Ces dernières années, la question palestinienne avait clairement été reléguée à l’arrière-plan des préoccupations occidentales, pour ne pas dire aux oubliettes. En 2020, Benyamin Netanyahou obtenait, sous l’égide de Donald Trump, la normalisation des relations entre Israël et quatre États arabes : le Bahreïn, le Soudan, les Émirats arabes unis et le Maroc. Il pouvait ainsi cyniquement prétendre avoir œuvré pour la paix et mis un terme au conflit israélo-palestinien.
Au printemps 2021, cette prétention a été démentie par le soulèvement d’une nouvelle génération de Palestiniens contre l’expulsion de familles du quartier de Cheikh Jarrah à Jérusalem-Est. En procédant alors à des tirs de roquettes sur Tel Aviv et Jérusalem, le Hamas, qui n’était pas à l’initiative de la révolte, a saisi l’occasion de se prétendre le représentant des Palestiniens et de revenir dans le jeu politique, quelles qu’en soient les conséquences pour la population de Gaza qui subissait en retour des bombardements israéliens meurtriers.
L’initiative du Hamas tendait à transformer la révolte des jeunes Palestiniens en un affrontement entre deux appareils militaires.
Face à l’escalade guerrière, les dirigeants des puissances occidentales ont fait mine de s’activer. Ils ont appelé au dialogue, tout en qualifiant les bombardements israéliens de « légitime défense ». C’était dans la continuité de leur attitude odieuse consistant à renvoyer dos à dos les acteurs de la crise ; comme s’il existait une symétrie dans les responsabilités et les moyens militaires mis en œuvre, alors que l’on trouve d’un côté un État colonial surarmé et de l’autre un peuple qui résiste à son oppression.
L’oppression des Palestiniens est intimement liée au projet initial des organisations sionistes de fonder, sous la protection des pays impérialistes, un État pour les Juifs, au mépris des droits nationaux des Palestiniens. Les États-Unis ont pu faire d’Israël un instrument de la défense de leurs intérêts dans cette région hautement stratégique, en vue d’affaiblir les régimes nationalistes arabes qui tentaient d’échapper à leur emprise. Ils ont doté Israël de moyens militaires et financiers considérables, lui permettant d’agrandir son territoire lors des guerres menées contre les États voisins. L’annexion de Jérusalem-Est, l’occupation de la Cisjordanie, ainsi que du désert du Sinaï et de la bande de Gaza, jusqu’alors contrôlés par l’Égypte, lui furent alors possibles. Expulsés, réprimés, dépossédés de leurs terres et condamnés à l’exil, les Palestiniens ont connu une histoire jalonnée de révoltes.
Jérusalem épicentre de la révolte
En 1967, pour protester contre l’annexion de Jérusalem, ses habitants palestiniens refusèrent la citoyenneté israélienne. Ils sont aujourd’hui 250 000 et disposent d’un statut de résident, qu’Israël peut leur ôter en cas d’absence prolongée de la ville. Ils ne peuvent ni voter ni disposer d’un passeport. Les dirigeants israéliens considèrent Jérusalem comme leur capitale et ont l’ambition d’en faire une ville exclusivement juive. Aussi, des colonies juives toujours plus nombreuses encerclent les quartiers arabes, délibérément négligés par une municipalité qui manœuvre pour en expulser les habitants, invoque des prétextes pour détruire leurs habitations et refuse de leur octroyer des permis de construire.
Les organisations de colons se mobilisent aussi pour déloger les habitants, en s’appuyant sur une loi adoptée en 1970. Celle-ci stipule que tout Juif qui peut prouver que sa famille vivait dans une maison avant 1948 peut en revendiquer les droits de propriété et faire procéder à l’expulsion des Palestiniens qui y résident. Par contre, les Palestiniens n’ont pas le droit de réclamer la restitution de leur ancien logement, ni à Jérusalem ni nulle part en Israël. C’est en vertu de cette loi que les familles de Cheikh Jarrah, condamnées à être expulsées, ont fait appel auprès de la Cour suprême israélienne. Leur mobilisation a déclenché la réaction de militants ultraréactionnaires, comme ceux du Lehava, qui ont manifesté aux cris de « Mort aux Arabes ! » À ces provocations, qui débouchaient sur des affrontements quotidiens faisant des dizaines de blessés, s’ajoutaient celles de la police qui, en plein mois de ramadan, empêchait les Palestiniens de se rendre à l’esplanade des Mosquées.
