États-Unis - Scission dans le parti communiste

Εκτύπωση
sept-oct 1992

Depuis plus de deux ans le parti communiste américain s'est profondément divisé. En vue de sa vingt-cinquième Convention nationale, tenue en décembre dernier, plus de 800 adhérents, dont près d'un tiers des membres du Comité National sortant, avaient signé une déclaration intitulée "Initiative pour unir et rénover le parti". "L'initiative" était évidemment une critique, mais libellée en termes vagues ; elle formulait essentiellement trois revendications à l'égard du PC : faire de "la participation dans les luttes de masse... notre tâche et notre critère prioritaires", "mettre à jour notre conception du socialisme" et "rendre notre parti beaucoup plus démocratique". Comme ses rédacteurs ne disaient pas précisément ce qu'ils voulaient, c'était la sorte de déclaration que beaucoup de gens ont pu signer, qu'ils partagent ou non les mêmes opinions sur des questions fondamentales.

Lors de la convention, les membres du Comité national qui refusèrent de retirer leurs signatures de "l'Initiative" furent rayés des listes de candidats et ne furent évidemment pas réélus. Depuis, il semble qu'un cinquième au moins, sinon plus, des adhérents du PC l'aient effectivement quitté. Parmi ceux-ci il y a la plupart des membres du Comité national qui ont signé "l'Initiative" ; le rédacteur en chef et l'essentiel de la rédaction du journal du PC, People's Weekly World  ; le rédacteur en chef de sa revue politique, Political Affairs  ; de même qu'Angela Davis, Charlene Mitchell, qui dirige l'Alliance nationale contre la répression raciste et politique, et nombre d'autres militants noirs ; Gil Green et James Jackson, deux des nombreux dirigeants du PC condamnés lors des procès de la période McCarthy ; l'historien Herbert Aptheker.

D'un autre côté, il semble que la plus grande partie de la base ouvrière du PC - noire, blanche et hispanique - soit restée avec le parti. Ce que, en fait, la minorité reconnaît quand elle se plaint que Gus Hall, à la tête du parti depuis longtemps, ait joué sur les antagonismes de classe pour garder avec lui la plupart des militants ouvriers.

Cela ne signifie pas que tous ceux qui sont restés soient forcément en complet accord avec la direction du PC. Certains de ceux qui avaient signé "L'initiative" n'ont pas démissionné. Et puis, même parmi ceux qui se sont rangés derrière Hall et la direction actuelle, il semble qu'il y ait un certain malaise. Gus Hall lui-même dit dans son rapport à la convention, parlant de l'impact des événements en URSS et en Europe de l'Est sur le PC : "Si le parti a d'une manière générale tenu bon, peut-être même plus que nous en avions conscience sur le moment, le choc a cependant amené pessimisme, désorientation et même démoralisation parmi nous."

Le PC américain est loin d'avoir la taille de partis communistes d'autres pays. Avant la scission, le PCUSA revendiquait publiquement 10 000 membres ; la minorité dans ses documents cite des chiffres allant de 2 500 à 3 000. Ce dernier chiffre semble plus près de la réalité, étant donné qu'il y avait un peu moins de 600 délégués à la convention de décembre dernier, sur la base d'un délégué pour cinq adhérents.

Le PC reste cependant la plus grande organisation militante de gauche américaine. (DSA, l'organisation des "Socialistes Démocrates Américains", revendique publiquement 10 000 adhérents, mais même en admettant que ce chiffre ne soit pas exagéré, l'adhésion à DSA ne demande rien de plus que d'envoyer 10 dollars et son nom pour obtenir en retour la carte d'adhérent et l'abonnement au journal). Le PC a une certaine implantation dans quelques grandes usines et entreprises... pas beaucoup mais certainement beaucoup plus que toute autre organisation de gauche. Il a un certain nombre de militants qui tiennent des postes dans l'appareil syndical. Et sa base est certainement plus ouvrière, avec une plus grande proportion de travailleurs noirs ou hispaniques, que celle de n'importe quelle autre organisation de gauche.

