Proche-Orient - Après la nouvelle révolte des Palestiniens

打印
Novembre 1996

En décidant l'ouverture d'une seconde entrée à un tunnel archéologique situé aux abords de l'Esplanade des mosquées à Jérusalem, le gouvernement israélien ajoutait une provocation à bien d'autres. Cette dernière pouvait sembler anodine. Elle n'était pas pire que le dynamitage récent de plusieurs maisons palestiniennes à Jérusalem-Est, ou l'ouverture d'un autre tunnel, routier celui-là, prolongé par une route réservée reliant Jérusalem-Ouest à une colonie juive de Cisjordanie et que les Palestiniens ont surnommé "le tunnel de l'apartheid". D'autant que, près de l'Esplanade des mosquées, il ne s'agissait que du percement d'une nouvelle entrée dans un site déjà visité chaque année par 70.000 touristes.

Seulement, cette entrée se trouvait à Jérusalem-Est, dans le quartier palestinien. Les derniers coups de pioche furent ressentis par la population palestinienne comme une humiliation supplémentaire. Ils ont mis le feu aux poudres et embrasé les Territoires. Les émeutes qui eurent lieu durant trois jours, les 25, 26 et 27 septembre dernier, firent 83 morts (67 Palestiniens et 16 Israéliens) et un nombre bien plus important encore de blessés.

Ces émeutes ont évidemment fait craindre une nouvelle Intifada à tous ceux qui, de près ou de loin, ont quelque intérêt à ne pas voir la population palestinienne s'engager sur les chemins de la révolte. L'Intifada, le soulèvement de la population palestinienne entre 1987 et 1993, avait d'ailleurs elle aussi commencé de façon soudaine, au lendemain d'un grave accident de la route au cours duquel quatre Palestiniens avaient été écrasés par un camion israélien. Les huit camps de réfugiés de la bande de Gaza entrèrent alors en ébullition. Ce fut le début de la "guerre des pierres", qui s'étendit rapidement à tous les Territoires occupés.

La complicité d'Arafat

L'empressement mis par les pays de l'Union européenne et surtout par les Etats-Unis, à prétendre vouloir renouer les fils défaits d'une négociation depuis longtemps dans l'impasse, le même empressement d'un Nétanyahou ou d'un Arafat à accepter les rencontres proposées par Clinton, ont témoigné de la crainte d'une extension ou d'une prolongation de l'insurrection que tous redoutent.

Lors des derniers événements, les premiers manifestants qui se sont spontanément regroupés à Jérusalem, à Gaza et dans les principales villes de Cisjordanie, ont pu un temps se croire soutenus par l'Autorité palestinienne de Yasser Arafat qui a appelé à une grève des commerces et à des manifestations. Mais, devant l'ampleur des manifestations qui se sont vite transformées en émeutes, en insurrection quasi généralisée, Arafat a reculé. Cela s'est senti au second jour des affrontements quand, à Naplouse et à Ramallah, la sécurité préventive palestinienne a, sur les ordres directs du chef de l'OLP, imposé un cessez-le-feu à sa propre police qui s'était rangée aux côtés des émeutiers. Dans une interview donnée au journal L'Humanité, Arafat a eu, d'une certaine façon, la franchise de reconnaître le rôle de frein au mouvement qui fut le sien. En laissant après coup planer de vagues menaces, il a ainsi déclaré : "Lors des derniers événements, nous avons pu contrôler la situation. Nous ne savons pas ce qui pourra survenir la prochaine fois". "Contrôler la situation", tel fut bien d'ailleurs le rôle dévolu à Arafat par les gouvernants israéliens. Les accords d'Oslo, la déclaration de principe qui en est sortie, n'avaient pas d'autres objectifs. En y souscrivant, le dirigeant de l'OLP acceptait par avance que l'embryon de son hypothétique Etat fasse la démonstration qu'il serait bien un rempart capable de protéger Israël de la colère des masses palestiniennes.

