France - Le bilan des élections européennes

Εκτύπωση
Eté 2004

Les élections européennes ont prolongé et accentué la démonstration politique des élections régionales : la droite gouvernementale a été, de nouveau, désavouée et, de nouveau, au profit du Parti socialiste.

Les listes du PS, en obtenant 28,89 % des suffrages exprimés, dépassent, et de très loin, l'UMP et ses 16,64 %. Le parti dominant l'Assemblée est même talonné par l'UDF qui obtient 11,95 % des voix. Le Premier ministre s'est dépêché de s'annexer les voix de l'UDF, ainsi que celles des listes de Villiers et Pasqua. Mais si l'électorat des partis soutenant peu ou prou le gouvernement atteint ainsi 37,42 % des suffrages, leurs résultats respectifs illustrent non seulement la division de la droite gouvernementale mais aussi le fait que l'électorat de l'UMP reste minoritaire à l'intérieur de son propre camp.

Bien que divisé, l'électorat de droite reste cependant majoritaire dans le pays. L'ensemble de l'électorat de la gauche gouvernementale et de l'extrême gauche représente 46,21 % des électeurs alors que la droite et l'extrême droite représentent 47,50 % (le reste est partagé entre les autres listes, fort nombreuses, dont une majorité plutôt de droite. En région Ile-de-France, par exemple, 28 listes étaient en compétition).

Mais la répartition des votes par rapport au total des exprimés dissimule cet autre aspect, majeur, des élections européennes qui est l'importance de l'abstention : 57,21 % des électeurs n'ont pas jugé utile de se déplacer pour voter. C'est un record même par rapport aux élections européennes précédentes et, à plus forte raison, aux législatives et à la présidentielle. Est-ce en raison du nombre de scrutins en l'espace de trois mois : les deux tours des régionales, et les deux tours des cantonales pour la moitié de l'électorat ? Est-ce en raison du désintérêt à l'égard des élections en général ? Ou à l'égard de ces élections européennes qui, contrairement aux régionales qui décidaient de la composition de l'exécutif régional, n'avaient aucun enjeu de cette nature ?

Le fait est qu'aucun des partis n'a mobilisé complètement son électorat. Même pas le PS qui en sort victorieux. Les 4 960 426 voix, que le PS a obtenues aux européennes de 2004 et qui, en représentant 28,89 % de l'électorat, le placent de loin en tête, représentent un progrès d'à peine 300 000 voix sur les 4 610 113 de Jospin (16,18 %) lors du premier tour de la présidentielle de 2002, désastreux pour le PS. Et l'ensemble de l'ex-gauche plurielle qui, aux régionales de mars dernier, avait mobilisé 9 737 789 électeurs, n'en a mobilisé que 7 362 900 - tout en progressant en pourcentage, de 40,15 % à 42,88 %.

Derrière ces chiffres, il y a une réalité sociale différenciée. Les abstentions ont été particulièrement fortes dans les quartiers populaires. Dans certains bureaux de vote de quartiers à majorité d'ouvriers ou de chômeurs, l'abstention a dépassé 70 %, quand elle n'a pas talonné les 80 %.

Les bons scores du PS aussi bien aux élections régionales de mars qu'aux élections européennes de juin résultent de comportements électoraux différents. Lors des régionales,le PS est parvenu à mobiliser l'électorat populaire autour de l'idée du " vote utile " pour désavouer le gouvernement. Cette fois-ci, dans un contexte de très forte abstention, il lui a suffi que son électorat soit un peu moins démobilisé que d'autres.

Les deux comportements ont abouti cependant au même résultat politique. Non seulement l'électorat du PS s'est fait entendre, mais il a permis aux dirigeants du PS de se poser en représentants de tous ceux qui sont hostiles au gouvernement et à sa politique.

Malgré la politique menée par le gouvernement Jospin pendant cinq ans, une politique sur le fond aussi favorable au grand patronat que défavorable aux classes laborieuses, les deux élections successives ont remis en selle le PS. Il apparaît désormais comme la seule opposition crédible au gouvernement Chirac-Raffarin.

