Interventions des groupes invités

Yazdır
décembre 2024-janvier 2025

Combat ouvrier (Martinique et Guadeloupe)

Deux événements majeurs ont dominé l’actualité sociale et politique de la Martinique et de la Guadeloupe : le mouvement populaire contre la vie chère principalement en Martinique et la grève des travailleurs de l’EDF PEI en Guadeloupe.

Mais c’est surtout le mouvement contre la vie chère en Martinique qui a fait l’actualité française et même internationale. Les différences de prix entre la Martinique et l’Hexagone atteignent 176 %. Ainsi pour le vinaigre balsamique : 4,25 € dans l’Hexagone, plus de 11 € en Martinique. Un sachet de 500 g de pâtes Panzani à 1,25 € coûte 1,92 € en Martinique, 53 % plus cher. En moyenne les prix sont plus élevés de 40 % en Martinique.

Le mouvement contre la vie chère

Alors, pas étonnant que ce mouvement spontané soit devenu vite populaire. Il a été lancé par un groupe dirigé par Rodrigue Petitot, un homme de 42 ans, connu aussi sous le petit nom de Le R. Nous ne le connaissions pas du tout avant. Il a effectué plusieurs années de prison dans l’Hexagone pour trafic de drogue. Cet aspect de sa vie passée a sans doute contribué à le rendre populaire parmi les jeunes et la population des quartiers pauvres, dont celui de Sainte-Thérèse à Fort-de-France. Ce quartier pauvre est historiquement celui d’où sont parties de nombreuses révoltes sociales dans l’histoire de la Martinique. Petitot a été embauché par la mairie de Fort-de-France en tant que médiateur social, une sorte de « grand frère ». Ce rôle a certainement contribué à renforcer son autorité morale au sein de la jeunesse turbulente.

Ses amis et lui ont créé le ­Rassemblement pour la protection des peuples et des ressources afro-caribéennes (­RPPRAC). Une petite direction de trois personnes s’est constituée avec Petitot et deux femmes, dont Aude Goussard, la secrétaire du mouvement. Cette militante est plus connue car elle s’est présentée aux dernières élections législatives sous l’étiquette régionaliste et a obtenu un score de 5,8 %. Elle avait milité auparavant à l’Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais (Assaupamar), une organisation nationaliste dirigée par des indépendantistes. L’autre femme est Gladys Roger, trésorière du mouvement.

Lors des manifestations, les militants du RPPRAC arborent le drapeau nationaliste rouge-vert-noir mais ils ne sont pas liés à une organisation nationaliste précise. On peut cependant les classer politiquement dans la sphère nationaliste générale. Le RPPRAC et ses dirigeants se sont fait connaître par des opérations coup de poing, des manifestations spectaculaires dans des supermarchés ou des blocages autour des grandes surfaces, ainsi que par des barrages routiers. L’intervention musclée de la police ou des gendarmes et CRS a contribué à leur notoriété. Ils sont bien relayés par TikTok et autres réseaux sociaux, dont ils ont une grande maîtrise.

Ces manifestations ont très vite eu un retentissement important dans la population. La presse française et internationale a commencé à parler de ce mouvement contre la vie chère, lorsque les jeunes des quartiers pauvres se sont révoltés contre la violence des forces policières. Des renforts de police, comme la CRS 8 qu’on dit spécialiste en révolte des banlieues, ont été dépêchés sur place. Dans plusieurs points de l’île, les jeunes des quartiers se sont révoltés. Ces émeutiers ont organisé des barrages routiers et les incendies se sont multipliés au cours de septembre et d’octobre. La gendarmerie du Carbet qui venait d’être rénovée a entièrement brûlé. Plus de deux cents voitures neuves en attente sur le port de Fort-de-France ont été brûlées et plusieurs magasins incendiés ou pillés.

Ce mouvement nous a surpris et a surpris tout le monde. Nous ne pensions pas qu’il irait si loin, qu’il deviendrait si populaire ni qu’il durerait aussi longtemps. Trois mois après, il dure toujours. Nous avons décidé, dès le mois de septembre, de soutenir son action et de le faire savoir. Nous en avons profité pour diffuser un tract propagandiste recto-verso, sur la vie chère, la situation politique et nos objectifs en tant que communistes révolutionnaires. Il fallait, en même temps, mettre en avant nos propres revendications : baisse des prix évidemment mais aussi augmentation importante des salaires en même temps que les prix, smic à 2 000 euros net.

Dans le même temps, nos camarades qui militent à la CGTM ont entamé une campagne d’explication parmi les travailleurs contre la vie chère et pour des augmentations de salaire significatives dans les entreprises. Nous avons participé à plusieurs manifestations appelées par la CGTM le 26 septembre. On y a compté entre 600 et 800 travailleurs. Le 1er octobre, tandis que se déroulaient les manifestations dans l’Hexagone, nous avons participé à une nouvelle manifestation dans les rues de Fort-de-France contre la hausse des prix. Cette fois on a compté un millier de travailleurs. C’étaient de bons chiffres, mais loin de la déferlante ouvrière et populaire de 2009.

Bien avant ces deux manifestations, l’inquiétude des dirigeants politiques locaux et de l’État face au développement du mouvement populaire était perceptible. Ils ont rapidement proposé des négociations avec le RPPRAC. Elles eurent lieu à l’initiative du préfet d’abord, avec le président de la collectivité territoriale de la Martinique, les représentants des patrons de la grande distribution. Ce fut le début d’une série de tables rondes. Autour de la table figuraient aussi des représentants des grosses sociétés de la grande distribution, riches békés et autres possédants noirs, et des notables de la collectivité territoriale.

Le RPPRAC a été invité à participer aux discussions. Dès le départ, Serge Letchimy, le président de la collectivité locale, avec l’assentiment des autres parties, à part le RPPRAC, a mis l’accent sur la baisse ou la suppression de la TVA et de l’octroi de mer pour certaines catégories de produits. Jamais il n’a été question des bénéfices des grosses sociétés. Or, tout le monde sait que la plus grande partie des prix élevés provient des marges bénéficiaires, c’est-à-dire des profits énormes que réalisent ces sociétés. Lorsque le RPPRAC en a parlé, tout le monde a botté en touche.

Ces capitalistes, et en particulier le GBH, groupe Bernard Hayot, du nom du plus riche Béké de la Caraïbe, se sont cachés derrière le sacro-saint secret commercial, le secret des affaires. Ils préfèrent même payer l’amende au tribunal de commerce plutôt que de présenter tous leurs chiffres. Dernièrement plusieurs personnes ont assigné le GBH en justice. En principe, il doit présenter tous ses chiffres, profits annuels compris. Cependant, avant l’assignation du GBH en justice, les discussions ont abouti à un accord de tous sauf du RPPRAC qui, au moment de signer, a quitté la salle. Sous la direction de Letchimy, les négociateurs ont proposé de supprimer la TVA et l’octroi de mer sur 54 familles de produits. Il a été également prévu une forme d’aide de l’État au coût du transport, au titre de la continuité territoriale. Letchimy a obtenu l’accord du gouvernement. Au total, on aboutirait à une baisse des prix de l’alimentaire autour de 20 %, à compter de janvier 2025, disent-ils. Mais il est question de compenser la baisse des taxes en les reportant sur des produits plus haut de gamme…

Le RPPRAC n’a pas signé, trouvant le champ des produits trop restreint. Il proposait de l’élargir à « tout l’alimentaire ». CO partage ce point de vue mais réclame une baisse réelle sur tous les produits et pas seulement l’alimentaire. Nous réclamions aussi la levée du secret commercial et que les patrons des grandes surfaces dévoilent leurs bénéfices car, en réalité, la cause la plus importante de la hausse des prix, ce sont les immenses profits de ces sociétés, Carrefour, Leclerc et autres Leader Price. La CMA CGM, le transporteur de conteneurs de M. Saadé, est aussi responsable de l’augmentation des prix. Ses profits sont immenses : 26 milliards d’euros cumulés sur les années 2022 et 2023.

Les travailleurs dans le mouvement

Ce mouvement contre la vie chère a eu un grand retentissement, mais du point de vue de la mobilisation propre des travailleurs, il n’a pas été une réussite jusqu’à présent. Le préavis de grève reconductible a couvert très peu de travailleurs en grève dans les entreprises pour l’instant.

Cependant, ce qui a été fait dans quelques entreprises mérite d’être cité. Dans les supermarchés du centre commercial Génipa dans la commune de Ducos, et au Robert, il y a eu un débrayage d’une demi-heure. À l’aéroport Aimé-Césaire les travailleurs de deux entreprises ont fait plusieurs jours de grève. Les travailleurs ont manifesté bruyamment dans le hall. Le même jour, 10 octobre, les manifestants ayant entendu qu’un avion de CRS en renfort devait atterrir ont envahi le tarmac, provoquant le détournement des avions sur la Guadeloupe pendant plus de 12 heures. Les salariés de l’entreprise Vedettes tropicales ont fait une semaine de grève contre la vie chère. Les dockers ont refusé pendant un moment de livrer les conteneurs.

Le RPPRAC avec Rodrigue Petitot, Le R, bénéficie de la sympathie des travailleurs et de la majorité de la population en Martinique. Les deux manifestations qui ont réuni plusieurs milliers de personnes à Paris place Denfert-Rochereau les 3 et 10 novembre démontrent même qu’il bénéficie d’une grande sympathie dans l’Hexagone, en particulier dans le milieu antillais et plus généralement d’outremer. Résumons maintenant nos axes politiques dans ce mouvement :

1) Être dans le mouvement avec notre propre drapeau et nos idées, sur le terrain des intérêts de classe des travailleurs.

2) Agir pour la création de comités de grève ou de préparation à la grève dans les entreprises, en partant des entreprises de la grande distribution.

3) Unité d’action avec le RPPRAC et les syndicats ou autres organisations.

4) Relancer l’idée des comités dans les communes et les quartiers.

5) Abolir le secret des affaires ! Obliger les Hayot et autres gros békés ou bourgeoisie de couleur à déclarer leurs bénéfices sur les produits.

Le mouvement contre la vie chère ne s’est pas étendu à la Guadeloupe jusqu’à présent. Il n’y a pas eu de phénomène RPPRAC et Le R en Guadeloupe. Un petit groupe se réclamant de RPPRAC Guadeloupe a bien tenté de faire démarrer le mouvement mais sans succès pour le moment.

La grève d’EDF PEI

En Guadeloupe, c’est la grève des travailleurs d’EDF PEI qui a fait la une de l’actualité sociale. Cette grève est dirigée par la fédération CGTG de l’énergie. PEI signifie « production électrique insulaire ». EDF PEI est présente à La Réunion, en Haute-Corse, en Corse-du-Sud, en Guadeloupe et en Martinique. En février 2023, à l’issue d’une première grève de soixante et un jours, les salariés étaient parvenus à :

- pérenniser l’emploi de vingt-sept intérimaires, dont certains après plus de cinq ans d’ancienneté ;

- gagner l’égalité de salaires avec les titulaires et le rattrapage de cinq ans d’arriérés de salaires et primes. EDF PEI a été contraint de reverser quatre millions d’euros de rappel de salaires qui avaient été volés aux travailleurs.

Les travailleurs ont déclenché une nouvelle grève à partir du 15 septembre dernier car la direction n’a pas appliqué entièrement l’accord signé en 2023. Depuis le début de la grève, la direction a multiplié les provocations pour intimider les grévistes. Mais les travailleurs ont poursuivi leur mouvement et un directeur adjoint a fini par venir de l’Hexagone en Guadeloupe pour une nouvelle négociation. Après une semaine, il ne restait qu’un seul point, celui qui concernait le calcul des congés payés. Le directeur adjoint a refusé de céder sur ce point avant de retourner à Paris. C’est alors que les grévistes en colère ont décidé d’arrêter tous les moteurs de la centrale. Il s’en est suivi un black-out total dans toute la Guadeloupe vendredi 25 octobre pendant 12 à 24 heures.