Les images de l’irruption des forces de sécurité israéliennes dans la mosquée al-Aqsa, le 7 mai, blessant 500 fidèles expulsés à coups de gaz lacrymogènes, ont achevé de mettre le feu aux poudres.
Sans directive de partis ou de leaders et dans un même élan, toute une jeunesse a alors convergé vers l’esplanade des Mosquées, se heurtant aux forces de répression. La jeunesse des quartiers orientaux occupés de Jérusalem et celle de Cisjordanie étaient rejointes par de jeunes Arabes israéliens, pour la première fois avec cette ampleur.
La révolte au cœur d’Israël
Le fait que des jeunes Arabes israéliens se soient enflammés à l’unisson de la jeunesse des Territoires occupés était le plus inquiétant pour les dirigeants israéliens. La société israélienne a été secouée par les images d’émeutes en provenance des villes dites mixtes, où populations arabe et juive se côtoient, comme Lod, Haïfa, Jaffa, Ramla, Saint-Jean-d’Acre et Beer-Sheva. Des jeunes armés de cocktails Molotov et de pierres ont affronté les unités antiémeutes de la police des frontières, transférées précipitamment de Cisjordanie pour tenter de rétablir l’ordre. La télévision a diffusé en direct le lynchage perpétré contre un automobiliste par des miliciens juifs nationalistes armés. On les a également vu s’attaquer à des Palestiniens à la sortie d’une mosquée. Ces miliciens d’extrême droite venus des quatre coins du pays et des colonies de Cisjordanie ont afflué à Lod pour mener des expéditions punitives, en soutien aux colons religieux qui ont récemment investi la ville. Ils ont pu agir en toute impunité, sous la protection des forces de police et avec le soutien du maire, qui réclamait l’intervention de l’armée. « Si cela ne tenait qu’à moi, il faudrait considérer les civils armés comme des auxiliaires des autorités municipales pour neutraliser les menaces et les dangers »[1], a pu déclarer Amir Ohana, alors ministre de la Sécurité intérieure. Dans le même temps, Netanyahou, alors Premier ministre, qualifiait les « émeutiers » arabes de terroristes et promettait de les traiter comme tels.
Déclenchée par la répression à Jérusalem, la colère des jeunes Arabes israéliens prend racine dans la situation sociale catastrophique dans laquelle ils se débattent. Ils sont les descendants des 156 000 Palestiniens qui ont réussi à rester après la fondation d’Israël en 1948, une petite partie des 870 000 qui vivaient alors dans cette partie de la Palestine. Ils sont aujourd’hui un million et demi, soit 20 % de la population du pays. Les communes où ils résident sont les plus pauvres, sous-dotées en matière d’infrastructures, d’éducation, de gestion des déchets. Elles subissent une inégalité de traitement de la part de l’État, qui leur attribue des subventions inférieures de 30 % en moyenne à celles perçues par les municipalités juives.
Les Arabes israéliens n’acceptent plus d’être considérés comme des citoyens de second ordre, ne disposant pas des mêmes droits que les Juifs israéliens. Après 1948, l’État les a dépossédés de leurs terres et le Fonds national juif, propriétaire de 13 % des terres en Israël, refuse de les louer à des non-Juifs. Depuis 2012, une loi dite de ségrégation autorise les villes et cités à créer des « comités d’admission » pour écarter « l’installation de gens non convenables », c’est-à-dire arabes. Outre ces discriminations, une suspicion permanente pèse sur eux, celle de ne pas être fiables et loyaux à l’État. Aussi sont-ils écartés du service militaire, et de nombreux emplois publics, liés même de très loin à la sécurité du pays, leur sont interdits.
