C'est finalement une «grande coalition» entre la CDU-CSU et le SPD qui a été mise en place en Allemagne, avec Angela Merkel comme chancelière. Ainsi les deux grands partis, l'un de droite et l'autre dit de gauche, qui alternent au pouvoir depuis un demi-siècle, se sont mis d'accord pour gouverner ensemble l'Allemagne dans la période à venir.
Pourtant les élections législatives anticipées qui ont eu lieu le 18 septembre dernier se sont traduites par un double désaveu, pour le chancelier social-démocrate sortant Gerhard Schröder et pour la candidate de droite Angela Merkel. Le Parti social-démocrate (SPD) a perdu 2300000 électeurs par rapport aux législatives de 2002 et, avec 34,2% des voix, a reculé de 4,3%, tandis que ses alliés Verts abandonnent également 272000 voix. Quant à la CDU-CSU, si elle atteint 35,2% des suffrages, elle a aussi reculé de 1850000 voix et accusé une perte de 3,3 points. Ce recul n'a pas été compensé par la progression de son partenaire habituel, le Parti démocratique libéral (FDP). Pour la première fois depuis 1953, les deux grands partis qui dominent la vie politique n'atteignent pas, ensemble, les 70%. Il faut noter également que la participation électorale, si elle reste nettement supérieure à ce qu'on a pu observer en France lors de scrutins comparables, a diminué et atteint, avec 77,7%, son niveau le plus bas depuis la guerre.
Des signes de mécontentement
Le résultat du scrutin est d'abord le signe du discrédit qui existe dans la partie populaire de l'électorat envers le chancelier sortant et la politique qu'il a menée. «Si nous n'arrivons pas à réduire le chômage de manière significative, nous n'aurons pas mérité d'être réélus», avait déclaré Gerhard Schröder lors de son élection en 1998, après 16années de pouvoir ininterrompu de la droite. À l'époque, le pays comptait, selon les statistiques officielles, 4,2 millions de chômeurs. On en recensait 4,7 millions en septembre 2005, après que le cap symbolique des 5 millions, soit le niveau le plus élevé depuis 1945, a été dépassé au début de l'année. Non seulement Gerhard Schröder n'a pas réduit le nombre des sans-emploi mais il a mené, au cours de ces sept années, une série d'attaques anti-ouvrières comme il n'y en avait pas eu depuis longtemps.
Dans le cadre de l'Agenda 2010, visant en fait à diminuer les prestations que l'État apportait à ceux qui en avaient besoin afin de mieux subventionner le patronat et les riches, il a taillé en pièces les allocations de chômage et la garantie d'un revenu minimum, en subordonnant les aides que reçoivent les chômeurs à l'acceptation de n'importe quel emploi, y compris ceux nouvellement créés à un euro de l'heure. Il a aussi introduit une privatisation partielle de l'assurance-retraite, «réformé» l'assurance-maladie en introduisant une participation financière des assurés aux dépenses de santé, et gelé les retraites depuis deux ans.
En novembre 2001, il a aussi engagé la Bundeswehr en Afghanistan en soutien à l'armée des USA qui s'apprêtait à envahir le pays. À l'époque, une seule députée social-démocrate a voté contre cette décision, qui foulait au pied le sentiment pacifiste de bien des électeurs du SPD, et elle a dû quitter le groupe parlementaire du parti.
Seule la social-démocratie, en pesant de tout son poids, était sans doute en mesure d'imposer aux classes populaires une telle cure d'austérité. Il faut d'ailleurs noter que cela s'est produit sous la direction de deux hommes dont la jeunesse politique avait été marquée plutôt «à gauche», Gerhard Schröder et Joschka Fischer. Le premier avait commencé son ascension dans les Jeunesses du SPD, les Jusos, dont il est devenu président en 1978-1980, après s'être fait remarquer en prenant une position «marxiste antirévisionniste»... avant d'entamer rapidement une carrière politicienne dans l'appareil du SPD de Basse-Saxe. Le second est un ancien participant aux luttes de la fin des années soixante, membre à l'époque d'un groupe dénommé Combat révolutionnaire, un moment ouvrier chez Opel..., qui est devenu le chef de file des Verts et le ministre des Affaires étrangères d'une des principales puissances impérialistes de la planète.
Après avoir fait le «sale travail», Gerhard Schröder a tenté, en ayant recours à des élections anticipées, de sauver les meubles. Son «métier» politicien l'a conduit à reprendre, pour un temps, un langage un peu plus «social». Et au travers d'une campagne électorale très personnalisée, il a réussi à éviter la catastrophe électorale que tous les sondages lui prédisaient jusqu'au début août, après une série de reculs dans toutes les élections régionales ou municipales de ces dernières années, en agitant l'antienne : «Avec la CDU, ce sera pire que nous».
De son côté la droite, sûre d'elle, persuadée qu'une partie de l'électorat du SPD voterait pour elle par dépit, comme cela s'était produit lors de l'élection de Rhénanie-du-Nord-Westphalie de mai 2005, a présumé de sa victoire en étalant des projets plus réactionnaires les uns que les autres : tranche d'impôt sur le revenu unique à 25%, suppression de l'exemption fiscale des primes de nuit, de dimanche et de jours fériés, hausse de la TVA de 16 à 18% sur les produits de consommation courante, nouvelles facilités pour licencier, forfait par tête pour l'assurance-maladie. Tout cela a créé un effet repoussoir et, finalement, la CDU a obtenu un résultat très en retrait de ce qu'elle attendait.
