France – Le vieux piège du "nouveau langage" : le manifeste des "refondateurs"

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été 1991

Les dix ans de présidence de Mitterrand, et de gouvernement de gauche (mis à part la parenthèse de la cohabitation, avec le gouvernement Chirac, de 1986 à 1988), ont fait se multiplier dans la gauche française les "re" quelque chose. Le PCF, avec les "rénovateurs" de l'ex-porte-parole de ce parti Pierre Juquin, les "reconstructeurs" de l'ancien ministre Marcel Rigout, et autres "réformateurs", semblait dans un premier temps avoir l'exclusivité du phénomène.

Mais, à l'occasion de la guerre du Golfe, on a vu un certain nombre de personnalités du parti socialiste (à commencer par le ministre - depuis démissionnaire - des armées, Jean-Pierre Chevènement) adopter une attitude quelque peu critique par rapport à la politique du PS au gouvernement. Et plusieurs d'entre elles (notamment les anciens ministres Claude Cheysson et Max Gallo) se sont ralliées à une initiative prise par les "refondateurs" du Parti communiste français, et ont été parmi les premiers signataires du manifeste Refondations (publié à titre de publicité dans Le Monde du 16 avril), au côté d'anciens ministres du PCF de la période 1981-84 (Charles Fiterman, Jack Ralite, Anicet Le Pors), et d'anciens dirigeants de ce parti (Maurice Kriegel-Valrimont, Lucien Sève et Mireille Bertrand).

Cette initiative des "refondateurs" (qui doivent organiser leur première rencontre publique les 7 et 8 juin) se veut d'ailleurs d'autant plus œcuménique, qu'à côté de la signature de cette brochette d'anciens ministres on trouve également celle de l'inévitable et très médiatique évêque de Dreux, Gaillot.

La seule chose clairement affirmée dans ce manifeste c'est que "partout la voie communiste vers le socialisme a débouché sur la dictature d'une bureaucratie et la voie social-démocrate, sur la gestion du capitalisme", d'où la conclusion : "il est raisonnable, et il est urgent, d'inventer un autre futur".

Nous reviendrons plus loin sur ce qu'il y a derrière cette affirmation selon laquelle "l'époque nous commande d'être inventifs". Mais la reconnaissance, exprimée conjointement par d'ex-responsables de haut niveau des deux partis, de la faillite des prétentions du PCF comme du PS à "changer la vie" (pour reprendre l'expression qui a tant servi en 1981), mérite d'abord quelques commentaires, car elle ne constitue nullement, contrairement à ce qu'on voudrait nous faire croire, un constat honnête. On ne saurait évidemment, sans naïveté, reprocher aux sociaux-démocrates signataires de ce texte (et encore moins à Mgr Gaillot) d'écrire que "partout la voie communiste vers le socialisme a débouché sur la dictature d'une bureaucratie". Ils ne font jamais que répéter là ce qu'ils ont toujours affirmé. Mais les anciens et actuels dirigeants du PCF qui, en prétendant cela, essaient de se faire passer pour d'honnêtes démocrates se paient la tête du public. Car outre qu'ils continuent imperturbablement à assimiler communisme et stalinisme, ils font comme s'ils venaient de découvrir en toute bonne foi le caractère dictatorial de l'URSS et des "démocraties populaires", comme si avant la chute du mur de Berlin personne ne pouvait être au courant, comme s'ils n'avaient pas eu les moyens de savoir.

Il y a en effet plus de soixante ans qu'au sein même du mouvement communiste des voix se sont élevées, à commencer par celle de Trotsky, pour dénoncer le stalinisme, la dictature anti-ouvrière qu'il faisait régner en URSS, comme les méthodes de gangster qu'il imposait dans tout le mouvement ouvrier, et pour expliquer qu'il était en fait la négation, et non la continuation, du bolchevisme et du communisme. On peut évidemment être en désaccord avec ces analyses. Mais la moindre des honnêtetés, pour qui s'est dit "communiste" et condamne aujourd'hui le régime qui régnait (et règne encore, bien qu'en crise) en URSS, c'est de se situer par rapport aux critiques des communistes révolutionnaires, de ne pas faire comme si elles n'avaient jamais existé.

