Les élections européennes de 2014, départementales et régionales de 2015, et les succès alors remportés par le Front national, ont fait apparaître au grand jour le degré de décrépitude de l’alternance gouvernementale qui tient lieu de démocratie dans la République bourgeoise. Les multiples rebondissements qui précèdent l’élection présidentielle de 2017 le confirment et l’aggravent.
Pour tenter de contrer le dégoût croissant dans l’électorat devant ce petit jeu où on change – si peu ! – pour que rien ne change, la droite comme la gauche ont inventé les primaires. Puisque les électeurs se détournent des élections, ajoutons-y quatre tours !
Le cirque des primaires
Il y avait cependant une certaine logique dans la mise en place des primaires. Un des aspects du discrédit du système d’alternance est celui des partis et de leurs ténors aux yeux de leurs électorats respectifs. Les primaires étaient destinées à redonner une sorte de légitimité à des dirigeants qui en avaient de moins en moins à l’intérieur de leur propre camp.
Deux primaires avec deux tours chacune, le tout assorti d’interminables heures de débats télévisés où les participants au mieux parlent pour ne rien dire, au pire débitent les mêmes platitudes réactionnaires, aussi bien à droite qu’à gauche.
La médication concoctée par les appareils des grands partis n’a fait que rendre le mal encore plus manifeste.
Les primaires étaient destinées à faire émerger, dans chaque camp, un leader légitimé, non pas par les états-majors, mais par l’onction d’une majorité électorale. Mais elles ont donné lieu à des votes de rejet plus que d’adhésion. Les électeurs n’ont pas voté pour celui qui allait être proclamé vainqueur, mais contre les autres. À droite, contre Sarkozy surtout. À gauche, contre Valls. La danse de Saint-Guy des sondages indiquait moins l’incompétence des sondeurs que l’état du corps électoral, déboussolé, sans repères, imprévisible.
À droite, alors qu’on nous prédisait un Juppé s’acheminant tranquillement vers le fauteuil présidentiel, c’est finalement Fillon qui a recueilli les bouquets de laurier lancés par l’électorat de droite. Il faut dire qu’il a été surtout servi par le duel annoncé entre Sarkozy et Juppé. Mais Sarkozy traîne tellement de casseroles que c’en est une véritable quincaillerie, au point que son propre électorat n’en voulait plus. Quant à Juppé, il a eu son lot de casseroles, notamment une condamnation assortie d’inéligibilité et un repos forcé quoique bien rétribué au Canada.
Alors, comme pour démentir les sondages et les prévisions, l’électorat de droite, avec l’aide des milieux catholiques ultras, a porté au pinacle Fillon qui, bon catholique et bien réactionnaire, s’est fabriqué une image d’honnête homme. Patatras ! Le passé l’a rattrapé, et son honnêteté est apparue brusquement aussi boueuse que celle de ses compères et néanmoins concurrents.
L’électorat de droite, qui s’est si bien retrouvé dans les idées réactionnaires de Fillon, a été douché par le spectacle peu ragoûtant de son champion, de sa femme et de ses enfants, mieux rétribués avec l’argent public en ne faisant rien que tant d’autres personnes, même dans la petite bourgeoisie réactionnaire, en travaillant. Au point qu’à l’heure où nous écrivons, si Fillon se cramponne à sa candidature, il n’est pas certain qu’il parvienne à franchir le cap du premier tour de l’élection présidentielle.
À gauche, les comédiens sont différents mais les ressorts du spectacle sont les mêmes.
Premier épisode : le candidat « naturel » Hollande a déclaré forfait. Il n’avait pas envie d’assumer le bilan de son quinquennat. Il ne fallait pas avoir un grand sens politique pour comprendre que son effondrement dans les sondages ne venait pas seulement de l’électorat de droite – cela fait partie de la règle du jeu de l’alternance –, mais de son propre électorat. C’est le « peuple de gauche » qui ne voulait plus de lui.
Hollande retiré du jeu, c’est sans lui que se sont déroulés les deux tours de la primaire de la gauche, avec pour vedettes des candidats qui ont en commun d’avoir tous été ses ministres, accompagnés de quelques figurants, histoire de compléter le plateau des émissions télévisées.