Il y eut des réactions hostiles d’une bonne partie de la population, alimentées par la direction d’EDF, les médias et les politiciens à son service depuis le début de la grève. Les travailleurs devenaient des criminels et des terroristes. Cependant, de nombreux travailleurs ont compris l’exaspération des grévistes.

La directrice a assigné trois travailleurs en justice pour entrave à la liberté du travail. Plus d’une centaine de travailleurs sont venus au tribunal pour soutenir leurs camarades. Deux grévistes ont été condamnés à ne plus accéder à la salle de commande. Et le premier à ne pas appliquer la condamnation fut le préfet, qui a réquisitionné ces deux travailleurs, comme quoi, l’exécutif et la justice s’emmêlent les pinceaux.

Dans la foulée, la direction d’EDF PEI a convoqué quinze grévistes en entretien disciplinaire pouvant aller jusqu’au licenciement. Les travailleurs ne cèdent pas. Ils veulent le respect du calcul de leurs congés annuels. Depuis la mise en service de la centrale électrique, EDF leur vole quatre jours de congé par an. Cela représente un vol de plus de deux millions d’euros cumulés ! En apprenant que le patron a décidé de revenir sur tous les points déjà actés, les hésitants ont repris le combat et la grève continue de plus belle. Le piquet de grève est toujours en place, obligeant le préfet à réquisitionner de nouveau les travailleurs pour éviter les délestages. On sait pertinemment que les revendications ne posent pas un problème financier à EDF PEI. Avec des bénéfices qui s’élèvent à 194,7 millions d’euros en 2023, cette société a largement de quoi répondre positivement aux revendications des travailleurs. Le 8 novembre, un meeting de soutien aux grévistes a réuni une centaine de personnes avec l’ensemble des syndicats et trois organisations politiques dont le LKP, le PC et Combat ouvrier. Tous ont pris la parole. C’était une bonne chose pour le moral des grévistes.

La grève se poursuit. Nous demandons à tous les travailleurs de leur porter un soutien actif jusqu’à la victoire. Alors, vive la lutte des travailleurs d’EDF PEI !

*

En Martinique et en Guadeloupe la situation sociale est donc inversement proportionnelle à la superficie des deux îles. C’est que l’économie de comptoir et l’économie de plantation n’ont pas disparu. Les séquelles coloniales sont tenaces. Et les réactions ouvrières et populaires sont épidermiques, au sens figuré et au sens propre. Nous l’avons dit depuis longtemps, c’est le sentiment d’oppression raciale qui augmente le ressentiment et la colère. Ce sont les békés qui possèdent encore les plus grosses fortunes locales et se comportent en maîtres et seigneurs ; ainsi qu’une bourgeoisie noire. Cette dernière est la vassale de la bourgeoisie béké. C’est comme ça qu’il faut comprendre les tumultes sociaux récurrents aux Antilles françaises.

The Spark (États-Unis)

Les élections ont fait passer pratiquement tout le reste à l’arrière-plan aux États-Unis. La guerre ? Y avait-il des guerres en cours ? Vraiment ? Les États-Unis étaient-ils impliqués ? L’Ukraine ? Gaza ? Peut-être. Mais même ces guerres étaient vues à travers le prisme de l’élection. Trump allait-il laisser tomber l’Ukraine ? Quel parti, des démocrates ou des républicains, était le plus fidèle soutien d’Israël ? À partir du moment où, en juillet, Biden a jeté l’éponge et été remplacé par Harris, il n’y avait plus que l’élection – à en juger par les gros titres de tous les grands médias, du New York Times à Fox News, de CNN jusqu’à la presse et aux chaînes de télé locales comme à Chicago, Detroit et même à Los Angeles.

Ce fut l’élection la plus coûteuse de toute l’histoire, même en ne tenant compte que des comités officiels qui doivent publier leurs dépenses – bien qu’une fraction importante des sommes données à Trump ait servi à rembourser ses avocats et autres dépenses juridiques. Au cours des trois mois et demi qu’a duré la campagne de Harris, elle a récolté plus d’argent que Trump au cours de toute la sienne. Mais en fin de compte, Trump a pu compter sur des multimilliardaires pour l’arroser d’argent.

Si le but était de convaincre davantage de gens de voter, cet argent semble avoir été gaspillé. La participation fut plus basse que lors de la précédente élection présidentielle, en 2020.

Les raisons de la victoire de Trump

Il ne s’agit pas d’une victoire écrasante pour Trump – malgré les déclarations des chaînes de télé et du New York Times du lendemain. Il n’a pas reçu « un mandat inédit et puissant », comme il l’a déclaré le soir de l’élection. Ses scores ne sont même pas en nette hausse.

Le changement majeur, c’est que les démocrates ont perdu plus de six millions de voix – alors que pour rester au niveau de 2020, étant donné l’accroissement du nombre d’électeurs inscrits, leur score aurait dû augmenter d’environ deux millions de voix.

Mais le problème ne réside pas seulement dans le score total. Cette année a vu la poursuite du basculement d’électeurs ouvriers du côté de Trump. Il ne s’agit plus seulement de travailleurs blancs dans les campagnes qui virent républicains. Les travailleurs blancs syndiqués des comtés traditionnellement démocrates, avec une base industrielle, ont eux aussi penché pour Trump – tandis que davantage d’électeurs de la classe moyenne aisée ont penché pour les démocrates, ou se sont abstenus.

Une minorité notable de travailleurs noirs a voté Trump. Les sondages montrent qu’environ 20 % des hommes noirs lui ont donné leur voix – la population noire était traditionnellement démocrate à 95 %. Une part encore plus importante des électeurs latinos a voté Trump. Les sept comtés à majorité latino le long de la frontière entre le Texas et le Mexique ont voté pour Trump, et non plus démocrate comme la dernière fois. Les quatre banlieues de Detroit abritant une population arabe, sur qui les démocrates peuvent compter d’habitude, ont basculé du côté de Trump à cause de la politique des démocrates sur la guerre à Gaza et de l’abstention qu’elle a entraînée.

Trump étant le voyou qu’il est, ce résultat est-il surprenant ? Non, il n’y avait pas de quoi être surpris.

Dans cette élection, les démocrates ont payé le prix de leur bilan, tant l’économie avait broyé la vie de nombreux travailleurs, blancs, noirs, latinos, arabes, asiatiques – et les démocrates ne pouvaient même pas l’admettre, répétant que l’économie se portait très bien. Bien ? Il se peut que les prix se soient tassés – sauf pour ceux qui doivent payer la nourriture, le logement, ou les transports. L’absence d’emplois avec un salaire décent a poussé davantage de gens à en cumuler deux ou trois, ou à basculer dans l’économie souterraine. Et tous les indicateurs de désintégration sociale ont augmenté de manière douloureuse : sans-abri, consommation de drogues, overdoses, suicides, violences domestiques.

Les gens ont voté, comme on dit, avec leur portefeuille – et les portefeuilles des ouvriers sont vides. Dans un pays qui n’a que les deux mêmes partis et rien d’autre depuis 1856, et qui n’a connu que quatre campagnes où le socialiste Eugene Debs était candidat, il y a plus de cent ans, quels choix concrets s’offraient aux travailleurs en colère contre leur situation ? Ils pouvaient voter pour le parti qui n’était pas au pouvoir, pour voter contre l’autre, ou bien s’abstenir. Et c’est ce qu’ont fait la plupart. Le score le plus élevé revient à l’abstention, plus qu’à Trump ou à Harris.

Bernie Sanders a déclaré le lendemain de l’élection : « Cela ne devrait surprendre personne qu’un Parti démocrate qui a abandonné la classe ouvrière se retrouve abandonné par elle. » Malheureusement, il n’a pas dit cela avant l’élection, faisant campagne comme à son habitude pour les démocrates. On peut gager que dans les prochains mois, il s’efforcera de ramener dans le giron démocrate, ou quelque chose s’en approchant, tous ceux qui s’en sont éloignés.

Contre le poison de la division, la lutte de classe

Y a-t-il des courants profonds de racisme et de misogynie au sein de la population des États-Unis ? Absolument, et Trump continuera à s’appuyer sur ces courants, comme sur son prétendu mandat. Le danger, c’est que de réelles divisions pourraient apparaître au sein de la classe ouvrière, dressant une partie contre l’autre, à mesure que la situation s’aggravera – pas à cause de Trump lui-même, mais parce que la classe ouvrière n’est pas organisée pour faire face aux attaques qu’elle subit.

Au cours des dernières années, et même décennies, on a pu voir ces divisions s’estomper là où les travailleurs se mobilisaient sur leur propre terrain. L’année dernière, il y a eu une grève de six semaines chez les trois constructeurs automobiles, toute limitée qu’elle fût ; cette année, une grève de sept semaines à Boeing et quelques grèves chez des équipementiers automobiles, après une grève importante de onze semaines à Kellogg’s en 2021. Le problème n’est pas que les divisions aient empêché les travailleurs de se battre au coude à coude. C’est qu’il y ait eu si peu de luttes. Jusqu’à présent, les luttes ont eu lieu à l’initiative des bureaucraties syndicales – et ces bureaucraties y allaient à reculons, étant attachées au Parti démocrate. Malgré tout, quelques travailleurs ont commencé à chercher une issue pour sortir de l’impasse. Le syndicaliste qui a dirigé la grève de onze semaines à Kellogg’s, et qui a ensuite été licencié, s’est présenté comme candidat indépendant pour le Sénat fédéral au Nebraska. Il a remporté près de 47 % des voix contre le candidat sortant républicain, en parlant des problèmes auxquels font face les travailleurs. Ce même État a aussi voté un amendement constitutionnel instaurant un congé maladie indemnisé.

De la même manière, des référendums en faveur du droit à l’avortement l’ont emporté dans sept États sur les dix où ils ont eu lieu, dans des États gouvernés par les républicains, comme par les démocrates.

La campagne du Working Class Party

Une grande partie de notre activité cette année a consisté à soutenir le Working Class Party (WCP) aux élections dans quatre États. Il est évident qu’un petit groupe comme le nôtre ne peut pas avoir d’impact sur les événements. Mais ce que nous avons fait prouve, au moins, qu’il est possible de briser l’étau du système bipartisan qui enserre la population. Il est possible de s’adresser aux travailleurs sur la base de leurs intérêts de classe.

Dans une circonscription de Los Angeles, le candidat du WCP au Congrès a remporté 44 450 voix, presque 22 % des exprimés, à la date du 6 décembre. C’est le meilleur résultat que le WCP ait jamais eu, mais ces scores sont moins révélateurs que la manière dont il s’y est pris pour participer à ce scrutin. La Californie a un système électoral singulier. Tout le monde se présente dans une primaire unique. Il peut donc y avoir, par exemple, quatre démocrates, trois républicains, et un ou deux représentants de petits partis voire des indépendants – tous dans le même scrutin, en concurrence les uns avec les autres. Nous avons pu nous présenter en novembre car notre candidat, Juan Rey, qui se présentait comme un indépendant, est arrivé deuxième, avec plus de voix que le deuxième candidat démocrate lors de la primaire de mars, et plus de voix que le candidat du parti Paix et Liberté, un tiers parti de longue date en Californie. Rien que pour se présenter à la primaire de mars, les militants du WCP ont dû récolter 2 000 signatures d’électeurs inscrits. Ils ont entamé huit semaines de signatures en septembre 2023, puis ont obtenu 8 917 voix, soit 10,4 %, à la primaire de mars 2024. Comme Juan Rey était le seul adversaire du candidat sortant démocrate en novembre, a-t-il bénéficié de voix républicaines, des autres petits partis, et des indépendants opposés aux démocrates ? Assurément. Mais tout en ayant l’étiquette « indépendant », Juan et les militants du WCP ont fait campagne en appelant à soutenir la perspective de la construction d’un parti des travailleurs, en mars comme en novembre.

À Chicago, Ed Hershey a remporté 10 702 voix, 5,2 %, dans une seule circonscription pour le Congrès. Là aussi, le WCP a dû recueillir des signatures pour pouvoir se présenter à l’élection de novembre. Il nous fallait 6 800 signatures valides en 13 semaines ; il en a récolté pratiquement le double. La différence, cette année, c’est qu’il a obtenu suffisamment de voix pour pouvoir se présenter à nouveau la prochaine fois sans avoir à recueillir de signatures.