Et on peut adresser un reproche symétrique aux anciens ministres "socialistes" qui affirment aujourd'hui que "partout [...] la voie social-démocrate [a débouché] sur la gestion du capitalisme". Car enfin, quand Cheysson et Gallo sont entrés au gouvernement, en 1981, ce n'était tout de même pas la première fois que le problème de la participation gouvernementale se posait au mouvement socialiste, en particulier en France. Et toutes les expériences passées, celle de 1914, celle de 1936, celle de la période 1944-1951, celle de 1956-59, témoignent de ce que la seule politique du parti socialiste au gouvernement a toujours été de gérer le mieux possible (le mieux, pour les possédants) les affaires de la bourgeoisie. Ce rôle de la social-démocratie, des générations de militants révolutionnaires l'ont dénoncé, combattu, ont expliqué à l'avance qu'il ne pourrait pas être différent à l'avenir. Alors là aussi, l'honnêteté la plus élémentaire consisterait à ne pas raisonner comme si le passé n'existait pas, en faisant mine de découvrir aujourd'hui ce que d'autres avaient analysé il y a bien longtemps. Car les Cheysson et les Gallo ne sont tout de même pas des gens incultes, qui auraient pu en toute bonne foi ignorer tout cela.

Les promoteurs de ce manifeste (qu'ils viennent du stalinisme ou de la social-démocratie), qui ont fait leur carrière politique en affirmant pendant des années que la seule solution, c'était de "voter à gauche", s'avisent d'ailleurs aujourd'hui qu'il faut dépasser cette notion de "gauche". Ils ne lui adressent pas le reproche (tout à fait fondé, celui-ci) d'être floue, et de masquer les seules frontières qui devraient vraiment compter pour les travailleurs, les frontières de classe. Ils la trouvent (c'est à la mode) un peu dépassée, et affirment, dans un style qui prouve une fois de plus que le ridicule ne tue pas, que leur "vaste exigence refondatrice concerne toutes les forces classées à gauche [mais] - d'autres aussi. Car la perspective à élaborer, si elle est tout le contraire de neutre, relativisera bien des clivages qui ont marqué ce siècle". Et ils en appellent à "une sorte inédite d'entente entre constructeurs d'avenir".

Car pour ces prétendus "socialistes" ou "communistes" critiques, l'avenir qu'il s'agit de construire n'est pas le socialisme. Là aussi, il leur faut "inventer un autre futur", puisque leur problème c'est de "concevoir un âge post-capitaliste de la démocratie", "un nouvel âge de la démocratie", belles phrases creuses, qui ont l'insigne avantage de ne pas risquer d'effrayer quelqu'un à droite.

Cette préoccupation des "refondateurs" de rassembler large ressemble d'ailleurs beaucoup à celle de Chevènement, qui vient de déclarer, dans sa campagne pour les élections législatives partielles de Belfort, qu'il voulait œuvrer à rassembler un jour dans une même formation les socialistes, les communistes, et les "gaullistes de gauche". Comme quoi le problème des futures alliances électorales passionne bien du monde "à gauche" (comme le prouve le ton conciliant adopté par le PCF vis à vis du nouveau gouvernement Cresson, et la récente rencontre au sommet Marchais-Mauroy), et comme quoi aussi il n'y a pas que Mitterrand et les sociaux-démocrates orthodoxes qui sont tentés par "l'ouverture".

Ces préoccupations électorales clairement sous-jacentes montrent bien que de la part des politiciens professionnels qui en ont pris l'initiative, le manifeste des "refondateurs" n'est pas une entreprise innocente, et que seuls d'incurables naïfs pourront croire qu'il s'agit là, comme le prétendent les signataires, d'une "entreprise de bonne foi, étrangère à tout calcul politique ou électoral, allergique à toute récupération".

Refondations est certes tout le contraire d'un programme. On n'y trouve la définition d'aucune politique. Mais d'innombrables questions : "quel monde voulons-nous pour maison commune [...] ?", "dans quelle société aspirons-nous à vivre [...] ?", "de quelle politique rêvons-nous [...] ?". On y ajoute que "ces vastes questions se traduisent en d'autres dont l'acuité grandit. Celles de l'environnement [...] Celles du racisme [...] Celles des femmes". Et on y invite pêle-mêle (dans le même style ampoulé qui caractérise ce texte) les "révoltés de toutes les injustices et les sottises, nouveaux protagonistes de causes ponctuelles ou globales, humanistes de toutes cultures, croyants de toutes fois, militants inlassables - avec ou sans carte -pour un monde meilleur" à se livrer "à une réflexion dialoguante sur la planète et la cité de demain", et à contribuer "ensemble à refonder une perspective, une culture, une pratique de transformation sociale dont la dynamique puisse changer la donne". S'il ne s'agit pas là d'un essai de récupération de toutes les insatisfactions politiques, de quoi s'agit-il donc ?