Valls, qui pouvait le plus difficilement se dégager de l’héritage des années Hollande dont il était, en tant que Premier ministre, le principal acteur, s’est incliné devant Benoît Hamon.
Et voilà, après le rebondissement-surprise de la primaire de la droite, son équivalent à gauche : l’ex-frondeur Hamon est sorti vainqueur de la compétition. Voilà le Parti socialiste mis dans la situation de s’aligner derrière un des chefs de file de la contestation interne !
Le résultat de la primaire de la dite Belle alliance populaire ne représente certainement pas un glissement à gauche du PS. Il reflète l’envie du milieu socialiste de se démarquer d’un Hollande dont le bilan désastreux pèse sur l’avenir de leur parti, à commencer pour les élections législatives.
Au-delà des aspects anecdotiques illustrés par les scandales, c’est la crédibilité de la démocratie parlementaire bourgeoise sous sa forme actuelle qui est profondément ébranlée. Les élections ne peuvent servir de soupape de sécurité, pour permettre au mécontentement de s’exprimer contre les partis au pouvoir, que si elles donnent aux électeurs l’illusion qu’ils peuvent changer de politique en votant pour les partis qui n’y sont pas. C’est de moins en moins le cas.
Crise économique et ébranlements politiques
La crise économique actuelle n’a pas conduit à l’effondrement brutal de la démocratie bourgeoise – du moins pas encore –, contrairement à ce qui s’est produit lors de la crise de 1929. Il faut dire que la crise économique avait alors pris le caractère d’un effondrement brutal, entraînant dans un certain nombre de pays de violents affrontements sur le terrain politique. La question du pouvoir était posée.
Mais, quoique de façon plus insidieuse qu’alors, la crise économique est à la base de la crise sociale rampante qui engendre l’instabilité politique.
Le Parti socialiste, chargé de gérer au gouvernement la crise pour le compte de la grande bourgeoisie, était condamné à payer sur le plan électoral ses cinq années passées au pouvoir. Son électorat se recrute traditionnellement dans la petite bourgeoisie plus ou moins intellectuelle et, surtout, parmi les salariés. Ce sont eux qui ont subi les attaques les plus violentes de la bourgeoisie si bien servie par le gouvernement.
Le décalage entre ce que son électorat attendait du PS et la politique de ce parti au gouvernement est d’autant plus flagrant que, pour la première fois sous la Ve République, non seulement le PS a monopolisé quelque temps la présidence et le gouvernement mais, en même temps, il a eu la majorité à l’Assemblée comme au Sénat, sans parler de l’exécutif de la quasi-totalité des régions.
En cette période de crise économique et de concurrence exacerbée entre groupes capitalistes, non seulement la bourgeoisie ne donne à la gauche réformiste aucun grain à moudre, même lorsque celle-ci est appelée à gouverner, mais elle reprend même ce qu’elle a concédé dans le passé.
Le Parti socialiste est depuis un demi-siècle un des principaux piliers du système institutionnel de la bourgeoisie. La crise de l’un entraîne l’affaissement de l’autre.
L’effritement de la base électorale de la gauche, au profit surtout de l’abstention mais aussi du vote pour le Front national, n’a cependant pas ouvert un boulevard devant la droite traditionnelle.
Les élections régionales de décembre 2015 avaient déjà largement mis en évidence ce qui est annoncé pour la présidentielle. La droite classique n’a en réalité réussi à tirer profit des élections qu’en raison de la capitulation des partis de gauche, le PS mais aussi le PC, qui ont accepté de se retirer et de faire voter pour elle dans deux régions, Nord-Pas-de-Calais-Picardie et Provence-Alpes-Côte d’Azur, où elle était menacée par le FN. L’abdication des partis de gauche et le soutien apporté à Bertrand et à Estrosi ont en quelque sorte signé le bilan de faillite du système d’alternance et le passage d’un bipartisme gauche-droite à une sorte de tripartisme, avec le FN se posant en alternative contre les deux autres blocs.
Ces lamentables manœuvres parlementaires ont certes momentanément empêché le FN d’accéder à la présidence d’une région. Mais, à la lumière de ce qui se passe pour la présidentielle, il est évident que la perte de crédit de la gauche n’a pas conduit à un regain du crédit de la droite classique.
