Après la discussion des textes d'orientation, le congrès a entendu les interventions d'organisations sœurs et de camarades de différents pays militant sur les mêmes bases politiques que Lutte Ouvrière. Les textes qui suivent sont extraits de certaines de ces interventions. Elles tournent pour ainsi dire toutes autour de la dégradation de la condition ouvrière dans ces différents pays, ainsi qu'autour de l'évocation des luttes, là où il y en a eu. Elles donnent également le point de vue de nos camarades sur certains aspects de la situation du pays où ils militent.
Combat Ouvrier (Guadeloupe et Martinique)
Que peuvent attendre les travailleurs de l'agitation politicienne autour du nouveau statut de la Martinique ?
Rien, strictement rien. Les deux tendances qui s'affrontent sur la scène politique martiniquaise partagent le même engagement fondamental : ils ne remettent pas en cause la mainmise d'un patronat vorace sur la société. Et, ne la remettant pas en cause, ils servent ou serviront ces exploiteurs quand ils sont ou seront aux affaires.
Le Parti communiste martiniquais, le PCM, fait partie des organisations alignées derrière le camp indépendantiste de Marie-Jeanne, le camp des « patriotes ». Le PCM ne garde presque plus rien de son passé d'implantation ouvrière notable et de sa participation aux luttes des travailleurs. Sa direction ne garde même plus une certaine sensibilité aux préoccupations et aux revendications de la classe ouvrière, tout cela est bien loin !
Je vous citerai juste de petits passages d'un éditorial récent du secrétaire général du PC martiniquais, dans son journal, Justice, afin que vous ayez une idée de la phraséologie du PCM. Sous le titre « Hors du rassemblement, point de salut », il expliquait le sens de sa participation au « Rassemblement des patriotes » d'octobre dernier. Il n'y fait nulle mention de revendications des travailleurs, nulle mention de leurs luttes actuelles et futures. Rien de tout cela, rien de communiste.
Le secrétaire général du PCM parle, (je cite) : « d'approche globale de l'avenir du pays » ; des « intérêts supérieurs du peuple martiniquais » ; d'« élaboration d'un véritable projet alternatif de développement et de société répondant aux véritables intérêts de notre peuple », etc. Ces formules pourraient être signées par n'importe quel charlatan politique, même le plus réactionnaire. Voilà ce qu'offre le PCM en guise de programme. C'est en réalité le programme de l'acceptation de l'ordre établi. C'est une promesse faite aux exploiteurs qu'il ne sera pas touché à leurs intérêts.
L'attitude du PCM est le signe d'un conservatisme social profond. Et, au-delà du PCM, ce conservatisme est celui de tout le « Rassemblement des patriotes », et aussi du Parti communiste guadeloupéen et des indépendantistes de Guadeloupe.
Oui, les critiques que nous formulons envers le Parti communiste martiniquais s'appliquent aussi au Parti communiste guadeloupéen, le PCG. Ce PCG n'a pour programme actuel que celui de la création d'un « pouvoir politique guadeloupéen ». Pour ce faire, le PCG milite pour la création d'un « Front patriotique guadeloupéen ». Les intérêts des travailleurs ne sont jamais mis en avant dans ce montage politique nationaliste.
Ces partis, le PCM et le PCG, d'origine stalinienne, ont pourtant incarné les luttes de la classe ouvrière des Antilles françaises pendant au moins trois ou quatre décennies. Mais comme dit la pub, « ça, c'était avant » !
Quant à l'autre camp qui s'oppose au camp des patriotes en Martinique, quand je vous aurai dit qu'il est proche du Parti socialiste français, vous aurez compris qu'il est un serviteur local du capital, des riches, des békés, donc je n'en dirai pas plus le concernant. Bis repetita concernant les socialistes de Guadeloupe. Ils n'ont rien de mieux à offrir aux travailleurs et à la population, que ce soit dans une seule assemblée ou dans deux, ou encore dans un quelconque nouveau montage administratif de gestion locale des affaires.
Alors, ces débats dans la classe politique sur l'assemblée unique ou deux assemblées, ou un autre changement de statut, sont une tempête dans un verre d'eau. Mais c'est hélas ce qui alimente la vie politicienne des deux îles.
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La dernière des grèves importantes de l'année a été la grève des ouvriers de la banane de la plantation Dormoy à Capesterre-Belle-Eau, en Guadeloupe.
Je m'arrêterai un peu sur cette grève de la banane sur l'habitation Dormoy au lieu-dit Bois- Debout à Capesterre-Belle-Eau.
Dans ce secteur d'activité de la banane, au fil des années, ce sont des centaines d'ouvriers agricoles qui ont été contaminés par des produits hautement toxiques (herbicide, nématicide, insecticide et autres). Depuis des années, l'épandage de ces produits a provoqué directement des dizaines de morts sur les plantations et indirectement des centaines par la suite. Ce phénomène a été accentué avec l'épandage de la chlordécone.
La plantation du gros planteur béké Dormoy est située au lieu-dit Bois-Debout sur la commune de Capesterre-Belle-Eau. C'est la SA Bois-Debout. À la fin de l'année 2013, le CHSCT de la plantation a fait appel à un expert agréé par le ministère du Travail. Il ressort de son rapport que les 140 ouvriers agricoles de la plantation sont soumis à des conditions de travail indignes. Ce rapport de plus de 400 pages analyse 24 postes de travail. Il précise que si les conditions de travail ne s'améliorent pas, à coup sûr, d'autres ouvriers mourront au travail.
La SA Bois-Debout c'est plus de 10 morts en 25 ans, plus de 47 accidents du travail par an, dont plus de 20 avec arrêt maladie. Il faut arrêter le massacre, disaient les travailleurs !
Quand l'experte a transmis les données enregistrées au cabinet Indigo, qui était chargé de les analyser, le cabinet lui a demandé de recommencer le travail d'enregistrement car les données envoyées paraissaient invraisemblables. Et l'experte a refait les enregistrements. Et la vérification s'est avérée tout à fait conforme aux premiers travaux.
Par exemple, un chayé, qui est celui qui transporte les bananes, porte entre six et sept tonnes de bananes par jour : 132 régimes sur ses épaules, et sur d'autres plantations, les chayés doivent transporter jusqu'à 150 régimes. Celui qui met les « polys », c'est-à-dire les polystyrènes qui enveloppent les régimes pour les protéger, celui-là parcourt pour sa journée plus de 24 kilomètres à pied. Selon le rapport, il monte et descend autant de marches que quelqu'un qui monterait à pied au dernier étage de la tour Eiffel puis en redescendrait. L'ouvrier qui découpe les régimes, comme on dit, en mains de bananes, soulève l'équivalent de 24 à 28 tonnes par jour. Et tout cela pour des salaires de 1 000 à 1 100 euros net par mois.
Après 40 jours de grève et de droit de retrait, puis de grève encore, les travailleurs ont repris le travail. Ils n'ont pas obtenu le paiement des jours de droit de retrait, ce qui est pourtant tout à fait légal. Là-dessus ils n'ont pas gagné. Ils iront aux Prud'hommes. Mais Dormoy a accepté de leur donner une avance de salaire et de se conformer aux règles de sécurité.