Ces dernières années, la situation des Arabes israéliens s’est encore fortement dégradée. Ils sont touchés par un chômage de masse et forment la fraction la plus exploitée de la classe ouvrière d’Israël, avec les travailleurs immigrés et les « frontaliers », les Palestiniens venant chaque jour des Territoires occupés. Ils occupent les emplois les plus précaires, les plus durs et les plus mal payés dans l’industrie et les services. Leur salaire moyen est inférieur de 30 % à la moyenne du pays. Ils sont quatre fois plus touchés par le chômage que les Juifs. 50 % d’entre eux sont considérés comme pauvres, alors que ce taux tombe à 10 % pour la population juive.
Ils ont aussi été en première ligne durant la crise du Covid. La moitié des pharmaciens du pays, un médecin sur cinq, un quart des infirmiers et la presque-totalité des agents d’entretien sont arabes. À des conditions sociales exécrables s’ajoutent les vexations et le mépris, celui à l’égard de leur langue, qui n’est plus considérée comme langue d’État depuis le vote de la loi « Israël, État-nation du peuple juif », en 2018. Certains employeurs interdisent à leur personnel d’utiliser l’arabe pour communiquer entre eux. Le mépris se manifeste aussi lors des contrôles systématiques commis par une police provocatrice qui affiche son racisme à l’égard des Arabes, racisme véhiculé par les sommets du pouvoir. Le slogan de campagne affiché par Netanyahou, « Pas de loyauté, pas de citoyenneté », signifiait clairement : les Arabes dehors !
La radicalisation à l’extrême droite, produit de la colonisation
Les événements de ce mois de mai 2021 ont fait voler en éclats le mythe de la coexistence pacifique entre les communautés arabe et juive. Les scènes de lynchage, de représailles entre colons et Arabes, associées habituellement aux Territoires occupés et désormais en plein territoire d’Israël, ont été un choc pour une partie de sa population, qui se réveille dans une société présentant le visage de l’apartheid et où la menace fasciste s’affirme.
La violence raciste antiarabe, exercée dans la rue par des milices d’extrême droite, a été encouragée par les discours politiques des leaders de droite. Mais cette radicalisation est aussi une conséquence des choix et de la politique du Parti travailliste. C’est lui qui a présidé à la fondation du nouvel État et qui l’a dirigé pendant trente ans. Tout en se réclamant du socialisme, il a, au nom du sionisme, expulsé les Palestiniens par la violence et bâti un État où les rabbins ont pu imposer leur loi. C’est lui qui a procédé à l’occupation de nouveaux territoires et favorisé la colonisation. Cette politique a fait le lit de la droite, puis de l’extrême droite.
En 1977, Menahem Begin, le premier représentant de la droite du Likoud à diriger le pays, déclarait : « Désormais, l’appellation des Territoires a changé ; de territoires occupés, ils sont devenus territoires libérés. Cette terre est la terre d’Israël. Nous appelons les jeunes du pays et de la diaspora à s’y installer. » Par vagues successives, les colonies ont proliféré en bénéficiant de milliards d’aides.
Aujourd’hui, la moitié de l’aide américaine, soit trois milliards de dollars par an, y est consacrée. Après un demi-siècle, l’occupation s’est transformée en colonisation de la Cisjordanie. Les colons, qui étaient 12 000 en 1977 et 280 000 en 1993 au moment de la signature des accords d’Oslo, sont aujourd’hui 700 000. Nationalistes et religieux, ils se sont radicalisés et se sont tournés vers les organisations d’extrême droite. Grâce aux colons, celle-ci constitue désormais une force politique incontournable, qui pèse dans la vie politique israélienne. Elle s’est renforcée depuis que Benyamin Netanyahou est devenu Premier ministre en 2009. Pour se maintenir au pouvoir, celui-ci a repris les thèses des partis d’extrême droite et des partis religieux puis s’est allié à eux, pour finir par leur offrir des postes au gouvernement.
