Les résultats de Lutte Ouvrière

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Avril 1998

Si les relativement bons résultats obtenus par les listes Lutte Ouvrière dans ces élections régionales ont été largement soulignés par l'ensemble des moyens d'information 4,50 % des suffrages exprimés à l'échelle des 68 départements où nous étions présents, et surtout 20 élus dans les Conseils régionaux, ont "créé la surprise" , leur signification réelle a été beaucoup plus discrètement explicitée.

Nombre de commentateurs se sont efforcés notamment, en tout cas dans un premier temps, d'attribuer à nos résultats un caractère circonstanciel : en se fondant dans la plupart des cas au sein de la "gauche plurielle", c'est-à-dire en passant sous la table, le Parti Communiste aurait "libéré un espace" pour l'extrême gauche, créneau que Lutte Ouvrière aurait opportunément exploité à son profit.

Mais, si notre progression électorale se réduisait à cela, comment expliquer que, même en Gironde ou dans le Pas-de-Calais où le PCF présentait pourtant sa propre liste, les résultats de LO soient en progression, et que, dans ce deuxième département, la liste LO ait obtenu un de ses meilleurs résultats (6,35 %), avec trois élus au Conseil régional ?

Ce genre de pseudo-explication réductrice est peut-être rassurant pour les journalistes commentateurs qui s'en contentent. Il n'est pas nouveau. Déjà en 1995, le résultat d'Arlette Laguiller dépassant la barre des 5 % dans une élection présidentielle avait été généralement présenté dans ces milieux comme se résumant à un "succès personnel" de notre camarade.

Mais les faits sont têtus et, en réalité, ce qui est le plus frappant et le plus intéressant à constater, c'est le caractère politique du vote pour les listes que nous avons présentées.

Un vote politique

Certes, la liste emmenée par Arlette Laguiller en Seine-St-Denis a réalisé un de nos meilleurs résultats : 6,84 %. Elle-même a été élue, ainsi que le deuxième camarade candidat sur cette liste.

Mais il ne s'agit nullement d'une exception localisée. Nos 20 élus se répartissent sur 13 départements, soit 9 régions différentes .

Elles et ils sont bien loin d'être des personnalités connues, même à l'échelle de leur département, comme peut l'être Arlette Laguiller, et on ne peut certainement pas attribuer leur succès à une quelconque "médiatisation" !

A quoi il faut ajouter que le nombre des élus ne reflète qu'imparfaitement nos résultats réels.

D'abord, parce que franchir le seuil des 5 %, imposé dans ce mode de scrutin à la proportionnelle faussée, ne suffisait de toute façon pas pour avoir ne serait-ce qu'un élu. Ce seuil, le tiers de nos listes 23, et pas seulement les 13 où nous en avons eu l'ont franchi, et même largement par exemple dans le Territoire de Belfort (7,36 %), la Haute-Marne (6,84 %), le Cher (6,62 %), même si, l'élection dépendant aussi du nombre de sièges attribué au sein du Conseil régional, il n'y a pas d'élus LO dans ces dix autres départements.

En outre, dans une série de 25 autres départements, les résultats de LO se situent entre 4 et 5 %. Globalement, ce sont donc 48 de nos listes sur les 68 que nous présentions qui ont obtenu plus de 4 % des suffrages. C'est là un pourcentage sensiblement supérieur à ceux que LO avait obtenus dans les diverses consultations électorales de la période antérieure et qui tournaient autour de 2 %, sans même toujours les atteindre.

Au niveau régional, cela s'est traduit, par exemple, par 5,35 % pour l'ensemble de la région Champagne-Ardenne, 5,60 % pour la région Nord-Pas-de-Calais, 4,40 % pour la Bretagne ou 4,56 % pour la Franche-Comté, ou encore 6,83 % pour la région Picardie (dans ces régions, entre autres, il y avait des listes LO dans tous les départements).

Il est évident que ce niveau de résultats demeure relativement modeste, mais il traduit néanmoins la percée d'un courant parmi les électeurs qui s'est reconnu politiquement dans la campagne que l'ensemble de nos camarades ont menée, dans les idées qu'ils ont défendues.

Ce niveau de résultats (4,50 %) se rapproche globalement du score réalisé à la présidentielle de 1995 (5,47 % sur ces mêmes 68 départements et 5,30 % à l'échelle nationale) ; il s'en rapproche plus nettement dans un certain nombre de départements, et le dépasse dans 15 d'entre eux, répartis à travers le pays.

Il ne peut s'agir en l'occurrence, évidemment, que d'une comparaison sur les pourcentages, la proportion des abstentions étant plus élevée pour des élections régionales que pour une élection présidentielle, et ayant été particulièrement élevée le 15 mars dernier. Et les conditions de ces deux types d'élections, la possibilité de se faire entendre à la télévision par exemple, ne sont pas les mêmes. Mais le rapprochement atteste que la petite percée électorale du courant que Lutte Ouvrière représente n'était pas un phénomène accidentel, lié exclusivement à la popularité personnelle d'Arlette Laguiller (aussi réelle et justifiée qu'elle soit). Ce n'était déjà pas le cas en 1995 comment dissocier la personne d'Arlette des idées et du programme qu'elle défend ?

