire.
Un régime coercitif
Comment cette réforme sera-t-elle mise en œuvre? Dans le langage de cet avant-projet, le "fondement" de sa stratégie consistera à "simplifier" le système actuel d'allocations. À partir de 2008, une nouvelle "allocation d'emploi et de soutien" remplacera l'ensemble des allocations dont bénéficient les travailleurs souffrant de maladies chroniques ou de handicaps. Mais la gestion de cette allocation se fera via un "portique" amélioré, qui évaluera leur état pour déterminer leur aptitude au travail, plutôt que les allocations auxquelles ils peuvent avoir droit (comme si, d'ailleurs, ce n'était pas déjà le cas). Cette évaluation serait faite sur une période de douze semaines. Et d'ores et déjà, le ministère a sous-traité ce "portique" à une firme privée, pour une durée de sept ans. Atos Origin, la firme qui empochera les 740 millions d'euros de ce contrat, emploie déjà 250médecins permanents pour aider de grandes entreprises à faire la chasse aux arrêts-maladie.
Une fois que les intéressés auront passé ce "portique", ils seront tenus de rechercher des interviews d'embauche, de se plier à des objectifs et de participer à des activités qu'on leur assignera pour les "aider" à retrouver un emploi. S'ils refusent, ou s'ils ne se conforment pas aux exigences de leurs conseillers, leur allocation sera réduite progressivement jusqu'au niveau de l'allocation chômage (360 euros par mois).
Seule exception: les personnes souffrant manifestement de handicaps sévères et permanents qui les empêchent de travailler recevraient l'allocation sans condition, et pour un montant supérieur au montant actuel -ce qui, en passant, revient à admettre que le niveau actuel des allocations est bien trop faible.
Pour compléter ce régime coercitif, des mesures préventives seront prises pour réduire le nombre de travailleurs susceptibles de tomber dans le régime de l'invalidité, en prenant, paraît-il, des mesures contre les risques de maladie du travail, des poumons et du dos en particulier, et contre les accidents du travail. Donc, un autre aspect de cette noble stratégie sera "l'amélioration de la santé au travail" (sic), avec la "création de lieux de travail qui soient bons pour la santé". Mais, bien sûr, on ne trouve pas un mot sur le régime coercitif qui s'appliquerait aux patrons pour les forcer à se plier à cette stratégie!
Qui plus est, la réforme comporterait "une meilleure administration des absences pour aider les employés malades à rester au travail ou à reprendre le travail le plus tôt possible". Dans ce but, les médecins généralistes et les équipes locales de Santé auront pour consigne d'"aider" les travailleurs à reprendre le travail et des incitations financières seront intégrées dans ce but dans le contrat de travail des personnels médicaux! En d'autres termes, on achètera la complicité des médecins pour aider le gouvernement et le patronat à faire la police des arrêts-maladie parmi les travailleurs!
Pour le cas où ce ne serait pas suffisant, des conseillers de l'ANPE seront postés dans les cabinets médicaux -ce qui se fait déjà dans quelques régions pilotes, à titre expérimental. Leur tâche est "d'enregistrer les arrêts de travail dans le cadre d'une bonne pratique médicale", ce qui, quand on enlève le jargon, signifie qu'ils sont là pour surveiller les médecins et les empêcher de donner trop d'arrêts-maladie. Ces mesures sont censées permettre un "audit" du système des indemnités maladie, qui seront à leur tour "réformées" pour "s'assurer qu'elles aident les salariés à rester au travail". En fait, le gouvernement souhaite réduire les tâches de gestion des arrêts de travail qui incombent aux entreprises, tout en rendant ces arrêts plus pénalisants pour les travailleurs. La réforme prévoit en particulier de supprimer le versement du salaire de base pendant les trois premiers jours d'arrêt, les indemnités journalières, nettement plus faibles, démarrant dès le premier jour.
Le "portique" prévu par la réforme, qui est déjà en place à titre expérimental dans une partie du pays, est d'ores et déjà présenté comme un grand succès et sera donc généralisé en juillet. Toute personne en incapacité de travailler se verra attribuer un conseiller personnel chargé de déterminer... sa capacité à travailler. Elle sera ensuite orientée vers des activités de réinsertion et intégrée dans un programme de réhabilitation assorti de conditions, comme quelques séances de psychothérapie ou d'entretiens pour les personnes souffrant d'une affection psychique ou des séances de gymnastique encadrées pour les personnes présentant des problèmes de dos. Si les personnes concernées ne se conforment pas à ces obligations, elles verront leurs allocations réduites. Le comble est que ces sanctions, comme la décision de choisir le type d'activités médicalisées le plus approprié, incomberont à des employés de l'ANPE qui, après une "formation" de 26 jours, seront considérés comme parfaitement compétents pour déterminer les besoins médicaux de travailleurs frappés d'invalidités diverses!