Naftali Bennett, dirigeant du parti d’extrême droite le Foyer juif, très implanté parmi les colons, s’est plaint lors d’une campagne que Netanyahou lui volait son programme, qui promettait d’annexer 62 % de la Cisjordanie, où se concentrent les colonies. Après être devenu son ministre de l’Éducation en 2017, Bennett a accédé au poste de Premier ministre après les élections législatives de mars dernier.
Netanyahou, alors empêtré dans des affaires de corruption et à la recherche d’une majorité lui assurant une immunité parlementaire, s’est allié à Puissance juive, un parti suprémaciste ultra-minoritaire. Ce mouvement, longtemps interdit, a pu ainsi faire son entrée à la Knesset, le Parlement israélien, conférant à son leader, Itamar Ben Givr, un prestige et une crédibilité qui ont accru son audience. Ses militants, ayant eu l’assurance qu’ils pouvaient agir en toute impunité, étaient au premier rang pour provoquer et attaquer les Palestiniens à Jérusalem et pour lyncher les jeunes Arabes israéliens.
Le projet de Ben Givr d’expulser les Arabes d’Israël est repris et discuté très sérieusement lors des débats publics et dans des médias. La presse écrite, les chaînes de radio et de télévision publiques ont suivi cette évolution. Netanyahou a pu disposer du journal gratuit le plus lu, financé par le milliardaire américain Sheldon Adelson, Israel Hayom, diffusé à 500 000 exemplaires et qui a largement relayé toutes ces idées réactionnaires.
La politique israélienne favorise le Hamas
Si, du côté d’Israël, la colonisation a contribué à la radicalisation de la vie politique, du côté palestinien, elle a contribué en retour à l’essor du Hamas, parti islamiste lié aux Frères musulmans.
Les dirigeants israéliens présentent les islamistes du Hamas comme leurs pires ennemis mais, pendant de longues années, notamment les années 1980, ils n’ont pas hésité à les favoriser pour contrer l’influence de l’OLP de Yasser Arafat, qui se revendiquait d’un nationalisme progressiste et laïc. La politique d’Arafat, qui comptait sur le soutien des États arabes pour aboutir à la création d’un État palestinien, s’est avérée vaine. Dans les années 1970, les Palestiniens ont fait l’expérience qu’ils ne pouvaient compter que sur eux-mêmes. Ils ont vu en effet la Jordanie et la Syrie, des États arabes qu’ils croyaient amis, qui s’étaient prétendus leurs alliés contre Israël et contre l’impérialisme, les réprimer aussi férocement que l’État sioniste le faisait.
En 1987, la première Intifada, révolte spontanée de la jeunesse palestinienne, obligea Israël à un recul. Incapable de venir à bout de ce soulèvement hors de contrôle, et sous la pression de l’opinion israélienne, le travailliste Itzhak Rabin, après avoir ordonné aux soldats « de briser les os » des insurgés, dut engager des négociations avec Yasser Arafat. Les accords d’Oslo de 1993 et la promesse d’aller vers la création d’un État palestinien suscitèrent un immense espoir des Palestiniens mais aussi la colère des colons. Rabin, devenu la cible d’une campagne de haine de la droite et de l’extrême droite, fut assassiné par un de ses militants. Sous la pression de la droite et des colons, les Premiers ministres travaillistes Shimon Peres (1993-1996) puis Ehud Barak (1990-2001) se livrèrent à une surenchère autoritaire et sécuritaire. Ils prétendaient œuvrer au « processus de paix », mais sur le terrain la colonisation se poursuivait activement. Pour neutraliser et retourner une opinion publique israélienne favorable à la paix et au dialogue, ils en attribuèrent l’échec à une prétendue intransigeance palestinienne.
Une Autorité palestinienne, dirigée par Yasser Arafat, fut mise en place à Gaza et dans une partie de la Cisjordanie. Ses représentants, considérés avec mépris par Israël, ne tardèrent pas à se discréditer tant ils apparaissaient corrompus et inefficaces pour régler les problèmes de la population et empêcher que des familles palestiniennes soient chassées de leurs terres. La colonisation se poursuivit sans la moindre trêve.
