Tribune - Le front social

Εκτύπωση
Mars 2003

Avertissement : Les lecteurs de "Lutte de Classe" savent qu'il existe au sein de notre organisation une tendance minoritaire qui soumet des textes différents de ceux de la majorité aux votes de nos camarades, lors de nos conférences nationales. Ces textes sont systématiquement publiés dans nos colonnes. Ces camarades ont demandé à se constituer en tendance structurée, c'est-à-dire en fraction. Ils s'expriment désormais régulièrement dans ces colonnes.

La déferlante revient. Chaque jour annonce son plan de licenciements. Daewoo, MetalEurop, Pechiney, Air Lib, chaussettes Kindy, cristallerie Baccarat, Beguin Say... (Danone profite même de l'aubaine pour anticiper en catimini la fermeture des usines de Calais et d'Evry). L'Etat, lui, donne l'exemple à la Banque de France, à la Poste, à France Télécom... il ferme les petites maternités, les écoles de village, les lignes SNCF. Rentabilité oblige, l'heure est à la chasse à la proximité, même dans la police, c'est dire. Chirac tempête contre les patrons voyous. Raffarin se dit impuissant. Les voyous ont pignon sur rue, mais le droit de propriété est pour eux. Droit sacré. Leur fric peut rester au chaud ou filer, eux-mêmes n'ont pas besoin de se cacher. C'est le système qui veut ça. Ils ont même droit à de nouvelles mesures d'incitation, de pousse-au-crime : on double le nombre de zones franches urbaines sur tout le territoire, à la chinoise ! A eux les embauches sous-tarifées sans charges sociales... avant de déménager et d'aller sévir ailleurs. Ainsi ronronne l'usine à gaz de la voyoucratie patronale et ministérielle.

A patrons voyous, gouvernement voyou : indigné, compatissant ou patelin devant les caméras, brutal et impudent dans la réalité.

Car pour sévir, l'Etat sévit. Et donne le change : la prison pour les jeunes des halls d'HLM, les roms, les prostituées, les mendiants, et la rétention administrative aggravée pour les immigrés. Et qu'on se le dise, cette fois les actes suivront les paroles : Sarkozy demande à la police de privilégier la répression à la prévention. Vu le niveau de prévention actuelle, cela en annonce de belles dans les commissariats... La cible ? Les jeunes et les immigrés, les pauvres parmi les pauvres, tous ceux qu'en cherchant bien, on réussit peu ou prou à ranger dans la catégorie "délinquance". Restait les vieux... dont il est même question de confisquer une bonne part de l'Allocation personnalisée d'autonomie !

Ah, les vieux, justement, par qui la menace arrive. Le fléau annoncé du 21ème siècle ! Difficile d'en faire des délinquants. Mais ils s'acharnent à vivre plus longtemps, ils pullulent, ils envahissent, en un mot ils compromettent l'équilibre social, la prospérité, l'équité, la croissance, les lendemains qui chantent. Certes, la productivité du travail a plus que décuplé en 100 ans et la société aurait très largement de quoi assurer de bonnes retraites tout en diminuant la durée du travail et en augmentant les salaires. Certes, d'ici 2040, puisque c'est l'horizon de civilisation que l'on nous donne, il y aurait largement de quoi substituer progressivement au travail salarié, et pas seulement au soir de la vie, une existence plaisante pour tous faite de culture et d'échanges sociaux désintéressés. Ce serait sans doute plus rentable socialement que de fonctionner en permanence avec un volant de 10 % de chômeurs. L'humanité y gagnerait. Mais qu'adviendrait-il alors des sacro-saints 12 ou 15 % de retour sur investissement pour les actionnaires ? La fin d'un monde ! Du monde ? Halte-là. Ne touchez pas aux patrons voyous. a, c'est du ferme, du dur. a fait marcher le système, chômage, paupérisme et guerre pour le pétrole compris. On ne peut s'en passer. Mais les vieux ! Plus précisément les vieux salariés : voilà une charge insupportable. Il y aurait bien l'euthanasie... En coupant sérieusement dans les dépenses de santé on finirait bien par y arriver. En attendant, commençons par euthanasier les retraites.

Et voilà le grand projet de la décennie, qu'il s'agit de mener à son terme pour le nouveau siècle. Donc sus aux retraites des vieux travailleurs, et vive le capitalisme ! Vive la barbarie !

La campagne d'intox sur les retraites

Dans l'affaire des retraites, le gouvernement reprend le problème où il l'avait laissé en 1995. Comment s'attaquer de front au régime des fonctionnaires et aux régimes spéciaux, avant de laminer encore plus le régime général. La grève de l'hiver 1995 lui a laissé un souvenir cuisant et Chirac ne s'est pas fait faute de répéter qu'il fallait faire preuve de plus de subtilité.

En fait de subtilité, c'est toute une campagne d'intox et de mensonges qui nous est assénée, laquelle ne date pas seulement du gouvernement Raffarin. Cela fait plusieurs années que les ministres de droite comme de gauche distillent des rapports sur le prétendu problème démographique.

Le nouvel atout du gouvernement Raffarin, par rapport à celui de Juppé, tient à autre chose : les différentes confédérations syndicales sont devenues pleinement consentantes. En 1995, seule la CFDT relayait franchement la propagande gouvernementale. La CGT avait elle-même lancé la grève des cheminots, quitte à mettre tout son poids pour la faire cesser. En 2003, la CGT de Thibault a achevé son recentrage et se dit ouvertement une force de proposition... y compris sur le problème de la réforme des retraites, y compris sous un gouvernement de droite.

