Grande-Bretagne - Derrière le "nouveau travaillisme"

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Juillet-Août 1996

Au nom d'origines lointaines qui le virent apparaître, au début du siècle, comme l'expression politique du mouvement syndical, le Parti travailliste est censé représenter la gauche sur l'échiquier politique britannique.

Mais, dès la Première Guerre mondiale, ce parti a été intégré à la machine gouvernementale de "l'union sacrée", avant de remplacer le vieux Parti libéral au lendemain de cette guerre et de devenir le partenaire du Parti conservateur dans le système bipartiste britannique. Commença alors, avec celui de Macdonald en 1924, une longue lignée de gouvernements travaillistes.

Or, depuis dix-sept ans, c'est-à-dire depuis l'arrivée au gouvernement de Margaret Thatcher et des conservateurs en 1979, le Parti travailliste est écarté du pouvoir. Aujourd'hui, l'usure du pouvoir et le discrédit frappent les conservateurs. Au point que, depuis plusieurs années déjà, le parti au pouvoir perd ses positions les unes après les autres au profit des travaillistes, que ce soit à l'occasion des élections municipales ou des législatives partielles. Quant aux sondages, depuis deux ans, ils ne cessent de donner aux travaillistes une avance de plus de 15 points sur les conservateurs.

Selon toute probabilité, c'est donc le Parti travailliste, c'est-à-dire ce qui tient lieu de gauche en Grande-Bretagne, qui devrait revenir au pouvoir lors des prochaines élections législatives prévues pour 1997. Mais quelle gauche ! Une gauche qui a non seulement rompu, depuis longtemps, avec ses origines, mais qui, de plus, en guise de préparation à son retour au pouvoir, en est à reprendre aujourd'hui intégralement à son compte l'essentiel du fonds de commerce réactionnaire de la droite politique traditionnelle.

L'élection de l'actuel leader du Parti travailliste, Tony Blair, en juillet 1994, a en effet marqué un tournant dans le langage du Parti travailliste. Depuis le milieu des années 1980, celui-ci avait déjà subi un glissement progressif et prudent vers la droite, sous la bannière du "Nouveau Réalisme". Avec Blair, le Parti travailliste s'est engagé dans un ravalement de façade tous azimuts. Et l'odeur de la victoire à l'approche des élections de 1997 n'a fait qu'exacerber cette tendance. Il en est sorti ce que l'on appelle aujourd'hui en Grande-Bretagne le "New Labour" ou "Nouveau Travaillisme".

Cette fois, la prudence n'est plus de mise. L'assurance arrogante affichée par Tony Blair et ses acolytes dans ce brutal réalignement à droite reflète fidèlement celle de la bourgeoisie britannique dans son offensive contre les classes laborieuses, de cette bourgeoisie dont Blair et les dirigeants travaillistes s'apprêtent très ouvertement à servir les intérêts, une fois revenus au pouvoir.

Mais si la nature de ce réalignement ne fait pas l'ombre d'un doute, il restait encore entaché d'un certain flou quant aux détails. D'un côté, il était marqué par toute une série de mesures organisationnelles destinées à resserrer le contrôle exercé sur le parti par sa direction et à écarter tout risque de contestation dans ses rangs. De l'autre, il se manifestait par des prises de positions souvent aussi fracassantes que contradictoires, qui semblaient plus destinées à souligner la rupture spectaculaire du Parti travailliste avec son langage réformiste passé qu'à définir clairement la politique d'un futur parti de gouvernement. De fait, la future politique du "New Labour" au pouvoir n'avait encore jamais fait l'objet d'un exposé tant soit peu complet et cohérent.

Cette lacune a finalement été comblée en mars dernier par la publication d'un livre intitulé "La révolution de Blair : "New Labour" tiendra-t-il ses promesses ?" Les auteurs, Peter Mandelson et Roger Liddle, sont tous deux de proches collaborateurs de Tony Blair. Mandelson, député travailliste de Hartlepool et porte-parole du parti pour la Fonction publique, est depuis 1987 l'un des principaux artisans de son image de marque dans les médias. Liddle dirige aujourd'hui un cabinet de consultants spécialisé dans les relations avec les sphères gouvernementales. Mais, surtout, il fut conseiller spécial du gouvernement travailliste de Callaghan à la fin des années 1970, puis l'un des fondateurs du Parti social-démocrate (une scission de droite du Parti travailliste en 1981), avant de réintégrer le giron travailliste à la fin des années 1980, jugeant sans doute que le cours du Parti travailliste était redevenu suffisamment droitier à son goût.