Cet échec des accords d’Oslo déclencha en 2000 la seconde Intifada, lorsque Ariel Sharon, symbole des massacres de Sabra et Chatila, osa venir parader sur l’esplanade des Mosquées[2].
Du fait du discrédit du Fatah, principale organisation de l’OLP, le Hamas capta à son profit cette nouvelle révolte. Il la militarisa et enrôla la jeunesse au sein de ses milices, avec pour seule politique l’organisation d’attentats-suicides contre des civils israéliens. En l’espace de cinq ans, six cents Israéliens furent tués par des kamikazes, créant un climat de panique dans la population. La politique terroriste du Hamas ne fit que renforcer la droite et l’extrême droite en Israël. Les défenseurs de la cause palestinienne et de la paix devinrent de plus en plus minoritaires, accusés de trahison.
En 2005, Israël présenta son évacuation de la bande de Gaza comme un gage de sa volonté de se retirer des Territoires occupés. Le Hamas de son côté en fit une victoire, ce qui lui permit en 2007 d’emporter les élections locales et de contrôler ce territoire. En réalité, il devenait coûteux et ingérable pour Israël d’y protéger 9 000 colons, disposant des terres les plus fertiles et de l’essentiel de l’eau disponible, alors qu’un million et demi de Palestiniens extrêmement pauvres s’entassaient sur cette bande de 365 km2. Les colonies de Gaza furent démantelées mais, conjointement avec l’Égypte, un blocus fut imposé à ce territoire, en faisant une véritable prison à ciel ouvert.
La Cisjordanie toujours plus colonisée
Le départ de Gaza permit à Israël de déployer des forces supplémentaires pour la colonisation de la Cisjordanie. Les colons accaparèrent de vastes superficies de terres parmi les plus fertiles. La multiplication des colonies fut telle que ce territoire a été comparé à une peau de léopard, partagé entre les régions plus ou moins contrôlées par les autorités palestiniennes et celles relevant des autorités israéliennes. Les enclaves autonomes palestiniennes ne constituent pas une entité géographique continue. La multitude de murs, de barrières, de checkpoints, rendent difficile voire impossible le moindre déplacement. L’armée israélienne peut à tout moment procéder à des bouclages, couper une ville palestinienne du reste du monde, la priver d’eau. Les colons, avec l’aide de l’armée, peuvent empêcher les agriculteurs de se rendre aux champs, contraindre les écoliers à rester chez eux, compliquer voire bloquer l’accès à la route conduisant à l’hôpital.
Des travailleurs sont ainsi licenciés faute de pouvoir aller à leur travail. Les restrictions de circulation brisent les liens culturels et familiaux. Un habitant de Cisjordanie ne peut plus se déplacer librement à Gaza ou à Jérusalem. Afin de permettre aux colons de gagner les villes israéliennes sans croiser un seul Palestinien, des routes de contournement sont construites à leur seul usage. Les contrôles et arrestations arbitraires sont la norme. On estime que, depuis 1967, près de la moitié des hommes palestiniens sont passés par les prisons israéliennes[3]. Les plus anciens disent même que la vie y est plus dure qu’à l’époque de l’occupation, avant la création de l’Autorité palestinienne.
Le chef actuel de celle-ci, Mahmoud Abbas, âgé de 86 ans, est maintenant honni de la population de Cisjordanie et contesté dans ses propres rangs. Alors qu’il est resté passif lors de la mobilisation contre les expulsions à Cheikh Jarrah, il a pris prétexte que les Palestiniens de Jérusalem-Est n’étaient pas « garantis de vote » pour reporter sine die le premier scrutin prévu depuis quinze ans, lors duquel il craignait d’être évincé au profit des listes dissidentes du Fatah ou du Hamas par une population qui s’était massivement inscrite sur les listes électorales.
Le Hamas, privé d’un scrutin et d’une possible victoire en Cisjordanie, a alors saisi l’occasion offerte par la provocation des forces de police à la mosquée al-Aqsa pour exploiter politiquement l’indignation des Palestiniens, alors qu’il n’était pour rien dans leur révolte.
