Tribune - Et si on se faisait un petit référendum ?

Εκτύπωση
Eté 2004

Avertissement : Les lecteurs de Lutte de Classe savent qu'il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire qui soumet des textes différents de ceux de la majorité aux votes de nos camarades, lors de nos conférences nationales. Ces textes sont systématiquement publiés dans nos colonnes. Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée, c'est-à-dire en fraction. Ils s'expriment désormais régulièrement dans ces colonnes.

Ça n'a donc pas traîné. S'il fallait un exemple comme quoi les élections n'engagent que les électeurs qui croient qu'il va être tenu compte de l'opinion qu'ils expriment par leur vote mais surtout pas les politiciens qui feignent de la leur demander en se présentant à leurs suffrages, on ne pourrait guère en fournir de meilleur que ces élections européennes, survenues elles-mêmes dans la foulée des régionales de mars.

Comme si de rien n'était

Exemple fourni d'abord par la droite, aujourd'hui aux commandes de l'État. Bien sûr, Jean-Pierre Raffarin averti par la raclée électorale reçue deux mois auparavant, avait pris ses précautions. Ces élections européennes, voyez-vous, ne le concernaient pas, ni lui ni sa politique. Personne ne pouvait songer à sanctionner l'un ou l'autre par son vote. Il avait même poussé la grandeur d'âme à appeler à voter soit pour l'UMP, soit pour le PS, c'est-à-dire le principal parti d'opposition, au prétexte d'inviter les électeurs à ne pas gaspiller leur voix sur les petites formations qui au Parlement européen ne comptent pas et ne peuvent faire entendre la voix de la France.

On ne pouvait pas mieux dire que le gouvernement entendait bien continuer sa politique contre vents et marées, urnes et bulletins de vote. Certes, aurait-il même plus ouvertement engagé son sort avant les élections, qu'il n'aurait sans doute pas davantage tenu compte des résultats. Tous les membres du gouvernement s'étaient impliqués dans la campagne des régionales (à un moment, il faut le dire, où les sondages ne prédisaient pas encore au parti gouvernemental la déroute qu'il allait subir). Le gouvernement n'en a pas moins poursuivi comme si rien n'était, Jacques Chirac se contentant de virer quelques ministres ou secrétaires d'État qui comptaient pour du beurre mais confirmant, geste essentiel, le premier ministre lui-même.

Le gouvernement fait donc ce qu'il avait annoncé, après avoir annoncé ce qu'il ferait : poursuivre l'offensive tous azimuts contre les travailleurs et les classes populaires. La présentation des textes privatisant l'EDF-GDF et le plan de " réforme " de la Sécurité sociale devant l'assemblée nationale se font très exactement selon le calendrier établi.

Le Parti socialiste a tout son temps

Personne n'attend sans doute de ce gouvernement qu'il entende les électeurs lorsque ces derniers le désavouent. Mais que dire de l'attitude de la prétendue opposition, lorsque les mêmes électeurs l'approuvent ! Car les vainqueurs des élections aussi bien régionales qu'européennes, le Parti socialiste et tous ses leaders, François Hollande en tête, ont fait campagne en appelant à sanctionner le gouvernement en votant pour leurs listes. Les électeurs l'ont fait. Que fait donc maintenant le PS pour faire appliquer la sanction ?

Hollande au soir du 13 juin a bien appelé à la démission de Raffarin. Après les régionales le PS avait déjà fait mine de rager devant le maintien à son poste du chef du gouvernement. Sans y croire certainement, puisqu'il reste muet sur la manière de l'imposer. Ou plutôt puisqu'il condamne par avance et sans appel la seule voie qui permettrait à coup sûr d'évincer Raffarin et faire échec à sa politique. " Par les urnes, pas par la rue " avait sentencieusement énoncé le premier secrétaire du PS dès le soir du premier tous des régionales. Des fois que les électeurs, dans l'enthousiasme de la victoire, envisagent d'installer de force un des éléphants du parti à Matignon !