Les travailleurs de Bois-Debout n'ont pas obtenu ce qu'ils réclamaient au cours de cette grève, mais ils se sont fait entendre partout, ils ont fait connaître leurs conditions de travail, ils se sont invités au village de la course de voiliers la Route du rhum à Pointe-à-Pitre en distribuant un tract, ils ont organisé un meeting au centre de Capesterre, leurs piquets de grève étaient visibles sur la nationale 1 de Pointe-à-Pitre à Basse-Terre, avec distribution massive de tracts, et ils sont allés bloquer les containers de bananes face aux gendarmes sur le port de Pointe-à-Pitre. Ils ont repris le travail sur la plantation, pas du tout démoralisés mais déterminés à ne pas accepter de travailler dans les mêmes conditions.
Union africaine des travailleurs communistes internationalistes (UATCI, Côte d'Ivoire)
La situation des travailleurs en côte d'ivoire
Le smig est officiellement passé cette année de 36 000 francs CFA à 60 000 francs CFA. C'est-à-dire de 55 euros à 91 euros par mois, après un blocage qui a duré vingt-neuf ans, mais cela ne change pas grand-chose. Évidemment, cette augmentation de 65 % du salaire minimum légal peut paraître beaucoup sur le papier. Même les dirigeants des syndicats les plus vendus aux riches estimaient eux-mêmes le salaire minimum à deux fois ce montant... il y a de cela vingt ans !
Ainsi, vingt ans plus tard, malgré toutes les augmentations des prix des biens de consommation qu'il y a eu durant cette période, la petite augmentation du smig ne compense absolument pas la perte du pouvoir d'achat des travailleurs. Et même là, les rares entreprises qui ont réajusté les salaires ne l'ont fait que plusieurs mois après l'annonce faite par le gouvernement. Dans la majorité des cas, ce fut sous la pression des travailleurs. Par ailleurs, bon nombre de ces entreprises en ont profité pour mettre de nombreux travailleurs à la porte, obligeant ceux qui restent à augmenter leur rendement pour compenser le manque d'effectif.
Dans la zone industrielle de Yopougon, on peut aussi voir des entreprises clandestines qui emploient quelquefois des centaines de travailleurs. Ce sont souvent des entreprises qui produisent des produits en plastique ou des produits cosmétiques. Les ouvriers sont enfermés derrière des portails. Ces entreprises informelles emploient au total des milliers de travailleurs.
Quant aux multinationales qui ont pignon sur rue, elles sous-traitent pas mal leur main-d'œuvre. C'est par exemple le cas des services d'entretien et nettoyage, où sont employés des travailleurs burkinabés, notamment ceux nouvellement arrivés en Côte d'Ivoire qui sont particulièrement exploités, mais qui n'ont pas d'autre choix.
Pour toutes ces raisons, l'impact de l'augmentation du smig est tout relatif.
L'année dernière, c'était la destruction des échoppes sur les trottoirs, qui permettaient pourtant aux populations d'arrondir leurs revenus. Des milliers de personnes ont ainsi perdu leur gagne-pain. Cette année, il y a eu des démolitions de quartiers entiers d'habitation des travailleurs dans la ville d'Abidjan et alentour. Ils appellent ça « opération déguerpissement ». Des milliers de familles pauvres se retrouvent du jour au lendemain sans toit et sont obligées d'aller habiter dans des quartiers encore plus lointains dans la périphérie d'Abidjan, dans des habitations précaires généralement sans eau courante et sans électricité.
C'est dans le secteur du bâtiment qu'il y a eu plusieurs mouvements de grève. Mais cela tient à deux principales raisons. D'abord, à cause du boom dans la construction, la demande de main-d'œuvre est en ce moment particulièrement forte. Ensuite, le secteur du bâtiment est un peu particulier du fait qu'un chantier a une durée de vie relativement courte. Du coup, les travailleurs n'ont, pour ainsi dire, pas grand-chose à perdre à se lancer dans des revendications, quand le chantier tend vers sa fin. Les revendications tournent généralement autour de ce que les travailleurs appellent les « droits de fin de chantier ». Il s'agit en fait du paiement des congés payés et des primes de précarité que les patrons ne prennent pas en compte dans le calcul de la paie. Il n'y a d'ailleurs généralement pas de bulletin de paie. Il s'avère que le rapport des forces est plutôt favorable aux travailleurs. Ces derniers attendent donc les patrons au tournant au moment opportun, c'est-à-dire peu avant que le chantier ne soit complètement terminé, quand il n'y a plus grand-chose à perdre. C'est à ce moment-là que les travailleurs présentent à leur patron la base salariale dans le secteur du bâtiment, sur laquelle il aurait dû les payer depuis le début du chantier. Cela met évidemment les patrons dans tous leurs états.
La situation politique
Il y a quelques jours, des éléments des ex-rebelles se sont mutinés. Pour éviter une situation pareille à celle de 1999, où une telle mutinerie avait balayé l'ancien président Konan Bédié, l'actuel président (Ouattara) a vite fait de les recevoir et il a même lâché ce que les mutins n'avaient pas demandé.
En tout cas, Ouattara et sa clique ont eu vraiment peur. Ils n'ont pas arrêté de défiler à la télé pour dire aux mutins : « Tous vos problèmes seront résolus. Et à partir de maintenant, je vous demande de vous comporter en soldats modèles. Je vous le demande. Parce que si vous n'êtes pas des modèles, vous allez créer la chienlit dans ce pays. » Le pouvoir avait visiblement la trouille que d'autres catégories de corps habillés (les militaires ou les policiers) rentrent dans la danse.
Ce n'est pas encore dit que Ouattara et son clan se sont tirés d'affaire pour autant. Il y a, par exemple, encore des dizaines de milliers d'ex-combattants qui espèrent toujours leur intégration dans l'armée et qui ponctionnent pour l'instant directement leurs prébendes sur les populations. Les attaques à main armée et les coupeurs de routes, par exemple, ce sont eux. Ces ex-combattants se comportent comme des bandits et constituent une menace potentielle pour le pouvoir. Ils continuent d'ailleurs de temps en temps à défier le pouvoir en s'attaquant à des postes de police et à des barrages militaires. Ce sont eux aussi qui sévissent sur les routes, particulièrement en cette période de campagne cacaoyère où l'argent circule beaucoup entre les acheteurs et les vendeurs de cacao.
Par ailleurs, toutes ces faveurs faites aux mutins provoquent un certain malaise parmi d'autres catégories de corps habillés, dont l'ex-armée de Gbagbo, la gendarmerie et la police. On verra comment évolue cette situation. En tout cas, c'est une véritable épine dans le pied de Ouattara.
Pas plus tard qu'il y a quelques jours, le ministre de la Défense a été séquestré par des gendarmes, des ex-combattants. Par ailleurs, 2 000 douaniers, qui sont aussi des ex-combattants, ont, eux aussi, lancé des menaces.