Le CoC : "des militants ouvriers, démocrates, de gauche et socialistes"

La minorité qui a quitté le PC a maintenant mis sur pied le CoC, l'organisation des "Comités de Correspondance". Le CoC est censé être une organisation de transition, qui ne devrait pas durer plus de 18 mois ; son but déclaré est d'aider à la discussion sur le programme et les buts d'une nouvelle organisation encore à créer.

En juillet, le CoC a organisé une conférence nationale à Berkeley en Californie, ouverte à tous "les militants ouvriers, démocrates, de gauche et socialistes" qui avaient adhéré pour 10 dollars au CoC. Selon les chiffres fournis par les organisateurs, 1 100 personnes y ont pris part à un moment ou un autre. Le noyau des participants était formé des gens qui ont quitté le PC ces derniers six mois. Mais il y avait aussi d'autres gauchistes, individus ou petits groupes, des ex-communistes qui ont quitté le PC depuis plus longtemps, des ex-gauchistes de nombreuses et différentes tendances et des militants de divers mouvements et des démocrates libéraux.

Il y avait une large délégation d'un syndicat du personnel hospitalier de New York, Local 1199, pour la plupart des dirigeants ou des permanents techniques, quelques permanents techniques ou responsables locaux de syndicats des services publics, d'enseignants, de l'électricité et des camionneurs, quelques travailleurs de différents secteurs de l'industrie. Mais il était évident que la grande majorité des assistants appartenait à des milieux petits-bourgeois. Ils venaient aussi pour la plupart de deux régions : l'État de New York, en fait essentiellement de la ville de New York, et la Californie du Nord, c'est-à-dire la région de San Francisco-Berkeley-Oakland. Selon des chiffres publiés en juin dernier, plus de 60 % des membres du CoC sont concentrés dans ces deux régions. Ce sont les seules où la minorité a réellement gagné une large partie des adhérents du PC, mais c'étaient aussi deux des trois régions où le PC en comptait le plus.

La conférence du CoC a laissé beaucoup de décisions en suspens, expliquant qu'il ne serait pas démocratique de décider maintenant pour les gens qui adhéreront dans les 18 prochains mois. Son déroulement a suffi cependant à montrer les grandes lignes de ce qu'est et de ce que veut le CoC.

De tout nouveaux démocrates

Comme on pouvait s'y attendre dans une lutte de fraction comme celle-là, la minorité a centré ses critiques sur le manque de démocratie interne dans le PC. Elle parle d'une atmosphère qui empêche une vraie discussion ou l'examen des idées, d'entrave pour toute idée qui ne vient pas du sommet, etc. Le 13 février, dans une déclaration annonçant sa rupture avec le PCUSA, le district de Californie du Nord du PC accusait "Hall et ses partisans d'étouffer le débat sur la crise dans le mouvement socialiste international, la dissolution de l'Union soviétique, celle des partis communistes en Europe, et les questions concernant le développement historique du socialisme".

Le PCUSA a-t-il un fonctionnement interne non démocratique ? Sans aucun doute. Comme les partis staliniens dans le monde, il n'a jamais accepté une critique organisée dans ses propres rangs et toujours exclu ceux qui critiquaient... surtout quand il s'agissait d'une critique sur sa gauche et qu'elle était dirigée contre la bureaucratie en Union soviétique ou contre la politique de collaboration de classe d'un parti communiste dans les pays capitalistes. Les militants trotskystes ont été insultés pendant des décennies, traités d'agents de la police et de la bourgeoisie, sinon pire, quand ils critiquaient la bureaucratie stalinienne et sa politique qui allait à l'encontre des intérêts de l'Union soviétique et de la classe ouvrière mondiale.

Aussi cela ne manque pas de sel de voir les leaders de la minorité actuelle - pendant longtemps des dirigeants de ce même "PC non-démocratique" - devenus soudain de chauds partisans de la "démocratie". Herbert Aptheker, qui a parlé si ardemment lors de la convention du PC de la nécessité de "l'honnêteté révolutionnaire", fut un de ceux qui en 1956 applaudissaient les tanks soviétiques qui écrasaient la révolution des ouvriers hongrois, expliquant que c'était l'œuvre de la CIA et une attaque contre le communisme. On attend, sans trop d'espoir, qu'Aptheker explique ce que devait être alors "l'honnêteté révolutionnaire".