En fait l'immense majorité de ceux qui ont voté contre Raffarin se moquent bien du nom du premier ministre. C'est sa politique qu'ils entendaient condamner, et ont en effet condamnée par deux fois.

Et c'est sur les moyens de changer celle-ci et d'en imposer une autre que le PS reste muet. Non, le PS n'a rien à proposer à ceux qui lui ont accordé une certaine confiance sinon de continuer à le faire et de patienter. Car il faut être éminemment patient avec un parti qui avoue sans fard qu'il se donne encore dix-huit mois pour élaborer le projet politique qui pourrait lui servir de programme pour les élections de 2007 (présidentielles et législatives). Le PS sait qu'il appellera à voter pour lui, mais il ne sait pas encore pour quoi ! Le PS espère revenir au pouvoir mais il ne sait pas la politique qu'il y mènera alors ! Le PS prétend n'avoir toujours pas d'idée sur les problèmes de toutes sortes qui assaillent les couches populaires aujourd'hui et pour lesquels elles réclament justement une autre politique. Emploi, chômage, salaires, services publics, sécurité sociale ? Connaît mal ! Besoin de 18 mois supplémentaires pour se faire une position ! Le vide politique complet. Il n'y a qu'en candidats à la candidature que le PS connaît le trop plein.

Le leurre

Sans doute ces candidats sentent-ils que les perspectives offertes par leur parti risquent d'apparaître un peu minces et de laisser les électeurs sur leur faim. Les voilà donc qui, à peine les urnes rangées, se sont emparés de la question cruciale de la constitution européenne.

Certes, si un Laurent Fabius étale ses états d'âme à propos d'une constitution à laquelle il n'avait guère prêté attention jusqu'ici, c'est d'abord pour se placer auprès des électeurs et militants socialistes, tenter de prendre une petite longueur d'avance et faire un croche-pied à ses copains Dominique Strauss-Kahn, Jack Lang ou François Hollande.

Mais le tapage qui a commencé au PS et qui vient de tous les côtés et de toutes les tendances (les premiers à enfourcher ce cheval de bataille étant même les soi-disant courants de gauche, Nouveau monde d'Henri Emmanuelli ou Nouveau parti socialiste de Vincent Peillon ) a sans doute d'autres raisons que de servir les stratégies personnelles de tel ou tel " présidentiable ".

En fait cette question de la constitution européenne tombe même à pic pour un PS qui n'entend surtout pas s'impliquer dans les luttes sociales immédiates et urgentes. Quoi de mieux qu'un éventuel objectif - obtenir un référendum sur la constitution européenne - qui semble moins lointain que les élections de 2007 mais maintiendrait l'attention des électeurs sur le bulletin de vote ? Un objectif qui, même en admettant qu'il soit atteint et que Chirac le décide, n'obligerait pas plus, quel que soit le résultat du scrutin, le gouvernement à changer de politique que ne l'ont fait les régionales et les européennes ? Un objectif enfin qui est le leurre parfait pour les travailleurs et les militants qui, s'ils s'y laissaient prendre, seraient ainsi détournés des vrais problèmes comme des vrais terrains de lutte ? Ainsi, il y a dix ans, on a voulu faire croire à l'importance d'un référendum sur le traité de Maastricht. Et aujourd'hui encore des militants ouvriers abusés par le PCF (aussi parfois par certains groupes d'extrême gauche) voient en ce traité la cause de tous les maux, même si l'exemple actuel du gouvernement français, comme de plusieurs de ses homologues européens, montre qu'il sait s'asseoir sur les règles de Maastricht sans rien changer à sa politique anti-ouvrière.

La bourgeoisie peut décidément compter sur le Parti socialiste. Au gouvernement, on l'a encore vu avec Jospin, il mène les affaires du pays au détriment du monde du travail. Quand il perd les élections, comme lors des dernières présidentielles, il invite les travailleurs à reporter leurs suffrages et leurs espoirs sur la droite et Chirac... et quand il les gagne, il les lanterne dans l'attente de nouvelles élections.