Le recueil de signatures est une tâche pénible, qui oblige à nous concentrer sur l’élection plus longtemps – cette année, de la fin juin à novembre. Mais le fait qu’il puisse se présenter à nouveau dans cette circonscription signifie qu’il peut diriger ses efforts en vue d’une campagne de signatures dans une autre circonscription, ce qui lui permettra de s’adresser à un public plus large. Et récolter des signatures, ce n’est pas si terrible : cela permet de discuter avec beaucoup plus de gens, parfois un peu plus longtemps que pendant la campagne elle-même.

Dans le Michigan, les résultats du WCP ne sont pas aussi impressionnants, même si Mary Anne Hering, candidate pour un poste dans le système éducatif à l’échelle de tout l’État, a remporté 233 682 voix, 98 000 de plus que la dernière fois. C’est le meilleur score. Mais le plus important est que le WCP avait davantage de candidats cette année qu’il y a deux ans, quinze au lieu de onze. Depuis 2016, le WCP n’a pas eu à recueillir de signatures. Ses scores lui ont permis de renouveler ses candidatures.

Dans l’Illinois et dans le Michigan, nos candidats sont apparus sous l’étiquette Working Class Party. Et dans le Michigan, du moins dans les élections à l’échelle de l’État et pour les postes au Congrès, nos candidats faisaient face, non seulement à des démocrates et des républicains, mais à au moins un autre candidat pour un petit parti. Deux de nos candidats étaient face à trois candidats de petits partis. On peut sans doute dire que, dans ces cas, le vote pour nous n’était pas juste un vote contre les démocrates et les républicains, mais peut-être un choix conscient de voter pour ce qu’ils voulaient, c’est-à-dire pour que la classe ouvrière ait son propre parti. Et dans chaque circonscription, nos candidats ont devancé les quatre autres petits partis. Enfin, dans l’Illinois comme dans le Michigan, où le WCP avait des candidats dans les mêmes circonscriptions que la dernière fois, tous ses candidats – sauf un – ont obtenu de meilleurs scores qu’il y a deux ans. Deux d’entre eux ont doublé leur nombre de voix.

Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI, Côte d’Ivoire)

Une situation régionale instable

Depuis quelques années, plusieurs pays frontaliers situés au nord de la Côte d’Ivoire ou dans son proche voisinage sont la proie de bandes armées islamistes qui sèment la terreur sur les populations. Celles-ci sont prises en étau entre ces bandes armées et les armées officielles, plus promptes à opprimer et à racketter les populations qu’à les protéger. Les galonnés à la tête des armées officielles ne pensent qu’à se remplir les poches et à fomenter des coups d’État.

Le nombre de coups d’État ou de tentatives de coup d’État, au Mali, au Burkina Faso, en Guinée ou au Niger, pays frontaliers ou du proche voisinage de la Côte d’Ivoire, est une illustration de cette déstabilisation dont on voit d’autant moins la fin que les puissances impérialistes et les multinationales, qui veulent mettre la main sur les richesses minières de ces pays, ne se gênent pas pour pousser leurs propres pions aux dépens de leurs concurrents.

En mars 2016, la Côte d’Ivoire a elle aussi subi une attaque armée perpétrée par des djihadistes dans la ville de Grand-Bassam, située à une quarantaine de kilomètres d’Abidjan. Néanmoins, comparé à ses proches voisins, ce pays est encore considéré comme un îlot de prospérité, ou tout au moins un lieu relativement paisible, mais pour combien temps ?

Un îlot de richesse au milieu d’un océan de misère

Pour le moment, on peut dire que dans ce pays les affaires de la bourgeoisie n’ont jamais été aussi prospères. La Côte d’Ivoire serait même devenue le premier importateur de vin en Afrique. C’est un indice qui vaut ce qu’il vaut car il y a vin et vin. Mais en même temps le taux de mortalité maternelle et infantile est l’un des plus élevés au monde : près de 1 % pour les mamans et 10 % pour les enfants.

Pour ce qui est de la situation des travailleurs, elle continue toujours de se dégrader d’année en année. Le coût de la vie ne cesse de croître pendant que l’augmentation constante du nombre de chômeurs tire les salaires vers le bas. Les patrons profitent de cette situation pour imposer des conditions de travail odieuses, des salaires de misère et des contrats précaires.

Pour donner une idée de la dégradation des conditions d’existence de la classe ouvrière, au début des années 1990, le jour de la paie, un travailleur pouvait encore se payer un poulet à la braise et une bouteille de bière dans un maquis avant de rentrer chez lui. Aujourd’hui, un ouvrier travaillant dans la même boîte n’a plus un revenu régulier. Comme dans la grande majorité des usines, le travail journalier est devenu la règle. Son pouvoir d’achat a également considérablement baissé car tout est devenu cher : les loyers, les denrées, la scolarité des enfants, le coût du transport, etc. À cela s’est ajouté un nouveau besoin qu’est l’usage du téléphone portable puisque sans téléphone portable il est quasi impossible d’avoir un job, surtout quand on travaille au jour le jour. En plus, avec les opérations de « déguerpissement » qui consistent à chasser manu militari les habitants des quartiers pauvres le plus loin possible de la ville pour permettre aux promoteurs immobiliers de s’approprier les surfaces libérées, les ouvriers sont contraints d’effectuer un trajet plus long entre leur domicile et le lieu de travail. Ce qui se traduit automatiquement par une augmentation du budget de transport. Certains sont contraints de passer quelques nuits à dormir à l’usine, dans l’inconfort et la saleté, pour économiser l’argent du transport.

Actuellement, le salaire minimum officiel est de 7 euros par jour. De nombreux travailleurs bossent pour 5 euros, voire moins. Parfois, ils sont contraints d’effectuer jusqu’à deux heures supplémentaires non rémunérées. Les périodes de vacances scolaires sont une vraie aubaine pour les entreprises car de plus en plus d’enfants de travailleurs vont se faire embaucher pour une bouchée de pain devant les portes des usines. Parfois on les prend pour trier les noix de cajou ou pour les décortiquer, parfois pour trier ou laver du plastique usagé destiné au recyclage, etc. Le travail des enfants est surtout pratiqué dans les usines agroalimentaires, dans le cosmétique ou le plastique, là où le besoin de main-d’œuvre non qualifiée est plus grand.

Les femmes des ouvriers sont également contraintes d’avoir une activité d’appoint, souvent un petit commerce sur le bord du trottoir près de son lieu d’habitation. Malgré toutes ces activités, les familles ouvrières ne parviennent pas à joindre les deux bouts. La destruction des quartiers pauvres a des conséquences désastreuses. Des familles entières deviennent d’un seul coup des sans-abri et perdent tout. Des quartiers entiers continuent en ce moment même d’être rasés, leurs habitants sont chassés comme des animaux. Les petites activités informelles qu’ils pratiquaient dans leur quartier ont été anéanties. C’est un coup dur pour les familles ouvrières.

Cette situation peut encore se dégrader davantage tant qu’il n’y aura pas une réaction populaire puissante pour s’opposer à la politique gouvernementale et à la rapacité des capitalistes. Il y a eu quelques explosions de colère, ici et là, mais elles ont été vite réprimées et n’ont pas empêché les autorités politiques de continuer les opérations de déguerpissement, jusque dans certaines villes de l’intérieur.

Dans les entreprises

Un exemple frappant des conditions de travail est celui d’une entreprise de cosmétique de plus de 1 000 salariés qui a pour pratique de mettre dehors plusieurs mois des travailleurs, même anciens, avant de les reprendre. C’est une manœuvre patronale très utilisée pour contourner la législation du travail et maintenir les ouvriers dans une précarité permanente. Même avec de l’ancienneté on y gagne 7 euros la journée : pas de protection contre le bruit, la poussière ni même contre les produits chimiques manipulés. Pourtant, pour être moderne, l’entreprise l’est, avec des certifications Iso s’il vous plaît, au point que même pour aller aux toilettes, on est obligé de demander la permission, et de pointer sur un appareil numérique. Ainsi, les minutes passées dans les toilettes sont aussitôt déduites de sa paie.

Ailleurs, des travailleurs se font jeter régulièrement dehors durant quelques jours ou quelques semaines selon les besoins de l’entreprise. Partout, les conditions de travail se dégradent. La situation dans les boîtes n’est pas du tout à la lutte. Les travailleurs font le dos rond et baissent la tête. Les responsables syndicaux jouent au flic bien qu’ils soient eux-mêmes des travailleurs de la boîte. Ils sont soumis au patron, en contrepartie celui-ci finance par exemple la scolarisation d’un de leurs enfants, ou bien assure les soins d’un parent malade, etc.

Une situation politique dominée par l’élection présidentielle de 2025

C’est dans cette situation de grande précarité et de pauvreté ambiante que la Côte d’Ivoire s’achemine vers la future élection présidentielle de 2025. Alassane Ouattara, le président actuel, a déjà effectué trois mandats de cinq ans, dont un usurpé étant donné qu’il n’avait droit qu’à deux. Pour l’instant, il ne s’est pas encore prononcé sur son quatrième mandat, pas plus que sur le fait de permettre à ses principaux rivaux de se présenter. En l’état, l’ancien président Laurent Gbagbo, celui qu’il avait éjecté du pouvoir en 2010 avec l’aide de l’armée française et qui a été incarcéré durant sept ans à La Haye par la Cour pénale internationale, ne peut pas s’y représenter du fait d’une condamnation pénale. Quant à Tidjane Tiam, le nouveau dirigeant du PDCI depuis le décès de Konan Bédié, c’est aussi l’incertitude qui planerait sur lui à cause de sa double nationalité française et ivoirienne, ce qui l’écarterait de la course présidentielle… en théorie.

Alors, quels deals ces dirigeants politiques trouveront-ils face à ces problèmes juridiques qui les touchent tous les trois ? Ouattara, après quinze années à la tête du pays, commence à avoir des problèmes liés à l’usure du pouvoir et il court le risque de la colère qu’il pourrait susciter s’il écarte ses rivaux et postule à un quatrième mandat. Enfin, on verra ce qui sortira des tractations et des micmacs entre ces crocodiles assoiffés de pouvoir.

Il y a aussi la Commission électorale indépendante, la CEI, qui pose problème. C’est cet organisme qui chapeaute les élections et déclare le vainqueur. Dans sa forme actuelle, les partis d’opposition remettent en cause son impartialité et le suspectent de travailler pour le compte du pouvoir. Un consensus devra donc être trouvé pour avoir des élections « apaisées », comme ils disent.

Dans tous les cas, les partis d’opposition n’hésiteront pas à propager toutes sortes de discours démagogiques en direction des populations pauvres qui subissent de plein fouet la cherté de la vie, le chômage, les déguerpissements, la dégradation des conditions de vie et de travail. Sans oublier les politiciens crapuleux qui sont présents au sein de tous les partis en compétition et qui sont prêts à propager le poison de l’ethnisme et de la xénophobie pour préserver leurs postes ou pour les ravir.

On va entrer dans une période de grande incertitude. Déjà, il est courant d’entendre dans le milieu petit-bourgeois, notamment chez les étudiants et les enseignants, des propos élogieux sur Donald Trump quand celui-ci dit qu’il veut chasser les étrangers par millions. Ils disent que Trump a raison et qu’en Côte d’Ivoire on devrait en faire autant. Ils disent aussi que ce qui se passe à Gaza est normal car ce sont les Arabes qui sont venus envahir les Israéliens.

Ce genre de propos, nous ne l’avons pas encore entendu dans le milieu des travailleurs, mais à l’approche des élections il faudra s’y attendre. Ça pourrait aussi venir des travailleurs en contact avec le milieu politique et le milieu petit-bourgeois.

Les partis d’opposition véhiculent déjà sur les réseaux sociaux l’idée que les étrangers sont inscrits en masse sur les listes électorales : sous-entendu, le pouvoir de Ouattara serait celui des étrangers. Et l’étranger ici, c’est d’abord le pauvre Burkinabé, Malien ou Nigérien. Or, avec le chômage et la misère ambiante, cela n’augure rien de bon.

Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR, Haïti)

Une capitale asphyxiée

Haïti regroupe 10 départements. Dans le département de l’Ouest se trouve la capitale, Port-au-Prince, divisée en 35 quartiers, 160 km², 3 millions d’habitants avec la banlieue. La capitale du pays est aujourd’hui l’épicentre d’une crise sans précédent. Les gangs armés y imposent leur loi, contrôlant plus de 80 % de la capitale, assiégée et coupée du reste du pays. Les liaisons aériennes, dernier lien avec l’extérieur, ont été interrompues. Les routes nationales, déjà impraticables depuis plus de deux ans, sont sous le contrôle des bandes armées, et le transport maritime est lui aussi paralysé, les principaux ports de la ville bloqués. Il n’existe plus d’interconnexion entre Port-au-Prince et les provinces et même entre le centre de la ville et ses banlieues. Cette rupture géographique aggrave les pénuries en produits de première nécessité, entraîne la flambée continue des prix, la malnutrition, la famine en même temps que la barbarie des gangs. L’asphyxie économique est quasi totale. La zone industrielle de la capitale, poumon des emplois, est désertée. Les entreprises de sous-traitance ferment les unes après les autres, laissant des milliers de travailleurs au chômage. Le désespoir grandit, tout comme les conséquences sociales de ce marasme. Les infrastructures sanitaires et éducatives, déjà fragiles, sont incendiées ou abandonnées, laissant des communautés entières privées de soins et d’éducation.

Les gangs : dictature sanguinaire et organisation quasi étatique

Depuis trois ans, ces groupes criminels imposent une dictature sanguinaire, multipliant les enlèvements contre rançons, les fusillades, les incendies et les expulsions massives des habitants des quartiers populaires. Des milliers de familles, jetées hors de leur maison, trouvent refuge dans des écoles ou d’autres espaces publics, transformés en camps de fortune. Ces camps deviennent des lieux de survie rudimentaire, exposant ces familles déplacées à des conditions sanitaires désastreuses et à une insécurité permanente.

Derrière l’escalade de violences aveugles existe une logique implacable d’organisation et de contrôle, visant à consolider un appareil prédateur, oppressif, au détriment des masses populaires. Les gangs administrent leurs territoires avec une autorité quasi étatique. Ils perçoivent des taxes forcées, rançonnent entreprises et particuliers, et instaurent des postes de péage sur les axes routiers qu’ils contrôlent, transformant chaque déplacement en une entreprise périlleuse et coûteuse. L’appareil judiciaire et les autorités locales sont remplacés par leurs propres systèmes, les chefs se substituant aux juges. Leur économie parallèle, alimentée également par le kidnapping, le rançonnement des autorités étatiques, le trafic de drogue et d’organes, ne fait que renforcer leur emprise sur la population.

Cette dictature des groupes armés ne peut être dissociée de la déconfiture de l’État central, corrompu jusqu’à la moelle et complice, directement ou indirectement, de cette barbarie. Les politiciens au pouvoir s’accommodent de cette situation tant qu’ils peuvent s’enrichir en détournant une bonne partie des revenus du Trésor public.

Mais leur emprise s’étend bien au-delà, surtout en prenant l’initiative de se regrouper à travers une plateforme baptisée Vivre ensemble. Ces groupes armés sont d’autant plus puissants qu’ils ne sont plus rivaux. On découvre graduellement de nouvelles fonctionnalités de cet « État des gangs ». Ils se dotent d’un réseau de délation et d’espionnage à tous les niveaux. Ils entretiennent de bonnes relations avec la diplomatie internationale. Leur envahissante présence sur les réseaux sociaux et l’acquisition de leur propre presse renforcent leur capacité à manipuler l’opinion publique, à diffuser la peur et à dissimuler leurs exactions. Cette stratégie s’accompagne d’une guerre psychologique et d’un processus accéléré de corruption, non seulement au sein de la police – dont une large partie est devenue auxiliaire des gangs – mais aussi dans les médias, où des journalistes professionnels se mettent au service de ces groupes armés. Le contrôle de l’information devient une arme redoutable.

Alors que la capitale suffoque, l’exode massif de populations cherchant désespérément à fuir les violences hors de la région métropolitaine s’intensifie.

C’est dans ce contexte que les politiciens au pouvoir se livrent une lutte sans merci pour contrôler les caisses publiques. Le Premier ministre Garry Conille vient d’être éjecté. La nomination de son remplaçant Alix Didier Fils-Aimé – clairement identifié avec le président en exercice du Conseil de transition au parti Lavalas d’Aristide – a coïncidé avec une attaque violente des gangs qui ont gagné de nouveaux territoires et provoqué de nouveau le déplacement de dizaines de milliers d’habitants de quartiers populaires.

Face à la loi de la peur, des réactions populaires

L’élément central de cet « État des gangs » est la guerre psychologique qu’il mène contre la population. La peur devient l’arme principale pour désarmer moralement les masses.

En route pour conquérir le pouvoir, les malfrats ont lancé les derniers assauts pour obtenir la reddition complète du département de l’Ouest et de ses 4 millions d’habitants.

Il leur manquait quelques faubourgs dont une partie de la commune de Port-au-Prince, Canapé-vert, Haut-Bourdon, etc., une partie de la commune de Delmas, la commune de Pétion-Ville et ses banlieues. Dans des messages diffusés sur les réseaux sociaux, les chefs de gang se donnent rendez-vous au plus tard le 1er janvier 2025 pour célébrer leur victoire.

À Delmas, à la fin du mois d’octobre, ils ont fait tomber Solino, un immense quartier populaire qui leur tenait tête depuis de nombreux mois. Tout le monde suivait les combats qui s’y déroulaient car de leur issue dépendaient les événements ultérieurs. Mais ce sont les bandits qui sont sortis victorieux. À l’annonce de sa chute, des dizaines de milliers de personnes venant de Solino mais aussi des quartiers adjacents ont fui. Ils sont allés se réfugier, pour beaucoup d’entre eux, dans des camps de fortune dressés sur des terrains vides trouvés sur leur passage

Ce succès dans la poche, les gangs préparaient et mettaient le cap en direction de Pétion-Ville. Mais un incident s’est produit mardi 19 novembre. Un camion de transport de marchandises et deux autres bus transportant plusieurs dizaines de bandits et du matériel de combat vers Pétion-Ville ont été interceptés par la police. Vers 2 heures du matin, les échanges de tirs entre les bandits et les policiers ont attiré l’attention des brigades de vigilance qui veillaient à la sécurité de leur quartier. Pris de panique et en débandade, les bandits ont fui en se jetant avec leurs armes au milieu de la population de ces quartiers. Une centaine d’entre eux ont été pourchassés, attrapés puis mis hors d’état de nuire par une population en colère, exaspérée. Quatre jours après, la population continuait de traquer certains de ces malfrats qui ont trouvé refuge dans des buissons ou dans certaines maisons vides.

Ces événements sont similaires à ceux d’avril 2023 qui avaient déclenché l’opération bwa kale de la population contre les gangs. Mais si ce coup de colère populaire n’a pas eu la même portée que celui de 2023, il a eu le mérite de gonfler le moral de la population et de ralentir la course des bandits. Le lendemain, un tract diffusé sur la zone industrielle et dans certains quartiers, a appelé la population à faire de ce coup de colère le début d’une mobilisation consciente plus structurée, plus nombreuse contre les gangs et leurs commanditaires car il n’y pas d’autres voies de sortie. Sur la zone industrielle, les ouvriers l’ont pris avec engouement, et des habitants ont même aidé à le diffuser.

Politiciens et bourgeoisie s’accommodent de la situation

Du côté du gouvernement, de ses alliés occidentaux, de la bourgeoisie, l’effondrement qui se profile ne semble pas trop les inquiéter. Défendant objectivement aux côtés des gangs le système d’exploitation et d’oppression contre les masses populaires, les timides initiatives prises contre les gangs n’ont rien changé dans le cours des événements en cours. Les changements de gouvernement, trois au total, l’envoi de policiers et de militaires en soutien à la police n’ont rien donné.

Pour la classe politique, c’est le moment de donner l’assaut aux caisses publiques, de se mêler à toute forme de corruption pour s’enrichir. Entre clans politiques rivaux, la guerre fait rage. En pleine attaque des gangs, se déroule un changement de gouvernement. Le parti de l’ex-­président Aristide en a profité pour faire main basse sur le pouvoir en occupant les principaux postes ministériels et en nommant ses cadres au sommet de l’administration publique.

Du côté des grands commerçants, des patrons, avec leurs familles, ils sont peut-être tous à l’extérieur du pays mais leurs affaires continuent à tourner avec les cadres de leurs entreprises et leurs travailleurs. Ces possédants rapaces tirent toujours leur plus-value dans la boue et le sang.

La situation de la classe ouvrière et des masses populaires

La majorité de ceux qui travaillent en usine sont au chômage. Pour survivre, ils font des petits boulots quand ils en trouvent la possibilité, certains se sont convertis en petits marchands. Quelques-uns gardent une petite activité sur la zone industrielle sous forme de job d’une ou deux semaines de travail dans des conditions exécrables par-ci, par-là, selon le bon vouloir des patrons. Dans leurs quartiers contrôlés par des gangs, ils subissent de plein fouet l’arrogance de ces malfrats armés et les incursions de la police. Et pour les rares dont les quartiers ne sont pas encore conquis, ils vivent dans l’angoisse des attaques des bandits.

Voici le texte d’un tract diffusé par l’OTR :

« Les habitants de Pétionville, Canapé vert, Bourdon ont fait résonner le lambi du rassemblement !

Mardi 19 novembre, la population de la zone s’est dressée pour arrêter les bandits qui venaient semer la terreur dans le quartier, de la même manière qu’ils l’avaient fait à Solino, Tabarre et dans d’autres quartiers.

Les habitants du quartier ont fait la chasse à ces criminels et leur ont donné la leçon qu’ils méritaient.

Les chefs de gangs se sont fâchés et ont annoncé leur détermination pour continuer les massacres. Mais ces assassins ne sont qu’une poignée, ils ne seraient pas capables de résister face à la colère d’un peuple qui se dresse pour sa liberté. Ce ne sont que des lâches qui se sentent forts tant que la population n’est pas mobilisée pour se battre.

Nous pouvons arrêter de compter les cadavres dans nos rangs, nous pouvons arrêter de fuir nos quartiers et les maisons que nous habitons.

Nous pouvons retrouver notre dignité si tous ensemble dans les quartiers de Port-au-Prince et des autres villes, nous nous dressons pour montrer notre colère face à ces gangs et face à ceux qui les emploient. Comme les habitants de Pétionville, Canapé vert et Bourdon ont donné l’exemple.

Ce petit groupe d’assassins même portant des armes de guerre ne peut tenir tête à tout un peuple quand il est décidé à se battre.

Qu’on se le dise de bouche à oreille. Comptons sur nos propres forces. »

Workers’Fight (Grande-Bretagne)

Les législatives anticipées de juillet 2024

Comme en France, il y a eu des élections législatives anticipées, le 4 juillet. Le scrutin ne devait avoir lieu qu’en janvier 2025. Mais le Premier ministre conservateur, Rishi Sunak, pensait qu’en avançant la date des élections, il pourrait réduire les pertes de son parti.

Il était évident que les travaillistes l’emporteraient, surtout en raison de l’état lamentable du Service national de santé (le NHS), mais aussi à cause du chaos qui régnait au sein du gouvernement depuis la chute de Boris Johnson. Ce dernier avait obtenu une majorité parlementaire record en 2019, grâce à sa promesse de « faire aboutir le Brexit » (Get Brexit Done) alors que le processus pédalait dans la semoule bureaucratique depuis trois ans. On peut ajouter que ce n’est toujours pas complètement fait.

Après le départ de Johnson, les Tories (surnom des conservateurs) n’ont pas réussi à se requinquer malgré tous leurs efforts – y compris en adoptant des politiques franchement xénophobes et antiouvrières.

