France - Un an de gouvernement de la "gauche plurielle" : un bilan globalement négatif pour la population laborieuse

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Eté 1998

Douze mois après les élections de mai 1997 et la mise en place d'un gouvernement dit de gauche plurielle, la droite parlementaire dite classique est toujours à la recherche de sa cohésion, non pas sur le plan idéologique ou doctrinaire, qui reste bien le cadet de ses soucis, mais plus prosaïquement sur celui de la recherche d'un leader. Ce n'est pas qu'elle n'en ait pas, c'est qu'il y en a trop en réalité. C'est pour la droite un problème permanent, qui ne date pas de son échec de mai 1997.

Sans refaire l'interminable historique des dissensions au sein de la droite et de ses perpétuelles guerres des chefs, on n'a pas oublié que l'élection présidentielle de 1995 donna lieu à une bataille de chiffonniers qui, dans un premier temps, mit aux prises un certain nombre de barons du gaullisme et de petits vicomtes de l'UDF. Après bien des péripéties qui virent s'affronter quelques ténors de la droite classique, tels Séguin, Pasqua, Sarkozy, Léotard, Barre et quelques autres, on aboutit au duel entre Balladur et Chirac, "amis de 30 ans", tous deux issus du RPR. Ce duel, et le pugilat qui le précéda, ne furent pas sans laisser des cicatrices, qui ne furent masquées que parce que ce fut tout de même un homme de cette droite, Chirac, qui l'emporta. Ces cicatrices se rouvrirent quelque peu au lendemain de l'échec consécutif à la dissolution de 1997, mais on aurait tort d'en tirer le pronostic d'une crise définitive de la droite, tant en ce qui concerne son existence sociale qu'au niveau de la vie politicienne. Ce serait oublier que la droite reste électoralement majoritaire dans le pays. Divisée, mais majoritaire.

Un élément qui ajoute aux affres présentes de cette droite est la constance de la présence du Front National, dont les scores électoraux tournent désormais autour des 15 %, si l'on considère les trois derniers scrutins nationaux : 15,27 % à l'élection présidentielle de 1995, 15,06 % aux élections législatives de 1997 et 15,19 % aux élections régionales de 1998. Une telle situation, elle non plus, n'est pas nouvelle et fait du FN, depuis quelques années déjà, l'arbitre des affrontements électoraux, parfois délibérément utilisé dans les calculs politiciens et tacticiens, aussi bien par la droite que par la gauche. On ne saurait oublier, par exemple, que Mitterrand avait instauré la proportionnelle aux élections législatives de 1986, non par souci d'introduire une représentation plus fidèle de l'électorat, mais uniquement pour provoquer l'embarras de la droite parlementaire classique ce qui permit alors au FN de faire élire 36 représentants à l'Assemblée Nationale. Quant à cette droite classique, ou certaines de ses composantes, elle a montré dans le passé qu'elle savait composer avec le Front National. C'est une attitude qui ne date pas des dernières élections régionales, contrairement à ce que laisse croire le tintamarre qu'a organisé la gauche plurielle ces dernières semaines.

Pour le moment, la droite dans la majorité de sa direction est opposée à une alliance avec le Front National. Mais politiquement et surtout socialement, rien de fondamental n'oppose la droite parlementaire au Front National, ni leurs idées réactionnaires pour les uns comme pour les autres, ni leur électorat, ni surtout cette hostilité à la classe ouvrière qui leur est commune.

C'est bien pourquoi, soit dit en passant, la politique du PS, qui fait des appels du pied à la droite qualifiée de "républicaine" pour l'opposer à celle ouvertement prête, dès maintenant, à s'allier avec le Front National, est à la fois intéressée et dérisoire. Intéressée, car la polémique actuelle s'est déclenchée à propos de certaines présidences de conseils régionaux que le PS, tout en étant minoritaire, espérait décrocher. Mais intéressée aussi parce que cet appel à la "droite républicaine" prépare le terrain pour des alliances futures entre le PS et le centre-droit. La déclaration récente de Balladur à propos de la préférence nationale illustre cependant à quel point rien de fondamental ne sépare Millon, Baur et consorts des ténors de la droite classique.