Un vieux truc, qui a déjà beaucoup servi

Cela ne doit pas nous surprendre, car il ne s'agit vraiment pas d'une tentative originale. Dans quasiment toutes les situations où la gauche réformiste a été au pouvoir, et s'y est plus ou moins usée, on a assisté à des tentatives de ce genre, plus ou moins couronnées de succès, destinées à lui refaire un look un peu plus attrayant.

Pour ne pas remonter plus haut dans le temps, la naissance du Parti socialiste unifié (à partir, entre autres choses, de transfuges du parti socialiste) dans les années de la guerre d'Algérie, comme la "refondation" du parti socialiste au congrès d'Épinay en 1970, suivie de l'OPA de François Mitterrand sur le "nouveau" parti, relevèrent de ce genre de manœuvre. Et si le PSU fut globalement un échec (encore qu'il constitua pour la carrière politique de Rocard et de quelques autres un excellent marchepied) le ravalement de façade auquel la vieille SFIO (la "Section Française de l'Internationale Ouvrière", désignation officielle, alors, du PS) se livra avec la création du "nouveau" Parti socialiste, puis en se jetant dans les bras de Mitterrand, fut une incontestable réussite du point de vue de ses intérêts électoraux.

Alors, si aujourd'hui un certain nombre de politiciens dits "de gauche" pensent (à tort ou à raison) qu'il faut d'ores et déjà prendre date, et se préparer à occuper un espace politique qui va peut-être se libérer dans les mois ou les années qui viennent, ce n'est que très banal.

Ce serait en outre complètement dépourvu d'intérêt (d'autant que la tentative fera peut-être long feu), si toute une partie de l'extrême gauche ne risquait pas d'être sensible, quoi qu'elle pense des "refondateurs", au langage que ceux-ci emploient, parce qu'elle emploie souvent le même.

Car ce n'est évidemment pas par hasard que les vieux politiciens roués que sont les Cheysson, Ralite et autres Fiterman, brandissent si fort la bannière de "l'innovation", de "l'invention", et posent tant de questions auxquelles ils se gardent bien de donner la moindre réponse (ce qui évite, bien sûr, d'en donner de "vieilles"). Ce n'est même pas seulement parce que, pour ratisser large, réunir le plus de monde possible, il vaut mieux ne pas préciser sur quoi on va se réunir. C'est aussi parce que c'est à la mode, en particulier dans le milieu de la jeunesse intellectuelle qui ne penche pas ouvertement à droite, et dans le contexte actuel de recul des idées socialistes et communistes, de prétendre refuser la "langue de bois", et de vouloir chercher un "nouveau" langage, de nouvelles idées, pour parler des problèmes de la société.

Or ce serait pour les militants révolutionnaires se faire de grosses illusions que de croire que la solution aux difficultés du recrutement passe par la recherche d'un "nouveau" langage.

Pour tout dire, cette illusion de croire qu'il suffirait de trouver un nouveau langage, mieux adapté à notre monde et à notre époque, pour gagner les jeunes est justement une de ces "vieilles" idées qui revient régulièrement dans toutes les périodes de recul.

Au cours des années de la guerre d'Algérie, à une époque où les forces additionnées de tous les groupes trotskystes français ne devait pas dépasser la centaine de militants, un certain nombre de sociologues "de gauche", dont le plus célèbre fut Serge Mallet, s'étaient fait une spécialité d'expliquer que le marxisme était dépassé, que la classe ouvrière n'existait plus, qu'il fallait "inventer" quelque chose d'autre. Et ces idées rencontraient un écho certain dans les petits groupes sociaux-démocrates gravitant en marge du PS, telle que la "Nouvelle gauche" (Juquin n'a même pas le mérite d'avoir inventé l'expression), puis au sein du PSU dans lesquels ces derniers se retrouvèrent.