Dans la campagne de mai-juin 2024, le principal rival de Sunak était en fait le Reform Party (« parti de la réforme ») dirigé par Nigel Farage, et encore plus à droite, anti-européen et anti-immigrés que les Tories. Le 4 juillet, les candidats du Reform Party ont amputé le vote conservateur, au point que les Tories sont passés derrière l’habituel « troisième parti », les libéraux-démocrates. Ces derniers ont remporté 72 sièges, contre seulement 11 en 2019. Quant au Reform Party, il a remporté 5 sièges, dont un pour son leader Farage. C’est la première fois que l’extrême droite a des sièges à Westminster.

Les travaillistes ont facilement remporté l’élection grâce au système de vote uninominal à un tour, avec 34 % des voix. Mais cela ne représente que 20 % de l’électorat, dans un contexte de faible participation (59,8 %). Néanmoins, avec 402 sièges, les travaillistes disposent désormais d’une majorité historique à la Chambre des communes, contre 121 pour les conservateurs. Ils ont les coudées franches pour faire passer les lois qu’ils veulent… à condition que les capitalistes soient d’accord, bien sûr ! Il s’agit de la pire défaite des conservateurs dans l’histoire de leur parti.

Les Tories ayant laissé les finances publiques dans un sale état, le Premier ministre travailliste Keir Starmer et sa ministre des Finances Rachel Reeves répètent ad nauseam qu’ils ont trouvé un trou noir de 22 milliards de livres sterling et qu’ils doivent maintenant le combler. Manière de dire aux électeurs que rien ne peut être réparé, ni dans l’économie, ni dans la société !

Services publics asphyxiés par les profits

La classe ouvrière est censée attendre que la croissance économique reprenne avant d’espérer voir des améliorations, y compris dans le Service national de santé, qui reste à terre et dysfonctionnel. Or la reprise économique est très improbable.

Les médias ont beaucoup glosé sur l’imposition des patrons par le gouvernement. Mais en fait l’impôt sur les bénéfices et les hauts revenus n’a pas été augmenté. Seules les cotisations sociales des employeurs ont crû. Mais cela ne suffira pas à financer le sauvetage du NHS (le système de santé).

Parmi les mesures préconisées par Jeremy Corbyn, le leader précédent du Parti travailliste, au discours plus à gauche, une seule est restée à l’ordre du jour : la renationalisation des chemins de fer. Et une loi vient d’être adoptée en ce sens.

Même la presse bourgeoise admet que la privatisation des chemins de fer, commencée en 1994, s’est soldée par un échec spectaculaire. En fait, 40 % du service est déjà revenu dans les mains de l’État : quatre entreprises ferroviaires ont été reprises par un gouvernement conservateur ! Au cours de la pandémie, la plupart des opérateurs ferroviaires privés ont reçu des délégations de service public. Et lorsque leurs contrats arriveront à échéance dans les deux prochaines années, ils retourneront l’un après l’autre aux mains de l’État.

Pour les cheminots, cependant, cela n’annonce pas la lumière au bout du tunnel. À l’exception des conducteurs de train, leurs conditions de travail resteront parmi les pires du secteur public. Il n’est pas surprenant qu’un si grand nombre d’entre eux soient encore extrêmement fâchés de la manière dont ils ont été vendus par leurs dirigeants syndicaux après leurs grèves de 2022-2023.

Les coûts étrangement élevés des grands travaux dans le domaine du transport sont imputables au caractère parasitaire de l’industrie du BTP en Grande-Bretagne et aux multiples acteurs privés qu’elle engraisse. Ainsi, la construction de la HS2 (ligne ferroviaire à grande vitesse vers le nord de l’Angleterre), pourtant si nécessaire, a été annulée. Et pour vous donner une idée du coût, la nouvelle ligne de métro Elizabeth a coûté, par kilomètre, deux fois et demie plus que des projets similaires en France.

Une économie enlisée

Les chiffres du FMI concernant le PIB par habitant montrent qu’il n’y a pas eu de véritable reprise depuis 2008. Le prix de l’énergie a doublé au cours des dix dernières années.

Il y a une grave crise du logement et les loyers sont inabordables. La Grande-Bretagne compte à peu près la même population que la France, mais près de 20 % de logements en moins. Le gouvernement Starmer prétend que la construction de logements stimulera la croissance. Mais cette croissance se traduira d’abord par une augmentation des profits dans le BTP.

Cela dit, il ne faut pas oublier que, malgré le déclin économique de la plus ancienne puissance capitaliste du monde, la Grande-Bretagne reste l’une des plus importantes, la sixième en termes de PIB absolu, et qu’elle tire son épingle du jeu grâce à sa relation privilégiée avec les États-Unis – une relation qui devrait se poursuivre sous Trump, quoi qu’il arrive.

Bien sûr, la force de l’économie britannique est financière. L’industrie manufacturière représente un peu moins de 9 % du total des valeurs produites.

Attaques antiouvrières

L’annonce par Ford, le mois dernier, de 800 suppressions d’emplois qui s’ajoutent aux 1 300 suppressions de l’année dernière, a donc été un coup dur pour la classe ouvrière. Car les emplois à peu près décents et rémunérés à cette hauteur sont déjà trop peu nombreux. Juste après, Stellantis a annoncé la fermeture de son usine de fourgonnettes de Luton. Même si les emplois sont transférés à Ellesmere Port près de Liverpool, jusqu’à 1 000 emplois seront supprimés. Le pire, c’est que chez Ford, les ouvriers des usines de Halewood et de Dagenham étaient en pleine négociation salariale lorsque les suppressions d’emplois ont été annoncées, et même les salariés en col blanc étaient en grève !

Ford a toutefois expressément indiqué aux cols bleus que leurs emplois étaient « sûrs » (à voir !) et que les suppressions d’emplois affecteraient d’abord le centre de recherche et de conception, et le grand entrepôt de Daventry. Nous verrons ce que les cols blancs pensent de tout ça…

Sur le site de Dagenham, Ford pourrait d’ailleurs bientôt avoir affaire aux travailleurs sous-traitants de la logistique, qui se prononcent en ce moment sur la possibilité d’une grève. S’ils font grève, l’usine s’arrêtera.

Dans l’ensemble, pour la classe ouvrière, la situation sociale reste désastreuse. Vingt pour cent des ménages vivent dans la pauvreté, les services sociaux sont inexistants, les soins aux personnes âgées sont en crise et, comme nous l’avons déjà dit, le Service national de santé est incapable de faire face à la situation.

Les infirmières ont fait une grève « sauvage » à Saint-Thomas, un grand hôpital universitaire londonien, pour protester contre les heures de travail à rallonge. Mais le ministre de la Santé affirme sans rire à la population que les listes d’attente du NHS vont rapidement être raccourcies… parce que le personnel va travailler les week-ends et le soir !

On entend que le gouvernement travailliste est en difficulté après seulement quelques mois au pouvoir. Certes. Mais grâce à son immense majorité parlementaire, il ne risque rien sans une révolte de la classe ouvrière ! Cela n’empêche pas politiciens et médias de droite de tout orchestrer pour essayer de l’affaiblir. Ainsi, une pétition en ligne appelant à de nouvelles élections législatives en raison des taxes annoncées dans le budget a été lancée par un propriétaire de pub et des militants conservateurs. En quelques jours, elle a recueilli le nombre record de 2,5 millions de signatures. Elon Musk lui-même l’a bénite !

Ces hausses d’impôts, maladroitement introduites par les travaillistes et accompagnées d’une réduction des allocations de chauffage pour les retraités, est politiquement idiote, elles ont entraîné une réaction des patrons et des cris de trahison. Mais en réalité, si la ministre des Finances, Rachel Reeves, a tenu sa promesse de ne pas taxer directement les travailleurs, ces derniers finiront par payer – comme toujours.

Tout cela signifie que la situation de la classe ouvrière ne peut pas s’améliorer – à moins qu’elle ne se batte et que ces combats n’intègrent les leçons de la dernière vague de grèves, des grèves sans coordination qui ont finalement arraché peu d’avancées.

Qu’en est-il de la gauche et de l’extrême gauche ? Le 4 juillet, cinq anciens députés de la gauche travailliste, candidats cette fois-ci en tant qu’indépendants sur une liste propalestinienne, ont été élus aux Communes, dont Jeremy Corbyn. L’extrême gauche, par exemple le Socialist Workers’Party, a demandé à ses partisans de voter pour ces indépendants et, là où aucun indépendant ne se présentait, de voter pour « virer les Tories ». En d’autres termes, au nom d’un « anti-torysme » usé jusqu’à la corde, de voter travailliste sans illusions, encore une fois… Comme vous dites en français : « Plus ça change… »

Les émeutes d’extrême droite

On a beaucoup parlé des émeutes anti-migrants de cet été, au cours desquelles des tentatives ont été faites d’incendier des hôtels où séjournaient des réfugiés. C’est grave. Ces émeutes ont été sciemment orchestrées par des figures de proue de l’extrême droite comme Tommy Robinson, dont l’objectif était de reconstituer sa bande de voyous, qui avait récemment disparu de la scène… On peut même dire qu’il s’agissait pour lui de ne pas laisser les voyous d’extrême droite du parti conservateur, comme Suella Braverman et Priti Patel (l’architecte du « plan de déportation des réfugiés au Rwanda »), empiéter sur son territoire !

Dans les quartiers populaires où les émeutes ont eu lieu, on a vu les gens se rassembler pour protester contre l’extrême droite et nettoyer les débris. Ils ont été nombreux à exprimer l’opinion que les immigrés sont depuis longtemps et demeurent une partie intégrante et nécessaire de la société britannique.

Bien des travailleurs se sont abstenus lors des élections et ne se font pas d’illusions quant à une possible amélioration des choses sous Starmer. C’est particulièrement vrai à Royal Mail, entreprise de distribution du courrier aujourd’hui privatisée, où les emplois disparaissent à vitesse grand V.

Lutte ouvrière / Arbeidersstrijd (Belgique)

Après les élections de juin 2024

En Belgique, on a voté en juin dernier. Et six mois plus tard, il n’y a pas encore de gouvernement national. Comme d’habitude, dira-t-on. Et justement !

Même s’il y a quelques inquiétudes par rapport à la réaction des marchés financiers, en fait, pour les éditorialistes de la presse bourgeoise belge, ce n’est pas si grave que ça.

En fait, on peut dire que des crises de la démocratie bourgeoise, en Belgique, c’est depuis des années une façon de fonctionner.

En 2008, les banques avaient été sauvées à coups de milliards par un gouvernement en affaires courantes. Le Covid a été géré tout aussi mal qu’ailleurs par un gouvernement bidouillé pour l’occasion. Et chaque fois, quand les politiciens, empêtrés dans leur théâtre d’ombres, ont tardé à se montrer responsables aux yeux de la bourgeoisie, un petit coup de pression des marchés financiers suffisait pour faire disparaître les problèmes qui paraissaient insolubles.

Les électeurs sont dégoûtés depuis longtemps du spectacle. Lors des élections communales, l’obligation de vote a été levée en Flandre, et 40 % des électeurs ne se sont pas déplacés. Mais comme il y a toujours l’obligation de vote pour les autres élections, ce sont les partis qui n’ont pas encore été au gouvernement qui ont pris de l’importance ces dernières années : le PTB (ex-maoïste) en Wallonie, le Vlaams Belang (extrême droite) en Flandre. Le résultat ? Aujourd’hui, c’est Bart de Wever, la figure de proue des nationalistes flamands, qui est nommé formateur du gouvernement et donc censé mettre tout ce monde d’accord.

Les présidents des cinq partis à table, deux francophones et trois Flamands, se disent confiants d’avoir un gouvernement pour Noël. Mais pour Noël ou pour plus tard, ce ne sera pas un cadeau, car sur le menu de ce futur gouvernement il y a, entre autres, la limitation les allocations de chômage à deux ans, des baisses de salaire, des économies drastiques sur toute la fonction publique, des attaques majeures sur les droits syndicaux et les pensions… et j’en passe. Car oui, ils sont tous bien d’accord de faire payer la population au nord comme au sud du pays. Et s’il n’y a pas encore de gouvernement fédéral, le gouvernement wallon, lui, est en place et a déjà commencé son offensive. Entre autres avec une diminution du budget du logement social de 25 %, ou encore la suppression du statut de fonctionnaire dans toute la fonction publique, dont les enseignants.

