Intervention lors du meeting National du Zenith le 15 avril 2012
La centralisation a fait, il fut un temps, l'efficacité de la SNCF. Cette même centralisation a contribué à former, voire même à dresser, des générations et des générations de cheminots dans l'esprit du service public, où le respect et la sécurité à l'égard des voyageurs ainsi que la sécurité des cheminots étaient prioritaires.
Cette époque est révolue. La baisse des effectifs, l'ouverture à la concurrence - c'est-à-dire la marche à la privatisation - la cession des 29 000 km de voies à Réseau ferré de France (RFF), tout cela a abouti à l'explosion du nombre des incidents.
Dernièrement, le rythme des accidents s'est accéléré, des morts et des accidents graves sont à déplorer : des voyageurs happés sur des quais de gare non surveillés. Quant aux cheminots, c'est une véritable hécatombe : quatre morts en moins de deux mois.
À la réfection des voies, à Toury, près d'Orléans, il y a quelques semaines, un jeune de 22 ans a perdu la vie, percuté dans le noir par un train pendant qu'il travaillait au remplacement d'un aiguillage. Les techniciens de ce chantier avaient pourtant alerté leur direction des risques que faisait courir le manque de moyens en hommes, aggravé par un raccourcissement des délais impartis.
Depuis, coup sur coup, deux ouvriers de l'Équipement ont été tués au travail près de Lyon : là encore, des agents travaillant en sous-effectif, et même seuls sur les voies, affectés désormais à des secteurs tellement étendus qu'ils ne peuvent en connaître tous les dangers particuliers. Le recours à la sous-traitance en cascade, avec une main-d'œuvre inexpérimentée, voire pas formée aux dangers du travail sur les voies, l'organisation systématique des chantiers la nuit, avec la fatigue accumulée, ne font qu'aggraver les risques.
Et les dirigeants de la SNCF ont osé essayer de faire passer la mort de l'un de ces collègues pour un suicide ! Quel cynisme !
Un ouvrier de 62 ans du triage de Woippy, en Moselle, travaillant seul à l'accrochage des wagons, a perdu les deux jambes à la suite d'une chute sous un wagon. Quand on sait que cet ouvrier immigré, qui travaillait depuis vingt-sept ans pour la SNCF, fait partie de ces centaines de travailleurs qu'elle a recrutés sans leur accorder les mêmes droits qu'à ceux ayant le statut, sous prétexte qu'ils n'avaient pas la nationalité française, c'est d'autant plus révoltant !
La dégradation de la situation ne date pas d'hier. C'est en effet sous Mitterrand que la SNCF fut transformée en établissement à caractère industriel et commercial, avec comme but premier la recherche du profit. Puis c'est Gayssot, ministre PCF du gouvernement Jospin, qui entérina la séparation SNCF-RFF et la régionalisation du transport voyageurs, pas supplémentaire vers la privatisation.
Elle s'est pourtant accélérée de façon spectaculaire depuis qu'avec la crise se sont exacerbées les exigences du capital. Les groupes capitalistes entendent en effet mettre la main sur tout ce qui peut permettre d'engranger des profits. Ils ne tolèrent plus que les pouvoirs publics mobilisent des moyens un tant soit peu importants pour assurer la marche générale de la société. Ils exigent que tout ce qui ne contribue pas à grossir leurs profits soit réduit à la portion congrue.
Comme n'importe quelle entreprise capitaliste, la SNCF supprime ses activités les moins rentables et réduit le nombre de ses salariés. Rien que ces derniers mois, ce sont des centaines de travailleurs qui ont été laissés sur le carreau par son ex-filiale SeaFrance, et des centaines de travailleurs de Sernam risquent de connaître à leur tour le même sort !
Systématiquement depuis dix ans, ce sont 2 000 à 3 000 emplois de cheminots que la SNCF a supprimés chaque année ! Le fléau du chômage peut sévir et les gouvernements successifs prétendre le combattre, la SNCF, dont l'État est le principal actionnaire, ne cesse d'en fabriquer davantage !