Mais en 1968, ce ne furent pas ces idées prétendument nouvelles qu'embrassèrent les milliers de jeunes que le mouvement amena à l'activité militante, dans une période qui voulait pourtant mettre "l'imagination au pouvoir". Ce furent celles du marxisme (avec les trotskystes, mais souvent aussi, il est vrai, dans la version populiste du marxisme que constituait le maoïsme), celles aussi de l'anarchisme, des "vieilles idées" donc, comme ils reprirent de "vieux drapeaux (rouges ou noirs), et un "vieux" chant de lutte, "L'Internationale". Les théoriciens des idées "nouvelles" n'eurent plus qu'à regarder passer les cortèges, qui démontraient, mieux qu'un long discours, qu'il y a entre toutes les luttes sociales une filiation qu'il serait ridicule, pour des militants révolutionnaires, de vouloir ignorer.

Céder aux idées qui sont à la mode, en période de recul, dans la petite-bourgeoisie intellectuelle, c'est donc prendre le risque d'être complètement pris au dépourvu lors de la remontée du mouvement de masse qui ne manquera pas de se produire un jour ou l'autre (et peut-être plus tôt que la bourgeoisie ne le souhaiterait).

Ce que cache le refus des "vieilles" idées

C'est vrai qu'on entend fréquemment, aujourd'hui, exprimer le refus du "vieux" langage du mouvement socialiste et communiste. Mais ce qu'il faut d'abord bien comprendre, c'est que ce n'est pas une simple affaire de vocabulaire, et que ce n'est pas politiquement neutre. C'est que cela correspond, chez ceux qui expriment ce refus, à une volonté d'apolitisme, et à un rejet des idées socialistes elles-mêmes, que l'on ne vaincra certainement pas en changeant simplement de mots, en présentant les mêmes idées sous une autre forme. Ce n'est pas le "neuf" en général qui serait à la mode, alors que le "vieux" ne le serait pas. C'est le fait de se dire communiste qui n'est pas à la mode (contrairement à ce qu'était la situation, dans l'intelligentsia petite-bourgeoise, en 1968 et dans les années qui suivirent immédiatement). Et l'on assiste au contraire dans tous les domaines au retour en force d'idées réactionnaires, les vieux nationalismes d'Europe centrale, que l'on aurait pu espérer dépassés depuis longtemps, comme les innombrables superstitions religieuses qui refleurissent dans certains milieux, bien qu'elles n'aient vraiment pas le mérite de la nouveauté.

Pour continuer ce parallèle, ce n'est d'ailleurs pas à l'époque de l'aggiornamento réalisé sous Jean XXIII, que l'Église catholique a bénéficié du "renouveau charismatique" qui amène aujourd'hui en France un certain nombre de personnalités connues à jouer les nouveaux apôtres, mais sous Jean-Paul II, un pape qui ne brille certes pas par son esprit novateur, et qui rêve ouvertement de voir l'Église retrouver le rôle social qu'elle avait au moyen-âge. Car s'il y a une phrase juste dans le manifeste des "refondateurs", c'est bien la constatation qu'à la "marée basse de la confiance et du combat progressistes" (vis-à-vis de laquelle les Cheysson et les Fiterman portent, soit dit en passant, une lourde responsabilité) correspond une "marée haute de l'individualisme et de l'abstention, du nationalisme et de l'extrême droite".

Et puis, le problème de trouver des mots nouveaux pour dire les choses n'aurait vraiment de sens, justement, que pour ceux qui pensent que les idées communistes, que les idées du marxisme révolutionnaires, sont erronées ou dépassées. Dans ce cas, ce ne serait d'ailleurs pas seulement des mots nouveaux, mais aussi des idées nouvelles, des perspectives nouvelles, un programme nouveau, qu'il conviendrait de chercher. C'est peut-être une tentation à laquelle céderont des militants, des courants, voire des groupes trotskystes, dans la période que nous traversons, comme cela est arrivé bien des fois dans des périodes de recul. Mais ce serait une erreur tragique.

La démoralisation de la classe ouvrière, en France comme dans bien d'autres pays, son manque de confiance dans ses propres forces, de goût pour l'organisation syndicale et politique et à fortiori pour l'activité militante, d'intérêt pour les idées politiques, ne proviennent pas d'on ne sait quelle faillite du programme révolutionnaire, d'un programme qui depuis plus de cinquante ans, depuis les ravages provoqués par le stalinisme, n'a été défendu au sein de la classe ouvrière que par un tout petit nombre de militants (quelques milliers en comptant large, quelques centaines serait plus juste), jouissant d'une influence extrêmement limitée. Et ce serait manifestement surestimer cette influence que de croire que l'inadéquation de leurs idées à la situation présente a pu avoir une responsabilité dans la situation présente.