N'eussent été ces derniers événements, on peut dire que le pouvoir en Côte d'ivoire semblait être stabilisé. L'administration est partout présente. Au Nord, les choses sont toujours un peu compliquées, du fait que des réseaux militaro-mafieux contrôlent les frontières vers le Burkina et le Mali depuis une dizaine d'années. Ainsi, par exemple, il y a de cela un mois, des corridors douaniers et leurs bureaux ont été saccagés. Les douaniers eux-mêmes agressés et chassés. C'était suite à un blocage de camions transportant du sucre et de l'huile de contrebande venant des pays voisins. C'est dire que les autorités y font la loi tant qu'ils ne s'en prennent pas aux intérêts des commerces locaux contrôlés par les militaires.
Organisation des travailleurs révolutionnaires (OTR, Haïti)
L'actualité en Haïti est dominée par des manifestations populaires appelées par l'opposition pour forcer le président Michel Martelly à quitter le pouvoir avant la fin de son mandat dans moins de deux ans. Cette opposition regroupe une douzaine de partis politiques, avec des figures qui se passent de présentation comme Mme Manigat, candidate malheureuse au deuxième tour des élections présidentielles face à l'actuel président Martelly, et Jean-Bertrand Aristide de Lavalas, inculpé de trafic illicite de drogue, soustraction de deniers publics, blanchiment des avoirs, etc., qui est depuis deux mois environ l'objet d'un mandat d'amener. Mais Aristide défie la police et l'appareil judiciaire en se cloîtrant chez lui et en mobilisant dans la rue et devant sa résidence ses partisans, qui considèrent ses démêlés avec la justice comme une persécution politique du président Martelly dont on connaît l'inimitié envers Aristide.
Ce conflit ouvert entre le président Martelly et Aristide, qui garde encore du crédit dans les couches pauvres, alimente les manifestations contre le pouvoir ; des manifestations qui se renforcent de semaine en semaine parce qu'elles se déroulent également sur fond d'envolée des prix, de renchérissement du coût de la vie et de recrudescence de l'insécurité. Beaucoup d'habitants de quartiers pauvres expriment leur ras-le-bol au cours de ces manifestations.
Ce qui ne passe pas inaperçu, cette fois, c'est qu'une flopée de journalistes étrangers ont simultanément fait le déplacement pour couvrir une série de manifestations baptisées « Opération Burkina Faso » en référence à la mobilisation qui a renversé le président Blaise Compaoré.
Ces manifestations étaient programmées les 25, 28 et 29 novembre dernier, suite à la manifestation du 18 novembre, une semaine avant, qui a été réprimée dans le sang. On y a dénombré plus d'une dizaine de blessés graves, il y aurait eu aussi deux morts, suite à une fusillade dans la foule par des individus en civil à bord d'un véhicule de l'État et identifiés après comme des policiers. Cette répression a été ébruitée dans la presse internationale via les organismes de droits humains notamment.
Les trois manifestations des 25, 28 et 29 novembre se sont déroulées paradoxalement sans violence policière et ont mobilisé plusieurs milliers de personnes. La présence de la presse étrangère a été suffisamment dissuasive.
Mais juste quelques jours après, des manifestations qui se sont déroulées dans des villes de province - sans la présence de la presse étrangère - pour réclamer de l'électricité et de l'eau ont été à nouveau sauvagement réprimées. Le pouvoir craint l'extension et l'intensification de la mobilisation dans d'autres régions du pays. N'ayant pas de base sociale pour mobiliser, le gouvernement a recours à la force en vue de mater la mobilisation qui grandit de plus en plus avec l'approche de la date-butoir du jeudi 15 janvier 2015, où le mandat des députés et du tiers du Sénat arrivera à terme.
La situation se complique pour Martelly qui, en général arrogant, adopte le profil bas ces derniers jours. En marge d'une cérémonie en l'honneur de quelques musiciens, Martelly a évoqué pour la première fois le départ de son Premier ministre, voire le sien. Je le cite : « Je peux dire que le Premier ministre et moi sommes unis pour la vie. Nous sommes venus aider Haïti. Si nous ne pouvons pas aider, nous n'avons pas besoin de pouvoir », a dit Martelly, le bras gauche autour du cou de son Premier ministre, Lamothe. Si c'est pour aider Haïti, s'il y a des sacrifices à faire, nous pourrons partir, a expliqué Michel Martelly, qui a rectifié dans la seconde d'après en ajoutant : « Ce n'est pas logique d'aller aux élections, de les remporter et de partir avant la fin de son mandat. »
Par ailleurs, l'augmentation du chômage qui dépasse la barre des 75 % et la brutale dégradation des conditions de vie des classes laborieuses au cours du dernier trimestre fournissent à coup sûr des troupes aux manifestations qui démarrent toujours dans les bases d'Aristide, sillonnent les quartiers pauvres pour rameuter du monde, avant d'atteindre les grandes artères.
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Quelques trombes de pluie tombées sur la ville du Cap-Haïtien, dans le nord du pays, ont suffi pour apporter un démenti aux mensonges de Martelly et de son équipe gouvernementale. Lourd bilan : sept morts, dont trois enfants, et des dizaines de maisons inondées. Des centaines de familles sinistrées. Privées d'eau, de nourriture et de couvertures pour faire face au froid, ces dernières appelaient désespérément à l'aide. Deux semaines après, toujours dans le Nord, dans une autre localité, on enregistre plus de cinq morts après que des pluies se sont abattues pendant moins d'une heure dans cette bourgade.
Le pays est de plus en plus vulnérable, pas seulement avec les nouvelles failles sismiques repérées, mais par la disparition totale de ce qui restait des services dits publics, par l'absence d'infrastructures, d'assainissement, par les logements des milliers de familles pauvres dans les lits des ravins, dans les flancs des mornes, faisant les frais des moindres intempéries, par un environnement désastreux avec une couverture végétale de moins de 2 %, par la déconfiture accélérée de l'État.
Mais ce sombre tableau ne fait pas partie des préoccupations des politiciens au pouvoir ni de l'opposition qui y aspire. L'augmentation du salaire minimum, la baisse du coût de la vie, la création d'emplois ne figurent pas dans les pancartes des manifestations des partis de l'opposition. Ce ne sont pas leurs problèmes !
États-Unis
Aux États-Unis les médias ne se lassent pas de répéter que nous sommes dans la plus longue période de reprise économique jamais vue - presque cinq ans et demi.
Et il est vrai qu'il y a eu une reprise, en quelque sorte. Les profits ont augmenté rapidement, atteignant des records historiques en 2013, représentant presque 11 % du PNB. Et le nombre de milliardaires a aussi bondi vers un nouveau record.
Lors de cette année électorale, la Maison- Blanche a mis l'accent sur l'amélioration lente mais régulière des statistiques officielles du chômage. Mais il s'agit seulement d'un mirage statistique : il y a proportionnellement moins de personnes qui travaillent aujourd'hui qu'aux pires moments de la crise de 2008.
Par exemple, dans l'automobile, le nombre de véhicules produits cette année a retrouvé son niveau d'avant la crise de 2008, mais cette industrie emploie 20 % de travailleurs de moins pour produire le même nombre de voitures.
Les revenus annuels de la population laborieuse, en tenant compte de l'inflation, sont inférieurs de 5 400 euros à ce qu'ils étaient avant le début de la crise il y a sept ans.