Là encore, derrière les manœuvres d’appareil, il y a la réalité économique et sociale. La petite bourgeoisie possédante est elle-même touchée par la crise. Elle subit la loi du grand capital, quoique de façon moins violente et plus insidieuse que les salariés. Les secousses qui ébranlent la société mettent en cause les certitudes de cette classe sociale envieuse des riches, méprisante envers les salariés, pénétrée surtout de la conviction que la propriété privée de ses moyens de production lui assure la survie, voire, pour certains, une ascension dans la hiérarchie sociale. C’est une illusion pour la plupart des petits bourgeois, même lorsque l’économie marche bien. À plus forte raison, en période de crise.
Combien de paysans, d’artisans, de petits industriels font jour après jour l’expérience qu’en temps de crise, leur propriété elle-même devient un carcan qui les soumet aux banques, aux intermédiaires capitalistes de l’industrie agroalimentaire et de la grande distribution, et à la fiscalité par laquelle l’État ponctionne la petite bourgeoisie pour le compte du grand capital ?
Au-delà des turpitudes du personnel politique de la bourgeoisie, voilà ce qui mine le crédit des grands partis de l’alternance, et l’alternance elle-même. Voilà ce qui est à la base de l’éloignement de la caste politique de la « vie réelle », de plus en plus évoqué même par les médias bourgeois. Avec la crise, même la bourgeoisie des grandes démocraties impérialistes est de moins en moins encline à payer les faux frais du fonctionnement de ses institutions.
Les partis de l’alternance étant de plus en plus discrédités, le seul parti qui tire les marrons du feu, le Front national, est celui qui a été exclu de ce système. Son renforcement électoral donne cependant un répit au parlementarisme bourgeois mis à mal. La possibilité d’une alternance entre l’ensemble des grands partis et le Front national a tendance à se substituer à celle, traditionnelle, entre la droite et la gauche gouvernementales.
Mais jusqu’à quand ?
Ce n’est pas pour rien que le positionnement « contre le système » pratiqué par le Front national fait des émules.
Depuis un certain temps déjà, Mélenchon a donné à cette posture une coloration de gauche. L’aventurier Macron s’en est emparé à la hussarde. Et même Fillon s’y met.
Les dilemmes de la droite
La décomposition du système d’alternance en train de se transformer en crise politique donne à la campagne électorale un caractère désordonné, imprévisible et volatil. À en juger par les sondages, Le Pen, Fillon, Macron, Hamon, Mélenchon ne se détachent pas les uns des autres, avec cependant, pour le moment, une longueur d’avance pour les trois premiers. Pour ce qui est de celui qui fera face à Le Pen au second tour, les candidats jouaient à saute-mouton dans les sondages, avant même que ceux-ci intègrent le ralliement de Bayrou à la candidature de Macron. Pour annoncer qui sera présent au deuxième tour, les politologues et les sondeurs les plus distingués de la faune politique donnent pour le moment leur langue au chat.
L’électorat réactionnaire sera à coup sûr représenté, mais par qui ? Avant que n’éclate l’affaire Fillon, la route paraissait balisée pour lui. Tant que sa présence au second tour semblait assurée, le fait d’être opposé à Le Pen était une garantie de victoire. D’autant qu’il pouvait compter sur la gauche réformiste pleutre et sans principe, capable de voter pour lui afin de « faire barrage à Le Pen ».
Aujourd’hui, c’est l’inverse. Si son électorat fuit vers le FN ou vers Macron, Fillon court le risque de ne même pas être présent au second tour. Pour s’en protéger, après s’être déjà présenté sur un programme et avec un langage particulièrement réactionnaires, il force la dose. Cette course vers l’extrême droite, avec sa démagogie et son langage, engagée depuis longtemps, connaîtra un coup d’accélérateur pendant les semaines qui viennent. Pour faire passer à l’arrière-plan les états d’âme moralisants de l’électorat de droite, il fait appel à ses sentiments les plus identitaires : sécurité des biens, chauvinisme et haine des pauvres.