La gauche plurielle a donc conquis la majorité à l'issue des élections législatives de 1997 sans pourtant disposer de la majorité dans l'électorat. Le PS ne dispose pas, avec 245 députés, d'une majorité absolue au Parlement. Mais il n'a pas eu à s'en inquiéter puisque ses alliés, le PCF, les Verts, le MDC et les radicaux, ne lui ont jamais fait défaut, calculant leurs votes de telle façon que le gouvernement ne se retrouve pas mis en minorité.

L'autre motif qui vaut au PS d'afficher sa satisfaction, c'est que sa situation semble aller au mieux. C'est le cas si l'on se fonde sur les sondages, qui lui restent obstinément favorables. A cette réserve près que ces indicateurs sont à prendre avec prudence. Balladur en fit la triste expérience lorsque ces mêmes sondages le donnèrent largement vainqueur de l'élection présidentielle, au point même qu'on ironisait sur la nécessité de faire des élections, tant le résultat semblait acquis d'avance.

Les commentateurs, à droite comme à gauche, ne tarissent pas d'éloges sur l'habileté de Jospin à mener sa barque, et même certains le louent de réussir à imposer une politique que la droite avait bien du mal à mettre en application. Et ils n'ont pas tort.

Il n'est pas nécessaire de revenir longuement sur les premiers "signes forts" qu'a donnés Jospin à la droite et à la bourgeoisie : son attitude à propos de la fermeture de l'usine Renault de Vilvorde, dès les premiers jours de son accession à la tête du gouvernement, ou encore son refus de relever le SMIC au niveau demandé par les directions syndicales et ses partenaires au gouvernement, en particulier le PCF, ont été les premiers de ces signes, mais pas les seuls. Depuis, d'autres décisions allant dans le même sens ont suivi : par exemple, la décision de privatiser partiellement Air France et France Télécom, au mépris des engagements pris, ou l'attitude du gouvernement à l'égard de l'immigration, son refus de satisfaire aux exigences des plus démunis sous prétexte de ne pas casser la reprise renaissante, ou encore la campagne anti-grève qu'il a orchestrée à l'occasion de la grève des pilotes d'Air France. Sans parler de la mise en oeuvre des décisions de son prédécesseur, comme le plan Juppé concernant la remise en cause des garanties de soins, qui avait provoqué une légitime levée de boucliers dans la population laborieuse ; ou encore de la décision de diminuer les revenus de l'épargne populaire, en s'en prenant à la rémunération des dépôts sur les livrets de caisse d'épargne.

Le pendant d'une telle attitude a été la politique du gouvernement Jospin à l'égard des riches, des spéculateurs en Bourse, en un mot à l'égard de la bourgeoisie et des capitalistes. Les subventions, les exonérations de charges qui existaient en leur faveur dans les périodes précédentes ont été maintenues, avec discrétion, sans que l'on fasse trop de publicité à une telle continuité, mais sans réticence. La fiscalité que l'on parle de réformer véritable tarte à la crème des gouvernements successifs laisse et laissera en place de larges créneaux permettant aux titulaires de grandes fortunes de se dérober, et parfois même en totalité, à l'impôt.

La discussion qui s'est développée à cet égard, à propos de la réforme de l'ISF (Impôt de Solidarité sur la Fortune), est tout un symbole. Personne en effet, dans la sphère gouvernementale, n'envisage de renforcer par ce biais l'effort financier demandé aux plus riches afin qu'ils participent au financement des besoins de la collectivité. Et lorsque le Conseil Supérieur des Impôts, qui n'a de toute façon pas de pouvoir de décision, évoque évoque seulement l'idée d'intégrer dans le calcul de cet impôt les capitaux investis dans les entreprises, on assiste à une véritable levée de boucliers, pas seulement du côté des riches, du patronat et de la droite, mais aussi du côté de la gauche, en particulier des notables du PS qui expliquent, comme à leur habitude, que la décision d'imposer "l'outil de travail" casserait "l'expansion". Même Robert Hue et les dirigeants du PCF, qui avaient fait de la lutte contre "l'argent-roi" le symbole de leur campagne et réclamaient que l'on quadruple cet impôt, mettent désormais beaucoup d'eau dans leur vin, expliquant que leur exigence antérieure était bien trop excessive et qu'ils se satisferaient d'une réforme bien plus modérée de l'ISF : en en élargissant l'assiette, certes, mais en réduisant en même temps le taux de prélèvement sur la fortune des riches, de crainte de voir ces riches placer leur argent ailleurs.