En tout cas, les résultats électoraux de mars 1998 montrent qu'une fraction de l'électorat populaire commence à se retrouver durablement dans la politique défendue par Lutte Ouvrière et que, si cette fraction est encore petite, elle mérite d'autant plus d'être prise en compte qu'elle est en progression ce qui est peut-être le plus important pour l'avenir.

Un vote en progression

Lors des précédentes élections régionales, en 1992, nous n'avions présenté des listes que dans trente départements, et nous avions recueilli au total 215 162 voix, 1,83 % des suffrages exprimés. Cette année, sur ces même trente départements, et malgré l'augmentation des abstentions (plus d'un million de suffrages exprimés en moins), nous en avons recueilli 450 156, soit plus du double, et 4,44 % des suffrages exprimés.

Ce doublement par rapport à 1992 est quasi général dans ces trente départements. En Haute-Garonne, dans l'Isère, le Territoire de Belfort, notre nombre de voix a même été multiplié par trois, par plus de quatre dans les Bouches-du-Rhône.

Pour mémoire, rappelons qu'en 1994, année d'élections européennes, le score de la liste LO fut de 2,28 %. Mais, depuis l'élection présidentielle de 1995, l'occasion électorale inattendue créée par Chirac avec les législatives anticipées de mai 1997 a déjà montré une progression assez nette de nos résultats, d'en moyenne 1 % par rapport à des élections comparables, les législatives de 1993. Nous avons présenté l'an dernier, en effet, des candidats dans 321 circonscriptions, qui ont totalisé 421 877 voix, soit 3,06 % (avec plus de 5 % dans 7 circonscriptions).

Pour comparer nos résultats actuels avec ceux de ces législatives de 1997, nous devons nous en tenir à 19 départements : ceux où nous avions des candidats dans tout le département, et où nous nous sommes également présentés cette année aux régionales. Sur ces 19 départements, notre résultat est passé de 3,22 % à 5,25 %, et, fait plus significatif, étant donné le taux élevé des abstentions à ces régionales, notre résultat en voix a progressé d'un bon tiers, passant de 154 356 à 213 794 (augmentation de 38,50 %).

Pouvons-nous, pour autant, comme Gérard Grunberg, directeur de recherche au Centre d'Etude de la Vie Politique Française (CEVIPOF), qui constate "le nouveau cycle ouvert en 1995 a marqué, en même temps qu'un redressement de la gauche, une poussée de l'extrême gauche, essentiellement au profit de Lutte Ouvrière", en conclure avec lui : "les corrélations que cet électorat [celui de l'extrême gauche NDLR] entretient avec ce qu'il était lui-même en 1995 ou en 1997 me laissent penser qu'il peut y avoir là le début d'une cristallisation" ?

Nous pouvons en tout cas conclure, pour notre part et en termes moins circonspects, que nos idées gagnent du crédit dans une fraction de l'opinion ouvrière, qui se retrouve dans la politique défendue par Lutte Ouvrière. Une partie de l'électorat qui ne se laisse plus abuser par le chantage au vote dit "utile" pour "battre la droite", qui a conscience de la faillite de la politique du gouvernement face au chômage et de la nécessité d'une politique radicale à l'égard des possédants.

Un vote ouvrier

Pour demeurer, au stade actuel, à un niveau insuffisant pour pouvoir peser réellement, ne serait-ce que parce qu'il ne s'agit que d'une expression sur le plan électoral, le vote LO est un vote politique qui exprime l'existence d'un courant d'opinion qui se révèle durable. C'est aussi un vote ouvrier avant tout.

Ce ne sont évidemment pas les centres-villes bourgeois ou les banlieues aisées qui sont à l'origine de la progression de nos résultats. Ceux-ci, généralement déjà très faibles en ces lieux en 1995, y sont parfois en nette diminution tandis que, dans le même temps, la proportion des suffrages LO s'accroît dans les bureaux de vote des quartiers populaires de la même ville.

D'une façon générale, nous pouvons constater que le vote pour les listes LO a un caractère ouvrier marqué. Nos meilleurs résultats se situent dans les régions ouvrières, dans les quartiers et les banlieues populaires, dans les cités à forte concentration d'ouvriers, de Rmistes, de chômeurs, de population travailleuse d'origine immigrée.