En octobre, il y a aussi eu les élections communales. En Wallonie, les budgets des anciennes villes industrielles sont sous tutelle, et les banques ont annoncé qu’elles leur refusent désormais le crédit. C’est dans ce contexte que le parti ex-maoïste PTB monte dans les coalitions communales avec le PS et les écolos dans trois grandes communes de plusieurs dizaines de milliers d’habitants à Bruxelles et en Wallonie. Comme dit la responsable locale du PTB à Mons : « Nous voulons montrer que le PTB est capable de prendre ses responsabilités. » Et le président du PTB d’ajouter : « Nous montrons que le vote PTB est un vote utile. » Mais utile à quoi ? Dans les faits, cela ne pourra être rien d’autre que gérer l’austérité au niveau communal. Du côté flamand, c’est le parti d’extrême droite Vlaams Belang qui monte dans quelques majorités communales, mais plutôt dans des petites communes. N’empêche, c’est une première. Le Vlaams Belang est aujourd’hui le deuxiè­me parti en Flandre avec plus de 22 % des voix. Et comme en France, on peut se demander combien de temps encore la bourgeoisie fera le choix d’exclure l’extrême droite des majorités gouvernementales.

Pour notre part, nous étions présents dans les élections fédérales dans le Hainaut pour la troisième fois, et à Bruxelles pour la première fois. Puis dans les élections communales, à La Louvière et à Mons. Aux élections fédérales, 6 500 personnes ont voté pour nous.

Fermeture d’usine et initiatives ouvrières

À peine les élections finies, Audi annonçait le déclenchement du processus de fermeture de l’usine de Bruxelles. Audi, avec 3 000 travailleurs et près de 1 000 travailleurs sous-traitants sur le site, est l’avant-dernière grande entreprise de l’automobile en Belgique, située en pleine capitale.

Le fait le plus marquant de ces cinq derniers mois, c’est le faible niveau de combativité. Encore renforcé par la politique des directions syndicales qui ne misaient que sur la négociation. En guise de mobilisation, il y a eu une seule manifestation – avant les élections – pour réclamer… un plan industriel européen. Mais malgré tout, il y a eu des initiatives. Des ouvriers et des délégués de la sous-traitance campent depuis fin août devant l’usine. Les syndicats d’une firme sous-traitante organisent une grève depuis bientôt six semaines, empêchant la production chez Audi. Et depuis la réouverture de l’usine après les congés, la direction n’a à aucun moment réussi à faire la production voulue.

D’abord, les travailleurs ont refusé de prendre le travail et ont été lockoutés. Ensuite, pour éviter que cela ne se reproduise, les ouvriers ne se déclaraient pas en grève, mais faisaient en sorte de ne pas produire plus de deux ou trois voitures à l’heure. Dans certaines sections, ils se mettaient en arrêt maladie à tour de rôle. Le besoin de s’organiser plus largement pour décider et organiser cela s’est fait sentir, certains proposaient d’organiser une assemblée. Cela a tout de suite provoqué une réaction chez la direction… et aussi chez les directions syndicales qui ont directement cherché à décourager cette initiative. Ils y sont arrivés sans trop de difficulté, du fait du manque d’expérience des travailleurs.

En fait, il y a des travailleurs qui ont tenté des choses, comme ils ont pu, les plus déterminés venant du milieu immigré. Avec tous les travailleurs qu’on a rencontrés et quelles que soient les idées qu’ils avaient en tête, nous avons pu discuter de la force des travailleurs, des luttes nécessaires et de la perspective communiste révolutionnaire. En fait, nous étions les seuls à discuter réellement avec les travailleurs, les aidant à réfléchir à leurs intérêts communs et aux perspectives. La fermeture d’une grande usine sans véritable mobilisation pèsera encore plus dans le sens de la démoralisation. Mais notre confiance dans les capacités de la classe ouvrière n’a fait que se renforcer.

Lutte ouvrière (La Réunion)

Cette année, la filiale locale de la Banque de France signale que la situation des entreprises se dégrade à nouveau à La Réunion. Entre juin 2023 et juin 2024, le nombre de défaillances a bondi de plus de 51 %, affectant l’ensemble des secteurs, de la construction aux services aux ménages. Plus de 1 000 entreprises ont été placées en liquidation ou en redressement judiciaire en juin 2024 contre 673 un an avant. En donnant cette information, le JIR, journal de droite, affichait sa compassion en titrant : « Les patrons ont le moral dans les chaussettes ». Que dire alors des 153 000 demandeurs d’emploi, des 700 intérimaires remerciés, sans parler des milliers de travailleurs, beaucoup de travailleuses d’ailleurs, en emploi précaire, qui voient avec angoisse les échéances des fins du mois se rapprocher toujours plus des débuts du mois ?

C’est dans ce contexte que l’ex-Premier ministre Barnier a annoncé son intention de raboter un peu les exonérations de charges patronales, ce qui a provoqué des indignations bien orchestrées venues de partout. Bien sûr, d’abord du côté des patrons. Lors d’une réunion du Medef Réunion, fin octobre, un responsable national donnait le ton : « J’invite nos syndicalistes à être lucides. Si nous nous prenons un coup de rabot, les futures NAO ne seront pas exceptionnelles. Elles seront proches de zéro ! » C’est censé faire peur mais les travailleurs de La Réunion subissent déjà depuis des années un quasi-blocage de tous les salaires supérieurs au smic alors que les prix, eux, ont explosé ! À gauche aussi, députés et conseil régional sont montés au créneau au point que deux députés de gauche ont déposé la même demande d’annulation de ce projet que les représentants du Medef.

Tout cela n’est pas nouveau. De fait, la gauche et la droite réunionnaises se sont entendues à de multiples reprises pour revendiquer de substantiels avantages pour les patrons. Huguette Bello, présidente du conseil régional, récemment proposée en juillet par le PCF et La France insoumise (LFI) au poste de Premier ministre, comme vous vous en souvenez peut-être, brandit sans arrêt le drapeau du « patriotisme économique réunionnais ». Pour mieux justifier les cadeaux faits aux entreprises réunionnaises, elle dénonce l’ingérence des capitaux étrangers dans la grande distribution, le bâtiment, l’eau. Les capitaux bien français mais extérieurs au département n’échappent pas à sa foudre nationaliste car leurs bénéfices repartent à l’extérieur de l’île, tel Tereos qui a repris le sucre local ou le groupe antillais Hayot, repreneur des enseignes locales.

Le petit conglomérat de gauche, fait d’ex-PCR, de LFI, de PS, etc., avance un autre prétexte pour défendre les patrons péi (locaux) : c’est qu’ils seraient injustement concurrencés par les capitalistes des pays voisins profitant de salaires beaucoup plus bas. Pourtant il n’est un secret pour personne que les patrons réunionnais ne se privent pas d’exploiter eux-mêmes des travailleurs à Maurice, à Madagascar ou aux Comores et profitent bien de ces bas salaires !

Mayotte et La Réunion

Quelques mots sur les répercussions de la situation de Mayotte sur La Réunion. La population réunionnaise elle-même d’ascendance comorienne, mahoraise, malgache, chinoise, indienne, métropolitaine, etc., n’est pas exempte de préjugés ! La peur d’un glissement vers plus de pauvreté alimente des préjugés racistes visant essentiellement les populations les plus démunies. Ainsi, les Mahorais sont-ils accusés d’occuper prioritairement les logements qui manquent cruellement aux Réunionnais, de vivre des aides, des allocations de l’État et de semer le désordre dans les quartiers.

Lors des bagarres et déprédations provoquées par des bandes de jeunes dans un certain nombre de quartiers populaires habités notamment par des Mahorais et des Comoriens, Fayard à Saint-André ou Bras Fusil à Saint-Benoît, bien des responsables politiques ont tôt fait de tirer un trait d’égalité entre Mahorais et délinquants. Le député du NFP Ratenon a ainsi demandé au préfet « l’expulsion chez eux des délinquants appartenant à une certaine communauté ».

Majicavo, la prison de Mayotte, étant sursaturée, des transferts vers La Réunion ont été jugés inacceptables en particulier par le maire macroniste de Saint-Benoît qui déclarait le 15 octobre dernier : « Inacceptable… alors même que nous connaissons un taux de surpopulation carcérale sans précédent à La Réunion et un manque d’effectifs de surveillants pénitentiaires ! La Réunion ne peut assumer seule le principe de solidarité nationale. Les difficultés que rencontre Mayotte affectent fortement notre cohésion sociale. » Politiciens de droite et de gauche, avec des mots plus ou moins équivoques, prétendent défendre La Réunion contre la pauvreté, le chômage, le mal logement, la délinquance… sans s’attaquer à la mainmise des capitalistes sur les richesses et l’appareil d’État. Donc en désignant des boucs émissaires !

Nous menons la lutte contre ces préjugés partout où nous le pouvons, dans nos milieux et dans le syndicat.

Il n’y a pas eu de mobilisation sur la vie chère. Il y avait de la sympathie quand on parlait des Antilles, « ils ont raison » mais ça n’allait pas plus loin. Dans certains secteurs, des mouvements ont lieu sur les salaires ou les primes mais le plus souvent les luttes se mènent dos au mur contre les licenciements ou les baisses de salaires.

Élections

La période des élections a été marquée par la montée des idées de l’extrême droite. Pour les européennes, en visite à La Réunion et à Mayotte, Marine Le Pen a surfé sur la peur de la « submersion comoro/mahoraise », à Mayotte sur la « submersion comoro/Afrique de l’Est et des Grands Lacs » comme en métropole sur la « submersion maghrébo-africaine ». Elle a mis en cause les évacuations sanitaires de Mayotte vers La Réunion qui creuseraient le déficit du CHU, en visant au passage les immigrés comoriens. Alors que ce déficit provient de la baisse de financement de l’État et de la politique de financement à l’acte ainsi que de l’insuffisance du coefficient géographique destiné à compenser les surcoûts ultramarins supportés par les établissements de santé réunionnais par rapport à l’Hexagone. Elle a désigné l’octroi de mer comme cause principale du coût de la vie dans l’île en faisant ainsi l’impasse sur les marges éhontées que s’octroient les patrons réunionnais et les groupes capitalistes français sur chaque marchandise et le racket qu’ils imposent toujours plus à la population.

Pour les législatives anticipées, nous avons pu nous présenter dans les sept circonscriptions de La Réunion et, pour la première fois, dans une sur les deux de Mayotte, celle de Mamoudzou. Par rapport à 2022, nous avons doublé nos voix à La Réunion. À Mayotte, notre candidat était le seul à dénoncer les discours xénophobes contre les migrants comoriens, nous y avons recueilli 684 voix soit 3,99 %. L’ambiance de montée de l’extrême droite était sensible dans les discussions, sur les marchés, sur le thème « on ne les a pas essayés ». Pour la première fois le RN obtient deux députés en Outre-mer : un à La Réunion, une à Mayotte

Bund Revolutionärer Arbeiter (Allemagne)

Instabilité politique sur fond de récession économique

Le 6 novembre, le gouvernement allemand a volé en éclats. Nous aurons donc, en Allemagne aussi, des élections anticipées. De crise en crise, la coalition gouvernementale entre sociaux-démocrates, Verts et libéraux a péniblement réussi à survivre trois ans. À comparer avec les 40 ans auparavant, où il n’y a eu que trois chanceliers : Kohl, Schröder et Merkel. L’instabilité politique est avant tout liée à la série de crises depuis 2020 et à la récession économique qui s’ensuit. Elles ont beaucoup accéléré la déception envers les partis au pouvoir, dont les scores électoraux ont chuté, jusqu’à 0,8 % pour le parti libéral (dans une élection régionale récente). Dans la tentative de sauver leurs scores électoraux, les trois partis au pouvoir ont passé leur temps à se tirer dans les pattes. Pendant deux ans, ils ont – eux aussi – expérimenté « la participation gouvernementale sans soutien ». Les disputes autour du budget de 2025 ont finalement fait exploser leur coalition.