Lorsque l'on reproche à ce gouvernement sa mansuétude fiscale à l'égard des riches, il invoque comme preuve qu'il a osé s'en prendre aussi aux capitalistes, sa décision de généraliser la CSG à l'ensemble des revenus, y compris ceux du capital. Bien piètre mesure, qui touche d'ailleurs une fraction des plus démunis qui était jusqu'alors exonérée de cette CSG, et qui ne rapporte à l'Etat que quelques milliards, ce qui est dérisoire comparé aux centaines de milliards que ce même Etat distribue ou laisse à la disposition des riches. Sans compter que ces taxes, quelles qu'elles soient, les patrons peuvent les récupérer en les intégrant dans leurs prix de vente, ce que ne peuvent évidemment pas faire les salariés.

Même les mesures présentées comme en faveur de la population laborieuse, telle la loi dite des 35 heures, constituent des aubaines pour le patronat, et sont présentées comme telles par le gouvernement dans son argumentaire à destination des patrons. Cette loi n'entrera en vigueur qu'en l'an 2000, et même en l'an 2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés, et son champ d'application ne concernera, au moment de sa mise en application, que le tiers des salariés. Pour l'instant, cette loi met surtout en oeuvre le volet incitatif à l'usage des patrons qui, s'ils embauchent ou même s'ils déclarent ne pas vouloir supprimer d'emplois, pourront passer à la caisse de l'Etat pour y toucher de nouveaux milliards, qui viendront s'ajouter à ceux dont ils bénéficient déjà. Et ils émargeront durant cinq ans, au delà donc de la législature en cours.

Restent, au bilan, les emplois-jeunes : fin 1996, alors que l'on ne pensait pas encore que les élections législatives seraient avancées à la mi-juin 1997, le PS promettait 700 000 emplois en deux ans ; depuis qu'il est au gouvernement, il parle de les créer en cinq ans, la durée de la législature. Une moitié par le gouvernement et les collectivités locales, l'autre moitié par le secteur privé. De tels objectifs, même s'ils étaient atteints, sont bien éloignés des besoins fixés par l'existence d'un chiffre de chômeurs officiel qui tourne autour de trois millions, auquel il est nécessaire d'ajouter les 3 à 4 millions de précaires, de jeunes et de moins jeunes qui ont été sortis des statistiques, ce qui établit aujourd'hui à 6 ou 7 millions le nombre d'hommes et de femmes exclus de conditions d'existence normales.

Mais même ces objectifs, pourtant timorés, le gouvernement peine à les atteindre. Du côté gouvernemental, il est bien difficile de connaître les chiffres des emplois-jeunes créés, tant le gouvernement manie l'art de mélanger ce qui existe et ce qui relève de projets futurs. Il a été fait état de 60 000 emplois-jeunes déjà créés. Bien maigre bilan car, en supposant que ce rythme soit maintenu pour les quatre années de la législature qui restent, cela ne donnerait, au bout, que 300 000 emplois, en deçà donc des 350 000 promis. Et à condition que, dans le même temps, d'autres emplois ne soient pas supprimés, ce qui n'est malheureusement guère pensable. Quant à ceux qui devraient être créés sur la base de la bonne volonté du patronat privé, on les attend encore. Les statistiques officielles font état depuis cinq ou six mois d'une légère baisse du nombre de chômeurs. Même si les chiffres ne sont pas trafiqués, ces emplois nouveaux ne compensent pas les emplois supprimés. Car il s'agit d'emplois précaires, à temps partiel, qui sont à la merci d'une inversion de la "conjoncture économique encourageante" actuelle. A la merci par exemple de la répercussion sur les économies des pays industrialisés de l'Europe occidentale des effets de la crise asiatique, faisant place de nouveau à un chômage encore aggravé par rapport à la situation d'aujourd'hui, qui reste pourtant à un niveau catastrophique.