Il est certes probable que la minorité a été victime de ces mêmes pratiques anti-démocratiques que, dans le passé, elle a approuvées contre d'autres ou utilisées elle-même. Certains de ses partisans ont peut-être finalement admis les bienfaits de la démocratie. Bon. Mais il reste à savoir quelles conclusions politiques ils tirent de cette reconnaissance tardive et quelle politique ils se proposent de mettre en œuvre.

Et le "socialisme" ?

La minorité dit qu'elle veut examiner à fond ce qui s'est passé en Union soviétique. Bien. Mais elle fait tout autre chose. Sous le prétexte d'élaborer une critique du stalinisme, les dirigeants du CoC remettent en fait tout en question, tout sauf le désir bien stalinien de s'intégrer dans la classe politique de la société bourgeoise.

Charlene Mitchell, qui est l'une des dirigeantes en pointe dans le nouveau CoC, disait dans son rapport politique lors d'une réunion du CoC tenue en février 1992 à New York : "les développements dans les ex-pays socialistes européens, les poussées de la restauration capitaliste en Union soviétique et la désintégration politique de ce pays ont... rendu obligatoire et fondamental le réexamen de l'ensemble de la théorie concernant la nature du socialisme en tant que système et les moyens pour façonner et arriver à un système basé sur une vraie justice sociale et une égalité sans exploitation... Cela demande de revoir d'une façon minutieuse et critique le développement de la société soviétique durant ses 74 ans d'existence. Cela signifie le réexamen de nombreuses conceptions des fondations politiques, économiques et philosophiques du socialisme".

Mitchell dit que "une opinion répandue et qui gagne du terrain est que les racines de la crise du socialisme remontent à la déviation, qui commence à la fin des années 20, d'avec la conception léniniste d'un socialisme d'essence humaniste". Cette description vague à dessein et essentiellement morale est tendancieuse à souhait ; elle ignore complètement la contribution de Lénine à la conception marxiste de l'État et de la révolution sociale, sa conception du parti, et utilise le nom de Lénine pour avancer des théories que Lénine a combattues.

Plus loin, Mitchell insiste : "si le mouvement pour le socialisme, qui est en train de se former, tire sans aucun doute profit de la contribution, l'héritage, l'expérience et les leçons des 74 ans d'activités des communistes, il sera largement rénové et modernisé. Son programme, ses formes et ses principes d'organisation et d'activités, ainsi que ses relations internationales seront, nécessairement, radicalement nouveaux et novateurs et répondront aux opinions et aux aspirations de la classe ouvrière et du peuple et aux besoins de notre époque... Nous devons nous donner pour but de prendre part - avec d'autres - à l'élaboration d'une théorie et d'une pratique du socialisme pour le vingt-et-unième siècle".

Mais derrière ces belles paroles se dessine le désir de se débarrasser de beaucoup plus de choses que des quelques applications du marxisme qui ont pu être rendues caduques avec le temps. Ce que le CoC rejette ici c'est l'idée marxiste que si la société doit être transformée, ce ne peut être que par des moyens révolutionnaires ; que la classe ouvrière est la seule classe qui a la capacité de renverser la société capitaliste et de commencer la transformation révolutionnaire d'une société capitaliste en une société socialiste. Sous le prétexte "d'élaborer une théorie et une pratique du socialisme pour le 21e siècle", c'est une bien vieille théorie que les dirigeants du CoC reprennent et dépoussièrent : celle de la social-démocratie quand elle a cherché à se faire accepter de la société bourgeoise.

Prenons, par exemple, la question des références politiques. Durant la conférence de juillet, certains ont proposé que le CoC choisisse un nom ou une étiquette qui indiquerait plus précisément ce qu'il est et ce qu'il veut. Certes la majorité de ceux qui composent le CoC se présentent personnellement comme socialistes, mais le premier souci de la plupart de ceux qui se sont exprimés semble être de donner une étiquette au CoC qui ne limite pas leur "large appel" par une référence politique précise.

