Une résistance antinazie, ouvrière et internationaliste : les trotskystes de Nantes et de Brest (1939-1945)

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juillet-août 2024

Issus de milieux populaires, jeunes ouvriers ou postiers, ils avaient à peine 20 ans. Ceux, pas beaucoup plus âgés, qui les avaient gagnés, souvent dans les auberges de jeunesse, n’avaient guère plus d’expérience et de formation politique. Mais tous voulaient combattre cette guerre, fruit du système capitaliste et opposant les impérialismes français, britannique, américain et allemand, où il n’y avait pas à choisir entre les Roosevelt, Churchill, de Gaulle et Hitler, tous ennemis de la classe ouvrière.

C’est ce que dit leur presse clandestine (L’Étincelle, puis Front ouvrier) qu’ils tentent de faire pénétrer dans de grandes usines dès le début de la guerre. Il faut le souligner car, dans la France d’alors, le mouvement trotskyste est en piteux état : éclaté, désorganisé, coupé de la classe ouvrière, affaibli par des arrestations, abandonné par plusieurs de ses cadres. Et ceux qui tiennent bon vont perdre leur meilleure boussole, Trotsky, que Staline fera assassiner au Mexique le 20 août 1940. De surcroît, peu d’entre eux ont eu connaissance de ce qu’écrivait Trotsky en mai 1940 dans le Manifeste d’alarme de la IVe Internationale, puis le 30 juin dans Notre cap ne change pas1. Il y affirmait, après la défaite de la France, qu’une modification de la ligne de front ne change en rien la nature impérialiste de la guerre, que « la nouvelle carte de guerre de l’Europe n’invalide pas les principes de la lutte de classe révolutionnaire ».

Ce cap, de rares militants le tiennent, tels ceux du petit Groupe communiste (IVe Internationale) dont se revendique Lutte ouvrière2. C’est aussi le cas d’une poignée de trotskystes à Nantes et Brest. Est-ce un effet de leur instinct de classe, vu leur origine sociale ? En tout cas, ils vont à contre-courant du groupe auquel ils se rattachent, le Parti ouvrier internationaliste, un temps nommé Comités pour la IVe Internationale. Depuis 1940, cette tendance a sombré dans le chauvinisme, par suivisme vis-à-vis des milieux petits-bourgeois dans lesquels elle baignait déjà avant la guerre. Le POI tend alors « la main aux éléments de la bourgeoisie pensant français », appelle à créer des « comités de vigilance nationale » et charge son chef, Marcel Hic, de prendre contact avec Jean Moulin, l’émissaire de De Gaulle !

Les circonstances de l’occupation firent qu’à Nantes et Brest des militants durent plus ou moins se débrouiller par eux-mêmes pour trouver les moyens de leur activité et élaborer leur propagande, qui va de ce fait échapper aux courants chauvins agitant la petite bourgeoisie.

Les auteurs du livre, fidèles au suivisme de leur courant vis-à-vis de la Résistance, regrettent que le POI ait oscillé entre dénoncer un mouvement qui défendait les intérêts de la bourgeoisie française et de son État et s’y fondre. Malgré cela, quand ces mêmes auteurs décrivent l’activité des militants bretons, qui s’adressaient aux ouvriers et avaient formé un noyau trotskyste dans la garnison allemande de Brest3, ils montrent que les dérives chauvines des dirigeants du POI ne devaient rien à la pression qu’aurait exercée sur eux l’opinion publique des milieux populaires, excuse qu’ils inventèrent après coup. En 1940, les staliniens n’ayant pas encore entrepris de gangrener les masses populaires avec le poison du nationalisme, le chauvinisme du POI avait une tout autre cause. Il résultait de sa sensibilité à l’idéologie de la petite bourgeoisie et de son refus de s’extraire de ce milieu pour former des militants communistes révolutionnaires liés à la classe ouvrière.

La période n’était pas la moins propice à la création d’une organisation révolutionnaire de type bolchevique. Mais pour que cela se fasse, il aurait fallu, outre des militants qui s’adressent aux ouvriers sur un terrain de classe comme à Nantes et Brest, une direction qui ait la volonté de mener une telle politique et de former pour cela d’authentiques militants communistes. Or c’est ce qui fit défaut. Après 1942 le POI, puis le PCI réunifié affichèrent une ligne se voulant internationaliste. Mais cela ne les empêcha pas de se caler sur la Résistance et, avant de s’en revendiquer à la Libération, d’accepter que certains de leurs militants rallient son bras armé, les FTP. Ainsi le livre cite un responsable breton déplorant ne pas avoir de camarades à envoyer au maquis car, disait-il, les plus expérimentés étaient entrés en usine pour y militer !

La dérive chauvine du POI n’avait rien d’accidentel. En février 1944, le PCI déclara avoir commis des « erreurs ». Mais en même temps, il se refusa à en chercher les causes sociales : en extirper les racines aurait été le seul moyen de remettre l’organisation sur des rails prolétariens. C’est la raison pour laquelle le groupe Barta, qui, lui, n’avait pas cédé au chauvinisme, refusa de rejoindre des groupes qui, ayant connu toutes sortes de dérives, se réunirent alors en prétendant représenter le trotskysme en France. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, après guerre, leur opportunisme allait les amener à prendre des positions qui s’opposaient aux traditions politiques et organisationnelles du bolchevisme que Trotsky avait voulu léguer aux nouvelles générations révolutionnaires.

Cela étant, ce livre montre le courage et la détermination de militants que l’on voit agir sans faiblir, plusieurs d’entre eux l’ayant payé de leur vie sous les balles de la Gestapo ou dans les camps du nazisme. Et, ce n’est pas son moindre intérêt, ce livre souligne à sa façon que c’est malgré la politique de leur direction que ces militants tentèrent de garder le cap, ce pourquoi ils méritent tout notre respect.

16 juin 2024

 

1Ces deux textes se trouvent sur marxists.org.

 

2Lire la brochure de ce groupe La lutte contre la Deuxième Guerre impérialiste mondiale, publiée en novembre 1940. Elle est en vente sur le site de Lutte ouvrière (1 euro) et disponible aussi sur marxists.org.

 

3Les éditions Syllepse ont publié sur ce sujet, en 2021, Un Juif berlinois organise la résistance dans la Wehrmacht – « Arbeiter und Soldat », de Nathaniel Flakin.