Ce programme, qui nécessite la collaboration active des "conseillers" et d'autres personnels médicaux et paramédicaux, va être autant que possible confié aux secteurs privé et associatif, comme c'est d'ailleurs déjà le cas dans certaines des zones pilotes.
Malgré les affirmations du gouvernement, il est difficile de trouver des preuves concrètes du prétendu succès de ce programme dans les zones pilotes où il a été appliqué. Polly Toynbee, une journaliste de l'hebdomadaire The Observer, qui est par ailleurs une fervente admiratrice de cette réforme, note néanmoins que, dans les zones pilotes, l'allocation mensuelle de 250 euros qui est versée pendant douze mois aux anciens allocataires de l'invalidité acceptant de reprendre un emploi est "l'une des clés du succès phénoménal de ce portique". Le fait que ces personnes peuvent retourner à leur ancien statut (après douze mois, quand les 250 euros cessent de leur être versés?) est présenté par Toynbee comme un autre signe de l'esprit très "progressiste" du programme.
Quelques anecdotes fournies par la BBC sont pourtant révélatrices. Trois employeurs sont cités pour avoir embauché des travailleurs en invalidité. Le premier représente une entreprise qui recrute du personnel pour la chaîne d'hôtels Marriott et juge que ces recrues sont d'excellents candidats pour les emplois qu'elle propose, sans doute parce qu'il devient difficile aujourd'hui de trouver de la main-d'œuvre pour les emplois les plus sous-payés de la restauration et de l'hôtellerie. Le deuxième employeur cité est ISS, entreprise danoise qui assure le nettoyage des gares et des trains et paie strictement le salaire minimum (7 euros de l'heure). Le troisième est une plate-forme d'appels de la compagnie électrique nPower, qui, parce qu'elle est localisée dans une zone industrielle en ruines dans le nord-est de l'Angleterre, a du mal à recruter. C'est tout dire!
Ces exemples permettent en tout cas de comprendre pourquoi les 250 euros de prime versés par l'État sont tellement essentiels au succès du "portique": il s'agit simplement d'une subvention au patronat, par laquelle l'État prend en charge une partie du salaire de ces travailleurs sous-payés.
Parents célibataires, plus de 50 ans, etc.
Après les travailleurs en invalidité, le projet de réforme prend pour cibles les parents célibataires. Le gouvernement prétend avoir déjà atteint un taux d'emploi de 56,6 % dans cette catégorie. Depuis 1997, il semble que le nombre de parents célibataires touchant les allocations sociales ait baissé de 230 000. La question qui se pose maintenant est: comment les allocataires restants vont-ils être "incités" à renoncer à cette allocation?
Le gouvernement va imposer aux municipalités l'obligation d'augmenter leur capacité d'accueil dans les garderies, jardins d'enfants et crèches -mais bien sûr, sans débloquer un penny pour leur en donner les moyens. D'après le ministère du Travail et des Retraites, les employeurs proposeraient déjà des postes qui permettent aux parents d'enfants de moins de 6 ans ou de mineurs handicapés d'aménager leurs horaires de travail au titre du "droit à la flexibilité du travail", "droit" que le gouvernement se targue d'avoir mis en place! En d'autres termes, les parents célibataires n'ont décidément aucune excuse pour ne pas reprendre un emploi.
Un nouveau projet pilote va être mis en place pour les travailleurs qui élèvent seuls un enfant de 11 ans ou plus. Ils n'auront plus le droit d'invoquer la charge d'élever leurs enfants pour demander le bénéfice d'allocations sociales. À 11 ans, les enfants sont considérés suffisamment grands par le ministère pour se débrouiller seuls. Les parents concernés recevraient une "prime pour l'emploi", sorte d'incitation à reprendre une activité. Faute de quoi, ils seraient tenus de se soumettre plus souvent à des "entretiens de réinsertion" pour continuer à recevoir leur allocations sociales. Autrement dit, la pression va encore augmenter.
Le projet indique par ailleurs que d'ici à 2024, plus de la moitié de la population sera âgée de plus de 50 ans. Mais, "alors même que l'espérance de vie aura augmenté, le temps passé au travail diminuera... Si le taux de chômage des plus de 50 ans est bas, leur taux d'activité est faible, et nombreux sont ceux qui arrêtent de travailler tôt en raison de problèmes de santé". Et que propose le gouvernement britannique? D'accorder "généreusement" aux chômeurs de plus de 50 ans le même traitement que celui infligé aux chômeurs plus jeunes. Autrement dit, ils seraient tenus de se soumettre au harcèlement rendu obligatoire par la réforme!