Avec, d’un côté, le Front national qui essaie d’atténuer les aspects les plus répugnants de son langage d’extrême droite pour élargir son électorat et, de l’autre côté, la droite qui fait la course en sens inverse, bien malin celui qui pourra distinguer le langage de Fillon de celui Le Pen.
Laissons aux médias les spéculations autour de la capacité de Fillon à aller jusqu’au bout de sa campagne, y compris s’il est mis en examen.
La meilleure protection de Fillon contre Baroin, Wauquiez et autres jeunes loups de la droite, lorgnant vers un plan B qui leur permettrait d’être candidats, est qu’ils se neutralisent mutuellement.
Le « c’est moi ou le chaos » a l’air de prendre auprès des ténors du parti qui, de Raffarin à Baroin en passant par Kosciusko-Morizet, Bertrand et Pécresse, multiplient les meetings de soutien, bon gré mal gré. Aucun d’entre eux ne veut prendre la responsabilité d’une explosion du bloc des droites.
Du coup, Fillon peut se cramponner contre vents et marées en se drapant de la légitimité donnée par la primaire de la droite. Peu importe qu’une partie de ceux-là mêmes qui lui ont permis de l’emporter se bouchent le nez devant l’affaire Fillon, comme en témoigne sa chute dans les sondages. Fillon est en train de violenter son propre électorat avec pour slogan : « Ne nous laissons pas voler notre victoire. » Ses arguments en direction de l’électorat de droite se réduisent à un seul : « Si vous voulez que mon programme réactionnaire et conservateur soit présent au premier tour et l’emporte au second, vous n’avez pas d’autre choix que de voter pour ma personne. »
L’avenir du Parti socialiste
La débandade de la droite traditionnelle est une maigre consolation pour le PS. Son problème n’est pas le résultat de la présidentielle, ni même vraiment le fait de ne pas être présent au second tour. Le PS n’y peut pas grand-chose. Le rapport de force électoral issu du premier tour entre son candidat désormais officiel, Hamon, le dissident de vieille date Mélenchon et le dissident plus récent Macron, aura cependant des conséquences sur l’avenir du PS, à commencer par l’avenir immédiat, c’est-à-dire les élections législatives de juin prochain.
Le PS, flanqué d’autres composantes de la gauche réformiste dont fait partie aujourd’hui de plein droit le PCF, est un véritable corps social, avec ses fonctionnaires, ses milliers de notables qui, de conseils municipaux des grandes villes à l’Assemblée et au Sénat, en passant par les conseils départementaux et régionaux, occupent une multitude de places dans les différents rouages de l’État, avec les émoluments correspondants.
Tout ce corps social est conscient que son champion a peu de chances, non seulement de l’emporter, mais même d’être présent au second tour. Dans ce contexte, la direction du Parti socialiste peut se faire une raison de la désignation de Hamon comme candidat du parti. C’est le moment de le badigeonner en rose, sinon en rouge, pour tenter de regagner le crédit perdu dans l’électorat de gauche. Après tout, pour cela, Hamon est un meilleur porte-drapeau que Valls.
Un certain nombre de caciques du PS ne partagent manifestement pas cette vision des choses. Étant, au gouvernement, responsables vis-à-vis de la bourgeoisie, ils veulent le rester dans l’opposition, et ne pas renier la politique de Hollande, qui est la seule politique que la classe capitaliste les autorise à mener.
Certains de ces caciques ont déjà annoncé qu’ils vont rejoindre Macron, d’autres soutiennent Hamon a minima. Ils paraissent pour le moment minoritaires. Mais, là encore, jusqu’à quand ?
Le Parti socialiste, avec son appareil, son corps de notables, est profondément fissuré.
Que Hamon soit au deuxième tour ou pas, s’il dépasse Mélenchon assez nettement, il aura gagné ses galons de général en chef du PS, au moins pour les législatives. Mais après ?
Après les cinq années Hollande, le PS est vomi par une grande partie de son électorat. S’en relèvera-t-il ? Peut-être jamais. Mais, là encore, la réponse ne dépend certainement pas de combines d’appareil, de rivalités de courants. Cela dépend infiniment plus de l’évolution de la crise sociale, c’est-à-dire de la crise économique.