Avant tout, ce livre est une apologie du "New Labour". Mais surtout, à en juger par l'éclat qu'a donné la direction travailliste à sa publication, on peut le considérer comme le manifeste officieux du Parti travailliste dans cette période pré-électorale. Et c'est là d'ailleurs son unique intérêt.

UNE APOLOGIE DU MARCHE

Les auteurs de cet ouvrage ont visiblement cherché à donner à la bourgeoisie et à l'électorat aisé une image aussi rassurante que possible du "New Labour". Ils tentent en particulier de convaincre les partisans du libéralisme pur et dur que le "New Labour" fera exactement ce qu'ils peuvent attendre de lui, et que les milieux d'affaires n'ont donc rien à craindre.

"Le New Labour, écrivent les auteurs, rejette la division traditionnelle droite-gauche (...) Il vise à réaliser une synthèse nouvelle à laquelle l'ensemble du centre et de la gauche puisse adhérer." Suivent alors une série de paragraphes expliquant en détail en quoi le "New Labour" se distingue de la gauche ce qui montre en passant que pour "adhérer" au "New Labour", la gauche devra renoncer à bon nombre de ses idées !

Comme on pouvait s'y attendre, le "New Labour" rejette aussi le marxisme, "cette vision pseudo-scientifique du monde" qui "s'appuie sur un déterminisme économique et une analyse de classe élaborée par des gens qui prétendent parler au nom de la classe ouvrière". Ainsi, une chose est sûre : le "New Labour" ne prétend pas parler au nom de la classe ouvrière. En fait, dans les 265 pages du livre, le mot "travailleurs" n'est utilisé que deux fois... et à chaque fois, pour rejeter plus ou moins explicitement l'utilisation de ce vilain mot. Pour le "New Labour", les travailleurs ne sont pas définis par le fait qu'ils travaillent c'est-à-dire par le fait qu'ils produisent tout dans cette société mais par le fait qu'ils sont "employés". D'où l'utilisation systématique, d'un bout à l'autre du livre, du terme "employés", sûrement parce qu'il a, aux yeux des auteurs, l'avantage de laisser le rôle principal... aux employeurs.

Le "New Labour" rejette donc la "vision pseudo-scientifique" du marxisme, mais il "voit dans la rigueur du marché et de la compétition le moyen le plus efficace de prévoir et de satisfaire les besoins des consommateurs, sur la base d'une innovation stimulante et de choix réels". Voilà donc le fonctionnement aveugle du marché érigé en système "efficace" de gestion de l'économie. Voilà un siècle et demi de crises du système capitaliste supprimé d'un trait de plume y compris la crise actuelle, où plus de trois millions de travailleurs britanniques, sans parler du reste du monde, se retrouvent sans emploi, victimes de la "rigueur" du "marché moderne du travail". Pour le "New Labour", cette "rigueur"- là n'est visiblement pas une preuve de l'inefficacité du système. Et tant pis pour ceux qui en sont les victimes ! En revanche, pour ce qui est des autres, ceux qui se trouvent du bon côté face aux forces aveugles du marché, c'est-à-dire du côté du profit, "des stimulants et des récompenses substantielles sont nécessaires, pour encourager la prise de risque et l'esprit d'entreprise. Le profit n'est pas un mot sale le profit doit être vu comme le moteur de l'entreprise privée."

En résumé, le "New Labour" ne vise pas seulement à "tirer le Parti travailliste à droite" ou "à ravaler sa façade tout en conservant, derrière celle-ci, les mêmes détestables vieilleries". Non, il constitue "un mouvement délibéré vers l'avant, à la fois par rapport au Parti travailliste de l'après-guerre, celui de Wilson et Callaghan, et par rapport au Parti conservateur de Thatcher et Major un projet politique qui requiert une plus grande originalité et un plus grand radicalisme qu'un simple mouvement vers la droite".

De fait, les auteurs passent beaucoup de temps à expliquer en quoi le "New Labour" se distingue des politiques menées par les gouvernements travaillistes d'avant 1979. Et ils consacrent encore plus de temps à souligner "les aspects positifs du radicalisme de Thatcher", alors que Major est accusé d'avoir trahi l'esprit de son mentor. De toute évidence, Mandelson et Liddle veulent ratisser large et espèrent bien ramasser au passage un certain nombre de nostalgiques du thatchérisme.