Par contre, la responsabilité du réformisme sous ses deux formes, stalinienne et social-démocrate est considérable, car ces deux courants avaient (et ont encore, malgré le recul de la conscience ouvrière) une influence considérable parmi les travailleurs. Il y a d'abord eu les années de propagande électoraliste, parlementariste, qui ont amené la classe ouvrière à mettre tous ses espoirs dans les urnes, suivies de la désillusion provoquée par la politique des gouvernements PS-PCF, puis PS seul, entre 1981 et 1986, et depuis 1988. A cela est venu se rajouter, depuis deux ans, l'abandon de toute référence au communisme par un certain nombre de partis se disant précédemment communistes, à l'Est comme à l'Ouest, la crise de l'Union soviétique et la conversion de ses dirigeants aux bienfaits de l'économie de marché. C'est tout cela qui, joint aux conséquences de la crise économique chronique qui sévit depuis plus de quinze ans, et de la progression du chômage, explique le recul du mouvement ouvrier.

Les communistes révolutionnaires n'ont pas moins de raisons, quant à eux, aujourd'hui, de poursuivre leur combat qu'ils en avaient il y a vingt ans. Ils ne sont pas moins présents dans la classe ouvrière. Ils le sont même plus, en ce qui concerne du moins notre courant, et plus encore relativement, par rapport aux forces militantes du réformisme. Et ils ont d'autant moins de raison de remettre en cause le marxisme, que celui-ci reste le meilleur instrument pour comprendre le monde d'aujourd'hui, pour comprendre comment fonctionne cette gigantesque machine à accumuler des richesses d'un côté et de la misère de l'autre, au sein de chaque pays, comme entre les pays riches et les pays sous-développés. Et le programme qui découle du marxisme, celui du communisme révolutionnaire, reste le seul qui indique une voie possible pour transformer le monde : celle de la révolution prolétarienne internationale.

Alors, pour ceux qui entendent rester fidèles à ce programme (et c'est d'abord à ceux-là que nous nous adressons), chercher des solutions aux difficultés du recrutement dans un nouveau langage, ce serait se leurrer gravement. Qui pourrait vraiment croire qu'en remplaçant la "lutte des classes" par le "combat des différentes strates sociales", on y gagnerait quelque chose ? Ce n'est certes pas cela qui séduirait ceux des jeunes qui sont à l'affût de prétendues nouveautés idéologiques. Et le seul résultat pour le mouvement révolutionnaire serait de perdre, avec le vocabulaire marxiste traditionnel, un outil commun à tous les courants de ce mouvement, et un outil qui a fait ses preuves, pour le remplacer par un ersatz frelaté.

Revendiquer bien haut les idées, le programme communistes

Ce serait aussi une erreur profonde de croire que du fait de la baisse actuelle du militantisme ouvrier, de la "crise des idéologies" comme disent les commentateurs, la prochaine remontée de la classe ouvrière passera obligatoirement par un autre chemin que celui des organisations traditionnelles. La tâche essentielle des révolutionnaires reste donc, comme par le passé, d'arracher la fraction militante de la classe ouvrière à l'influence politique du réformisme social-démocrate ou stalinien.

La crise actuelle du mouvement communiste se traduit non seulement par une diminution du nombre de jeunes ouvriers venant à l'activité militante, mais également par le fait que bon nombre de militants déjà formés décrochent de cette activité, parce qu'ils sont découragés par les volte-face incessantes du PCF et, pour un certain nombre d'entre eux, parce qu'ils se reconnaissent de moins en moins dans le langage chaque jour plus social-démocrate de celui-ci. Et cette crise du militantisme au sein de la fraction de la classe ouvrière la plus influencée par le PCF n'est pas en soi quelque chose de positif.

Il n'est, pour s'en convaincre, que de regarder la situation du mouvement ouvrier en Allemagne ou en Grande-Bretagne (où la social-démocratie joue un rôle hégémonique), ou aux État-Unis (où le mouvement ouvrier est dans son ensemble "apolitique", c'est-à-dire lié au libéralisme bourgeois). Dans aucun de ces pays la construction du parti révolutionnaire ne s'est révélée plus facile, du fait de la quasi-absence du stalinisme.