Il faut seulement se rappeler que, dans un tout autre contexte et en particulier sans le poids de la crise économique, feu la SFIO n’a pu se remettre de la débâcle de la politique algérienne de Guy Mollet, en 1956-1957, qu’une vingtaine d’années plus tard, sous l’étiquette Parti socialiste et grâce à un sauveur suprême en la personne de Mitterrand, venu de l’extérieur.
À une différence cependant avec ce précédent : à l’époque, existait un Parti communiste puissant, avec une forte influence dans la classe ouvrière. C’est grâce au PC et à ses militants dans les entreprises et les quartiers populaires que Mitterrand a pu se forger une réputation de dirigeant incontesté de la gauche.
Le PC n’a plus aujourd’hui cette implantation, cette force et la même capacité de vendre l’électorat ouvrier à un homme politique bourgeois. Mitterrand n’a même pas eu à se donner la peine de trahir les intérêts de la classe ouvrière, le PCF l’a fait pour lui.
En réalité, même le faux pas du PC qui, entre Mélenchon et Hamon, a choisi le mauvais cheval, apparaîtra anecdotique. Le faux pas se paiera, peut-être, au moment des législatives, par le nombre de places de députés que le PS consentira à lui laisser.
Mais ce ne sont pas seulement quelques places de députés qui seront en cause. Si le PS s’effondre, il entraînera le PC avec lui. L’effondrement du PS prendra-t-il la forme d’un éclatement autour des ambitions de dirigeants rivaux, ou celle d’une transformation en un parti nouveau ne se revendiquant même plus du socialisme mais du progressisme ?
L’idée de la transformation du PS en un parti du même type que le Parti démocrate aux États-Unis ou son homonyme en Italie est dans l’air depuis bien longtemps déjà à l’intérieur du PS. Une défaite électorale majeure et la crise ouverte qu’elle provoquera peuvent constituer la secousse pour transformer cette perspective en réalité.
C’est cette perspective qu’ambitionne d’incarner Macron. S’il dépasse largement Hamon et parvient à être présent au second tour et, à plus forte raison, s’il est élu président de la République, il entraînera dans son sillage un certain nombre de caciques du PS, et probablement la majorité. Certains d’entre eux, comme Collomb, le maire de Lyon, en envisagent ouvertement la nécessité. Et, en soutenant dès maintenant Macron, ils se placent ouvertement dans la perspective de ce qu’ils appellent une recomposition politique, à laquelle Bayrou vient d’apporter sa contribution.
À travers ses dénominations successives, SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), puis Parti socialiste, ce parti portait encore dans son nom les traces de ses lointaines origines dans le mouvement ouvrier. Cela fait des décennies que le PS est devenu un parti bourgeois par sa politique et par sa direction. Cela fait aussi un certain temps déjà qu’il n’est même plus un parti ouvrier par sa composition sociale. Avec sa transformation éventuelle sous l’égide de Macron, il aura définitivement rompu avec son passé.
Les contrecoups de la crise politique sur la crise économique
La crise politique qui s’amorce est une conséquence de la crise économique qui se prolonge. Mais, à son tour, la crise politique peut être un facteur aggravant de la crise économique.
Le quotidien économique Les Échos a titré à la une de son édition du 7 février : « Présidentielle : les marchés commencent à s’inquiéter ». Et de commenter : « Les inquiétudes des investisseurs autour de la présidentielle française augmentent chaque jour. […] Les marchés s’inquiètent des incertitudes d’une campagne qui va de rebondissement en rebondissement. Les taux français ont continué de creuser l’écart avec ceux de l’Allemagne. Cet écart […] a même battu un record depuis quatre ans. S’il est encore loin des niveaux atteints en pleine crise de la dette, il reflète néanmoins les craintes d’une sortie de la France de la zone euro, projet défendu par le Front national. La probabilité d’un tel scénario reste très faible, assurent des analystes financiers, tout en préconisant des paris tactiques contre la dette française. Dans l’entourage de Bercy, on accuse certains spéculateurs de tenter de déstabiliser les marchés pour gagner de l’argent. Le marché de la dette française n’est plus le seul touché. La méfiance commence à gagner les investisseurs en actions. »
Eh oui, l’économie capitaliste est en permanence sous la menace d’une crise financière grave, bien plus grave que la dernière en date, celle de 2008 ! La matière explosive continue à s’accumuler malgré tous les discours officiels, une fois la crise de 2008 surmontée par les dizaines de milliards de dollars et d’euros distribués pour sauver le système bancaire.