La dégradation du niveau de vie des travailleurs est due aussi aux coupes claires dans les services publics municipaux et à la casse des écoles publiques dans les banlieues ouvrières.
Les politiciens disent qu'il n'y a pas d'argent. C'est sûr ! Les caisses publiques sont grandes ouvertes pour toutes les banques, toutes les grandes entreprises, et tous les petits requins qui veulent des profits rapides.
Detroit en est le parfait exemple. La municipalité a utilisé sa mise en faillite pour réduire de 20 % les retraites des employés municipaux et éliminer leur couverture médicale. Le jour même où ce scandale était avalisé par le tribunal, la ville en faillite a signé un accord par lequel elle s'engageait à payer un nouveau stade de hockey et un centre de loisirs à la famille qui possède déjà le stade de baseball qui fut payé par la ville il y a une dizaine d'années, le genre d'opération qui a mis la ville en faillite.
Les événements de Ferguson
L'autre grande question de cette année, c'est ce que signifient les événements de Ferguson, le meurtre délibéré de jeunes Noirs par les policiers ou par des gens qui s'autoproclament gardiens de l'ordre, et le refus des autorités d'inculper les coupables ou, s'ils sont accusés, de les poursuivre en justice.
Bien des villes pourraient s'appeler Ferguson aujourd'hui. Alors que sa population est en grande majorité noire, les politiciens et la police sont presque totalement blancs. Pour de tels policiers, n'importe quel jeune homme noir peut être perçu comme une menace - et ils agissent en conséquence et méchamment.
La semaine précédant le non-lieu pour Ferguson, deux policiers blancs de Cleveland ont tiré et tué un enfant de douze ans qui n'avait pas jeté immédiatement son revolver en plastique. Et la même semaine, dans un HLM de Brooklyn, lorsqu'un jeune homme désarmé est entré dans une cage d'escalier qui n'était pas éclairée, un policier blanc qui y entrait aussi par une autre porte a paniqué et a immédiatement tiré et tué le jeune. Et cette semaine, à New York, les autorités ont refusé de mettre en accusation les six policiers, ni même un seul d'entre eux, qui avaient étouffé à mort un homme en le ceinturant car il avait refusé de circuler.
Obama, dans un discours prononcé juste après le non-lieu de Ferguson, a parlé d'un « manque de communication » entre les policiers et la communauté noire, comme s'il s'agissait d'une prise de bec sur un terrain de jeu.
Personne ne peut dire combien de jeunes Noirs ont été tués par des policiers cette année. Quel que soit ce nombre, l'expression utilisée dans la communauté noire reflète parfaitement la réalité : ils disent que c'est une épidémie de meurtres commis par les flics.
De bien des façons il s'agit d'une véritable guerre menée contre la population noire et plus généralement contre l'ensemble de la classe ouvrière. Sans parler des autres guerres attisées maintenant en Irak et en Afghanistan.
À propos des élections récentes aux États-Unis, le Wall Street Journal a titré : « Un électorat maussade » dégoûté par les deux partis. Et c'était bien cela : mécontent, méfiant des deux partis, mais sans grands moyens d'exprimer cette colère. Le résultat a été un très fort taux d'abstention : seulement 36 % de la population en âge de voter a fait ce geste. C'est la plus faible proportion depuis 1942.
Voz Obrera (Voix ouvrière - Espagne)
La réalité c'est qu'en Espagne les suppressions d'emplois continuent ; les licenciements collectifs ont augmenté de 42 %. Le nombre total de chômeurs atteint quasiment cinq millions et demi. En Espagne nous connaissons à nouveau l'émigration et le cumul des emplois.
Les expulsions ont augmenté également, de 18 %. Beaucoup de familles doivent retourner vivre chez leurs parents, et nous voyons des grands-parents qui soutiennent avec leurs pensions réduites ce qui était jusqu'alors deux familles distinctes. Difficile de dire ce qui arriverait en Espagne sans cet amortisseur familial.
Par ailleurs, la misère s'étend. Beaucoup de familles doivent recourir à des institutions caritatives pour s'alimenter. Et si nous parlons de familles marginales, nous pouvons les voir chercher de la nourriture dans les poubelles. Comble du cynisme, nous avons vu comment la municipalité de Séville a osé publier de nouvelles circulaires par lesquelles elle prétendait imposer des amendes allant jusqu'à 750 euros aux personnes récupérant de la nourriture dans les poubelles. L'indignation fut telle qu'elle dut faire marche arrière et à présent, au lieu de mettre des amendes à ces personnes... elles vont avoir droit à des cours, il est vrai, gratuits !
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Sur le plan politique, le plus notable est la montée fulgurante d'un nouveau parti, Podemos. Podemos est le fruit de tous les scandales de corruption, de l'écœurement, du rejet de l'alternance au pouvoir du Parti populaire (PP) et du Parti socialiste (PSOE), qui, dans le fond, mènent la même politique. Podemos a obtenu aux dernières européennes cinq eurodéputés, bien qu'il ne comptât alors que quatre mois d'existence. Actuellement les sondages le situent comme la troisième force politique en Espagne, écartant Izquierda Unida (le front électoral du Parti communiste).
Podemos a ses racines dans les courants critiques de la social-démocratie et a su mettre à profit la vague de contestation qui s'est exprimée au travers du mouvement des Indignés. Il recueille les espoirs d'une grande partie de la population. Podemos a été intraitable dans la dénonciation de la corruption, et son leader, Pablo Iglesias, un jeune professeur d'université en sciences politiques, emporte l'adhésion. Ses débats télévisés, où il attaque au vif et en direct les politiciens de la droite, ont été vus par un grand nombre de personnes.
Pablo Iglesias se dit « démocrate ». Il se situe hors des notions de classe. On ne trouve pas dans ses déclarations des mots tels que bourgeoisie, classe ouvrière, exploitation, etc. Il parle de « caste » en faisant référence à tous les politiciens corrompus et propose de s'en débarrasser. Il affirme qu'il est temps de récupérer la démocratie pour les citoyens, qu'il est nécessaire de créer des emplois décents, d'en finir avec la corruption, qu'il faut faire un audit citoyen de la dette pour voir quelle partie de la dette il faudrait payer, et quelle partie non ; il propose de créer une banque au service des citoyens, qu'il y ait un contrôle public de l'économie et une distribution des richesses plus équilibrée. Et il a du succès. Cependant il considère que le point de vue marxiste ne correspond plus à la réalité et évite toute référence au communisme.
Podemos hérite du mouvement des Indignés les méthodes des assemblées participatives, mais avec moins de volonté de faire participer les gens à des luttes. Selon Podemos, il faut avoir un pied dans les institutions pour pouvoir changer les choses. Pour cela, dit-il, il est nécessaire de gagner les élections régionales et générales et de mettre en avant une manière démocratique d'exercer le pouvoir.
En ce sens, Podemos, jusqu'à présent, n'essaye pas réellement de s'appuyer sur une mobilisation active des classes populaires, de réactiver les mobilisations comme le faisait le mouvement des Indignés. Et cela fait que nous n'avons pas la même opportunité d'intervenir au travers de ses initiatives.