Une guerre qui sert les intérêts du Hamas et d’Israël
L’élan de révolte spontané de la jeunesse et de la population contre la colonisation, les humiliations et l’oppression, a ainsi débouché sur un affrontement militaire entre Israël et le Hamas, qui l’un et l’autre redoutent que cette révolte soit contagieuse. Cette confrontation militaire leur a permis de renforcer leur emprise politique sur leurs populations respectives.
Les tirs de roquettes sur Jérusalem ont certainement été populaires en Cisjordanie, où bien des Palestiniens ont pu se sentir vengés. Le Hamas a pu se présenter comme le seul défenseur des Palestiniens et étendre son influence au-delà de la minuscule bande de Gaza.
Le Hamas voudrait s’imposer comme le seul interlocuteur crédible, l’acteur incontournable de futures négociations auprès des institutions internationales, prêt à jouer en Cisjordanie le rôle de gendarme qu’il joue déjà à Gaza. Après le discrédit qui pèse sur les représentants de l’Autorité palestinienne, il peut en effet apparaître comme un interlocuteur de rechange pour Israël. En attendant, la population de Gaza paye le prix fort de ses manœuvres. 240 Palestiniens, principalement des civils, ont perdu la vie dans cette confrontation militaire, qui a causé aussi d’importants dégâts matériels.
Les tirs de roquettes du Hamas ont aussi rendu un fier service au régime israélien de Netanyahou et maintenant de Naftali Bennett, en difficulté face à une opinion publique émue de la révolte dans les villes mixtes et des actes commis par les milices suprémacistes. L’oppresseur a pu prendre la posture de l’agressé. Contraints de rejoindre les abris, des centaines de milliers d’Israéliens ont vécu dans la peur durant onze jours. Le climat de danger sécuritaire a permis au pouvoir israélien de faire taire les critiques et de justifier sa répression contre les jeunes Arabes israéliens, assimilés à des terroristes. Près de 2 000 jeunes qui manifestaient pour la première fois et dont beaucoup sont mineurs ont été arrêtés et brutalisés.
Quelle issue ?
Après onze jours de combat, le Hamas et Israël concluaient un cessez-le-feu, chacun revendiquant la victoire. Ils peuvent effectivement considérer qu’ils ont gagné l’un et l’autre, sinon l’un contre l’autre. Ils ont gagné contre leurs peuples respectifs qu’ils enfoncent un peu plus dans une impasse.
En Israël, Netanyahou a été évincé et une grande partie de la population en a été soulagée. Mais son remplaçant, Naftali Bennett, peut, grâce au nombre de députés d’extrême droite au Parlement, imposer une nouvelle accélération de la colonisation préparant une annexion pure et simple des Territoires occupés.
Israël n’échappe pas au chaos qu’il a contribué à créer dans la région. Décennie après décennie, l’oppression que ses dirigeants ont exercée sur le peuple palestinien a renforcé des forces de plus en plus réactionnaires, dont le pays a fini par devenir l’otage. Dans cet État, qui se voulait une réponse au drame qui a fait des Juifs les victimes de la barbarie nazie, ceux-ci sont aujourd’hui sous la coupe de l’extrême droite et du fascisme auquel ses fondateurs prétendaient répondre.
Un peuple qui en opprime un autre ne peut pas être un peuple libre. L’avenir ne peut se construire que dans une lutte commune et consciente des deux peuples, visant à dépasser les clivages attisés depuis des décennies par l’impérialisme et entretenus par les manœuvres de leurs dirigeants.
5 septembre 2021
[1] https://www.mediapart.fr/journal/international/160521/lod-la-ville-ou-to...
[2] Général d’extrême droite, Ariel Sharon (1928-2014) était ministre de la Défense lors des massacres des camps libanais de Sabra et Chatila, en 1982, quand 1 500 Palestiniens furent massacrés par l’extrême droite chrétienne libanaise, sous l’œil complice de l’armée israélienne.
[3] https ://orientxxi.info/lu-vu-entendu/l-incarceration-des-palestiniens-cle-de-la-colonisation-israelienne, 4774