Cependant le nom choisi en décembre dernier, et conservé par la conférence de juillet, les "Comités de Correspondance", comporte des références politiques, et très précises. C'était le nom donné à la structure très lâche formée au début des années 1770 pour unifier la lutte de la bourgeoisie américaine dans sa révolution contre les Britanniques. Le nom de "Comités de Correspondance" est rempli d'évidentes références bourgeoises et patriotiques... références à un passé, soit dit en passant, bien plus ancien que le marxisme. Cela n'a semblé ennuyer aucun des "modernisateurs" qui vinrent à la conférence du CoC.

De la "centralité de la lutte des noirs"... au parti démocrate

Durant la lutte de fraction la minorité a accusé le PC d'avoir tourné le dos à une opinion, qu'il a longtemps défendue, que "la lutte contre le racisme et pour les droits des peuples opprimés à cause de leur race ou de leur nationalité et les droits des femmes [est] au centre de la lutte pour le progrès social, indispensable pour un changement économique et social fondamental", et d'avoir formalisé ce rejet lors de sa 24e convention en 1987. Et l'injure étant de tradition dans ce genre de scission, le CoC accuse la direction du PC d'avoir une attitude raciste.

Dans une analyse de la dégénérescence du PC, publiée par le CoC, Erwin Marquit impute ce racisme à l'insistance continue du PC à diriger son activité vers les ouvriers d'industrie. Selon Marquit, Gus Hall veut "consacrer toutes les forces du parti à développer les clubs ouvriers d'atelier dans les entreprises industrielles, avec une attention particulière pour les industries de base". Mais "les luttes les plus militantes de la classe ouvrière surgissent aujourd'hui là où il y a les plus grandes concentrations des fractions les plus opprimées de la classe ouvrière, en particulier les Afro-Américains, les Latinos, et les femmes"... c'est-à-dire, selon le CoC, dans les hôpitaux, les services publics et les autres entreprises du secteur des services. De plus, "l'incapacité à prendre en compte ces expériences a donné à la politique du parti de concentration sur l'industrie un caractère raciste et sexiste de fait. Par exemple, quand des membres du parti à Seattle commencèrent à soutenir une tentative d'organisation des travailleurs de l'hôpital, on leur dit d'arrêter cette activité et de se concentrer sur Boeing".

L'ironie veut que le CoC dans sa hâte à attribuer des motivations racistes à l'orientation du PC vers le prolétariat industriel, a apparemment passé sur le fait que ce même prolétariat, aujourd'hui, est pour une bonne part noir ou hispanique. Un simple petit oubli... sans doute.

Il est certes évident que l'oppression raciste profondément enracinée dans la société capitaliste américaine a créé une situation et un rôle particuliers pour les travailleurs noirs dans une future révolution prolétarienne aux États-Unis. Le PC a-t-il porté suffisamment d'attention à cela ? Il nous est difficile d'en juger. Mais il nous semble que, à la fois le PC et le CoC, tournent le dos à l'idée, que les dures luttes passées et le mouvement des années 60 auraient dû pourtant définitivement imposer, que la lutte contre le racisme doit aller dans la direction d'une lutte révolutionnaire contre le capitalisme si elle ne veut pas que ses acquis soient repris les uns après les autres au fur et à mesure que la société bourgeoise, un moment secouée, reprend son aplomb.

Le CoC dit donc qu'il veut mettre l'accent sur la "centralité de la lutte des Noirs".

Mais si nous en jugeons par la manière dont il critique le PC pour n'avoir pas soutenu ni joué de rôle actif dans les campagnes présidentielles de Jesse Jackson en 1984 et 1988, il semble qu'il propose simplement... de rejoindre le parti démocrate. "L'aile gauche", bien sûr, mais néanmoins le parti démocrate.

Voici comment Billie Wachter, une ex-adhérente PC de Californie du Nord, à qui le CoC fait une place particulière dans son journal, critique la politique du PC dans un texte publié par Dialog  : "Il est clair maintenant que le mouvement ouvrier ne peut pas jouer le même rôle qu'il a joué dans les années 30. Il n'a pas le large programme populaire nécessaire. C'est la "Rainbow Coalition" (le mouvement de soutien à Jesse Jackson) qui a le plus fait pour rassembler les mouvements existants, tout en préservant l'autonomie de ses composantes, en particulier en 1984 et 1988... N'avons-nous pas été entravés par une crainte sectaire de créer des "illusions" dans le parti démocrate ?"