Ainsi, Arafat a délibérément tourné le dos à la seule force qui pouvait faire reculer le gouvernement israélien, la population palestinienne mobilisée, combattante. Arafat n'était évidemment pas sans savoir que, dans un passé récent, c'était elle qui avait contraint l'Etat hébreu à reculer. Pour que l'OLP fût finalement reconnue, pour qu'Israël fît quelques concessions, dont l'autonomie toute relative de Gaza et de sept villes de Cisjordanie, il avait fallu des années d'Intifada. Sa position de chef d'Etat (même si son Etat n'existe pas vraiment), Arafat la doit à des centaines de combattants (1258 officiellement) qui sont morts une pierre à la main.

Seulement, Arafat, qui représente les catégories sociales aisées de sa population, craint les mobilisations populaires. Et même lorsqu'il les a utilisées dans le passé, ce fut avant tout pour peser sur les pouvoirs en place. Dans le cas présent, cette crainte a dû se doubler d'une autre pour Arafat, celle de voir ses concurrents islamistes intervenir pour tenter d'utiliser l'insurrection à leur profit.

Il est bien difficile de demander à des milliers d'hommes, de femmes, de jeunes, d'affronter sans arme, presqu'à main nue, des forces d'occupation suréquipées comme l'est l'armée israélienne. Mais quand spontanément, au péril de leur vie, ils se heurtent à la troupe, leur tourner le dos, ne pas être à leur côté, c'est les trahir.

Ne pas aller jusqu'au bout des possibilités du mouvement ne pouvait aussi aboutir qu'à geler la situation et, en la circonstance, sortir le gouvernement israélien du mauvais pas dans lequel il s'était mis. La mobilisation de la population palestinienne retombée, Nétanyahou n'avait plus aucune raison de faire la moindre concession, pas même sur l'ouverture du tunnel archéologique, et ce malgré l'insistance des Etats-Unis et de l'Union européenne. Sur cette question Nétanyahou se montra même provocateur en affirmant : "l'ouverture pratiquée n'est rien d'autre que l'expression de notre souveraineté sur la capitale éternelle d'Israël". De sa part, une telle position n'est certes pas nouvelle. Mais officiellement l'avenir de Jérusalem est encore en suspens, devant faire l'objet d'un accord à venir.

Un des articles des accords d'Oslo stipulait : "Chaque partie prendra toutes les mesures nécessaires pour prévenir les actes de terrorisme et d'hostilité contre l'une d'elles". Arafat s'est somme toute plié à cette exigence, alors que Nétanyahou s'en est éperdument moqué. Toute la politique de ce dernier est faite d'expropriations et d'humiliations. Elle ne peut susciter que la haine et la colère des Palestiniens. Et quand leur colère explose, ce sont les chars, la mitraille et les hélicoptères de combat que le gouvernement israélien leur oppose.

La politique de la gauche et de la droite israéliennes

Le gouvernement de Nétanyahou porte une responsabilité évidente dans l'exaspération des Palestiniens. L'accentuation des déceptions, les brimades de toute sorte, les répressions brutales et parfois sanglantes, l'accroissement de la misère, accentuée par un bouclage des Territoires quasi permanent depuis plusieurs mois, ne pouvaient conduire qu'aux affrontements qui viennent d'avoir lieu. Et cela d'autant plus que les déceptions succédaient aux espoirs, même vagues, d'une possible libération propagés par Arafat, désireux de présenter les multiples concessions faites par la partie palestinienne comme un premier pas vers une libération totale des Territoires et la constitution d'un Etat spécifique pour les Palestiniens.

Mais une telle situation n'est pas le fait exclusif des quatre mois du gouvernement Nétanyahou, même si le Likoud de Nétanyahou s'est d'emblée montré ouvertement plus méprisant et cynique à l'égard des Palestiniens. Les gouvernements précédents, celui de Pérès-Rabin puis, après l'assassinat de ce dernier, celui du seul Pérès, ont une part importante de responsabilité. Il n'y a pas de rupture entre la politique suivie par les uns et par les autres.