Pour éviter d'attaquer frontalement l'ensemble des cheminots, la SNCF a joué du prétexte de directives européennes d'ouverture à la concurrence pour attiser d'abord la concurrence entre salariés. Elle a le plus souvent créé elle-même des sociétés de droit privé, prétendument concurrentes, pour remettre en cause les horaires, les salaires et les conditions de travail.
Dans la région de Lamballe en Côtes-d'Armor, voilà comment cela se passe pour des conducteurs d'ECR (filiale de la Deutsche Bahn) : ces travailleurs n'ont pas de local d'embauche, et se rencontrent difficilement. Toutes les tâches, ils les effectuent seuls : les essais de freins, les vérifications de chargement, la manœuvre des aiguilles aux embranchements, et bien sûr la conduite du convoi. Les amplitudes de travail dépassent les 12 heures par jour, certains font jusqu'à 15, voire 17 heures d'affilée, et ils sont partis de chez eux pour trois ou quatre jours. Pour eux, plus question de planning. Ils sont avertis des étapes à effectuer la veille pour le lendemain, apprennent leurs horaires à domicile, par Internet ou par SMS. Ils passent des heures à l'arrêt dans les triages avec comme seul lieu de repos la cabine de leur locomotive.
Les travailleurs au statut SNCF n'échappent évidemment pas à cette dégradation : chez les conducteurs, les plannings sont remis en cause, et les journées plus denses, avec une amplitude de travail de 11 heures, deviennent plus fréquentes. Notre repas, on doit souvent le prendre dans la cabine du train. Pendant ce temps la direction nous organise des campagnes sur la diététique. « Plus saine la vie », qu'elle appelle ça ! Avec ses journées de travail qui nous font commencer presque au milieu de la nuit, ses horaires qui changent en permanence, la vie saine, c'est pas gagné !
Pour les conducteurs Fret, la SNCF dès 2004 avait imposé une nouvelle grille de salaires, avec un salaire d'embauche au smic et une réglementation du travail lui permettant de les faire travailler plus. Tout ça au nom de la concurrence et de la compétitivité. Cela n'a pas protégé les emplois puisque plus de 5 000 ont été supprimés rien que dans ce secteur !
C'est aussi la précarité qui s'est installée. Et pas seulement pour ce qui a été confié à la sous-traitance depuis belle lurette, comme le nettoyage des rames ou des locaux. Aux guichets, dans les gares, de plus en plus de travailleurs, des femmes pour la plupart, sont en contrat précaire : à Rennes, plus de la moitié sont contractuels, certains ont des CDD renouvelés à la journée ! L'encadrement s'y croit permis de proposer des primes de rendement payées en bons d'achat FNAC ou Carrefour !
Du travail, pourtant, il y en a : en témoigne le succès de fréquentation des TER. Dans ma région, le nombre des trains et leur fréquentation se sont accrus année après année, tandis que les effectifs, dans les gares ou à la conduite, diminuaient ! En témoigne aussi le nombre de chantiers de réfection des voies que la SNCF est contrainte d'entreprendre, après qu'elles ont été laissées à l'abandon depuis des années.
Alors il faut que cesse cette saignée des effectifs à la SNCF. Oui, il faut au contraire contraindre la SNCF à des embauches massives !
Ce démantèlement systématique d'un service public qui, bien que régi par l'État au profit des intérêts capitalistes, offrait à la fois un service homogène au public, et un certain nombre de garanties aux cheminots, ce démantèlement ne s'est pas fait sans résistance. Depuis plus d'une quinzaine d'années, à chaque fois que les cheminots ont été appelés à réagir par leurs organisations syndicales, ils l'ont fait. Aujourd'hui, ils restent encore bien souvent l'aile marchante des manifestations syndicales.
Cette cohésion, même si elle a faibli parfois, a démontré au-delà des mots d'ordre d'appel, leur conscience d'avoir à défendre au travers de leurs intérêts propres, aussi, un service public.
Eh bien, dans les mois qui viennent, cette cohésion, cette combativité, nous en aurons besoin. Car les coups que nous avons pris, chez les cheminots comme dans tout le monde du travail, tous ensemble, il va falloir que nous les rendions !