Les militants ouvriers des partis staliniens ont conservé, des origines communistes de leur parti, sous une forme certes confuse, pervertie, un certain nombre de réactions de classe qui sont infiniment plus rares dans la social-démocratie, et une conception du militantisme qui fait défaut à celle-ci. La disparition de ce type de militants (qu'elle soit due à la disparition des partis communistes eux-mêmes, ou à la social-démocratisation croissante de ceux-ci), si elle n'était pas accompagnée d'une renaissance du communisme révolutionnaire, constituerait en fait un appauvrissement du capital du mouvement ouvrier. Si ce processus ne devait finalement profiter qu'à la social-démocratie (dont la capacité à dévoyer les luttes ouvrières, à répandre les poisons du chauvinisme et de l'électoralisme, ne sont en rien en retrait sur celles du stalinisme), ce ne serait pas un avantage pour la classe ouvrière, ni du même coup pour les révolutionnaires.

Ce serait d'autre part une grossière erreur que de croire que l'effondrement du PCF (ou des autres partis issus du mouvement stalinien) est inéluctable, et en ce domaine nombre de militants et de courants d'extrême gauche s'empressent un peu trop d'enterrer de pseudo-morts qui présentent encore bien des signes de vie.

Ce qui a d'ores et déjà disparu, c'est le type de parti stalinien qui a existé des années 1930 à la fin des années 1950 (pour fixer une limite quelque peu arbitraire), qui se distinguait des partis réformistes classiques par des liens étroits de subordination vis-à-vis de la bureaucratie soviétique. Ce type de parti, qui a été une forme transitoire (même si elle a existé durant trente ou quarante ans), liée à la dégénérescence de l'Internationale communiste, est mort à jamais. Mais les organisations issues de ce courant ne disparaîtront pas forcément pour autant. Et ce n'est pas parce que le PCF a perdu en quelques années les deux tiers de son électorat que le processus continuera forcément en ce sens.

L'histoire du parti socialiste est là pour nous rappeler que sur le terrain électoral, les crises que peuvent connaître les partis réformistes ne les empêchent pas forcément de reconquérir ensuite une nouvelle audience. Après que la vieille SFIO eut quasiment sombré dans la période de la guerre d'Algérie, puis de l'arrivée au pouvoir de de Gaulle, son candidat aux élections présidentielles de 1969, Gaston Defferre, dépassa à peine les 5 % des voix. Ce qui n'empêcha pas, douze ans après, Mitterrand d'être élu président de la République.

Et ce n'est pas seulement sur le terrain électoral que ce genre de chose peut se manifester. Rien ne nous dit que le Parti communiste français ne pourrait pas être le principal bénéficiaire d'une vague de luttes ouvrières, quelle que soit la réalité de sa crise actuelle (et cela d'autant plus facilement que l'extrême gauche négligera le travail d'implantation dans les entreprises, en cédant aux sirènes de la recherche de "nouvelles" idées). Là aussi, il ne faut pas oublier les leçons du passé, et la manière dont le PCF, pourtant fortement déconsidéré, en mai-juin 1968, par ses premières prises de positions vis-à-vis du mouvement dans la jeunesse étudiante, et même dans la jeunesse ouvrière, a finalement été, dans les mois qui ont suivi, en termes d'organisation, le principal bénéficiaire de la situation.

Une autre erreur à ne pas commettre serait de croire que l'évolution du PCF l'amènera inexorablement à renoncer explicitement à toute référence au communisme, en abandonnant en quelque sorte ce terrain-là aux révolutionnaires, ou en leur évitant d'avoir à se définir comme tels. La majorité du Parti communiste italien a certes choisi de renoncer à l'étiquette "communiste" (dans un pays où, il ne faut pas l'oublier, le réformisme classique était fortement minoritaire par rapport au PCI). Mais le PCF ne l'a pas suivi jusque-là, et peut très bien, ne serait-ce que pour préserver des différences formelles par rapport au parti socialiste, continuer à se social-démocratiser tout en conservant des références tout aussi formelles au communisme.

L'une des tâches essentielles des révolutionnaires, dans la période actuelle, c'est donc d'offrir aux ouvriers qui se sentent communistes, qui sont attachés à cette référence, même s'ils n'ont qu'une vision confuse du communisme, une autre issue que celle de renoncer à l'activité : renouer au contraire avec les idées du marxisme révolutionnaire. Mais encore faut-il, pour cela, ne pas cesser de les défendre ouvertement, sous prétexte d'essayer de séduire telle ou telle couche de la petite-bourgeoisie intellectuelle.