Dans la région parisienne, par exemple, notre résultat sur le département des Hauts-de-Seine, où se situe une bonne partie des communes de la banlieue bourgeoise, est de 3,46 % en moyenne (0,98 % à Neuilly !), mais il atteint 7,30 % dans la ville ouvrière de Gennevilliers, pour 6,63 % en 1995. En Seine-St-Denis, dans les villes ouvrières, il atteint 8,03 % à Montreuil, 8,96 % à Aubervilliers pour 6,3 % en 1995, et entre 10 et 13,88 % dans les cités ; de même, à La Courneuve : 8,87 %, et entre 10,20 et 15,90 % dans des bureaux de vote de la cité des 4000.

Ce phénomène est similaire dans diverses régions : par exemple, dans la banlieue de Lyon, à Vénissieux, LO obtient des pourcentages supérieurs à 6 % dans 15 bureaux de vote sur 21, dont 4 entre 8 et 9 % et trois supérieurs à 9 %, les meilleurs scores se situant dans la cité des Minguettes. Ou encore dans les banlieues ouvrières de Grenoble (St-Martin-d'Hères, Echirolles, Fontaine) ou les grandes cités de la ville à forte population d'origine immigrée ; dans celles de Tours (St-Pierre-des-Corps, Montlouis) ; ou encore dans les cantons populaires de Toulouse, l'ensemble de la banlieue de Rouen, les cantons du nord de la Meurthe-et-Moselle d'ancienne tradition sidérurgique et d'implantation du PCF, les quartiers ouvriers de Belfort...

On ne s'étonnera évidemment pas du fait que, dans les villes ou les régions où LO est implantée depuis des années, où nos militants interviennent quotidiennement dans les luttes dans leurs entreprises comme sur le plan politique en général, et où eux-mêmes et la politique qu'ils défendent ont acquis une certaine notoriété, les listes LO ont obtenu parmi leurs meilleurs résultats.

Cependant, nous pouvons constater aussi que notre campagne a rencontré un écho bien perceptible plus largement, au-delà des entreprises et des villes où nous sommes présents et militants de longue date, à travers les bons résultats obtenus dans une série de petites villes ou bourgades en Bretagne, en Lorraine, en Bresse, en Savoie, dans l'Indre-et-Loire, dans toute la Picardie où vit toute une population ouvrière, aujourd'hui souvent réduite au chômage ou à diverses formes de travail précaire, ou pour le moins à l'incertitude pour son emploi, dans des petites ou moyennes entreprises.

Une partie au moins de cette population ouvrière a trouvé dans nos candidats des travailleuses et des travailleurs représentatifs du monde du travail, pas des notables même au petit pied, pas des carriéristes, et cette image de classe donnée par l'ensemble de Lutte Ouvrière n'est brouillée par aucun accord opportuniste avec telle ou telle notabilité locale, par exemple.

Et, non seulement, avec les candidats de LO, leurs électeurs savent pour qui ils votent pour des femmes et des hommes solidaires de leur classe , mais ils savent aussi clairement pour quoi ils votent pour un programme de mesures radicales contre les possédants. Depuis le plan d'urgence pour les travailleurs et les chômeurs popularisé par Arlette Laguiller en 1995, l'expérience est venue confirmer qu'il ne faut pas plus compter sur les gouvernements de gauche, même dits "pluriels", que sur ceux de droite.

Et cette permanence dans ce que nous sommes, sur notre programme, sur nos idées, qu'aucune recherche de compromis ou d'alliances à géométrie variable avec des gens qui ne les partagent pas n'a jamais ébranlée, est un gage de crédibilité et de sérieux.

C'est pour cela que nos résultats électoraux ont augmenté, parce que de plus en plus de travailleurs ont pu s'emparer de l'occasion pour montrer qu'ils approuvent ce que nous disons depuis longtemps.

* * *

Cela dit, nous ne nourrissons pas d'illusions.

Nos listes ont recueilli au total 782 727 voix, et le taux des abstentions dans ces élections s'est élevé à quelque 42 % ce qui mesure, de toute façon, la limite même de ce relatif succès électoral.

D'ailleurs, si nos résultats ont été remarqués, cela a été dû surtout à l'élection, inattendue, non seulement d'Arlette Laguiller mais de 19 autres de ses camarades dans les Conseils régionaux.

Pour autant, il n'y a pas eu un vote massif se portant sur nos listes, un changement tel qu'il nous aurait permis même d'approcher les 10 % sur le plan global, qui aurait vraiment pu impressionner l'opinion ouvrière comme le camp de la bourgeoisie et constituer un avertissement impossible à négliger.

Et, surtout, la fraction de l'électorat ouvrier qui accède à cette conscience qu'au pseudo-radicalisme du Front National et de Le Pen, qui leur a valu leur audience y compris dans des milieux populaires, il faut opposer un radicalisme antipatronal, anticapitaliste, éloigné de toute démagogie comme de toute complaisance envers les défenseurs de la gauche gouvernementale, cette fraction reste encore bien minoritaire (sans même revenir sur le fait qu'il ne s'agissait pour elle de s'exprimer, en l'occurrence, que sur le terrain électoral).

C'est pourtant en elle que résident les meilleurs gages pour l'avenir.