Les manifestations de colère contre la hausse brutale des prix des produits alimentaires de première nécessité qui ont éclaté, ces dernières semaines, dans un grand nombre de pays pauvres, ont touché notamment la Côte-d'Ivoire et Haïti.
Les textes ci-dessous sont extraits, pour le premier, du numéro du 2 avril 2008 du Pouvoir aux travailleurs, publication communiste révolutionnaire éditée en Côte-d'Ivoire et, pour le second, du numéro du 15 avril 2008 de la Voix des Travailleurs, de l'Organisation des travailleurs révolutionnaires (UCI), en Haïti.
Côte-d'Ivoire - Flambée des prix, c'est la colère qui explose !
Des manifestations contre la cherté de la vie ont éclaté dans plusieurs quartiers d'Abidjan. Elles ont été réprimées violemment par les forces de l'ordre qui ont déjà fait deux morts par balles et plusieurs blessés. Le gouvernement qui s'est montré insensible à la souffrance de la population a fini par trouver l'explosion de la colère. Aujourd'hui, la seule chose qui le préoccupe, c'est comment éteindre le feu avant qu'il ne se propage dans tout le pays. Alors il a envoyé sa police pour sévir.
Ces manifestations sont pour la plupart spontanées et composées des gens du petit peuple, souvent des mères, équipées d'assiettes et autres ustensiles de cuisine, criant leur colère contre la hausse vertigineuse des prix des aliments de base. Elles n'en peuvent plus de faire des kilomètres à pied pour essayer de dénicher, au fin fond d'un marché d'un quartier populaire, un peu d'aliment (souvent de mauvaise qualité) qui soit encore à portée de leur bourse. Elles n'en peuvent plus d'entendre les gémissements et les pleurs de leurs enfants qui ont faim. Des manifestations de même nature viennent d'avoir lieu à Dakar, presque au même moment. Quelques semaines plutôt, c'était au Burkina Faso, au Cameroun et dans bien d'autres pays africains. C'est la colère longtemps retenue qui explose aujourd'hui. Et ce n'est probablement qu'un début.
Ces mères de familles, les jeunes des quartiers, les travailleurs embauchés ou journaliers, des gens du petit peuple, sont nombreux aujourd'hui à dire non aux affameurs qui gouvernent nos pays et qui restent sourds et aveugles devant la situation de famine qui est déjà là pour beaucoup.
Ils ont raison mille fois de ne pas vouloir mourir et laisser mourir les êtres chers dont ils ont la charge, sans crier leur révolte et leur dégoût à l'égard de ces dirigeants incapables par lâcheté à l'égard des possédants, par mépris à l'égard des humbles ou pour les deux raisons à la fois, de prendre la moindre mesure d'urgence, de salut public pour que les gens mangent.
Peut-être que les classes possédantes attendent que la répression, les bonnes paroles des dirigeants et la lassitude arriveront à bout de la vague de détresse et de colère qui déferle.
Mais leur calcul peut aussi s'avérer erroné car il n'est pas dit que les gens acceptent de mourir en silence. Ce sont souvent les petites vaguelettes qui, en convergeant, se transforment en grosses déferlantes.
Ces gens-là savent comment cela a commencé mais pas forcément comment ça peut finir s'ils continuent à se mettre un bandeau sur les yeux et des bouchons dans les oreilles.
Haïti
Tout a démarré le 3 avril dernier aux Cayes, chef-lieu du département du sud et troisième ville du pays, quand des milliers de manifestants ont déferlé dans les rues pour protester contre la vie chère, contre la faim qui tenaille chaque jour davantage les couches pauvres de la population. Les principales communes de l'arrondissement des Cayes ont adhéré au mouvement de protestation qui a aussi fait tâche d'huile - avec moins d'intensité, certes - dans certaines villes du pays telles Gonaïves, Saint-Marc, Petit-Goâve, Ouanaminthe. Mais c'est à Port-au-Prince, la capitale, que la mobilisation a pris une ampleur particulière depuis le lundi 7 avril avec quatre jours d'affilée de manifestations émaillées de violence, d'émeutes de la faim, d'affrontements avec la Minustah en certains points de la capitale.
Dans la capitale, les écoles, le commerce, les banques, l'administration publique, le transport, rien n'a fonctionné pendant la semaine. Des milliers de manifestants déferlaient de différents quartiers populaires de la capitale pour venir grossir la marée humaine en colère au Champ-de-Mars. Le mardi 8 avril, des groupes de protestataires ont tenté de défoncer la barrière principale du Palais national pour investir l'enceinte du siège de la Présidence. Ils voulaient, selon leurs déclarations, inviter le chef de l'État à participer à la mobilisation car ce dernier, au micro d'un journaliste qui l'avait interrogé en décembre dernier sur la vie chère, avait répondu d'un ton ironique qu'il en était, lui aussi, affecté et qu'il attendait une invitation pour participer aux manifestations contre la vie chère.
Chauffeurs du transport collectif, étudiants, petits détaillants, jeunes chômeurs de quartiers pauvres, tous ils exprimaient au micro des journalistes leur colère contre la hausse vertigineuse des prix et contre l'inaction voire la morgue du gouvernement face à ce fléau appelé « klowòks » (chlorox), métaphore créole inventée par la population pour décrire la faim et ses effets destructeurs sur l'organisme humain en faisant référence à ce produit chimique qui est une marque de produit blanchissant très utilisée par la population.