LE "MODELE ASIATIQUE" DU PARTI TRAVAILLISTE

A l'automne dernier, Tony Blair a choisi le cadre de Singapour et d'une assemblée d'hommes d'affaires locaux pour lancer son nouveau slogan d'une "société de partenariat". Ce choix a horrifié bon nombre de fidèles supporters travaillistes. Certains se sont consolés en se disant qu'il ne s'agissait là que d'un faux pas ou d'une opération publicitaire d'un goût douteux. Néanmoins, à en juger par la prose de Mandelson et de Liddle, il est clair qu'au contraire Blair cherchait à faire passer un message bien précis mais un message qui n'était évidemment pas destiné à la base travailliste.

Que disent-ils, en effet ? A propos de la précarité de l'emploi en Grande-Bretagne, ils commencent par affirmer que "pour la grande majorité, le monde est devenu bien plus aléatoire. Pourquoi ? En partie, à cause de la compétitivité croissante. Si l'on en croit les statistiques, en l'an 2000 par exemple, les pays de l'Asie du Sud-Est, sans compter le Japon et la Chine, devraient représenter le tiers de la production manufacturière mondiale. (...) Les quelque 400 à 500 millions d'Asiatiques vivant dans ces pays auront un niveau de vie égal ou supérieur à celui des pays européens." Passons sur les statistiques gonflées pour les besoins de la cause. Ceci revient à dire que l'économie britannique serait sérieusement menacée par la concurrence des pays d'Asie du Sud-Est ; et que les travailleurs britanniques devraient accepter de bon gré une aggravation de leurs conditions de travail et d'emploi au nom de l'amélioration de la compétitivité britannique. Et comme la seule cause de cet état de fait serait le "miracle économique asiatique", les capitalistes britanniques se trouvent non seulement entièrement innocentés, mais même promus eux aussi au rang de victimes de la "rigueur" du marché. Que dire alors de sociétés comme Swire Pacific, Jardine Matheson, Trafalgar House, Hanson, Hongkong and Shangaï Banking Corporation, Barings, et autres multinationales britanniques qui, attirées par l'argent facile, ont depuis longtemps exporté une part importante de leurs capitaux vers les soi-disant "marchés émergents" d'Asie ? Et où vont les profits qu'elles réalisent dans ces pays, et plus encore grâce à la spéculation financière qui les entoure, sinon dans les poches des actionnaires anglais ?

Nos deux plumitifs expliquent plus loin : "Ce boom économique n'est pas dû aux bas salaires, ni à la réduction des dépenses publiques ou à la dérégulation, comme le prétendent les conservateurs en Grande-Bretagne. Ces pays, au contraire, investissent massivement dans ce que les économistes appellent les biens d'équipements publics." On voit mieux maintenant le message que Blair entendait faire passer de Singapour. Après une visite de l'île en compagnie du dictateur local, il a fait publiquement l'éloge du "Fonds de prévoyance central" qui assure la couverture sociale de la population. Or, de quoi s'agit-il ? Ce fonds est alimenté par un prélèvement obligatoire de 20 % sur tous les salaires, et sur les salaires seuls. En théorie, il doit servir à assurer un revenu minimum aux futurs salariés retraités - ce qui exclut, soit dit en passant, pratiquement toute la main-d'oeuvre non- qualifiée qui, tout en cotisant comme les autres salariés, est automatiquement expulsée dès qu'elle cesse de travailler. En pratique, ce fonds a surtout servi jusqu'à présent à financer l'essentiel des "investissements publics" de la dernière décennie essentiellement des infrastructures (raffineries, parcs industriels, transports, satellites de télécommunication, etc.) qui ont été mises gracieusement à la disposition des multinationales pour les attirer à Singapour. Et voilà comment Singapour "investit massivement dans (..) les biens d'équipements publics". Quant à la dérégulation, s'il est vrai qu'il est interdit de fumer et de cracher sur presque tout le territoire de Singapour, en revanche seul le droit de grève y est étroitement régulé (c'est- à-dire pratiquement interdit), mais certainement pas le droit des capitalistes d'exploiter les masses laborieuses. Et les bas salaires, eux, y sont bien réels. Ce n'est pas pour rien que Singapour reste le numéro un mondial de l'assemblage des lecteurs de disques pour ordinateurs, c'est-à-dire d'une industrie utilisant une main-d'oeuvre surtout non-qualifiée : c'est que ce type de main-d'oeuvre y reste encore parmi les meilleur marché du monde.

QUI SONT LES PARTENAIRES DE LA "SOCIETE DE PARTENARIAT" ?