Mais qui a transformé ces travailleurs de plus de 50 ans en chômeurs? Qui les a contraints à prendre une retraite anticipée parce qu'ils n'étaient plus assez rapides ou souples, ou parce qu'ils étaient complètement épuisés, malades ou handicapés en raison-même de leur exploitation? Combien de travailleurs manuels après vingt ou trente ans de travail ne souffrent pas de troubles musculo-squelettiques ou d'autres lésions dues à des efforts répétés et à des postures éprouvantes, sans parler des troubles cardio-vasculaires favorisés par les heures supplémentaires et le travail en équipe? Et ce sont précisément ces travailleurs que le gouvernement entend contraindre à reprendre une activité, et comme si cela ne suffisait pas, pour un salaire bien inférieur à leur salaire antérieur! Une telle politique est décidément obscène.
Le projet s'attaque également aux allocations-logement car, bien évidemment, ses initiateurs entendent ne laisser intacte aucune prestation sociale. Actuellement, les allocations-logement coûtent au gouvernement 19 milliards d'euros par an. Ici aussi, la baisse de l'allocation est présentée comme une proposition de "simplification" d'un système excessivement complexe. Cela fait longtemps que le sujet est dans les cartons des gouvernements successifs. L'offre de logements sociaux accessibles aux chômeurs et aux travailleurs pauvres ayant diminué d'année en année, les gouvernements conservateurs avaient subventionné les propriétaires privés, en leur versant directement l'allocation-logement, leur permettant ainsi de maintenir leurs loyers à un niveau élevé.
Mais les loyers atteignant de nouveaux records dans le privé, l'allocation devient trop chère pour le Trésor. Une étude a donc été conduite pour évaluer la possibilité de revenir au paiement direct des loyers par les locataires, étude dont les conclusions sont reprises par le projet de réforme. L'allocation-logement sera donc déterminée par une estimation du marché de l'immobilier local. Si le loyer payé est supérieur au loyer-type évalué, la différence sera à la charge du locataire -ce qui, au passage, permet d'augmenter la part de loyer à la charge des locataires. Les allocataires seront donc incités à l'avenir à "prendre leurs responsabilités": soit économiser sur les dépenses alimentaires pour payer leur loyer, soit être expulsés.
Un lourd bilan de misère sociale
Ce projet de réformes n'est bien sûr que la continuation de celles déjà mises en place dans les années quatre-vingt et quatre-vingt-dix, tant par les conservateurs que par les travaillistes, prétendument pour "sortir les pauvres de la misère" ou "pour ramener les inactifs sur le marché de l'emploi".
Il est particulièrement intéressant de faire le bilan de ces réformes aujourd'hui, et notamment de celle concernant la lutte contre la pauvreté chez les enfants. Car la réalité sociale de la Grande-Bretagne d'aujourd'hui est à l'opposé de tous les succès dont le gouvernement se vante sur le plan social.
La publication des dernières statistiques concernant la pauvreté infantile en Grande-Bretagne, le 9mars 2006, a montré à quel point le gouvernement était loin de ses objectifs déclarés. Alors qu'en 1999, Blair avait promis de réduire de moitié le nombre d'enfants vivant en-dessous du seuil de pauvreté (4,1 millions à l'époque) avant 2010, et de supprimer complètement la pauvreté infantile en 2020, ces derniers chiffres indiquent une baisse de 700 000 seulement. Si bien que la proportion des enfants vivant sous le seuil de pauvreté est deux fois plus élevée en Grande-Bretagne que dans la moyenne des pays d'Europe continentale.
Le phénomène des enfants pauvres étant lié à ceux des bas salaires et du sous-emploi, sa persistance reflète les conséquences de la politique d'"aide au retour à l'emploi" des travaillistes. Mais il est également lié au niveau dérisoire des allocations versées aux plus pauvres. Et ce qui rend cette politique encore plus scandaleuse, c'est le projet de Hutton de réduire ces allocations "petit à petit", si les allocataires ne se conforment pas aux règles coercitives qu'il entend leur imposer pour les forcer à reprendre une activité. N'est-il pas par ailleurs évident que les personnes qui ne satisfont pas aux critères sont souvent les plus fragiles socialement et les plus handicapées par toutes sortes de conditions aggravantes?
Le niveau actuel des allocations sociales est si bas qu'il est impossible de dire, comme le fait le gouvernement, qu'elles constituent une "incitation négative" à la recherche d'emploi.