Particulièrement à Port-au-Prince, la capitale, la mise à sac de certains supermarchés et d'entrepôts de riz ont été l'objet de nombreuses critiques de part et d'autre sous prétexte qu'il fallait manifester dans l'ordre et la discipline sans toucher à la sacro-sainte propriété privée. Mais c'est une insulte aux pauvres qui sont saignés par ce renchérissement continu du coût de la vie, qui crèvent de faim pendant que des dépôts regorgent de riz, de farine, voire de produits alimentaires tel le blé destinés à être distribués sous forme d'aide humanitaire, mais qui deviennent avariés tant ils sont longtemps stockés pour être vendus au marché noir ; pendant que ces riches, méprisants à l'égard des classes pauvres, roulent en 4x4, Hummer, Mercedes, Lexus flambant neuf, vivent dans des villas luxueuses bien éclairées auxquelles sont agrippés des ghettos, des prisons pour pauvres sombrant dans le noir même en plein jour. Voilà ce qui est révoltant !
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La petite marmite (1 livre) de riz le moins cher, aliment de base de grande consommation, est passée de 25 à 35, voire 40 gourdes en moins d'une semaine à la fin du mois de mars. D'autres produits alimentaires de première nécessité, comme la farine, l'huile, le pois ont suivi le même cours dans le même laps de temps. Le pain devient de plus en plus creux et petit, se plaignent les consommateurs.
Dans plusieurs endroits du pays et plus particulièrement à Port-au-Prince, la capitale, des familles pauvres sont réduites à manger des galettes de boue en argile (contenant du sel et du beurre) pour résister à la faim, à ne cuisiner que le dimanche pour les enfants tant les prix des produits de consommation courante s'envolent et deviennent hors de portée des couches pauvres sans pouvoir d'achat. Le prix du carburant a été l'objet de trois augmentations en moins de deux mois sans parler des fraudes au niveau des compteurs. Le salaire minimum journalier fixé à 70 gourdes depuis 2003 suffit à peine pour couvrir le montant des deux menus repas du travailleur de la zone industrielle. Que dire de la majorité de la population qui survit sans salaire ! C'en est trop !
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L'ampleur des manifestations était telle, particulièrement aux Cayes et à Port-au-Prince, que la famille Boulos qui dirige la plus grande chaîne de supermarchés, constituée de quatre magasins, a dû sans tarder prendre la décision de réduire de 20 à 25 % les prix de certains produits de grande consommation pour se protéger contre la fureur des manifestants. Le chef de l'État, qui surfait dans son discours du 9 avril sur l'impossibilité du gouvernement de faire baisser les prix, a vite pris le contre-pied de ses déclarations deux jours après, annonçant une baisse de 15 % sur le sac de riz importé. Le Sénat, éclaboussé par des scandales de toutes sortes, paniqué par la pression de la rue et cherchant à se refaire une santé politique, s'est précipité de destituer le Premier ministre par un vote de censure.
Leur propension à chercher hâtivement des solutions pour calmer la situation, après l'explosion de colère de ces jours derniers, montre bien aux masses pauvres que c'est dans cette voie de l'expression de leur colère, qu'elles trouveront des solutions.
Elles doivent se donner les moyens de se faire craindre encore plus. Tout comme elles doivent dresser le programme de leurs revendications et des transformations qu'elles devront imposer impitoyablement aux classes possédantes et à leurs représentants au pouvoir.
En Haïti et dans d'autres pays pauvres, ces dirigeants sont chargés de maintenir l'ordre afin que les capitalistes de ces pays puissent y imposer leur volonté et y maintenir leur part du pillage mondial. Car Préval, ni aucun gouvernement avant lui, ni Aristide n'ont ni pu, ni même voulu, imposer aux grands capitalistes haïtiens les Mews, les Brant, les Biggio et autres Apaid que les possibilités économiques d'Haïti - aussi limitées soient-elles et, aussi, justement à cause de cela - notamment celles de l'agriculture - soient tournées vers les besoins alimentaires de la population.
Alors, les mesures qu'il faudrait prendre pour enrayer la famine, permettre à la population de vivre plus décemment, elles ne peuvent être que des mesures qui s'imposent à tous ces possédants, qui leur enlèvent la mainmise sur tous les leviers de l'économie, les importations, les banques, la disposition des terres cultivables, etc.
Mais tout cela, ni Préval, ni Aristide qui l'avait précédé n'ont même pas osé l'envisager ne voulant en rien s'opposer aux intérêts des gros possédants.
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Il n'y a pas de solutions réelles et durables aux problèmes vitaux des pauvres en dehors d'une lutte pour imposer un système économique plus juste, à commencer par l'expropriation des grandes entreprises, des banques et de tous les moyens de production, la réorganisation totale de l'économie, en fonction des besoins de toute les couches laborieuses et non au profit d'une minorité de profiteurs.
Les manifestations de ces derniers jours se sont peut-être calmées. Les riches et tous les exploiteurs peuvent aujourd'hui pousser un soupir de soulagement. Mais qu'ils ne se rassurent pas trop vite. Le feu couve encore sous la cendre. Et les braises de la colère pourraient encore reprendre avec force et peut-être avec plus d'ampleur encore. Les mêmes causes vont produire inéluctablement les mêmes effets !
C'est la seule réponse possible dans ce monde où règnent l'égoïsme économique, la soif du profit, le cynisme et le mépris envers les classes travailleuses et pauvres, envers tous les démunis. Ces possédants ne doivent pas dormir tranquilles sur leurs biens accumulés. Ils doivent craindre à tout moment que la colère des pauvres n'explose et ne vienne déranger leur commerce, leur business et leurs calculs affairistes. (...) À nous pauvres, exploités, de nous donner les moyens de changer les rapports qui dominent dans cette société : tout ce que produit la société doit aller à tous et non à quelques-uns ! Tout doit être placé sous le contrôle de ceux qui font marcher la production et doit être mis au service de tous. Voilà notre politique, voilà le but que nous visons !