Lutte Ouvrière (Belgique)
Le 6 novembre, il y a eu une manifestation de 120 000 personnes à Bruxelles. Elle était appelée par les trois centrales syndicales, contre la politique d'austérité du gouvernement fédéral qui s'est mis en place il y a deux mois, après les élections de mai dernier.
Mais il faut quand même raconter que, dans la manifestation, il y avait Elio Di Rupo et Laurette Onkelinx, ancien Premier ministre PS et ancien ministre de la Santé PS, et qu'ils y ont été très à l'aise.
Il y avait au moins ces deux-là, qui étaient vraiment là pour défendre leur emploi qu'ils ont perdu avec ce nouveau gouvernement fédéral. En effet, c'est la première fois depuis vingt-six ans que nous avons un gouvernement fédéral sans participation du PS.
Pour mémoire, dans ce petit pays, il y a cinq gouvernements, dont deux gouvernements régionaux qui ont maintenant plus de poids que le gouvernement fédéral. Le gouvernement régional wallon est toujours dirigé par le PS.
Il n'y a qu'un seul parti francophone au gouvernement fédéral, le Parti libéral francophone. Contre trois partis flamands, dont le plus important est la N-VA, le parti nationaliste flamand. Selon le PS, c'est une trahison de la part du Parti libéral francophone qui permet ainsi aux « Flamands qui ont une mentalité de droite » d'imposer leur politique de droite aux Wallons qui, eux, ont des traditions de gauche. Les droits démocratiques des Wallons ont été bafoués...
Pourtant, ce gouvernement fédéral a les mains d'autant plus libres, pour les attaques contre le monde du travail, que c'est le gouvernement fédéral précédent, sous la direction du PS, qui a mis en place la réforme de l'État que souhaitait le patronat flamand et pour lequel militait la N-VA. Cette réforme de l'État se traduit par un début de scission de la Sécurité sociale et plus d'autonomie fiscale pour les régions et communautés linguistiques. Maintenant que c'est chose faite, plus besoin de crises de gouvernement. Et la N-VA peut se concentrer sur le « socio-économique », comme ils disent.
Quant au PS, désormais dans l'opposition au niveau fédéral, il dénonce l'austérité du gouvernement fédéral et du gouvernement flamand, tandis qu'en Wallonie, où le PS dirige toujours, il applique les mêmes mesures, mais là ce ne serait que de la rigueur ! En vérité, c'est l'austérité à tous les niveaux de l'État, du fédéral jusqu'aux communes, et dans toutes les langues.
Les directions syndicales s'étaient tues pendant trois ans de gouvernement fédéral sous direction socialiste. Maintenant elles sont entrées en mode de mobilisation. Elles n'ont pas changé de politique, mais elles ont leurs propres raisons d'être inquiètes. Car trois des quatre partis au gouvernement fédéral ont tout intérêt à affaiblir les appareils syndicaux qui servent de relais électoral dans la classe ouvrière, notamment pour le Parti socialiste.
Les partis libéraux ont laissé entendre à plusieurs reprises qu'ils souhaitaient en finir avec le système des allocations de chômage payées par l'intermédiaire des syndicats. Le taux de syndicalisation exceptionnelle en Belgique, de plus de 60 %, s'explique en effet en grande partie par cette particularité.
Et derrière les intérêts des partis, surtout, c'est la crise et l'impatience grandissante de la classe capitaliste d'attaquer la classe ouvrière.
Ainsi, le nouveau gouvernement fédéral a déjà décidé un saut d'index, c'est-à-dire la non-application de la prochaine indexation des salaires, et le relèvement de l'âge de la retraite à 67 ans, en mettant les appareils syndicaux devant le fait accompli.
Les syndicats mobilisent donc. Mais pour demander quoi ?
Concernant les salaires, ils demandent certes l'abandon du saut de l'index. Une chose que le patronat saura accepter d'autant plus facilement que l'inflation n'est pas élevée, et que ce ne fera pas la plus grande différence. Si la tendance à la déflation se confirme, nous reverrons peut-être même une indexation négative...
Mais surtout, les appareils syndicaux demandent « une marge » et « la liberté de négocier » dans les entreprises.
Et ce que ça donne, les négociations, entreprise par entreprise, quand les patrons ont l'arme du chômage de leur côté, vous le savez tous.
Quant aux licenciements, il n'y a pas un mot dans les tracts des syndicats. Il n'est question que du maintien des allocations de chômage, et du fait que ces allocations doivent être payées par les syndicats, car les intérêts des chômeurs seraient mieux défendus ainsi...
La FGTB, le syndicat socialiste, a même écrit une lettre au patronat et fait des annonces de pub dans les journaux économiques pour rappeler aux patrons le bienfait de la « concertation sociale ». La FGTB leur rappelle dans sa lettre que « la concertation sociale nous a permis de traverser sans encombre de nombreuses crises et difficultés ».
Les syndicats mobilisent donc pour réclamer au patronat de bien vouloir les admettre à sa table, pour l'aider à traverser des nouvelles crises et difficultés sans encombre, en faisant payer les travailleurs, et en garantissant la « paix sociale ».
Leur façon de mobiliser est à l'image de ces objectifs.
Pour la manifestation du 6 novembre à Bruxelles, comme de coutume, les syndicats ont payé 40 euros à chaque personne participante. À Mons, le bourgmestre Di Rupo a donné congé au personnel de la ville pour aller manifester. Y compris aux cantonniers en contrats précaires, que la ville s'apprête à licencier. La mutuelle socialiste a payé ses salariés pour aller à la manifestation.
Dans les entreprises privées par contre, la mobilisation a ciblé celles où cela posait le moins de problèmes, par exemple chez Audi où plusieurs jours de « non-production » sont de toute façon prévus d'ici la fin d'année. Dans d'autres entreprises, qui tournent à plein régime, la participation à la manifestation était limitée aux délégués syndicaux. Dans l'entreprise chimique où travaille un de nos camarades, le syndicat n'a même pas appelé, alors que l'entreprise est en pleine restructuration.
Beaucoup de travailleurs étaient cependant contents d'être enfin conviés à une action. Et il y a eu à la manifestation aussi beaucoup de personnes qui n'avaient encore jamais manifesté. Mais il y a eu aussi des travailleurs qui nous ont dit qu'ils n'allaient pas se déplacer pour une « manifestation PS ».
Sınıf Mücadelesi (Lutte de classe - Turquie)
En Turquie depuis plusieurs mois, voire plusieurs années, le président Erdogan occupe le devant de la scène quasiment en permanence par ses déclarations à l'emporte-pièce, voire farfelues.
Quelques exemples parmi les plus récents : « Les femmes et les hommes ne peuvent pas être égaux parce que c'est contre-nature » ; « L'Amérique n'a pas été découverte par Christophe Colomb mais par des marins musulmans trois siècles plus tôt » ; « Chaque femme doit faire trois enfants pour que la population de la Turquie s'agrandisse » ; « Il faut une jeunesse croyante et une mosquée dans chaque université d'État », etc.