L'allocation actuelle pour incapacité de travail, qui est attribuée sur présentation d'un certificat médical et sous réserve d'acceptation du ministère, est versée pendant une courte période et varie entre 370 et 430 euros par mois, tandis que l'allocation d'invalidité de longue durée se situe autour de 480euros mensuels. Certains allocataires peuvent bénéficier en plus de diverses allocations sociales, suivant leur situation familiale, si leur revenu est en-dessous d'un certain niveau.
Quant aux chômeurs, ils bénéficient dans le meilleur des cas d'un montant total d'allocations s'élevant à 611 euros par mois (pendant six mois au plus), ce qui les place juste en-dessous du seuil de pauvreté. Mais il en va de même de bien des travailleurs. Par exemple, un salarié occupant un emploi de 16 heures par semaine au salaire minimum touchera 713 euros par mois, mais il perdra une grande partie des diverses allocations auxquelles il avait droit en tant que chômeur. Un couple avec deux enfants ayant un revenu inférieur à 1 650 euros est officiellement considéré comme vivant en-dessous du seuil de pauvreté. Or, au salaire minimum actuel, un emploi de 40 heures par semaine ne rapporte que 1200 euros par mois! Pour survivre, il lui faut compter sur les crédits d'impôts accordés par l'État -qui ne sont rien d'autre qu'une généreuse subvention financée par les contribuables aux entreprises qui refusent de payer à leurs salariés de quoi vivre décemment.
Dans le meilleur des cas, voilà l'avenir promis aux trois millions de travailleurs que le gouvernement a choisi de prendre pour cible dans le cadre de sa réforme.
Derrière les mensonges du gouvernement
Finalement, la seule chose que les travaillistes trouvent à dire pour justifier ces attaques contre la classe ouvrière est qu'ils pourront ainsi atteindre leur objectif d'un taux d'emploi de 80 %. Mais qui peut y croire? Ou plus exactement, quel en sera le coût pour la classe ouvrière, si on tient compte du fait qu'aujourd'hui, malgré la baisse sévère du niveau de vie des travailleurs, le taux d'emploi réel est bien loin de ce qu'affirment Blair et Brown?
D'après l'Office national de la statistique (ONS), le taux d'emploi actuel de la Grande-Bretagne est de 74,5 % des personnes en âge de travailler. Mais même si c'était vrai, ce taux ne dit rien sur le type d'emploi occupé.
Il est cocasse de noter que la définition officielle de l'emploi utilisée par l'ONS pour obtenir son taux de 74,5 % inclut toute personne ayant travaillé au moins une heure durant la semaine précédant l'enquête! Ce taux comprend également les travailleurs volontaires et tous ceux qui sont en formation, alors même que cette dernière catégorie est constituée majoritairement de personnes suivant des programmes gouvernementaux et recevant des allocations sociales.
Se pose également le problème du décompte double ou triple des travailleurs qui occupent plusieurs emplois, avec comme conséquence un gonflement artificiel du taux d'emploi. Cela tient au fait que les effectifs de l'emploi sont calculés en mesurant deux variables: le nombre d'emplois, déterminé d'après les données communiquées par les employeurs, et le nombre de personnes occupant un emploi, qui est fourni par l'enquête de l'ONS sur les travailleurs en activité, basée sur un échantillon d'entretiens. L'ONS affirme que ces deux variables sont globalement identiques, dans la mesure où le nombre de deuxième, troisième, quatrième, etc., emploi de chaque travailleur est également comptabilisé. L'ONS estime ainsi que 1,07 million de travailleurs (soit 3 % des actifs) exercent plusieurs activités. Mais ce chiffre est probablement bien loin de la réalité : une enquête récente menée par un fonds de retraite mutuel, la Liverpool and Victoria Friendly Society, indique par exemple qu'un travailleur sur quatre occupe plusieurs emplois. L'enquête précise également que la moitié des travailleurs concernés font au moins dix heures supplémentaires par semaine en plus de leur emploi habituel.
En fait, les travaillistes prétendent que leur taux d'emploi record représente 2,3 millions d'emplois supplémentaires "créés" sous leur mandat. Quand ils arrivèrent au pouvoir en 1997, le taux officiel d'emploi était déjà supérieur à 70 %, et considéré comme un taux record. À l'époque, on estimait que parmi les personnes actives, 250 000 étaient employées en intérim -autrement dit, dans ce qu'on appelle depuis des "boulots MacDo".