Le choix des mots lui-même "société de partenariat" n'est ni original, ni innocent. Cette expression appartient au langage des spécialistes en management. Voici comment Mandelson et Liddle l'expliquent, toujours dans le langage du management :

"Nombre d'hommes d'affaires d'expérience sont d'avis que les conseils d'administration devraient prendre en compte les intérêts de tous les partenaires d'une entreprise. Cette attitude peut être dangereuse, car elle atténue les contraintes extérieures qui obligent l'entreprise à être efficace et rentable sous peine d'être, par exemple, victime d'une OPA. En d'autres termes, elle risque de protéger les somnolents aux dépens des plus dynamiques et des plus entreprenants. On peut, cependant, envisager différents moyens de contraindre les dirigeants d'entreprise à être efficaces. On pourrait par exemple limiter leurs mandats à quatre ans, et contraindre ainsi les conseils d'administration et les investisseurs institutionnels à réévaluer régulièrement leurs performances et, éventuellement, à les remplacer."

Mais qui sont exactement ces "partenaires" dont il est question ? Dans le langage des consultants en gestion, ce sont les actionnaires, les membres du conseil d'administration, les fournisseurs, les clients, les sous-traitants et, dans une certaine mesure, l'encadrement. Mais sûrement pas la main-d'oeuvre ! C'est ainsi que les entreprises citées en modèles à plusieurs reprises par Blair sont connues pour avoir réalisé des suppressions d'emplois massives (comme la banque NatWest ou la compagnie productrice d'électricité Midland Electricity), ou pour leur politique antisyndicale (comme l'équipementier automobile Unipart), etc. Il est clair que pour ces entreprises, les salariés ne font pas partie des "partenaires".

Voilà donc le modèle de la "société de partenariat" vue par le "New Labour". Quelles en sont les implications à l'échelle de la société ?

"Le "New Labour" devra faire porter ses efforts sur la création d'une nouvelle culture basée sur l'investissement à long terme. Le futur gouvernement devra montrer la voie d'un partenariat entre le public et le privé, au travers de la modernisation des infrastructures du pays. Une modeste injection d'argent public devrait générer des investissements bien plus importants de la part du privé dans des projets qui, dans le passé, n'auraient pu être financés que par l'argent du contribuable." Ce "partenariat entre le public et le privé" est un thème récurrent du livre. Il s'agit d'inciter les capitalistes à investir dans de nouvelles productions ou dans des infrastructures, en échange de subventions étatiques, évidemment. Cela ne diffère guère des "Initiatives de financement privé" lancées en 1995 par les conservateurs, et qui ont été une faillite totale la seule "initiative" notable ayant consisté à verser des sommes considérables à un consortium dirigé par Virgin Atlantic pour la construction de la ligne à grande vitesse entre Londres et le tunnel sous la Manche. Les auteurs l'admettent d'ailleurs volontiers : "Les conservateurs ont en théorie adopté cette politique, mais ils n'ont pas réussi à la faire passer dans les faits. Ils s'en sont uniquement servis pour justifier la réduction des dépenses de l'Etat dans les services publics." Mais comment les dirigeants travaillistes comptent-ils donc s'y prendre pour vaincre la réticence des capitalistes à investir dans des projets qu'ils estiment peu rentables ? La seule solution, hormis la contrainte, consiste évidemment à augmenter la part revenant à chaque "partenaire" privé c'est-à-dire à leur fournir toujours plus de "motivations" sonnantes et trébuchantes.

De même, pour que les capitalistes consentent à devenir des "partenaires" du futur gouvernement travailliste, leurs profits doivent être garantis, y compris au détriment de l'emploi. Réduire les heures de travail sans diminuer les salaires est exclu par avance : "Si la réduction prévue des horaires n'est pas accompagnée d'une diminution des salaires, les coûts augmenteront et notre compétitivité en souffrira." En d'autres termes, bas les pattes devant les profits ! Il est hors de question de demander à la bourgeoisie de renoncer ne serait-ce qu'à un penny de ses profits, de peur qu'elle refuse de participer à la "société de partenariat". Alors, on favorisera la création d'emplois par "des subventions à l'embauche, pour inciter les employeurs du secteur privé à embaucher les chômeurs de longue durée. Cette aide financière doit s'inscrire dans un effort concerté, destiné à encourager les entreprises à élargir leur rôle social." Comme si cela n'avait pas déjà été fait, avec comme seul résultat des licenciements supplémentaires, pour faire de la place à la main-d'oeuvre à bon marché payée par le gouvernement. Quiconque est passé par l'un ou l'autre des innombrables "stages" en entreprise passés ou présents sait cela. Mais apparemment, les travaillistes ne se soucient pas d'être crédibles auprès des chômeurs, qui connaissent déjà la musique. Non, ils veulent tout simplement faire savoir aux patrons que le futur gouvernement travailliste n'a aucune intention de tarir la manne des subventions étatiques.