Le bilan du gouvernement dit de la gauche plurielle n'est positif que pour la bourgeoisie et le patronat, mais en aucune façon pour le monde du travail et la population laborieuse. On ne peut même pas dire que le PS, principale composante de cette majorité, ait trompé son monde, tant il s'était gardé de promesses précises. Sauf peut-être à l'égard des sans-papiers et de ceux qui soutenaient leur cause, qui espéraient que le gouvernement nouveau, comme il s'y était engagé avant les élections de 1997, abrogerait les lois Pasqua-Debré et se montrerait généreux à l'égard de ces opprimés, de ces exploités fuyant la misère de leur pays d'origine à la recherche d'un peu de mieux-être pour eux et leur famille, celle qu'ils ont ici ou celle qui est restée au pays. Sur cette question, ce gouvernement s'est montré d'une intransigeance aussi sévère que celle qu'a déployée la droite et pour les mêmes raisons bassement politiciennes et démagogiques.

Mais les travailleurs, ceux de la construction navale, ceux de Michelin, ceux des arsenaux, les enseignants de la Seine-Saint-Denis, les chômeurs et bien d'autres ont rapidement pu vérifier que s'ils voulaient se faire entendre, il leur fallait entrer en lutte, faire grève exactement comme si la majorité n'avait pas changé il y a douze mois.

Quant aux partenaires du PS qui nous promettaient qu'ils ne laisseraient pas les mains libres aux socialistes, jurant qu'ils sauraient faire en sorte, pour reprendre les propos de Robert Hue et des dirigeants du PCF, que "l'on ne refasse pas ce qui avait échoué en 1981", on peut juger de leur bilan et aujourd'hui comparer les intentions affichées aux résultats obtenus.

Dominique Voynet et Robert Hue ont multiplié les discours dans lesquels les plaintes et les bonnes notes à l'égard de ce gouvernement, auquel ils participent, s'entremêlent. L'hypocrisie est double.

Car ils se plaignent des tendances de plus en plus hégémoniques du PS, mais ils n'ignoraient pas au départ que cela se passerait ainsi. Il est d'ailleurs contradictoire de geindre à ce propos et de se servir, comme excuse auprès de la fraction de leur électorat qui leur reproche, à juste titre, de s'aligner et même de s'aplatir devant le PS, du fait qu'ils sont impuissants face au PS parce qu'ils sont minoritaires et de ce fait condamnés à s'incliner. Mais, seconde hypocrisie, ils expliquent, à la suite du gouvernement, qu'il n'y a pas d'autre politique possible, que les contraintes de la situation ne laissent pas d'autres choix et que l'action gouvernementale serait la moins mauvaise possible.

Nous ne discuterons pas des choix des Verts, et des prises de position de Dominique Voynet. Ils sont quelque peu maltraités par la majorité PS, qui montre qu'elle n'est pas disposée à faire de fleurs à ses partenaires. Ils ne se situent pas sur le terrain de la défense des intérêts de la classe ouvrière, sur le même terrain que nous. Ils ne prétendent d'ailleurs pas cela. Et c'est même circonstanciellement qu'ils se situent à gauche. Il n'y a pas longtemps encore, avant l'élection présidentielle de 1995, les Verts, par la bouche de Voynet, se défendaient... vertement d'être de gauche. Et leur positionnement actuel au sein de la gauche dite plurielle peut tout aussi bien s'inverser dans le futur, sans que cela soit contre nature, ni que cela constitue une véritable surprise.

Les choix du PCF ont d'autres conséquences, et ceux-là nous concernent. Sa direction répète inlassablement que "la participation des communistes au gouvernement, c'est pour longtemps". Et comme les tendances hégémoniques du PS dénoncées par Hue ne sont pas non plus prêtes à cesser et vont plutôt aller en s'accentuant à mesure que l'on se rapproche des échéances électorales, on peut en conclure que la direction du PCF voudrait bien signer un contrat à durée indéterminée avec le PS, quelle que soit la politique qu'il mène, dont on a pourtant déjà des exemples.