Il est évident que parler de travailler avec Jesse Jackson revient à parler de travailler avec le parti démocrate. Jesse Jackson ne s'est jamais réellement opposé au parti démocrate, même si à l'occasion il lui a adressé quelques dures critiques. Et le parti démocrate l'a toujours laissé critiquer parce qu'il est en fait très utile pour redorer l'image de ce parti. Ainsi cette année il a joué son rôle en rameutant les soutiens pour Bill Clinton.

Wachter, elle, n'est certainement pas entravée par la crainte de créer des illusions dans le parti démocrate. Elle est tout à fait prête à cela. Elle explique : "Finalement c'est en bataillant sur le terrain du Congrès, et non pas des usines, que des progrès pourront être faits sur beaucoup de questions... Nous n'avons jamais craint de travailler avec des organisations influencées ou contrôlées par la classe capitaliste ou même d'y entrer, parce que nous savons que c'est la lutte qui démasque les illusions et les fausses conceptions des gens, et que c'est dans les luttes révolutionnaires que les institutions sont transformées, ou écartées quand ces luttes donnent naissance à de nouvelles institutions".

Non seulement la dirigeante du CoC racole pour le parti démocrate, mais elle voit dans le Congrès l'instrument de transformation de la société !

Il est clair que derrière toutes les discussions sur l'opposition entre la classe ouvrière industrielle et la "centralité de la lutte des Noirs", et derrière la défense de Jesse Jackson et de la "Rainbow Coalition", l'orientation fondamentale du CoC est de s'intégrer au sein du parti démocrate et d'autres institutions de la société bourgeoise.

Le DSA est déja dans la place

En quittant le PC, le CoC a annoncé qu'il avait quatre projets d'activités immédiates. Et deux de ceux-ci l'ont mis tout de suite à l'œuvre pour le parti démocrate : travailler à la défaite de Bush et d'autres réactionnaires dans les élections de 1992 ; participer à la "Marche des Maires" à Washington, une façon pour les maires du parti démocrate d'organiser une manifestation de protestation contre Bush dans cette année d'élections.

Jusqu'ici le CoC n'a pas proposé d'activité dirigée vers la classe ouvrière. Au mieux, lors de sa conférence en juillet, il a annoncé qu'il aura une proposition en direction du "mouvement ouvrier", mais qu'il se réserve d'annoncer et d'expliquer plus tard.

Mais la conférence du CoC n'est pas restée aussi vague quand il s'est agi du parti démocrate. Dans la conférence elle-même une place prééminente fut laissée à des élus et des responsables démocrates ; des adhérents du CoC qui travaillent comme assistants de certains membres du Congrès ou de certains maires se présentèrent et furent présentés ouvertement et fièrement en tant que tels. Dans un vote "indicatif" moins de 10 % des participants s'affirmèrent opposés à l'idée de travailler avec le parti démocrate.

Dans un article écrit pour Dialog & Initiative, le journal de discussion du CoC, Charlene Mitchell commentait ainsi le travail avec les Démocrates : "Ceux qui disent qu'il n'y a pas de différence qualitative entre Clinton et les autres candidats sont atteints de myopie. Le plan de Clinton pour l'économie, qui vient d'être présenté, signifierait bien des choses différentes pour la vie des travailleurs, s'il était accepté... La tentative de Clinton d'enrôler la communauté afro-américaine et le mouvement ouvrier donne à ceux-ci l'occasion d'influencer le cours de sa campagne. C'est la possibilité d'influencer Clinton lui-même dans une direction progressiste. Aucun autre candidat n'offre cette possibilité." Il est vrai que Mitchell fait une longue liste des défauts de Clinton... mais pour finir par un avertissement : "Ce pays ne peut pas se permettre d'avoir une gauche qui reste les bras croisés et regarde Clinton se détruire lui-même. L'attitude qui consiste à dire que "Clinton mérite de perdre" - même si on peut la comprendre - n'est pas responsable. Si Clinton perd, il n'en souffrira pas. Nous, oui."