Le parti au pouvoir AKP se base sur deux confréries sunnites, la bande d'Erdogan et la bande de Gülen. Entre 2003 et 2009 elles ont gouverné ensemble et agi de concert pour éliminer de l'appareil d'État les forces kémalistes.
À partir de 2009 il n'y avait plus de menace kémaliste mais le gâteau à partager s'est nettement réduit. Erdogan et son entourage se sont cru politiquement tout permis.
En gros, à partir de 2010 Erdogan et consorts se sont senti pousser des ailes à la suite de leurs succès économiques et politiques. Ils ont parlé d'une période « néo-ottomane » et ont voulu mener leur barque à leur guise même quand il risquait d'y avoir conflit avec les États-Unis. Notamment ils ont contrarié la politique des États-Unis, s'agissant du blocus économique de l'Iran et aussi vis-à-vis de la Syrie.
Les États-Unis ont cherché à faire plier l'Iran par un blocus économique et financier. Cela aurait signifié des pertes importantes pour les hommes d'affaires proches d'Erdogan, notamment concernant les importations de gaz et les exportations de produits alimentaires. Le régime d'Erdogan a contourné ce blocus financier en effectuant des règlements en or, et il a poursuivi cette pratique malgré les avertissements des États-Unis. Ces derniers ont considéré cela comme une trahison de la part de leur allié Erdogan.
Dans le cas de la Syrie, au début le gouvernement Erdogan est intervenu directement dans le conflit sans trop écouter les États-Unis. Il espérait conquérir un rôle prépondérant en armant des milices islamistes pour renverser rapidement le régime d'Assad. Or les États-Unis n'étaient pas d'accord pour renverser Assad en le remplaçant par des partis islamistes. Le gouvernement d'Erdogan n'en a pas moins continué à armer les milices proches d'al-Qaida et de l'État islamique dont on parle beaucoup aujourd'hui. Et plusieurs témoignages montrent qu'aujourd'hui le gouvernement AKP continue à soutenir indirectement les milices de l'État islamique.
Le problème kurde n'est toujours pas réglé, malgré les prétentions du gouvernent AKP de régler cette question. Le gouvernement continue ses pourparlers avec le HDP, le Parti démocratique du peuple, un parti nationaliste kurde qui avait engagé un processus de paix avec le gouvernement. Ces derniers mois il y a eu une sorte de rupture à cause de l'affaire de Kobané. Mais depuis quelques semaines, les pourparlers ont de nouveau repris. De mauvaises langues disent que si le gouvernement fait semblant de faire des gestes, c'est qu'il a besoin des voix kurdes pour les élections générales prévues avant juin 2015.
Quant à la situation économique, depuis début juin de cette année, on constate une dégradation nette. La livre turque a déjà perdu plus de 20 % de sa valeur face au dollar. D'où une baisse de pouvoir d'achat de l'ordre de 20 % pour cette période. Le bâtiment, qui était un des moteurs de l'économie, risque de s'écrouler. En parallèle depuis plusieurs années les conditions de travail et de sécurité se dégradent très nettement, notamment dans le bâtiment et les mines.
On a en mémoire l'accident des mines de Soma au mois de mai dernier, qui a fait 301 morts, et l'accident dans le bâtiment à Istanbul début septembre, dans lequel dix travailleurs ont trouvé la mort par la chute d'un ascenseur.
D'après les chiffres officiels, entre 2003 et 2012 il y a eu plus de 12 000 morts par accidents du travail, dont presque un tiers dans le bâtiment. En 2013, 1 235 ouvriers sont décédés par accidents du travail, dont 294 dans le bâtiment, soit plus de trois par jour. Et pour 2014 les chiffres sont encore en nette augmentation puisque pour les huit premiers mois il y a déjà eu 1 270 morts.
Malgré la crise et la dégradation des conditions de travail de la classe ouvrière, celle-ci n'est pas démoralisée pour autant. On a pu le voir à travers plusieurs luttes. Depuis une semaine, les 2 800 travailleurs de la centrale thermique de Yatagan luttent pour en empêcher la privatisation. Cet été, dans la banlieue d'Istanbul, 800 travailleurs d'une usine d'alimentation ont fait grève pendant 24 jours à propos des salaires et des conditions de travail et ont en partie obtenu satisfaction. Le 7 septembre, deux jours après l'accident d'ascenseur sur un grand chantier du centre d'Istanbul, 3 000 travailleurs des chantiers d'Ikitelli, dans la grande banlieue de la ville, ont cessé le travail pour protester contre les conditions de travail, les salaires, la mauvaise nourriture. Ils sont descendus en masse pour bloquer le boulevard périphérique pendant plus d'une heure. À la suite de quoi des négociateurs ont été délégués sur place et ont calmé les manifestants en acceptant une bonne partie de leurs revendications. Les dirigeants ont accepté la représentativité d'un comité composé de dix travailleurs.
Le sujet le plus sensible concerne un des acquis obtenu il y a plus de 75 ans, à savoir les indemnités de licenciement. En effet les 12 millions de travailleurs déclarés, sur un ensemble de 25 millions, sont ceux des grandes entreprises clés qui jouent un rôle déterminant dans l'économie. Actuellement, les indemnités de licenciement ou de départ sont d'un mois de salaire par année d'ancienneté. Même le gouvernement militaire d'après le coup d'État de 1980 n'a pas osé toucher à ce droit. Mais depuis plus de trois ans le patronat fait pression sur le gouvernement pour revenir sur cet acquis. Régulièrement le gouvernement fait des tentatives en déclarant qu'il va réviser cet accord, mais chaque fois il recule de peur d'une explosion sociale et surtout de perdre une bonne partie de son électorat.
Workers' Fight (Combat ouvrier - Grande-Bretagne)
Comme vous le savez peut-être, nous sommes en pleine période préélectorale. Un nouveau gouvernement doit être élu en mai prochain et les principaux partis politiques sont pris de frénésie électorale. D'autant plus qu'ils doivent faire face à la montée d'un concurrent - le parti pour l'Indépendance du Royaume-Uni, ou Ukip. Il s'agit d'un parti dont la politique se réduit à une virulente rhétorique antieuropéenne et anti-immigrés. Mais il a réussi à faire ce qu'aucun parti n'avait pu faire depuis près d'un siècle, en battant les deux grands partis qui monopolisent le système politique britannique lors d'une élection nationale - en l'occurrence les élections européennes, où Ukip est arrivé en tête avec 27,5 % des voix. Qui plus est, il vient d'obtenir ses deux premiers sièges au Parlement en remportant deux élections législatives partielles.
Pour l'essentiel, on peut considérer Ukip comme l'extrême droite antieuropéenne du Parti conservateur et il s'est surtout développé grâce aux membres du Parti conservateur qui l'ont rejoint. Mais Ukip a également attiré d'anciens membres des divers groupes d'extrême droite, dont il s'efforce de neutraliser les écarts de langage afin de garder une image à peu près présentable.