La tâche des révolutionnaires c'est aussi, dans cette période plus que jamais, de recruter des jeunes, intellectuels et ouvriers, prêts à se consacrer à la lutte pour transformer le monde, et de les former aux idées du marxisme, du communisme, aux "vieilles" idées, qui sont les seules justement capables de donner une nouvelle jeunesse à l'Humanité.

Au moment où tant de ceux qui pendant des années se sont frauduleusement parés du titre de "communistes" laissent tomber le masque, et répudient ouvertement le communisme, il ne s'agit certainement ni de renoncer à nos idées, ni de les camoufler sous on ne sait quel verbiage nouveau. Il s'agit au contraire de les revendiquer bien haut, même si cela doit effrayer un certain nombre de compagnons de route possibles de l'extrême gauche, écologistes ou autres alternatifs, et d'éduquer les militants de la nouvelle génération dans l'idée qu'il n'y a que sur la base des idées du marxisme, du léninisme, du trotskisme (tous mots en "isme" auxquels la plupart des petits-bourgeois sont aujourd'hui allergiques) que l'on pourra construire les partis révolutionnaires, l'Internationale, instruments indispensables de la révolution socialiste.

Nous ne savons évidemment pas quel écho aura l'initiative des "refondateurs".

Pour le moment, ni ceux qui proviennent de la social-démocratie, ni ceux qui sont issus du P.C.F, n'ont encore coupé le cordon ombilical qui les rattache à leur parti d'origine. Ils se posent seulement en militants "critiques" de ceux-ci, et s'en tiendront peut-être là, se contentant, pour l'avenir, d'apparaître comme différents. Mais peut-être aussi iront-ils plus loin, et prendront-ils le chemin de la construction d'une nouvelle formation politique.

Bien évidemment, si cela se produisait dans une période de poussée à gauche du mouvement ouvrier, si l'on avait affaire à des politiciens radicalisant leur langage pour ne pas perdre le contact avec leur base (comme cela s'est produit par exemple au sein des partis sociaux-démocrates français et espagnol, dans la période qui a immédiatement précédé 1936), cela poserait un problème tactique plus difficile. Car les révolutionnaires auraient alors à défendre clairement leur politique, en évitant en même temps tout ce qui pourrait risquer de leur faire perdre le contact avec cette base ouvrière en voie de radicalisation.

Mais ce n'est même pas ce problème-là qui se pose aujourd'hui. Car il n'y a manifestement pas, actuellement, l'ombre d'un réel courant derrière les "refondateurs" (comme il n'y en avait pas un, il y a trois ans, au moment des élections présidentielles de 1988, derrière Juquin). Le plus que l'on peut envisager, à court terme, c'est de voir se former, à la suite de cette initiative, un vague regroupement qui permettra à un certain nombre de personnalités de se mettre "en réserve" de la gauche, prêtes à jouer un rôle si un jour la situation leur redevient favorable. Une maigre réussite qui pourrait en satisfaire certains, car après tout, le PSU des années 1960-70, pour n'avoir été guère plus qu'un groupuscule, a offert à certains politiciens un chemin pour arriver aux "affaires". Mais ce n'est même pas l'hypothèse la plus vraisemblable, parce qu'il y a eu en ce domaine plus d'échecs que de réussites.

Peu importe, cependant, car dans tous les cas, les révolutionnaires n'auraient rien à gagner à s'aligner, ne serait-ce que pour des raisons prétendument tactiques, sur l'image "d'inventeurs du futur" que les "refondateurs" essaient de se donner.

Parce que de deux choses l'une : ou bien ceux-ci échouent totalement, et les révolutionnaires qui auront joué ce jeu-là se seront privés pour rien de la possibilité de défendre ouvertement leurs idées. Ou bien ils connaîtront une certaine réussite, et les mêmes révolutionnaires auront eu comme seul rôle de faciliter la tâche de quelques politiciens professionnels issus du stalinisme ou de la social-démocratie, de quelques anciens ministres qui ne demandent qu'à le redevenir, dans leur tentative de se refaire une virginité de "militants inlassables pour un monde meilleur", comme ils osent dire.

Et ce qui vaut pour les "refondateurs" d'aujourd'hui (dont l'avenir sera sans doute, encore une fois, éphémère), et qui valait pour les "rénovateurs" hier, vaudra aussi pour toutes les tentatives de ce genre qui pourraient se produire demain.

Pour les communistes révolutionnaires, il n'y a d'avenir politique honorable que dans la défense des idées du communisme révolutionnaire.