Le "processus de paix" initié par les travaillistes n'a jamais amené la moindre paix. Cette expression associée à leur politique est mensongère. Certes, les travaillistes furent contraints à un changement d'attitude pour tenter de désamorcer la situation explosive créée par l'Intifada. Mais il ne s'agissait pas de paix et encore moins de la reconnaissance du droit pour les Palestiniens à avoir un Etat qui leur soit propre. Quelques confettis territoriaux leur furent offerts, en échange desquels la nouvelle police d'Arafat devait garantir la sécurité d'Israël, là où l'armée israélienne avait montré son incapacité. La primauté de l'Etat hébreu sur la plus grande partie des Territoires était ainsi garantie. Cette politique est l'oeuvre du nationalisme israélien, le sionisme, que partagent aussi bien les travaillistes que la droite.

Tous les problèmes en suspens pour lesquels Arafat demande un règlement, se posaient déjà avant que la droite arrive au gouvernement, qu'il s'agisse du retrait d'Hébron, de la poursuite de la colonisation, de la libération des détenus politiques, du transfert de certaines responsabilités à l'Autorité palestinienne ou de l'ouverture d'une voie de passage entre Gaza et la Cisjordanie.

La politique de tous les gouvernements israéliens à l'égard d'Hébron, par exemple, est des plus significatives. C'est au lendemain de la guerre de 1967 qui entraîna l'annexion de la Cisjordanie que la colonisation d'Hébron a commencé. A l'époque, entre 1967 et 1970, le gouvernement était travailliste. C'est à lui que l'on doit l'installation dans cette ville des fanatiques religieux du Bloc de la foi, partis à la reconquête d'une cité qui connut son heure de gloire à l'époque de l'Ancien testament, il y a quelque quarante siècles. Les références bibliques paraissaient en tout cas suffisamment importantes et vitales pour que le gouvernement d'alors offrit attentions et protections aux quelques familles de religieux juifs qui s'installèrent à Hébron. On leur réserva un quartier au centre d'une ville où vivaient plusieurs dizaines de milliers de Palestiniens (120 000 aujourd'hui) et l'armée, quatre fois plus nombreuse que les colons, restait en permanence pour les protéger.

En février 1994, un colon d'extrême droite pénétra dans la mosquée d'Hébron pour mitrailler aveuglément les Palestiniens qui priaient. Il y eut trente morts. Cet acte survint moins de six mois après la signature à Washington de l'accord dit "Gaza et Jéricho d'abord" entre le gouvernement israélien et l'OLP et la poignée de main entre Rabin, le Premier ministre israélien, et Arafat. L'émotion suscitée dans la communauté palestinienne et en Israël même par ce geste fou eût pu permettre à Rabin d'évacuer les colons, se débarrassant ainsi de quelques illuminés qui de toute évidence allaient être un obstacle à une déclaration d'autonomie déjà envisagée pour la ville d'Hébron. Il n'en fit rien. Soucieux de complaire à son extrême droite, il montra publiquement sa faiblesse devant quelques rabbins brandissant le Talmud d'une main, la mitraillette de l'autre.

Selon les accords conclus, Hébron aurait dû passer sous autorité palestinienne en mars dernier. Mais les travaillistes alors au gouvernement piétinèrent leur signature, Hébron resta sous le contrôle de l'armée israélienne. Aujourd'hui, cinquante deux familles juives habitent la ville, soit 450 personnes, des religieux pour la plupart. Le gouvernement de Nétanyahou, tout en disant vouloir respecter les accords conclus, entend maintenant renégocier certains aspects qui concerneraient, dit-il, la sécurité de ces colons. Il demande, par exemple, que même dans la partie de la ville qui serait évacuée par les soldats israéliens, ceux-ci puissent conserver le droit de patrouiller et de rechercher d'éventuels agresseurs. La seconde exigence serait que les quatre cents policiers palestiniens, chargés selon les accords précédents de faire régner l'ordre, ne soient pas armés de fusils comme dans les autres enclaves autonomes mais seulement de pistolets. Enfin, le Premier ministre israélien entend obtenir des "ajustements" territoriaux et des aménagements architecturaux laissant plus d'espace aux colons de la ville pour se développer, sans être sous la menace d'une quelconque action hostile.