En 2003, le ministère du Commerce et de l'Industrie (DTI) estimait que le nombre d'intérimaires était monté à 600 000. Et ce chiffre n'inclut pas les plus de 230 000 travailleurs issus des dix nouveaux pays de l'Union européenne enregistrés comme travaillant en Grande-Bretagne entre mai 2004 et juin 2005, qui sont majoritairement passés par l'intermédiaire d'agences de placement. On peut donc supposer que les boulots MacDo concernent plus vraisemblablement entre 800000 et un million de travailleurs, sans même compter les formes d'emplois précaires où les patrons se chargent directement du recrutement.
Depuis 1997 également, alors que cette précarisation du travail s'est accrue, 830 000 emplois à temps plein ont été "perdus" dans la production industrielle. Autrement dit, dans les huit à neuf dernières années, le véritable "apport" des travaillistes à l'économie britannique a consisté à remplacer des emplois à temps plein stables et pas trop mal payés par un nombre équivalent d'emplois précaires sous-payés. Voilà ce que signifie le "marché du travail flexible" vanté par Gordon Brown.
Cela dit, même si on s'en tient aux chiffres du gouvernement, 25,5 % des personnes en âge de travailler sont actuellement sans emploi. Mais seule une faible proportion de ces travailleurs sans emploi apparaît dans le taux officiel du chômage -actuellement de 5,1%-, relativement bas comparé à celui d'autres pays riches et utilisé par Brown pour faire étalage du "succès" de sa politique économique.
Mais ce taux ne prend en compte que les personnes sans emploi qui ont recherché activement un emploi dans les quatre semaines précédentes et qui sont en mesure de reprendre une activité dans les deux semaines. Le nombre de demandeurs est encore plus bas (2,9 %) car il ne comprend que ceux qui ont droit à l'allocation de recherche d'emploi, pendant les six mois où elle est versée.
Toute personne souhaitant travailler mais qui ne recherche pas activement un emploi est considérée comme "économiquement inactive" et n'entre donc pas dans les statistiques du chômage. Cette catégorie correspond à 20,4 % des personnes en âge de travailler, soit près de huit millions: 1,8 million d'étudiants de plus de 16 ans, 2,3 millions de personnes "en charge de famille ou au foyer", 2,2 millions de personnes en longue maladie et 1,7 million qui ne reçoivent pas d'allocation et ne recherchent pas un emploi. Ces 1,7 million comprennent également, outre des handicapés, des travailleurs qui ont perdu leurs droits à allocations en raison du durcissement des critères. Et ces chiffres ne font, bien sûr, pas apparaître les travailleurs qui ont perdu leur emploi mais ne souhaitent pas faire une demande d'allocation en raison des contrôles et du harcèlement permanents. Seuls 50 à 70 % des personnes qui y ont droit font effectivement une demande d'allocation de recherche d'emploi: ce chiffre parle de lui-même.
En fait, le nombre de personnes "économiquement inactives" en âge de travailler a atteint un sommet inégalé en décembre 2005. D'après une étude du gouvernement publiée cette année, "l'un des principaux facteurs qui favorisent ces taux d'inactivité est le nombre de bénéficiaires de l'allocation d'invalidité, qui a considérablement augmenté ces vingt dernières années".
C'est ce type "d'étude" qui sert de justification à cette réforme de la protection sociale. Mais les chiffres réels des huit ou neuf dernières années, sous le gouvernement de Blair, montrent que le nombre de personnes recevant l'allocation d'invalidité n'a augmenté que de 16500, soit 0,6%! En revanche, le nombre de personnes en âge de travailler recevant l'allocation incapacité (1,4 million) a baissé de 100000 !
En tout cas, on peut difficilement prétendre que c'est l'augmentation du nombre de bénéficiaires de l'allocation d'invalidité qui a entraîné la hausse récente des "économiquement inactifs". Mais c'est un mensonge bien pratique pour les travaillistes.
Sous un langage politiquement correct, cette réforme qui prétend "aider" ceux qu'elle prend pour cible, ne doit tromper personne. Non seulement elle s'attaque aux personnes handicapées et aux catégories les plus vulnérables de la classe ouvrière, mais comme le montrent clairement les dispositions qu'elle prévoit pour les arrêts-maladie, elle s'en prend de fait à tous les travailleurs.
Et comment pourrait-il en être autrement, de la part d'un gouvernement qui, alors même qu'il parle de protection sociale pour les sans-emploi, est en train de supprimer des milliers d'emplois parmi le personnel chargé de fournir cette protection sociale, gérer les allocations-chômage? Car le projet de réforme se garde bien de mentionner les 30000emplois en cours de suppression au ministère du Travail et des Retraites, ni les 15000 salariés des ANPE qui ont déjà rejoint les rangs des chômeurs!
La seule réponse que mérite ce projet de réforme, c'est celle de la lutte.
12 mars 2006