Dans le passé, l'audience « naturelle » de Ukip venait essentiellement de l'électorat petit-bourgeois du Parti conservateur. Mais pour augmenter ses scores, il vise maintenant des électeurs des classes populaires parmi ceux qui votaient travailliste jusqu'à présent et ceux qui avaient renoncé à voter. Pour cela, Ukip use d'une double stratégie : d'un côté il joue sur le fait que nombre de ces électeurs se sentent abandonnés par les travaillistes ; de l'autre il cherche à donner une voix aux préjugés anti-immigrés qui existent dans leurs rangs.
Le problème, bien sûr, est que du fait de sa montée électorale les relents malodorants de la politique de Ukip ont tendance à tenir une place croissante dans la campagne électorale. Et le fait que l'immigration est constamment présentée comme une sorte de « menace » contribue à attiser les préjugés anti-immigrés et racistes. Et ceci d'autant plus que les grands partis répondent à Ukip en se livrant à une surenchère sur le même terrain. Ainsi on parle maintenant de quotas d'immigration pour les pays de l'Union européenne. Au cours de la semaine écoulée, le Premier ministre conservateur David Cameron a déclaré qu'il envisageait de supprimer toutes leurs allocations sociales aux travailleurs européens ayant un emploi. Qui plus est, ces travailleurs ne pourraient bénéficier des services de santé qu'après avoir travaillé en Grande-Bretagne pendant au moins quatre ans.
Quant au Parti travailliste, ses représentants avaient dit la même chose en des termes plus vagues quelques semaines auparavant. Simplement, ils avaient invoqué des arguments encore plus hypocrites, en particulier en disant que l'immigration de travailleurs non qualifiés en provenance de l'Union européenne exerçait une pression à la baisse sur les salaires des travailleurs anglais. Comme si cette pression à la baisse n'était pas le fait d'un patronat bien anglais !
Que pensent les travailleurs de tout cela autour de nous ? Ils entendent le gouvernement se vanter d'avoir sorti le pays de la crise, contrairement au reste de l'Europe. Mais eux savent bien que, dans le monde réel, leur situation matérielle continue à s'aggraver, qu'il n'y a pas d'emplois décents et que leur pouvoir d'achat baisse. Alors certains finissent par tomber dans le piège des politiciens qui leur disent que les immigrés européens sont venus prendre les emplois créés par cette prétendue « reprise ».
Mais la vérité sur ces emplois on peut la trouver dans les propres statistiques du gouvernement. Le nombre des travailleurs employés a augmenté de 1,1 million entre janvier 2008 et août 2014, mais seuls 26 000 ont été embauchés sur des emplois permanents à plein-temps. C'est-à-dire qu'un seul de ces prétendus emplois créés sur quarante était un véritable emploi, tandis que les 39 autres étaient des emplois précaires. Qui plus est, nombre d'emplois existants ont été transformés en emplois précaires par le jeu du passage en sous-traitance. En fait, la proportion des travailleurs atteints par le chômage ou le sous-emploi atteint un niveau record.
Parmi ces emplois précaires, il y a aujourd'hui, officiellement, 1,4 million d'emplois « zéro-heure », sans horaire ni paie garantis - dans la restauration, l'hôtellerie, le commerce, les bureaux, la logistique, etc. Pire encore, les deux tiers de l'augmentation officielle du nombre des travailleurs considérés comme employés tiennent à la montée en force d'une autre catégorie de précaires - ceux que l'on appelle les auto-employés. Ils sont aujourd'hui 4,6 millions, soit 15 % du total - un record historique. Ces travailleurs n'ont ni congés payés, ni congés maladie. Ils doivent payer eux-mêmes l'intégralité de leurs cotisations sociales et de retraite, sans que leur employeur débourse un centime, et ils ne sont pas couverts par les réglementations du travail en matière de durée du travail et d'hygiène et sécurité. Qui plus est, leur revenu moyen est d'environ la moitié de celui des salariés fixes à plein-temps.
Il ne faut donc pas s'étonner du fait que les vantardises du gouvernement concernant l'économie ne fassent que dissimuler des statistiques de la pauvreté qui ont de quoi choquer. C'est ainsi qu'un cinquième de la population vit en dessous du seuil de pauvreté tandis qu'un million de personnes ont recours aux soupes populaires. Le salaire réel moyen a baissé chaque année depuis 2008, avec une baisse totale de 9 % sur cette période - de sorte que le pouvoir d'achat des salariés est maintenant revenu à ce qu'il était en 1997. Les difficultés résultant du bas niveau des salaires et des baisses d'allocations sociales dues à la politique d'austérité du gouvernernent sont exacerbées par le manque de logements sociaux, qui oblige les familles ouvrières à payer des loyers exorbitants à des loueurs privés. Les expulsions de locataires privés sont devenues la principale cause de l'augmentation du nombre des SDF.
Pour toutes ces raisons, les manifestations pour des hausses de salaire organisées par le Trade Unions Congress (TUC, confédération des syndicats) le 18 octobre auraient dû avoir une résonance particulière - et elles en auraient eu une si les appareils syndicaux avaient réellement cherché à mobiliser les travailleurs. D'autant que ces manifestations venaient après une semaine marquée par des grèves contre le gel des salaires dans le secteur public. Cela aurait pu être le plus important mouvement pour les salaires depuis bien longtemps. Mais les leaders syndicaux ont tout fait pour qu'il n'en soit rien. D'abord en organisant les grèves par secteur, les unes après les autres ; ensuite en limitant la grève de la Santé à un débrayage de quatre heures, qui privait une grande partie du personnel d'y participer ; enfin en annulant au dernier moment la grève des travailleurs municipaux, qui sont de loin le plus gros contingent du secteur public. Et bien sûr, depuis, il n'y a pas eu de suite, hormis un autre débrayage de quatre heures dans la Santé. Autant dire que ce n'est pas ce qui va résoudre le problème des bas salaires.
Bund Revolutionärer Arbeiter (Union des travailleurs révolutionnaires, Allemagne)
Après plusieurs années de discours sur un prétendu « essor » de l'économie allemande, le ton a changé. Maintenant les experts autoproclamés se succèdent dans les médias pour demander : « L'Allemagne échappera-t-elle à la récession ? » et pour réclamer un effort commun pour redresser la courbe de la croissance - autrement dit des sacrifices de la population laborieuse.
À vrai dire, même pendant ces dernières années d'une relative stabilité économique, il n'y a jamais eu de répit pour les travailleurs. Même quand les entreprises produisaient à fond et que les carnets de commandes étaient pleins, les plans de suppressions d'emplois et réductions de coûts continuaient. La production à fond, cela signifiait pour les travailleurs surtout l'exploitation et la fatigue à fond, et c'était de plus en plus de travailleurs d'entreprises sous-traitantes et à bas salaire.
Mais avec la récente évolution économique les patrons commencent à durcir encore leurs attaques. Les annonces de licenciements dans des trusts comme Daimler, Schenker et de façon massive dans des entreprises moyennes donnent un petit avant-goût de ce qui attend les travailleurs.