Il en fut de même à propos de la colonisation de l'ensemble des Territoires. Commencée sous des gouvernements travaillistes, cette colonisation n'a jamais cessé de s'étendre. Elle s'est au contraire poursuivie sans discontinuer à Gaza, Jérusalem et en Cisjordanie. On n'en finirait pas de citer les expulsions dont ont été victimes les Palestiniens ou les dynamitages de leurs maisons. Là encore, Nétanyahou n'a fait que poursuivre l'oeuvre entreprise par Rabin et Pérès. Pour ne citer que deux chiffres, le nombre de colons dans les Territoires a augmenté de 45 % sous le gouvernement des travaillistes Rabin-Pérès. A Jérusalem-Est la population juive a atteint 160 000 contre 155 000 Palestiniens. Plusieurs routes réservées aux colons ont été construites en Cisjordanie et à Gaza. A propos de la colonisation, la seule différence entre Rabin-Pérès et Nétanyahou, entre les travaillistes et la droite, est que les premiers l'avaient poursuivie après les accords "seulement", alors que les seconds l'ont officiellement reprise.

La nouvelle carte des Territoires, fruit des accords d'Oslo, a été dessinée par les dirigeants travaillistes. Cette carte est dite "peau de léopard" puisqu'elle comprend plusieurs taches, désignant les diverses zones et leurs autorités correspondantes. Seulement, l'oeuvre des travaillistes est bien moins harmonieuse que celle de la nature où les diverses surfaces s'équilibrent. Dans les découpages imposés par Israël, la part prépondérante revient aux zones expropriées par Israël. Ainsi, la Cisjordanie a été découpée en trois zones A, B et C. La première correspond aux sept villes sous contrôle de l'Autorité palestinienne, elle représente moins de 6 % de la superficie de la Cisjordanie. La deuxième est en quelque sorte mixte, elle reste sous le contrôle d'Israël bien que certains pouvoirs civils aient été confiés aux Palestiniens. La troisième enfin, la plus importante et de loin, puisqu'elle couvre 72 % de la Cisjordanie, reste sous le contrôle total d'Israël.

La droite du Likoud n'a eu en fait qu'à poursuivre la politique suivie par les travaillistes en affichant clairement son intention de continuer les implantations et en accélérant les opérations de colonisation dans la ville de Jérusalem.

Certes, dans les villes sous contrôle de l'Autorité palestinienne, le retrait de l'armée d'occupation a amené une amélioration de la sécurité personnelle, sauf bien sûr pour les opposants recherchés par la police d'Arafat. Mais sur les autres plans les conditions d'existence se sont nettement aggravées. Plus de 40 % de la population est au chômage. Le bouclage quasi permanent des Territoires depuis plusieurs mois n'a fait qu'aggraver la situation de l'emploi et a entraîné par conséquent la baisse des revenus dont dispose la population. Autre signe de paupérisation, le nombre d'enfants au travail, n'allant plus à l'école, a nettement augmenté ces derniers temps.

Alors que précédemment les Palestiniens pouvaient circuler assez librement dans tous les Territoires, aujourd'hui beaucoup ne peuvent quitter leur zone. Avant les accords d'Oslo, le bouclage des Territoires, quand il était imposé par l'armée israélienne, s'arrêtait à la ligne verte qui séparait Israël des régions palestiniennes. Actuellement on ne passe plus d'une zone à l'autre lorsque l'armée israélienne installe ses barrages. De même, Jérusalem-Est est fermée pour les Palestiniens non résidents. Ainsi, l'accès aux hôpitaux, aux universités, aux institutions sociales et administratives devient des plus problématiques. Par ailleurs, il faut un permis spécial pour se rendre de Gaza en Cisjordanie. Un passage entre ces deux Territoires aurait dû être ouvert en 1994 pour permettre la liberté de mouvement des Palestiniens entre les territoires gérés par l'Autorité palestinienne. Deux ans et demi après la date prévue, le passage n'existe toujours pas et même Arafat doit recevoir la permission des autorités israéliennes pour se rendre dans les enclaves qu'il est censé gérer...