Il est vrai que le CoC exprime aussi le vague espoir que dans l'avenir il pourra se passer de soutenir les Démocrates. Mais il s'agit d'un avenir lointain. Pour le moment le CoC est prêt à contribuer à les faire élire, il est prêt aussi à mettre toutes ses forces pour convaincre ceux qui ont perdu toutes leurs illusions dans le parti démocrate de se laisser tenter une nouvelle fois. Et pas seulement par les Démocrates mais par le processus électoral lui-même. James Steele, dans un article de Dialog & Initiative d'avril, insiste sur le fait qu'il est nécessaire de convaincre les gens d'aller voter, puisque, si on en juge par les primaires, la participation électorale sera encore inférieure cette année à ce qu'elle fut les années précédentes.

En fait ce que le CoC propose de faire est ce que le DSA fait déjà, fonctionnant comme l'aile gauche au sein du parti démocrate, contribuant à donner une couverture de gauche à la politique ouvertement bourgeoise de ce parti on ne peut plus bourgeois. Aujourd'hui il y a réellement très peu de différence politique entre le CoC et le DSA. Il n'y a donc pas à s'étonner s'ils semblent en si bons termes. Le CoC a ouvert ses publications et ses réunions aux représentants du DSA ; ils ont siégé ensemble à la tribune de la conférence de juillet ; Manning Marrable, dont les liens avec le DSA datent de longtemps, a été élu comme l'un des cinq co-présidents du nouveau CoC.

Les dirigeants du CoC ne sont pas simplement des "opportunistes de droite" comme Gus Hall les a appelés. Ce sont des gens qui visent à devenir des politiciens bourgeois, fonctionnant ouvertement sur le terrain politique bourgeois, essayant de négocier la petite influence qu'ils peuvent avoir en échange de la possibilité de se faire une place dans le parti démocrate.

Un pur produit... du parti communiste

Aujourd'hui, le CoC a déjà des militants en position de jouer un rôle dans le parti démocrate : des membres du cabinet de certains élus noirs du parti démocrate comme Kendra Alexander, ou des organisateurs de la campagne d'inscription sur les listes électorales en faveur du parti démocrate comme James Steele.

Ces gens jouaient, évidemment, déjà ce rôle quand ils étaient dans le parti communiste. Depuis longtemps le PC a placé ses propres militants dans une situation ambiguë vis-à-vis du parti démocrate. C'est une politique qui remonte loin en arrière, jusqu'aux tournants et volte-face de la période de 1934 à 1948, quand il est passé du soutien complet à une opposition totale à Roosevelt, puis revenu à un soutien complet pour finir par organiser la campagne du Parti Progressiste de Henry Wallace en 1948. En 1968 les interdictions de la période McCarthy furent levées et le PC put se présenter aux élections dans deux États. Et depuis 1972, où il put se présenter dans 12 États, le PC a généralement présenté ses propres candidats, tout en parlant de la nécessité de se débarrasser du candidat républicain ou de l'empêcher d'être élu ; ce qui dans le cadre de ce système bipartite, ne peut avoir d'autre sens que de soutenir les Démocrates. Si dans sa presse et ses déclarations publiques il a toujours été quelque peu prudent dans la manière de formuler la question, ses militants ont été souvent engagés dans la campagne en faveur des Démocrates. A plusieurs reprises, après une élection, Gus Hall s'est plaint que le Parti soit en gros allé "trop loin" dans son soutien aux Démocrates. Il n'empêche que le soutien aux Démocrates a été - et est encore - la réelle politique du PC.

Le CoC va peut-être encore plus loin que le PC dans le soutien au parti démocrate, mais, dans ce cas, il ne fait là que tirer la conclusion logique de l'attitude du PC et se débarrasser de l'apparente ambiguïté.