Il en va de même pour le gouvernement. Celui-ci est en train de préparer les prochaines attaques par différents biais. D'abord avec ses discours incessants sur la fameuse « rigueur budgétaire ». Ainsi, le gouvernement de grande coalition se vante que son budget 2015 voté récemment ne ferait pas de nouvelles dettes, pour la première fois depuis 1969. Et Merkel l'annonçait dans les termes suivants : « Jusqu'à présent, l'Allemagne a vécu au-dessus de ses moyens. Maintenant ce sera fini une fois pour toutes. » Cela laisse présager l'avenir.
Il y a un autre discours ignoble et directement dirigé contre les travailleurs. Dans la première année de son gouvernement, la grande coalition entre le parti de droite de Merkel et le parti social-démocrate SPD avait honoré quelques promesses électorales, censées avant tout calmer la base du SPD qui n'était pas très contente à l'idée d'être à nouveau le petit partenaire d'une grande coalition sous Merkel. Ces mesures, c'étaient un salaire minimum de 8,50 euros, une retraite à 63 ans au lieu de 65 pour les travailleurs ayant travaillé au moins 45 ans, et la « retraite des mères », une augmentation de la pension mensuelle de retraite de 28 euros pour chaque enfant élevé.
Le gouvernement a tout fait pour que ces mesures restent très limitées et avec le moins d'effet possible. Mais cela ne l'empêche pas aujourd'hui de rendre ces mesurettes responsables de l'actuel recul économique. Ne craignant pas le ridicule, les prétendus experts économiques prétendent que le salaire minimum de 8,50 euros, même pas encore introduit, ferait tellement peur aux patrons qu'ils n'investiraient plus. Ils expliquent que les quelques travailleurs qui partent un peu plus tôt à la retraite pousseraient l'économie à la récession. Oui, ils osent faire croire que les travailleurs qui ne veulent plus travailler pour cinq euros de l'heure, et ceux qui veulent partir à la retraite après 45 ans de cotisation, seraient responsables des mesures de crise des patrons, responsables des licenciements, des externalisations, des coupes dans les salaires ! Tout cela évidement dans un but bien précis : préparer le terrain aux prochaines attaques, qui permettront aux patrons d'exploiter les travailleurs encore plus librement.
Une première loi du gouvernement prévue dans ce contexte est une loi pour restreindre encore le droit de grève, pourtant déjà bien limité en Allemagne. Déjà aujourd'hui il n'y a pas de droit de grève individuel, ni de droit de grève politique. On n'a le droit de faire grève que si un syndicat y appelle. Et celui-ci n'a le droit d'appeler à la grève que lors des négociations autour des conventions collectives, donc en gros une fois tous les deux ans.
La nouvelle loi, d'ailleurs élaborée par une ministre social-démocrate, veut maintenant imposer que seul un syndicat par entreprise ait le droit de négocier la convention collective. Souvent, il n'y a d'ailleurs qu'un seul syndicat dans l'entreprise. Mais il y a de plus en plus de cas où il y en a plusieurs : des syndicats corporatistes en particulier, ou deux syndicats dont un plus proche du patron et l'autre un peu plus combatif. La nouvelle loi interdirait au plus petit des syndicats de négocier les conventions collectives et donc... d'appeler à la grève. Un syndicat plus combatif mais minoritaire serait totalement privé du droit d'appeler à la grève, sous la menace d'amendes pouvant atteindre des centaines de milliers, voire des millions d'euros.
C'est dans ce contexte qu'a eu lieu la grève des conducteurs de train de l'entreprise de chemins de fer allemande, la Deutsche Bahn. Leur syndicat, GDL, est justement un de ces syndicats corporatistes minoritaires dont l'existence est menacée par la nouvelle loi. Ils ont fait grève, dans le cadre des négociations de salaires, pour imposer qu'en dépit de la loi leur droit à négocier et à appeler à la grève soit garanti par la Deutsche Bahn.
Un flot de calomnies quasi hystériques a été déversé sur les cheminots, traités à l'unisson de « dangereux irresponsables », de « forcenés » auxquels il faudrait ôter le pouvoir de paralyser la moitié de l'économie. Hommes politiques et journalistes paraissaient très fâchés de voir des travailleurs démontrer par leur grève que sans leur travail, rien ne fonctionne. D'ailleurs une des organisations patronales a directement enchaîné pour revendiquer l'interdiction de toutes les grèves dans tous les transports, le secteur énergétique et autres services clés pour les entreprises, en expliquant sérieusement que « dans une période si difficile de crise économique, les entreprises ne doivent pas être inquiétées ».
L'Internazionale (L'Internationale - Italie)
Année après année, le nombre de chômeurs a augmenté, la situation des salaires s'est aggravée, tandis que la précarité des emplois augmentait. Les chômeurs à la fin octobre étaient au nombre de 3 410 000, soit une augmentation de 9 % par rapport à l'année précédente. Le taux de chômage des jeunes a atteint 43,3 %. Toutes les institutions et les centres d'analyse économique démentent les déclarations optimistes de ceux qui parlent de « reprise » ou de « la lumière au bout du tunnel ». Selon l'institut des statistiques Istat, nous en sommes au treizième trimestre consécutif sans aucune croissance du PIB.
Devant cette situation, Renzi et son équipe du gouvernement font semblant d'agir sur l'économie et même de jouer un rôle encore « révolutionnaire ». Ils servent à l'opinion publique la fable d'un gouvernement de jeunes qui serait en train de démolir tout l'édifice des vieilles bureaucraties et des anciens privilèges et qui, sur ces ruines, préparerait la relance économique et sociale du pays. Mais ce genre de tour de passe-passe fonctionne de moins en moins.
Dans la réalité, Renzi s'échine à faire passer des lois souhaitées par la grande bourgeoisie. Il vient de lancer son « Jobs act », sa nouvelle loi sur l'emploi, à laquelle il donne un nom anglais. Elle a déjà été approuvée à la Chambre des députés et est en attente d'approbation au Sénat. C'est une loi qui affaiblit encore la position des travailleurs face aux patrons, en les mettant complètement à leur merci concernant les salaires, la garantie de l'emploi, la classification professionnelle, les libertés de discussion et d'organisation dans les usines.
C'est ainsi que le président de la Confindustria, le Medef italien, a déclaré que Renzi « est en train de réaliser ses rêves ».
Un quotidien, le Fatto du 27 novembre, a titré que « le Jobs Act, la loi sur l'emploi de Renzi, a été écrite par la Confindustria ». L'article explique que le travail de copier-coller du gouvernement, s'est basé sur un document de la Confindustria d'il y a quelques mois.
Avec le malaise, la dégradation des conditions sociales, la croissance de la misère, en Italie aussi on voit la confusion se répandre dans de larges secteurs de la population. Il y a des courants et des groupes politiques qui soufflent sur les flammes du racisme, de la xénophobie et d'un nationalisme économique de bas étage. La Ligue du Nord est le courant le plus structuré sur ce plan. Elle a eu un succès électoral partiel en Émilie-Romagne avec une propagande qui mélange la défense des retraites et la lutte contre les camps de Roms, l'opposition à la monnaie unique et l'aide aux familles défavorisées. Mais il y a aussi des groupes ouvertement néo-fascistes, comme dans le cas de certains quartiers de Rome et Milan, qui poussent à des manifestations de rue contre les étrangers, souvent à la limite des pogroms.