Une telle situation fait penser aux tristement célèbres bantoustans d'Afrique du Sud. Cette comparaison est d'ailleurs reprise en Israël même. Un journaliste n'écrivait-il pas : "Quel type d'Etat, hormis les bantoustans, devrait exercer sa souveraineté sur la base de son contrôle sur des blocs souverains discontinus, sans droit de contrôle sur les ressources naturelles de base, tout en étant encerclé par des régions appartenant à un autre Etat capable de l'étrangler toutes les fois que ses intérêts sont en jeu ?"

Dans ces conditions on comprend que la paix soit morte ou en piteux état dans le coeur des Palestiniens et qu'une étincelle même anodine puisse à tout moment embraser les Territoires.

Une situation bloquée

Aujourd'hui, avec le gouvernement Nétanyahou, les relations israélo-palestiniennes sont non seulement bloquées mais rien n'indique que le gouvernement israélien soit prêt à la moindre concession. Au contraire même, puisqu'il entend renégocier quelques points qui semblaient pourtant acquis aux Palestiniens, à Hébron notamment. Si Nétanyahou peut afficher une telle intransigeance, c'est que celle-ci s'inscrit dans un rapport des forces favorable à l'Etat hébreu. Lorsque les gouvernants israéliens furent contraints de négocier pour aboutir en 1993 à la signature de l'accord "Gaza et Jéricho d'abord", ce ne fut pas en raison d'un succès militaire de l'OLP, mais parce que la situation était telle après plusieurs années d'Intifada, c'est-à-dire d'un soulèvement populaire profond et durable, qu'il devenait urgent de sortir l'armée israélienne du bourbier dans lequel elle s'enlisait sans parvenir à réduire l'insurrection, d'autant qu'en Israël même la population commençait à être lasse de voir ses fils transformés en policiers. Des négociations étalées dans le temps s'engagèrent donc, au terme desquelles quelques concessions furent faites. Dès lors, la parole n'était plus à la population palestinienne mobilisée mais aux hommes politiques des deux bords, les Israéliens pour leur part s'ingéniant à vérifier si Arafat était capable de contrôler sa propre population ; en un mot s'il était capable de remplacer l'armée israélienne là où celle-ci avait échoué.

Ce nouveau cours politique israélien, les quelques concessions faites à l'OLP, amenèrent en retour un renforcement de l'extrême droite juive dont une des composantes était et reste toujours les colons des Territoires. A aucun moment les travaillistes n'envisagèrent de démanteler les colonies juives de Gaza et de Cisjordanie, ils se servirent au contraire d'elles dans les marchandages avec l'OLP. C'est donc sur la base d'une "paix" qui se traînait, voire déjà agonisante, que la droite de Nétanyahou est arrivée au pouvoir.

En fait, entre les négociations, les accords momentanés, les reprises de la guerre, la situation en Palestine n'a pas fondamentalement évolué depuis bien longtemps. C'est l'Etat d'Israël qui continue à imposer sa loi, en ne faisant que des concessions mineures lorsqu'il devient nécessaire de désamorcer la colère de la population palestinienne.

Cela ne tient pas au fait que le gouvernement actuel soit de droite. C'est quelque chose de plus fondamental.

Que l'on compare le règlement entre l'Etat d'Israël et l'Egypte à celui qu'il voudrait imposer aux Palestiniens ! A l'époque, ce fut Bégin, un homme de droite justement, du Likoud tout comme Nétanyahou, qui signa avec Sadate un accord de paix prévoyant la rétrocession à l'Egypte du Sinaï, occupé par Israël depuis 1967. Et tant pis alors s'il fallut démanteler les colonies juives installées dans le Sinaï. Les partis de droite, tout comme ceux de gauche, ne sont jamais prisonniers de leur base électorale. Leur politique est sur le long terme parfois toujours définie par les choix de la classe dominante bourgeoise et, dans le cas d'Israël, aussi par ceux de l'impérialisme. Mais l'Egypte est un Etat, intégré à sa place dans le système impérialiste mondial. Le traité Bégin-Sadate était un traité entre Etats. C'est précisément le droit à une existence étatique que les dirigeants d'Israël de tous bords continuent à contester aux Palestiniens.