Le CoC prend la voie empruntée avant lui par tant d'ex-militants du PC : des gens comme feu Harold Washington, maire de Chicago, Coleman Young, maire de Détroit depuis presque 19 ans, George Crockett et John Conyers, représentants de la ville de Détroit au Congrès. Ce sont tous des gens qui ont jadis travaillé avec le parti communiste mais plus tard trouvé le moyen de faire une carrière dans le parti démocrate. La seule condition mise par le parti démocrate à leur avancement fut de briser leurs liens avec le PC. Dans les années 50 ce ne fut pas quelque chose d'extraordinaire : il y eut beaucoup de militants qui rompirent avec le PC pour trouver une place dans la société bourgeoise, que ce soit dans le parti démocrate, les milieux universitaires, la presse ou l'appareil des syndicats.

Aujourd'hui, avec les événements de ces dernières années en URSS, des fractions des vieux partis communistes, ou même des partis entiers se précipitent pour rejeter leur passé afin de pouvoir enfin avoir une place dans l'établissement politique de leur propre pays.

Jusqu'à maintenant, pourtant, le PCUSA n'était pas prêt à se débarrasser de son étiquette communiste, et il a gardé son attachement, même si ce n'est plus que verbal, à la vieille URSS de l'ère pré-gorbatchévienne. C'est essentiellement ce refus en fait que la minorité lui a reproché.

Il bloquait certainement les militants du PC qui sont dans le parti démocrate ou dans les universités ou dans les appareils des syndicats. Cela ne voulait pas dire qu'ils ne pouvaient pas travailler pour et dans le parti démocrate, par exemple, mais ils ne pouvaient pas y faire réellement carrière, ou être ses candidats pour des postes importants.

L'étiquette communiste, qui ne compte certainement pas beaucoup pour déterminer la politique du PC, compte cependant quand il s'agit de savoir si le parti démocrate ou d'autres institutions de la société bourgeoise accepteront ceux qui veulent faire carrière - que ce soit des individus ou des groupes.

Où va le PC ?

L'attitude du PC qui a toujours consisté à applaudir à chaque tournant et volte-face de la politique de la bureaucratie soviétique n'a certainement pas préparé ses militants à comprendre ce qui se passe maintenant, comment cette société "socialiste", que le PCUSA a longtemps tenue pour un modèle de construction du socialisme, a pu soudainement s'effondrer sous leurs yeux. Et à cet égard l'explication de Gus Hall, qui en revient essentiellement à parler d'"erreurs humaines" et de "politique erronée", ne les aide guère.

De plus, soixante ans de politique de collaboration de classe et pro-parti démocrate n'ont pas préparé les militants du PCUSA à trouver la voie d'une politique de lutte de classe sur laquelle un vrai parti communiste pourrait être bâti.

Sa politique, qui remonte à loin, consistant à inciter ses militants à ne rien faire qui s'oppose aux appareils syndicaux afin de pouvoir occuper des postes au sein de ceux-ci, en a conduit beaucoup à se comporter dans les syndicats à peu près comme n'importe quel bureaucrate. Durant les discussions de préparation à la convention du PC en 1991, un travailleur disait en argumentant contre la minorité : "En 1980 nous en sommes venus à l'idée que les groupes de base était un obstacle à nos contacts et à notre influence sur les dirigeants syndicaux des échelons supérieurs que nous pouvions rencontrer pour discuter et convaincre d'agir sur les questions que nous considérions comme importantes... Nous nous sommes retrouvés essentiellement avec des gens qui travaillaient pour les syndicats comme organisateurs, journalistes, avocats, etc. Avec tout le respect que nous devons à ce qu'ils ont fait, ces gens semblaient plus enclins à se conduire en patrons qu'en dirigeants politiques vis-à-vis des travailleurs du rang." En fait, en critiquant la minorité, il critiquait toute la politique du PC et l'activité de celui-ci dans la classe ouvrière confondue le plus souvent avec le "mouvement ouvrier" et les syndicats.

Il y a sans doute encore des militants du PC fidèles aux idées fondamentales du communisme et à leurs espoirs dans la révolution qui a secoué la Russie il y a 75 ans. Et il y a sans doute des militants, ouvriers ou autres, qui ont choisi de rester avec le PC et qui veulent participer à la mobilisation de leur classe.

La question est de savoir s'ils peuvent ou non rompre avec la politique que le PC mène depuis si longtemps, et qui a conduit à la situation présente de leur propre parti.