L'une des manifestations de l'hégémonisme du PS, sur un problème certes secondaire mais significatif, est sa volonté d'imposer une réforme du mode de scrutin qui obligerait le PCF soit à se présenter sur des listes plurielles dans le cadre des élections européennes de l'an prochain, soit à perdre une partie de sa représentation. Les dirigeants du PCF regimbent face à ce projet, mais l'accepteront comme tant d'autres, afin de conserver leurs strapontins gouvernementaux.

Mais cette allégeance "pour longtemps" est bien plus lourde que la perte de quelques postes de notables élus lorsque le sort du monde du travail est en question, lorsqu'il s'agit de cautionner des mesures qui vont à l'encontre des intérêts de la population laborieuse.

C'est le cas, par exemple, lorsque le gouvernement décide de s'en prendre à l'épargne populaire en diminuant la rétribution des dépôts sur les livrets de caisse d'épargne. C'est encore le cas lorsque le gouvernement se trouve confronté à des mouvements sociaux comme par exemple la grève des pilotes d'Air France, qui refusaient, comme n'importe quel salarié l'aurait fait, d'accepter que l'on réduise leurs salaires. Il se trouve que dans ces deux cas, le ministre directement concerné est Gayssot, responsable des Transports et du Logement, et par ailleurs dirigeant du PCF. Dans ces deux cas, il lui a fallu justifier des choix contraires aux intérêts de la population laborieuse, contraires à la défense des intérêts des salariés. Une telle situation ne peut rester sans conséquences négatives, à la fois sur l'opinion ouvrière et sur l'état d'esprit des militants et des sympathisants du PCF lui-même.

Cet exercice d'équilibrisme entre deux positions antagonistes nécessite une dextérité verbale certaine, mais qui ne peut suffire à tromper les victimes des choix gouvernementaux. Et à force de vouloir s'accrocher "pour longtemps" à ce gouvernement jusqu'à ce que le PS en décide autrement car c'est lui, ne l'oublions pas, qui reste maître de la décision et qui peut à tout moment choisir de s'appuyer sur une autre majorité et il n'est pas impossible qu'il le fasse à l'occasion du vote sur la réforme du mode de scrutin pour l'élection européenne, pour laquelle il n'a pas de majorité dans sa majorité "plurielle" à force, donc, de vouloir s'accrocher sans condition au PS, le PCF risque de voir se décrocher de lui de plus en plus de ses sympathisants et de ses électeurs, une nouvelle fois déçus. Et, du coup, il risque de mettre ses militants, en particulier ses militants d'entreprise, une nouvelle fois en porte-à-faux par rapport aux travailleurs, contribuant à leur découragement, à une nouvelle hémorragie de ses effectifs.

Du point de vue même des visées et des combinaisons des dirigeants du PCF, ce n'est pas forcément un bon calcul. Car sa capacité de marchandage avec le PS ne tient pas seulement à son poids électoral, même si cet élément intervient mais secondairement. S'il peut jouer un rôle dans d'éventuelles combinaisons parlementaires, il le doit à l'influence qu'il a sur la classe ouvrière et plus généralement au sein de la population laborieuse. Une influence que sa direction a utilisée pour canaliser la combativité ouvrière en maintes circonstances, dont Mai 68 a constitué l'exemple le plus fameux dans la période, mais qui lui vaut d'être pris en considération par la bourgeoisie et ses serviteurs avoués, tel le PS. En choisissant de donner un coup de scie supplémentaire pour couper la branche qui le lie au monde du travail ce qui faisait et qui fait encore, dans une certaine mesure, sa spécificité la direction actuelle du PCF fait un pas de plus vers une auto-liquidation qui rendra plus difficile son acceptation au sein du club des "partis comme les autres". Sauf à se fondre entièrement au sein de la social-démocratie. Mais la place est occupée, et les places disponibles limitées. Pour un Fiterman, qui a obtenu une place au sein du PS, pour tel ou tel titulaire d'un poste de notable dans une mairie de grande ville, gagnée par le passé grâce aux efforts des militants du PCF mais qu'il peut monnayer demain, combien y aurait-il de laissés pour compte ?