Jusqu'en janvier dernier, le gouvernement pensait la partie quasi gagnée d'avance. Jusqu'au NON des salariés d'EDF-GDF au référendum sur la réforme de leur régime spécial, que ni le gouvernement ni les dirigeants syndicaux n'avaient prévu (ces derniers ayant appelé au OUI !). Qui plus est, même si la démagogie anti-fonctionnaires semblait efficace auprès des travailleurs du secteur privé, ce NON des salariés d'EDF a été perçu avec satisfaction chez tous les salariés. Comme quoi il suffit parfois qu'un secteur de la classe ouvrière regimbe pour que les idées du plus grand nombre s'éclaircissent.

Mais à ce jour, la politique des confédérations syndicales CGT, CFDT, FO, CGC, CFTC, FSU et UNSA qui ont appelé aux manifestations du 1er février, n'est guère à la hauteur. Sous prétexte d' "unité", leur appel commun à manifester avait volontairement gommé toute revendication précise. Ce sont les manifestants eux-mêmes et les militants syndicaux d'entreprise ou d'unions locales qui avaient rattrapé le coup (auquel ils s'attendaient !) en apportant leurs banderoles et leurs pancartes, en particulier avec le slogan unitaire : 37 ans et demi pour tous !

Pour l'heure, aucune suite n'est proposée au 1er février. Les syndicats ne revendiquent... que des négociations, se plaignent seulement du manque de précision des propositions du gouvernement et demandent la constitution rapide d'un "groupe de travail" que Fillon et Raffarin viennent d'ailleurs de leur accorder prenant leur appel commun comme base de l'ordre du jour. Le gouvernement promet, suite à toute cette concertation, de présenter un projet en avril.

Ce qui est certain, c'est que personne, du côté des partis de gauche ou des syndicats, ne s'apprête à mener une véritable contre-campagne face aux mensonges gouvernementaux, et a fortiori une véritable mobilisation. Et pour cause. Ils sont partie prenante de ladite réforme et font leur le prétendu problème "démographique", comme la prétendue nécessité d'aligner le régime public sur celui du privé.

La mobilisation contre les licenciements et pour la garantie des retraites, un même combat
Chaque chômeur de plus est un cotisant de moins aux caisses de retraites.
Ce sont les patrons voyous qui vident les caisses de retraites, pas les retraités
Les bas salaires, les p'tits boulots, le temps partiel non voulu, représentent autant de manque à gagner en cotisations, autant de droits à la retraite en moins.
Sauver les retraites, cela voudrait dire les augmenter, pas les saborder !
Interdisons les licenciements, imposons l'augmentation générale des salaires, et il n'y aura plus de problème de financement des caisses de retraites.
Préparons les prochaines étapes de la lutte pour les retraites, l'emploi et les salaires.

Voilà les grands thèmes sur lesquels les grandes organisations ouvrières devraient mobiliser les travailleurs. Tant il est vrai que la nouvelle vague de licenciements, comme la nouvelle attaque qui se prépare contre les retraites, nécessiterait une riposte d'ensemble de la classe ouvrière. Mais les grands appareils qui prétendent représenter les salariés se gardent bien, ne serait-ce que verbalement, de les préparer à de telles échéances.

En réalité, seule les différentes organisations d'extrême gauche, chacune à sa façon et selon ses moyens, mènent aujourd'hui une telle propagande. Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire, en particulier, aussi bien dans les interventions télévisées de leurs porte-paroles que par leurs campagnes d'affiches respectives, mènent chacune à leur échelle ces mêmes thèmes propagandistes. A l'évidence, il y a plein accord là-dessus. Aussi bien sur la lutte contre les licenciements que sur la dénonciation de la réforme des retraites et de l'intox qui l'accompagne.

Une campagne commune de l'extrême gauche

Alors, pourquoi, sur ce front social déterminant où elles défendent les mêmes objectifs, avec les mêmes arguments, LO et la LCR, ne pourraient-elle pas mener ensemble la même campagne nationale, avec déclarations, conférences de presse, apparitions publiques communes, brochures et dépliants de propagande communs, voire meetings communs ? L'impact d'une telle campagne de propagande commune auprès de l'ensemble des travailleurs n'est bien sûr pas garanti. Mais dans le contexte actuel de licenciements massifs et d'inquiétude sur les retraites comme sur le reste, il y a une attente chez les travailleurs, à commencer chez les militants, à laquelle les grandes confédérations ne répondent pas.

Sur le terrain des licenciements, des militants syndicaux, à Daewoo, Danone, ACT, Metaleurop, Arcelor et ailleurs, tentent de sortir du piège de la résistance isolée en prenant l'initiative de rencontres inter-entreprises. Espérons que leurs initiatives vont se concrétiser et aboutir à des mobilisations réussies qui redonneront espoir à tous les travailleurs.

Il y a à l'évidence une certaine demande du côté des militants ouvriers, en dépit de l'attentisme des confédérations. On l'a vu au contenu des pancartes des manifestations du 1er février, qui elles-mêmes faisaient suite aux réactions de la base syndicale à EDF-GDF. On le voit aujourd'hui à l'occasion des derniers plans de licenciements.

L'extrême gauche n'a bien sûr pas la force par elle-même de provoquer une telle mobilisation. En revanche, elle a les moyens de se faire entendre. Elle a les moyens de contribuer à la dénonciation des mensonges gouvernementaux et de relayer les aspirations de tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans les orientations données par les dirigeants confédéraux. Et puisqu'il semble qu'il y ait accord sur le contenu, une telle campagne aurait d'autant plus d'impact qu'elle se ferait délibérément, publiquement, en commun.