Quel événement politique peut servir d’étincelle ? Aussi faible que soit le risque que Le Pen soit élue et que, le cas échéant, elle décide de retirer la France de la zone euro, la simple incertitude offre matière à spéculer.
Il y a à peine sept années, en 2010 et 2011, la crise de la dette d’un petit pays comme la Grèce a failli déclencher des réactions en chaîne susceptibles d’ébranler l’Italie, l’Espagne et au-delà. Nul ne peut prédire les effets que pourraient produire des mouvements de capitaux erratiques touchant la France, un des piliers de l’économie européenne.
L’incapacité de la grande bourgeoisie à maîtriser son propre système économique représente une menace autrement plus grande pour la société que le désarroi de sa caste politique. Les deux sont cependant étroitement entremêlés.
Populariser la seule politique susceptible de sauver la classe ouvrière face à la crise : face à la faillite du capitalisme, lever le drapeau du communisme
Voilà le contexte dans lequel se situe cette séquence électorale. Notre volonté d’y participer, en présentant la candidature de Nathalie Arthaud, n’est pas liée à cette situation. Nous nous présentons à l’élection présidentielle depuis que nous avons estimé avoir la force d’y participer, c’est-à-dire depuis 1974. Mais la crise de l’économie capitaliste, les attaques de la grande bourgeoisie contre les travailleurs, la décomposition du système politique de la bourgeoisie sans que le mouvement ouvrier puisse y opposer sa propre ambition historique, qui est de remplacer par son propre pouvoir celui d’une classe privilégiée en faillite, rendent plus nécessaire que jamais de faire entendre un point de vue communiste révolutionnaire.
Après des décennies de dégâts du réformisme social-démocrate ou stalinien, le courant communiste révolutionnaire est numériquement faible. Mais il existe. Il est de son devoir d’opposer aux politiques défendues par tous les hommes politiques qui restent sur le terrain de l’organisation capitaliste de la société une politique qui corresponde aux intérêts de la classe ouvrière et, par là même, aux intérêts de la majeure partie de la société, mis à part une minorité capitaliste.
Nous ne reviendrons pas ici sur le détail de ce programme. Disons qu’il reprend pour l’essentiel ce que Trotsky appelait en 1938 le Programme de transition, pour souligner qu’il ne visait pas à trouver, dans le cadre du capitalisme, d’impossibles solutions à la crise de son système, mais qu’il doit être un pont menant la classe ouvrière, à partir de ses exigences de classe, à la conscience que, pour les réaliser, il faut s’attaquer aux racines du capitalisme et à la domination de la bourgeoisie.
Sous la plume de Trotsky, le Programme de transition n’était qu’un programme, un ensemble de mesures proposées comme objectifs de combat à la classe ouvrière. Après les défaites des grandes luttes des années 1930, la classe ouvrière n’était plus en situation de reprendre à son compte ces objectifs et de pousser la lutte jusqu’à ce qu’ils soient atteints. Trotsky écrivait pour l’avenir. Mais le programme n’était pas une invention ex nihilo. Vingt ans avant qu’il soit rédigé, c’était, en septembre 1917, le programme avancé par Lénine sous le titre La catastrophe imminente et les moyens de la conjurer. Quelques semaines plus tard, le prolétariat russe allait le mettre en application.
Contre le chômage, répartition du travail entre tous sans diminution de salaire.
Contre la baisse du pouvoir d’achat, augmentation générale des salaires, pensions et allocations et leur indexation sur les prix, c’est-à-dire échelle mobile des salaires, pensions et allocations.
Et, surtout, mise en cause de la propriété privée des moyens de production par le contrôle des travailleurs sur ceux-ci.