Après l’éclatement du gouvernement, ex-gouvernement et opposition ont cependant été assez « responsables » pour voter ensemble une loi selon laquelle un hôpital sur quatre va fermer d’ici dix ans. Alors que le monde politique est préoccupé par les élections anticipées, une série d’attaques s’abat sur les travailleurs dans les entreprises. Encore ce printemps, pour les travailleurs, la crise était surtout celle du pouvoir d’achat. Dans bien des branches il y eut des débrayages massifs pour des augmentations de salaire conséquentes, même dans des secteurs où il n’y avait jamais grève, comme chez les secrétaires médicales. Mais depuis quelques mois, on assiste à une véritable série d’annonces de fermetures de sites, de licenciements et d’attaques sur les salaires. Les grandes entreprises ont annoncé plus de 125 000 suppressions d’emplois, auxquelles s’ajoutent toutes celles des PME. Et on peut craindre que ce ne soit que le début. Le patronat estime que le tassement du marché international risque de persister et que la concurrence, notamment avec les trusts des États-Unis et de la Chine, va continuer en s’aggravant. Les trusts allemands sont particulièrement touchés par l’évolution du marché chinois. Pour n’en donner qu’un exemple, le constructeur Volkswagen a 39 usines en Chine. À titre de comparaison, les constructeurs français n’en ont quasiment aucune. Jusqu’en 2022, c’est Volkswagen qui vendait le plus de voitures en Chine, bien plus que les constructeurs chinois. Depuis, le constructeur chinois BYD est passé devant. Le patronat est résolu à faire payer tout cela aux travailleurs, pour maintenir ses profits qui continuent à être faramineux : 16 milliards de bénéfices pour Volkswagen, 14,5 milliards pour Daimler, 9 milliards pour Siemens etc. Alors si c’est bien la crise pour les travailleurs, cela ne l’est pas pour le patronat.

Attaques patronales et complicité syndicale

Parmi les attaques, celle qui a le plus marqué les esprits est la menace de Volkswagen de fermer jusqu’à trois sites de production en Allemagne, de supprimer des milliers d’emplois et d’imposer une baisse des salaires de 10 à 18 %. Cette annonce fin octobre a été un choc, déjà par l’ampleur, mais aussi parce que cela frappe une frange des travailleurs qui pouvaient se sentir protégés jusque-là. Les trois constructeurs allemands n’ont jusqu’à présent jamais fermé d’usine en Allemagne. En conséquence, rien que pour la marque ­Volkswagen, il y a encore dix sites de production en Allemagne, dont sept qui comptent entre 7 000 et 17 000 travailleurs. À Wolfsburg, avec la partie développement et administration, ils sont même 60 000. En plus, ­Volkswagen était considéré comme le modèle de la fameuse « collaboration sociale » ou cogestion entre syndicats et patronat. En réalité, cette « collaboration » signifiait que le syndicat acceptait régulièrement des reculs pour les travailleurs, et en contrepartie, la direction s’engageait à ne pas fermer de sites et à ne pas faire de plans sociaux dans les cinq ou dix ans suivants. Ce qui ne les a évidemment pas empêchés de supprimer du personnel par d’autres moyens.

Mais maintenant, les patrons de Volkswagen, comme ceux de Thyssenkrupp, Bosch ou Ford ont fait le choix de brusquer ouvertement leurs « collaborateurs » syndicaux. C’est un message adressé à tous les travailleurs : « Préparez-vous aux sacrifices. Cette fois-ci personne n’y échappera. » Ce qui n’empêche pas les directions syndicales de continuer comme d’habitude. Dans un discours aux travailleurs de Volkswagen par exemple, la porte-parole d’IG Metall a préparé les travailleurs à un combat long et dur… à la table des négociations. Tout cela accompagné par des débrayages, dont le premier a été très massivement suivi, mais qui restent entièrement dans le cadre des débrayages ritualisés. Et avant même d’appeler au premier débrayage, l’IG Metall a offert au patron une réduction de salaire pour « sauver » les sites de production. C’est dire que l’IG Metall propage elle aussi l’idée que des sacrifices des travailleurs seraient objectivement nécessaires et inévitables. On ne peut faire mieux pour décourager d’avance les travailleurs, dont beaucoup se sentent déjà impuissants après toutes les années de recul.

Il y a quelques semaines, c’étaient les négociations pour la convention collective de la métallurgie – un moment où des grèves sont autorisées dans toute la métallurgie. Mais l’IG Metall n’a même pas profité de cette occasion pour organiser ne serait-ce que des débrayages ou des manifs communes de toutes les entreprises concernées par les licenciements, comme Bosch, Continental, ZF, Volkswagen, Schaeffler et tant d’autres – où les travailleurs auraient pu échanger et voir qu’ils sont nombreux dans la même situation, dans le même combat.

Pour le peu qu’on puisse en juger, il y a au moins dans certaines usines concernées une minorité qui aurait envie de partir en grève pour de bon. Mais les lois restrictives du droit de grève et plus encore les habitudes et le poids des structures syndicales font que, pour le moment en tout cas, cette minorité ne s’imagine pas se battre sans appel du syndicat. Un appel que les directions syndicales n’ont visiblement pas envie de lancer… à moins qu’éventuellement le jusqu’au-boutisme du patronat ne finisse par les convaincre du contraire.

L’annonce brutale de licenciements et de fermetures de sites sert aussi au patronat de moyen de chantage pour obtenir encore plus de subventions et de nouvelles lois antiouvrières. Et là encore, il a le soutien actif des syndicats qui reprennent complètement la propagande patronale selon laquelle produire en Allemagne ne serait plus compétitif, car l’électricité coûterait trop cher, les impôts pour les entreprises seraient trop élevés, les lois pour l’environnement trop coûteuses, et donc que l’Allemagne risquerait de se désindustrialiser à cause de cette « mauvaise » politique.

À force de répéter ces mensonges tous les jours depuis plus de deux ans, patronat, politiciens et syndicats ont réussi à persuader la majorité des classes populaires que la crise serait une crise exclusivement allemande et qu’ailleurs, par exemple en France, l’économie irait beaucoup mieux. Intégrant cette propagande, beaucoup de travailleurs nous disent, comme si c’était une évidence, que la raison des licenciements c’est que le gouvernement aurait imposé trop de contraintes au patronat.

La gauche dans la campagne

Dans la même logique, « sauver l’industrie allemande » est le principal sujet dans l’actuelle campagne électorale. Les sociaux-démocrates, les Verts et Die Linke prônent comme solution miracle de s’endetter massivement pour arroser le patronat de nouvelles subventions. Ils passent évidemment sous silence que cet endettement se traduira inévitablement par de nouvelles coupes massives dans les services publics, alors que les mesures d’austérité ont déjà pris de l’ampleur cette année.

La droite et l’extrême droite mettent plutôt en avant l’idée d’abolir des mesures qu’ils prétendent trop contraignantes pour les patrons : ils veulent assouplir, voire abolir, les lois concernant l’émission de CO2, le moteur thermique ou les horaires de travail, baisser « les charges » pour les patrons en rognant sur les retraites et en baissant l’équivalent du RSA, etc. Et il est fort probable que le prochain gouvernement fera tout à la fois. En tout cas, si les partis arrivent à former une coalition à peu près stable : une tâche de plus en plus compliquée avec les résultats croissants de l’extrême droite.

Si les sondages se confirment, le nouveau chancelier sera le candidat de la CDU, Friedrich Merz. C’est un ancien PDG de BlackRock en Allemagne, millionnaire et possesseur d’un jet privé, qui adore insulter les chômeurs qui seraient tous des feignants ou encore les réfugiés qui viendraient en Allemagne… « pour se faire faire les dents gratuitement ». Merz a une façon particulièrement crasse de chasser sur les terres de l’extrême droite. Mais de fait, tous les partis le font, et cela empire du fait que la crise et le cirque gouvernemental permanent ont renforcé davantage l’extrême droite.

Lors des récentes élections régionales en Allemagne de l’Est on a vu aussi le succès d’une nouvelle force politique issue du parti Die Linke (La Gauche) dont la porte-parole est Sahra Wagenknecht. Elle s’est créée après les défaites électorales de Die Linke, expliquant cyniquement que pour faire barrage à l’extrême droite, il faudrait arrêter de « nier les problèmes réels que poserait l’immigration ». Aussi cette nouvelle force politique « de gauche » revendique-t-elle encore plus de restrictions pour les immigrés. Mais son succès électoral – le nouveau parti a fait jusqu’à 16 % des voix en Allemagne de l’Est – vient surtout du fait qu’il s’est résolument prononcé contre les livraisons d’armes à l’Ukraine et le stationnement de missiles à longue portée, dirigés contre Moscou, en Allemagne. En Allemagne de l’Ouest cette position ne trouve pas tant d’écho, car le gouvernement y réussit toujours à faire peur avec la menace fantôme d’une invasion russe en Allemagne. En revanche, en Allemagne de l’Est c’est plutôt la politique incendiaire de l’OTAN qui fait peur.

La perspective défendue par ce nouveau parti pour obtenir la paix consiste à semer des illusions sur un possible retour « à la diplomatie » et « à la politique de détente de Willy Brandt » qui permettrait une évolution paisible des relations entre l’Europe et la Russie. Dans le milieu d’extrême gauche, ce nouveau parti a créé pas mal d’illusions. Mais probablement pas pour longtemps, car il a tout de suite utilisé ses bons résultats électoraux pour aller à la mangeoire. Il a formé des gouvernements régionaux avec le SPD – et, en Thuringe, même avec la CDU, alors que cette fédération régionale de la CDU est la plus réactionnaire de toute l’Allemagne. Ce nouveau parti réformiste ne tardera donc probablement pas à décevoir lui aussi ses électeurs – au profit de l’extrême droite. Alors, en guise de barrage à l’extrême droite, le parti de Wagenknecht contribue au contraire à la renforcer et à faire accepter des préjugés anti-immigrés même dans un milieu qui se considère comme anticapitaliste et où ces préjugés n’existaient quasiment pas auparavant.

Les élections qui auront donc lieu au mois de février seront une occasion comme d’autres pour démontrer que ce n’est pas « l’Allemagne » qui est en crise, mais le capitalisme et pour défendre un programme de lutte, un programme internationaliste et révolutionnaire face aux attaques en cours.

L’Internazionale (Italie)

Le capitalisme italien partage avec les autres la crise et l’incertitude sur la possibilité d’une nouvelle période de dynamisme. Les prévisions de croissance du PIB, déjà modestes au début de l’année, ont encore été revues à la baisse et les centres d’analyse économique les plus accrédités parlent de + 0,7 % pour l’année qui s’achève.

Faiblesse des investissements productifs

L’économie est « flottante », selon la Confindustria, grâce notamment aux bons résultats du tourisme et à la baisse des taux d’intérêt. La production industrielle est en baisse depuis vingt mois, et pas seulement à cause de la crise automobile. La propension à investir, par rapport au trimestre précédent, a baissé de 7,7 %. Il est parfois utile de se placer du point de vue de la bourgeoisie, pour compléter l’image qui se dégage des chiffres et des pourcentages. Il existe un secteur florissant de l’économie financière qui porte le nom anglais de private banking – banque privée. Différentes sociétés opèrent dans ce secteur particulier, qui s’occupe de la gestion de patrimoines familiaux d’au moins 500 000 euros, hors immobilier. Cette banque privée administre environ un tiers du patrimoine de ces familles de la classe moyenne. En novembre dernier, l’association regroupant les opérateurs du secteur a organisé une conférence intitulée Private banking for growth. L’objectif est d’orienter une plus grande part de cette immense richesse, pudiquement appelée « épargne », vers des investissements « productifs ».