Quant aux chômeurs, aux jeunes, aux bas salaires, eux aussi seront des "partenaires" dans la société de Blair, mais d'un autre genre, à qui on ne laissera guère de choix : "Il n'est pas juste que certains touchent des indemnités de chômage, travaillent au noir et refusent de coopérer aux efforts de la société pour les réintégrer au marché du travail. C'est malhonnête et nuisible. (...) Quand un nouvel emploi est proposé à un chômeur indemnisé et qu'il le refuse, il n'y a pas de raison qu'on continue à lui verser automatiquement la totalité de ses indemnités." Cela aurait pu être écrit par n'importe quel agent de la brigade spéciale anti-fraude du département de l'emploi. Il ne faudra pas compter sur les travaillistes pour mettre fin aux restrictions aux droits des chômeurs qui doivent entrer en vigueur en octobre prochain avec l'introduction de la nouvelle "allocation des chercheurs d'emplois" !

Il est vrai que "New Labour" prétend aussi avoir quelque chose à offrir à l'ensemble des salariés, au moins à ceux qui auront eu la chance de s'accrocher à un emploi décent : "Les cotisations de retraite pourraient être gérées non par l'Etat mais par des fonds mutuels. (...) Ces nouveaux fonds mutuels offriraient à chacun la possibilité de verser ses contributions au système de retraite de son choix. Ainsi, chacun pourrait à la fois choisir la date de sa retraite et le type de protection qu'il souhaite pour le reste de sa famille." Quelle séduisante idée ! On pourrait, par exemple, prendre sa retraite à 50 ans et aller vivre sur une île tropicale... Idée séduisante mais inabordable pour la grande masse des salariés. En revanche, on voit bien où "New Labour" veut en venir. Ils voudraient bien réussir là où les conservateurs ont échoué : mettre l'argent des fonds de retraite à la disposition du secteur privé en les libérant de tout contrôle étatique. Nul doute que les grands banquiers et assureurs seront tout prêts à jouer les "partenaires".

Quant aux travailleurs les plus mal payés, aux chômeurs, à tous ceux qui ne pourront pas prendre une retraite bien méritée sous les Tropiques et qui auront besoin de continuer à bénéficier d'une aide sociale pour compléter leur maigre retraite, ils n'ont pas été oubliés par les travaillistes. Un long chapitre du livre est consacré à la nécessité de remettre à l'honneur la "famille élargie", pour que ce soit les jeunes générations qui prennent en charge les anciennes à la place de l'Etat. Encore une autre idée empruntée sans vergogne à ce qu'il y a de plus réactionnaire dans le fonds de commerce des conservateurs.

On pourrait ainsi discuter bien d'autres thèmes ou raisonnements abordés dans ce livre. Mais tout y est à l'avenant. Le programme travailliste ne s'adresse en rien à la classe ouvrière. Son langage, ses objectifs, ses préoccupations sont ceux du monde des affaires, des riches, de la caste des professions libérales à laquelle appartiennent la plupart des dirigeants du Parti travailliste d'aujourd'hui. Ils n'essayent même plus de cacher le fait qu'ils empruntent leurs idées aux conservateurs. Ils s'en vantent, en promettant même d'aller plus loin que les conservateurs n'ont pu le faire, dans la même voie.

Cette attitude n'est pas seulement visible dans le manifeste en question. Qu'il s'adresse à des hommes d'affaires ou à des syndicalistes, Blair tient le même langage : celui d'un homme d'Etat bourgeois, prêt à assumer sa fonction et à faire tout ce que la bourgeoisie attend de lui. Il en a encore donné un exemple en mars, lors du congrès des travaillistes écossais. "Nous ne pourrions pas réussir en appliquant une politique de relance, même si nous le voulions," a-t-il déclaré. Puis, après avoir expliqué que les principaux membres de son cabinet-fantôme (l'embryon du futur gouvernement travailliste) avaient établi des contacts avec les hauts fonctionnaires de chaque ministère, il a ajouté : "Je leur ai demandé d'examiner comment ils pourraient diminuer les dépenses de leurs ministères respectifs."

Les travaillistes ne sont pas encore au gouvernement, et ils n'y seront sans doute pas avant un an encore. Mais cela n'empêche pas leur leader de chercher déjà comment réduire un peu plus les dépenses de l'Etat - en bref, comment faire comme Major, mais mieux et plus loin que lui.

Faire la démonstration de sa servilité envers les riches avant même d'avoir l'occasion de les servir, voilà à quoi se résume le "nouveau travaillisme".