Que les électeurs des classes populaires aient choisi le vote en faveur du PS pour punir la droite de la politique que mène le gouvernement Chirac-Raffarin, ou qu'ils aient manifesté leur désintérêt à l'égard des élections en s'abstenant, le mécanisme électoral est ainsi fait que les deux attitudes ont, avec des plus et des moins, favorisé le PS. C'est un des pièges des élections dans un système où les électeurs sont, certes, conviés à élire leurs représentants une fois tous les quatre ou cinq ans, mais où, dans l'intervalle, ils sont obligés de les subir, quoi qu'ils fassent, sans possibilité de les révoquer. Du coup, l'électorat n'a que la possibilité de les désavouer quand l'occasion se présente, en tentant de rendre ce désaveu le plus perceptible possible, quitte à redonner du crédit à ceux qui ont été désavoués à l'élection précédente.

Les dirigeants du PS sont, du coup, en situation de prétendre aujourd'hui que l'électorat populaire a oublié le bilan négatif du gouvernement Jospin, ou l'a trouvé " moins pire " que celui de la droite. Pourtant, pendant les cinq ans de Jospin, les fermetures d'entreprises n'ont pas cessé, les licenciements massifs non plus et les mesures prises par le gouvernement allaient dans le sens des intérêts de la classe riche et rendaient plus difficile le sort du monde du travail. L'électorat populaire a désavoué la droite. Mais il a choisi de le faire en redonnant sa caution à ce Parti socialiste qui, s'il revient au pouvoir dans trois ans, mettra ses pas dans ceux de la droite - comme celle-ci a suivi le chemin tracé par le gouvernement Jospin.

C'est dans ce contexte que se situent les résultats des listes LO-LCR. Le nombre de voix obtenues par nos listes est en recul, non seulement par rapport aux résultats cumulés d'Olivier Besancenot et d'Arlette Laguiller à la présidentielle de 2002, ou encore par rapport aux élections européennes de 1999, mais aussi par rapport aux élections régionales de mars dernier.

Les élections constituent un thermomètre. Les résultats des listes LO-LCR montrent les limites de l'influence électorale et de l'implantation des organisations d'extrême gauche.

Lors de la présidentielle de 2002, après cinq années de gouvernement Jospin, une fraction significative de l'électorat de gauche s'était emparée des candidatures d'Arlette Laguiller et d'Olivier Besancenot pour marquer sa déception face à la politique de la gauche plurielle. Une partie de cet électorat, effrayée par la présence de Le Pen au deuxième tour, en lieu et place de Jospin - présence qui était pourtant moins due aux électeurs qui avaient voté pour Arlette Laguiller ou Olivier Besancenot qu'à ceux qui avaient voté pour les candidats de la gauche plurielle elle-même - avait exprimé son désarroi lors des législatives qui avaient suivi la présidentielle. Désorientation d'autant plus forte qu'après cinq ans d'un gouvernement socialiste qui avait mené une politique de droite, les dirigeants de la gauche avaient encore plus brouillé les repères politiques de l'électorat de gauche en l'appelant à voter pour Chirac.

Aux régionales, les listes LO-LCR ont retrouvé, avec 4,58 % des votes, cette fraction d'environ 5 % d'électeurs qui, depuis la présidentielle de 1995, constitue un électorat d'extrême gauche, que l'on a plus ou moins retrouvé dans toutes les élections par la suite, les élections de 2002 mises à part.

Aux européennes cependant, même cet électorat a choisi l'abstention, considérant comme inutile d'apporter son soutien aux listes d'extrême gauche. L'électorat du PS s'est proportionnellement plus mobilisé en faveur du parti qui représente ses convictions politiques que ne s'est mobilisée cette frange de l'électorat populaire qui, depuis une dizaine d'années, s'exprime sur les candidatures d'extrême gauche.