Ce sont là les problèmes des notables du parti, qui ne concernent que secondairement l'avenir du monde ouvrier et des militants du PCF qui, tant bien que mal, essayent d'y maintenir une présence militante, une présence anticapitaliste et communiste.

Aujourd'hui plus encore que par les périodes passées, et pourtant le processus remonte loin, leur direction les laisse sans perspective. Ils se trouvent devant la mission impossible de justifier les abandons de leurs dirigeants qui cautionnent finalement la politique gouvernementale. Jusqu'à présent, ces dirigeants expliquent qu'il n'y aurait pas d'autre choix, pas d'autre politique possible. Ou encore, ce qui constitue une autre version du même argumentaire, qu'on peut aller à petits pas et que cela vaut mieux que de ne rien faire. On a vu que ces petits pas aboutissaient au mieux à stagner, mais plus sûrement à faire des pas en arrière. De toute façon une telle politique "des petits pas", en supposant même qu'ici ou là elle se traduise par des minimes améliorations, ne prend pas en compte un fait d'importance : les adversaires de la classe ouvrière, eux, ne restent pas inertes et avancent à grands pas, en particulier le Front National dont le succès s'alimente certes de la crise, mais surtout de l'absence de réponse de classe, de réponse radicale de la part de ceux qui sont censés représenter les intérêts de la classe ouvrière.

Or, une telle réponse est non seulement nécessaire, urgente, mais de plus elle correspond aux attentes d'une fraction non négligeable de la classe ouvrière et de la population laborieuse. Les résultats recueillis par Arlette Laguiller lors de l'élection présidentielle de 1995, par les candidats de Lutte Ouvrière lors des élections législatives de 1997, puis lors des élections régionales de 1998, attestent d'une telle attente. Certes, ces résultats restent limités, bien insuffisants pour inverser l'état d'esprit du monde du travail. Celui-ci, du fait de cette même crise, du fait aussi des déceptions répétées dues aux reniements et aux trahisons de ceux qui prétendent représenter ses intérêts, n'a pas encore retrouvé la pleine conscience du rôle qu'il serait en mesure de jouer, ni la confiance en sa puissance. Mais ce qu'a réussi une organisation comme Lutte Ouvrière à son niveau, alors qu'elle est loin d'avoir la présence militante du PCF dans les entreprises, dans les villes, les quartiers, les villages, donne la mesure de ce que pourrait être l'impact d'une telle politique menée par le PCF au lieu de la politique d'alignement derrière le PS. Le PCF y regagnerait à coup sûr les militants ouvriers qui l'ont abandonné au fil des années, déçus par ses abandons. Il retrouverait ceux qui aujourd'hui baissent les bras, tout en refusant une "mutation" qui n'est autre que l'officialisation d'une social-démocratisation depuis bien longtemps amorcée. Mais ce n'est pas la politique de Hue et de ses partisans.

Bien des divergences et un lourd contentieux hérités du passé séparent les militants trotskystes c'est-à-dire communistes révolutionnaires que nous sommes et les militants du PCF. La connaissance de ce passé est sans aucun doute nécessaire afin d'en tirer les leçons pour l'avenir, afin que ne se reproduisent pas les mêmes échecs. Mais le problème reste l'avenir.

Il existe au sein du PCF des militants qui veulent empêcher la dérive de sa direction actuelle vers la social-démocratisation affichée, officiellement établie. Nous ne savons pas s'ils sont nombreux, ni quelle peut être leur influence.

Tout ce que nous pouvons souhaiter, c'est qu'ils aillent jusqu'au bout de leur démarche. Nous sommes en tout cas solidaires de tous les efforts faits pour faire prévaloir une politique correspondant aux intérêts de la classe ouvrière une politique qui n'aurait rien à voir avec un alignement derrière le PS pour gérer avec lui les affaires de la bourgeoisie.