Il s’agit essentiellement de convaincre la bourgeoisie d’allouer plus d’argent au système des entreprises, en convertissant les centaines de milliards déposés dans d’autres formes d’accumulation en capital-risque, principalement en actions. Selon les rapports de cette association, seulement 0,82 % des actifs sont actuellement destinés à des investissements productifs. Le président de l’association a expliqué que ce qui motive les décisions de la bourgeoisie en chair et en os, c’est avant tout la préservation de son niveau de vie dans le futur. C’est dire le degré de confiance des capitalistes et des rentiers dans leur système !

Fermetures d’usines et réactions ouvrières

En tout cas, pour la classe ouvrière, la crise se poursuit et les fermetures totales ou partielles de sites de production se multiplient. Au début de l’année, selon un rapport de la CGIL, 120 000 travailleurs risquaient de perdre leur emploi. Un an après, la situation ne s’est certainement pas améliorée.

La journée de grève générale appelée le 29 novembre par deux des plus grands syndicats, la CGIL et l’UIL, a de nouveau attiré l’attention des médias sur la situation des travailleurs. Le gouvernement s’en est pris aux organisateurs de la grève. On a surtout dit qu’il s’agissait d’une agitation politique, voire idéologique. Mais avec un pouvoir d’achat en baisse constante et une proportion de travailleurs pauvres en augmentation constante, il n’y a pas besoin d’idéologie pour expliquer les raisons de ce qui ressemble à une réponse générale de la classe ouvrière aux patrons. Je dis « ressemble » parce qu’il reste à voir si les bureaucrates syndicaux continueront dans cette voie.

Un refrain de la classe dirigeante, et certainement pas seulement lorsque la droite gouverne, est qu’en Italie « nous faisons trop la grève ». En réalité, nous faisons trop peu la grève, tout comme nous faisons trop peu la grève, depuis les années 1970, dans tous les pays impérialistes. Aujourd’hui, il semble qu’il y ait une certaine résurgence des luttes, bien qu’isolées et fragmentées à cause aussi de l’action démoralisante des grandes confédérations syndicales. Mais il est difficile de l’affirmer avec certitude, car les statistiques des grèves en Italie sont très pauvres. Cependant, certaines données sont disponibles. Il existe par exemple une série historique compilée par l’ISTAT, un institut de statistiques, qui atteste d’une baisse de 80 % des grèves entre 1973 et 2009. Un autre chiffre, concernant les entreprises de plus de 250 employés, indique qu’entre 2005 et 2022, le nombre d’heures de grève pour 1 000 heures travaillées est passé de 30 à moins de 10.

Il y a une relation directe entre la diminution du nombre de grèves et la dégradation des conditions de travail. Peu de grèves signifie peu de luttes, peu de résistance aux exigences des employeurs, donc des salaires bas, un nombre très élevé d’accidents et de décès sur le lieu de travail, des retards constants dans le renouvellement des contrats, etc.

La politique de Meloni

Quant à l’action du gouvernement, on peut dire qu’il joue à fond la carte de la « stabilité », c’est-à-dire le maintien des dépenses publiques dans les limites fixées par l’Union européenne, à l’instar de Mario Draghi. C’est pourquoi, d’une manière générale, Giorgia Meloni a gagné un certain respect en Europe. Elle a rassuré le monde de la finance sur la solidité de la dette publique qui, pour stratosphérique qu’elle soit, assure des rendements sûrs aux spéculateurs nationaux et étrangers. Toute la démagogie « populiste » déployée avant l’entrée de Meloni au gouvernement a été mise de côté sur le plan économique. Ce qui reste, c’est le côté policier et raciste. Avec des résultats parfois grotesques, comme dans le cas des centres d’expulsion de migrants qu’elle prétendait mettre en place en Albanie et que nous avons évoqués dans le dernier numéro de notre journal. D’autres fois, et c’est le cas avec le projet de loi dit de sécurité, le gouvernement veut s’en prendre à la liberté de manifestation, aux piquets de grève, aux barrages routiers, etc.

L’autre pilier du gouvernement Meloni est l’atlantisme exacerbé qui fait de lui le premier de la classe en Europe en tant que fidèle marionnette des États-Unis. Toute la politique étrangère est orientée dans ce sens, du moins en ce qui concerne les zones de crise : l’Ukraine et le Moyen-Orient. Bien sûr, comme dans le reste de l’Europe, l’élection de Trump a déclenché un débat qui révèle les craintes et les espoirs de la bourgeoisie européenne. Mais les « Trumpiens » comme les « anti-Trumpiens » s’accordent finalement sur le fait que l’attitude de Trump à l’égard de l’Europe confirme la nécessité de se mobiliser, tous ensemble, pour protéger la compétitivité des marchandises européennes et construire un véritable appareil de défense à l’échelle du continent.

Ces objectifs étaient déjà indiqués par Draghi dans son rapport sur la compétitivité. Mais ils semblent pour l’instant du domaine des rêves. Il est curieux de voir comment, alors que tous les gouvernements de l’Union font profession d’européanisme, ils lancent des cris d’alarme contre ceux qui chercheraient des solutions nationales, à travers des négociations bilatérales avec Washington, face à la menace des tarifs douaniers et face à la réduction du parapluie militaire américain. En réalité, tout l’édifice européen en ruine montre déjà des signes de fissuration.

Mise en condition belliciste

En ce qui concerne les conflits en cours, l’Italie a été au premier rang des « amis » de l’Ukraine dès le début mais, comme l’a récemment répété le ministre des Affaires étrangères Tajani, elle n’enverra pas de troupes parce qu’elle n’est « pas en guerre avec la Russie ». Jusqu’à présent, il s’agit d’un point essentiel des déclarations du gouvernement, qui le distingue, du moins dans le ton, des autres gouvernements européens. Peut-être l’intention est-elle de jouer une sorte de rôle pacificateur dans la période d’après-guerre, ce qui pourrait constituer un avantage dans les relations futures avec la Russie. En tout cas, il y a une harmonie avec la politique étrangère américaine de Biden et c’est être bien placé pour suivre celle de Trump. Sur le massacre du peuple palestinien, le gouvernement italien a jonglé entre les déclarations « humanitaires » habituelles et la solidarité avec Netanyahou, argumentée par le « droit de se défendre ». Même le mandat d’arrêt émis par la Cour pénale internationale pour crimes de guerre à l’encontre du chef du gouvernement israélien a suscité une grande froideur de la part des dirigeants italiens, poussée jusqu’à l’insulte et la dérision par le vice-ministre Salvini.

Une mise en condition nationaliste et militariste de la population est également en cours. Il y a les faits : la croissance des dépenses militaires, qui atteindront 32,2 milliards l’année prochaine, dont une grande partie ira aux deux « géants » industriels du secteur : Leonardo et Fincantieri. Et puis, il y a toute la propagande menée par quelques intellectuels « prestigieux », élaborée sur tous les tons, et qui tente également de pénétrer les écoles avec diverses initiatives. Cette tentative, il faut le dire, se heurte souvent à l’opposition des enseignants les plus organisés.

Une dernière chose concerne la désaffection croissante de la population, toutes classes sociales confondues, pour les élections. Les élections générales, considérées comme les plus importantes, ont connu un taux de participation de 73 % en 2018, qui a chuté à 64 % en 2022. Lors des dernières élections, les régionales en Ombrie et en Émilie-Romagne, respectivement 52 % et 48 % des électeurs ont voté. La tendance est générale et nous allons vers une situation où la « politique » intéresse la moitié, voire moins, des électeurs. Cette réalité du comportement social offre sans aucun doute des espaces pour la propagande révolutionnaire, mais elle révèle également un repli sur l’individualisme, un rejet général de la politique qui mène aussi à un rejet de la politique communiste que nous défendons bien sûr autour du thème central de l’internationalisme.

Sinif Mücadelesi (Turquie)

Inflation galopante

Cette année en Turquie, l’effondrement de l’économie a continué de plus belle. On le constate d’abord avec l’inflation très rapide et la chute continue du cours de la monnaie, la livre turque. En 2002 quand le parti d’Erdogan, l’AKP, est arrivé au pouvoir il fallait 1,61 livre turque (LT) pour faire un dollar ; aujourd’hui il en faut presque 35. Un pain ordinaire valait 0,25 LT ; aujourd’hui il en coûte plus de 10. Il est vrai qu’il existe un salaire minimum légal, une sorte de smic turc, qui a été revalorisé en gros tous les ans. En 2002 il se montait à environ 200 millions de livres, mais c’étaient des anciennes livres. On devait alors compter en millions, raison pour laquelle on est passé en 2005 à la nouvelle livre, qui valait un million des anciennes livres. Donc on peut dire que ce smic était en 2002 équivalent à 200 de ces nouvelles livres. Il est aujourd’hui fixé à 17 002 LT, depuis janvier 2024, soit 84 fois plus. Le pouvoir d’achat a bien augmenté au début de l’ère Erdogan, mais maintenant il chute. Le smic n’a pas augmenté depuis janvier, alors qu’il aurait dû le faire en septembre. La pension d’un retraité est restée autour de 12 500 livres, soit de l’ordre de 330 euros. Et il faut rapporter cela à la situation d’aujourd’hui, alors que les prix se sont rapprochés de ceux des pays d’Europe.

D’après les statistiques de l’ENAG, une association d’économistes indépendants, l’inflation est de plus de 110 % par an même si officiellement elle ne serait que de 60 %. Un loyer ordinaire à Istanbul tourne autour de 15 000 livres, soit 400 euros. Un kilo de viande coûtait 9 livres en 2002, et maintenant il coûte 600 livres, environ 16 euros, un prix inaccessible quand on ne gagne que l’équivalent de quelques centaines d’euros par mois. En janvier 2025 normalement il y aura une augmentation du smic et des retraites. Mais le mécontentement est là, et même s’ils sont augmentés de 40 ou 50 %, il restera très difficile de vivre avec de pareils revenus. C’est sans doute pour cela que le gouvernement d’Erdogan a amplifié la répression via des dizaines d’arrestations pour un oui ou pour un non ! Avec pour résultat que la Turquie est classée en 165e position sur 180 pays concernant la liberté de la presse ; 115e sur 180 pays concernant la corruption et 117e sur 142 concernant la justice !

La situation politique

Aux dernières élections municipales du 31 mars le gouvernement d’Erdogan a connu une défaite cinglante en perdant presque toutes les grandes villes du pays malgré toutes ses combines. L’AKP, le parti d’Erdogan, est devenu minoritaire tandis que le CHP, le parti kémaliste dit social-démocrate, se retrouve majoritaire à l’échelle du pays. Erdogan dans cette situation a essayé de former une nouvelle majorité avec le parti CHP. On a vu des images d’Erdogan et de sa bande avec des dirigeants du CHP s’affichant comme de bons copains. Mais l’associé actuel d’Erdogan, le parti d’extrême droite MHP, a fait pression, de telle sorte qu’Erdogan a dû faire machine arrière.

Erdogan et son associé le MHP ont donc amorcé une nouvelle stratégie qui consiste à faire une alliance avec le DEM, un parti pro-kurde. Mais visiblement ça ne marche pas davantage, car il y a eu de nouvelles arrestations de maires de grandes villes kurdes sous des prétextes bidon et leur remplacement par des fonctionnaires des préfectures. Cela n’a fait que provoquer un mécontentement général avec des manifestations et des arrestations par dizaines chaque jour. À tout cela s’ajoute le mécontentement général dû aux salaires à la traîne.

Des réactions dans la classe ouvrière ?

La dégradation des conditions de travail, associée à une baisse énorme du pouvoir d’achat, commence à créer un fort mécontentement dans la classe ouvrière qui se manifeste de plus en plus par des grèves. À tel point que le grand syndicat réformiste Türk-İs s’est senti obligé d’organiser une grande manifestation nationale dans la capitale Ankara, début octobre. Il y aurait eu 150 000 manifestants. Le mécontentement social pourrait exploser à partir du mois de janvier, où il sera question d’une augmentation des salaires et des retraites qui est déjà jugée très insuffisante. Cela devient très probable et c’est pour cette raison que le régime d’Erdogan se montre de plus en plus répressif.

8 décembre 2024