Prolonger l'alliance LO-LCR

La politique du PS correspond sans aucun doute à sa vraie nature de parti de la bourgeoisie. Plus inquiétant serait de voir une partie de l'extrême gauche emprunter le même chemin.

On savait que l'alliance LO-LCR passerait par quelques turbulences en cas de mauvais résultat électoral, puisque cette alliance avait les élections pour seul objectif, même si certains dont nous-mêmes espéraient la voir déborder sur d'autres terrains, et d'abord le terrain social.

Le résultat des européennes fut effectivement mauvais. Celui des régionales lui-même n'avait pas été très bon (même s'il était loin avec plus de 4,5 % des suffrages de " l'échec " complaisamment relaté par tous les médias). Sans perspective d'élections avant trois ans, chacune des deux organisations va-t-elle donc reprendre ses billes et son bonhomme de chemin sans plus se préoccuper de ce que l'autre fait ou ne fait pas ?

À l'heure où nous écrivons, nous n'avons encore que des informations partielles ou incomplètes sur l'orientation arrêtée ou simplement esquissée par le tout récent Comité national de la LCR. Mais s'il s'avérait que la LCR entend consacrer l'essentiel de ses efforts dans les mois qui viennent à une campagne pour un " non de gauche à la constitution européenne ", cela signifierait que la LCR revient sur l'orientation qu'elle avait adoptée depuis un an et sur l'alliance avec LO, alliance fondée sur la nécessité d'une distinction claire entre la gauche bourgeoise et gouvernementale et l'extrême gauche révolutionnaire.

Car une telle campagne ne signifierait pas seulement que la LCR, qu'elle le veuille ou non, prêterait sa voix et ses forces militantes à l'opération de diversion que s'apprête à lancer la gauche. Elle signifierait aussi que la LCR met à nouveau au premier plan de ses préoccupations la recherche d'alliances du côté de la gauche de la gauche (cette nébuleuse qui va des opposants du PCF à la gauche du PS en passant par des courants Verts). Avec la circonstance aggravante que cette fois-ci, la gauche de la gauche pourrait bien englober jusqu'à des gens comme Laurent Fabius.

Les semaines et les mois qui viennent nous en apprendront certainement plus sur les intentions réelles de la LCR comme sur les nouveaux rapports de force qui en son sein auront pu naître de " l'échec " électoral.

Mais dès aujourd'hui le risque de voir la LCR dériver à nouveau devrait inciter LO à ne pas prendre une voie parallèle et ne pas tourner le dos à l'organisation trotskyste avec laquelle elle s'était alliée il y a près d'un an. Au contraire, ce serait une raison de plus pour ne pas se replier sur soi et chercher à prolonger cette alliance et l'étendre hors du champ électoral.

Évidemment, il ne peut être question d'une alliance LO-LCR dans une campagne pour un référendum sur la constitution européenne, voire pour un " non de gauche " au cas où ce référendum aurait lieu. Les deux organisations ne peuvent se retrouver sur des terrains où, à juste titre, Lutte ouvrière ne veut pas aller. Pas plus évidemment sur ceux où la LCR refuserait de mettre les pieds.

Mais, quels que soient les appels du pied que peut lui faire une partie de la gauche dite réformiste (bien qu'elle mérite de moins en moins ce nom) ou les yeux doux qu'elle-même peut faire à cette gauche, la LCR, en tout cas une grande partie de ses militants comme ceux de LO, reste préoccupée d'intervenir dans la lutte de classe et sur les problèmes qui sont ceux du monde du travail en ce moment même, le chômage et les licenciements, la casse de la Sécurité sociale ou celle des services publics ou d'autres que l'incessante activité anti-salariés du gouvernement et des patrons peut à tout moment mettre à l'ordre du jour.

Les occasions d'intervenir ensemble, à l'échelle locale comme nationale, ne peuvent donc manquer ou se réduire aux occasions électorales. N'est-ce pas là une raison suffisante pour tenter de prolonger l'alliance des deux organisations ?

24 juin 2004