Voilà les objectifs à populariser. Faute de perspectives qui soient les siennes, la classe ouvrière est désorientée face au chaos d’une société bourgeoise agonisante. Elle n’est pas en situation d’offrir une autre voie à la société que celle que lui impose une société capitaliste en décomposition. Pire : elle reproduit dans ses propres rangs le désarroi de la bourgeoisie. Il est vital pour toute la société que la classe ouvrière retrouve sa conscience de classe jusqu’à son expression ultime : la volonté de renverser le pouvoir de la bourgeoisie.
La seule chose utile que les communistes révolutionnaires peuvent faire dans ces élections, c’est de défendre une politique que la classe ouvrière puisse faire sienne lorsqu’elle en a la volonté.
La seule chose utile est de lever le drapeau de la transformation révolutionnaire de la société, avant que la prolongation du règne de la bourgeoisie ne se traduise par des catastrophes à une tout autre échelle que lors de l’entre-deux-guerres et de la Deuxième Guerre mondiale.
Personne ne peut penser qu’une campagne électorale suffise pour transmettre des idées et des pratiques qui résultent de décennies de combat ouvrier et qui ont été trahies, abandonnées par les partis réformiste et stalinien.
Mais il faut que le courant qui fait siennes ces idées se manifeste, s’exprime et montre qu’il existe.
Aucune campagne électorale ne peut combler l’abîme qui sépare l’état de conscience et d’organisation de la classe ouvrière des tâches que lui impose la faillite évidente du capitalisme. Cet abîme ne pourra être comblé que par l’activité sur le terrain, à l’intérieur de la classe ouvrière et dans toutes ses couches, des entreprises industrielles aux chaînes de distribution, des transports aux hôpitaux, des services dits publics aux banques et compagnies d’assurances et à l’éducation. Il ne pourra être comblé que dans les luttes elles-mêmes, lorsque la validité de la politique avancée se mesure dans les affrontements de classes.
Les campagnes électorales ne sont et ne peuvent être qu’un épisode dans ce combat. Il ne faut pas s’étonner que, dans la démocratie de la bourgeoisie, les médias ne répercutent pas ou si peu la parole communiste révolutionnaire. Mais, par leur nature même, les élections générales, présidentielle et législatives, donnent à la politique révolutionnaire une autre dimension que la simple défense des intérêts ouvriers au jour le jour. Par la même occasion, cela donne aussi une autre dimension aux efforts des militants dans les entreprises ou dans les quartiers populaires.
Malgré l’absence de luttes d’envergure pour le moment, il existe parmi les travailleurs des femmes et des hommes qui sauvegardent une aspiration communiste, ne fût-ce que sous une forme élémentaire. Même devenu stalinien depuis longtemps, le PC et son militantisme ont laissé des traces dans les anciennes générations.
Ce sont les injustices permanentes de l’exploitation ou les mille et une turpitudes des hommes politiques, de la police et de la justice qui pousseront inévitablement de nouvelles générations à contester l’ordre social établi. Il est important que ces femmes, ces hommes, aujourd’hui dispersés, prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls.
Aussi minoritaire que soit le courant qu’ils constituent et aussi limité que soit le terrain électoral, il existe.
Les partis bourgeois ne sont que de simples clubs électoraux qui ne servent qu’à faire accéder au pouvoir une coterie politique. Contrairement à eux, un parti communiste révolutionnaire doit être présent dans la classe ouvrière pour mener aujourd’hui le combat au jour le jour et être demain en situation d’opposer au pouvoir de la bourgeoisie un autre pouvoir, celui des classes exploitées.
Se saisir des campagnes électorales pour susciter de nouvelles vocations militantes parmi les travailleurs ; leur donner la volonté d’agir sur le terrain politique ; les amener à prendre conscience des liens entre les mille et une conséquences de leur situation d’exploités et d’opprimés et la nécessité de renverser le pouvoir de la bourgeoisie : tout cela, ce sont des pas vers la construction du parti communiste révolutionnaire.
Alors, une fois les urnes rangées, le travail continue pour convaincre, rendre conscients, entraîner les nôtres. Il ne suscitera pas l’intérêt des médias de la bourgeoisie et de ses coteries politiques.
Mais les idées révolutionnaires n’ont pas besoin des grands médias pour cheminer dans les entreprises, dans les quartiers populaires. C’est là où, pourtant, se préparera l’avenir.
22 février 2017