La bourgeoisie israélienne et les forces politiques qui aujourd'hui la représentent semblent être actuellement dans une situation incommode. Une partie semble-t-il importante de la bourgeoisie n'avait pas accueilli avec grand enthousiasme l'arrivée au gouvernement de Nétanyahou, et ce d'autant moins qu'après la signature des premiers accords avec les Palestiniens, l'économie israélienne avait connu une embellie. Les exportations avaient doublé. Des marchés nouveaux s'étaient ouverts en Asie et surtout dans le monde arabe. Les investissements étrangers s'étaient considérablement développés. Leur flux avait atteint deux milliards de dollars, alors qu'il était quatre fois moindre avant l'accord d'Oslo. Aujourd'hui, la Bourse israélienne est en baisse, la monnaie se dévalue fortement face au dollar et, surtout, les investisseurs étrangers menacent, comme ce représentant de Claridge Israël, une des principales firmes d'investissement dans le pays, affirmant : "A l'heure actuelle, nous n'avons guère envie de mettre de l'argent dans l'économie". Un autre important investisseur étranger a déclaré, lui : "Israël est à un carrefour. Le pays doit choisir où il veut aller : l'une des routes conduit au Japon, l'autre à la Bosnie".

Le dilemme pour la bourgeoisie israélienne est certainement bien réel. D'un côté, il serait souhaitable pour ses affaires de désamorcer la situation explosive qui prévaut dans les Territoires où vivent les Palestiniens. D'un autre côté, toute politique allant dans ce sens peut provoquer des troubles au sein même de la société israélienne venant de ceux qui refusent un abandon des Territoires. Et surtout, si les Etats-Unis soutiennent sans réserve l'Etat d'Israël, l'arment et le financent, c'est pour qu'il soit en situation d'imposer en même temps que sa propre loi, celle de l'impérialisme, dans cette région du monde donc, qu'il n'apparaisse en aucun cas en position de faiblesse.

L'immobilisme prévaut donc et Nétanyahou semble être là pour gérer la situation sans rien y changer. Mais qui dit geler la situation, dit aussi favoriser ceux qui, en Israël, sont contre toute rétrocession de nouveaux territoires à l'Autorité palestinienne.

De son point de vue, l'impérialisme n'est pas plus pressé que Nétanyahou de voir la situation évoluer. Tout en réaffirmant qu'il faut poursuivre les négociations, il se garde d'exercer la moindre pression sur le gouvernement israélien. Ainsi, il n'est pas question de geler l'aide annuelle de trois milliards de dollars accordée par Washington à l'Etat israélien. La seule petite mesure financière prise par les Etats-Unis, en raison de la poursuite de la colonisation dans les Territoires, a été de réduire de 60 millions de dollars le montant des emprunts bénéficiant de la garantie du trésor américain qu'Israël pourra lever. L'an dernier, sous les gouvernements travaillistes de Rabin et Pérès, une somme identique avait été retranchée à cause de l'élargissement des colonies existantes, notamment autour de Jérusalem. Autant dire que les Etats-Unis n'entendent exercer aucune pression sur leur allié privilégié de la région.

Quant aux impérialistes européens, certains comme Chirac ont le verbe haut mais tous ont le geste bas. Aucun n'a, par exemple, menacé Israël de revenir sur de récents accords économiques au cas où le prétendu processus de paix qu'ils disent avoir à coeur ne serait pas repris.

En fait, la seule force qui puisse contraindre Nétanyahou à de nouvelles concessions est toujours la population palestinienne, sa mobilisation, sa révolte, dont les événements de septembre dernier ont donné un aperçu.