Ce constat montre à quel point les liens électoraux du courant révolutionnaire avec les classes populaires sont fragiles. Ce n'est un vote de conviction, l'expression d'une prise de position politique à laquelle on tient contre vents et marées, que pour une minorité de cette minorité qu'est l'électorat d'extrême gauche.

Nous n'avons jamais été de ceux qui pensaient que l'écroulement électoral du PCF " ouvrait un boulevard ", comme disaient certains, devant l'extrême gauche. Ce type de spéculation a toujours été hasardeuse, voire, par certains de ses aspects, franchement réactionnaire. Ce n'est pas pour rien que le PC a surmonté bien des périodes d'adversité (que l'on songe seulement à la période de la guerre froide). Il disposait d'un grand nombre de militants, de sympathisants, un peu partout dans le pays, du relais de femmes et d'hommes en chair et en os qui défendaient sa politique dans les entreprises, dans les quartiers populaires et jusque dans les cages d'escalier des cités HLM. La crédibilité électorale du PC dans les milieux populaires a même résisté à bien des divagations de ses dirigeants politiques, à bien des retournements de leur politique, précisément parce qu'elle n'était pas suspendue dans le vide : elle reposait notamment sur la présence de ces dizaines de milliers d'hommes et de femmes dont l'activité militante et le courage forçaient le respect de leur entourage.

Il est bien sûr possible dans certains contextes politiques de bénéficier momentanément d'une influence électorale au-delà de son influence réelle. Mais, sans cette présence militante dans le pays, sans ce maillage dans les classes laborieuses, sans cette implantation, il est illusoire de penser que les liens du courant communiste révolutionnaire résistent aux aléas de l'état d'esprit général de l'électorat populaire.

Le Parti socialiste, au temps où il ambitionnait de représenter le monde du travail et pas de plaire à la bourgeoisie, s'était conquis un électorat, minoritaire mais fidèle, à travers bien des activités et bien des combats, dont les combats politiques au moment des élections ne constituaient qu'une des composantes.

Ce fut la même chose pour le Parti communiste à ses débuts, sur la base d'un crédit qui venait en partie de celui du Parti socialiste. C'est ce crédit qui faisait que l'un puis l'autre se sont constitué un électorat qui votait pour son parti, non pas pour lui permettre de participer à des combinaisons gouvernementales de la bourgeoisie, mais pour affirmer des convictions et défendre un camp social.

Le courant communiste révolutionnaire n'a pas, aujourd'hui, ce type de crédit - ou pas assez. Pas assez de crédit pour que la fraction de l'électorat qui se retrouve dans ses idées ressente comme une nécessité d'aller voter, tout simplement pour rendre la plus forte possible l'expression d'un courant qui rejette la politique de la bourgeoisie, qu'elle soit menée par la droite ou par la gauche.

Trois ans nous séparent des prochaines élections. Sur le plan électoral, avec la droite au gouvernement menant une politique antiouvrière cynique, ces trois ans favoriseront peut-être encore le PS. Le champ est cependant libre devant l'activité qui, par-delà les élections (celles-ci,encore une fois, ne sont qu'un thermomètre), permet à une organisation communiste révolutionnaire d'élargir son influence là où elle est déjà présente, et d'assurer sa présence là où ce n'est pas encore assuré.

La plus ou moins grande difficulté dans ce travail est certes liée à l'état d'esprit général de la classe ouvrière et, en particulier, aux luttes qu'elle mènera dans la période à venir pour se défendre et à la nature de ces luttes.

L'ampleur de ces luttes et leur caractère plus ou moins général, plus ou moins conscient, ne dépendent pas, pour un avenir indéterminé, des forces limitées de l'extrême gauche révolutionnaire. Mais ce qui dépend de cette dernière, c'est la fidélité aux idées communistes révolutionnaires, le refus de les noyer pour favoriser des alliances électorales hypothétiques et la détermination de gagner, sur des bases politiques claires, de nouvelles forces dans la classe ouvrière et en particulier dans la jeunesse.

25 juin 2004