Il faut aussi noter que, malgré une légère progression (de 1,6 point pour atteindre 2,2% des voix), l'extrême droite n'a pas effectué la percée qu'elle espérait et que pouvaient laisser craindre les résultats obtenus dans des scrutins régionaux au cours des années précédentes (9,2% en Saxe en 2004, 6,7% à Brême en 2003). Dans un contexte où le chômage est important, où la CDU a fait campagne contre l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, fournissant un point de départ à la démagogie xénophobe, où les médias révèlent régulièrement le cas de travailleurs polonais travaillant bien en dessous du tarif, on peut se réjouir du fait que ce ne sont pas les courants les plus réactionnaires qui ont progressé, comme cela s'est malheureusement produit, au cours des années passées, en Autriche, en Suisse, en Italie du Nord, aux Pays-Bas ou en France avec Le Pen.
Le SPD et la CDU donnaient donc aux électeurs le choix entre approuver les attaques passées en votant pour le premier... ou acquiescer aux attaques à venir en plébiscitant la seconde. Eh bien, on peut au moins relever le fait positif qu'ils n'ont donné raison à aucun des deux. La majorité de l'électorat a même signifié qu'elle ne souhaite pas une politique plus à droite. Et aucun des deux blocs (CDU/FDP et SPD/Verts) n'a obtenu de majorité au Bundestag lui permettant de gouverner seul. Ils ont donc été obligés de négocier et ont finalement choisi de former une coalition.
Le seul élément nouveau du scrutin est l'émergence électorale du Parti de gauche qui obtient 4,1 millions de voix, soit 8,7% des suffrages exprimés et 54 députés. Il progresse de plus de 2,1 millions de votes. À l'Est, il atteint 25,3% et devient le deuxième parti derrière le SPD. Et si, à l'Ouest, son résultat est bien plus modeste (4,9%), il obtient ses meilleurs scores dans des circonscriptions populaires (Duisbourg, Gelsenkirchen, Essen, Herne et Bochum, dans la Ruhr; mais aussi dans les quartiers ouvriers de Hambourg, de Brême ou de Kaiserslautern). Et d'après les sondages effectués à la sortie des urnes, il aurait obtenu, à l'échelle nationale, 23% des voix des chômeurs et 12% de celles des ouvriers.
Une fraction de la classe ouvrière s'est donc servie du vote en faveur du Parti de gauche pour exprimer sa protestation contre les mesures prises, sa défiance vis-à-vis du SPD et son souhait de maintenir un certain nombre d'acquis sociaux. Même s'il demeure limité, ce résultat est d'autant plus notable que c'est la première fois depuis bien longtemps qu'un parti qui se situe à la gauche du SPD obtient un tel score. Par exemple, en 1949, lors des premières élections au Bundestag après la guerre, le Parti communiste n'avait obtenu que 5,7% des suffrages, un score qu'il n'a jamais égalé par la suite.
Mais ce résultat ne doit nullement masquer le fait que le Parti de gauche, tant par ses origines que par les dirigeants qu'il s'est donné, est un nouvel avatar de parti réformiste, très loin d'être un représentant politique intransigeant de la classe ouvrière, de ses intérêts et de ses combats.
Des staliniens reconvertis en sociaux-démocrates...
En réalité, les listes qui se sont présentées sous l'étiquette du Parti de gauche reposaient sur une coalition de différents partis.
Sa principale composante est issue du Parti du socialisme démocratique (PDS). Il s'agit d'un morceau de l'appareil de l'ancien parti stalinien au pouvoir en Allemagne de l'Est de 1945 à 1989, le Parti socialiste unifié (SED). Après 44 ans de dictature et 28 ans d'existence du Mur de Berlin, il aurait pu ne pas survivre à un tel passé et tout simplement disparaître. Dans les autres ex-démocraties populaires, l'ancien personnel politique s'est, au tournant des années 1989-1990, dispersé largement dans tout l'éventail des partis qui sont alors apparus, mêlant, à des degrés divers, politique et affairisme pur et simple. Mais en Allemagne, sur le plan politique, les places étaient déjà solidement occupées, à gauche par le SPD, qui, dès la chute du Mur, s'est étendu à l'Est du pays. L'appareil du SED ne pouvait donc pas se transformer en parti social-démocrate classique. Il ne pouvait pas non plus se reconvertir massivement en parti des affairistes. Car la grande bourgeoisie ouest-allemande s'est rapidement emparée, à bas prix, de tout ce qui, dans le potentiel économique de la RDA, lui paraissait intéressant pour faire fructifier ses profits, et la majorité des autres entreprises d'État, combinats ou fermes collectives, a été fermée.
Dans ce contexte, un certain nombre de cadres intermédiaires du SED, d'anciens staliniens toujours convaincus que le Mur était une nécessité comme ceux qui s'étaient reconnus dans la politique de perestroïka menée par Gorbatchev au cours des années 1985-1989, ont tenté, après avoir mis de côté les dirigeants les plus impliqués dans l'ancien régime, de maintenir une existence politique sous un nouveau nom en créant le PDS. Et comme la situation économique s'est rapidement dégradée à l'Est, avec l'apparition d'un chômage de masse inconnu depuis des décennies, ce parti a réussi à conserver un capital électoral dans ce qu'on appelle en Allemagne les«nouveaux Länder», en se faisant l'écho des déceptions de la population, et en apparaissant pour une partie d'entre elle comme le seul parti qui la représente alors qu'elle se sent abandonnée. Mais il n'a jamais réussi à percer à l'Ouest, où la situation économique est moins catastrophique et où son image d'héritier du parti de la dictature stalinienne perdure dans toute une partie de l'électorat. Sur les 70000 membres qu'il revendique aujourd'hui, il n'en compte ainsi qu'environ 4000 à l'Ouest. Pour tenter d'exister dans ce qui correspond à l'ancienne République fédérale, le PDS a même accueilli en son sein un certain nombre de militants d'extrême gauche. C'est ainsi que l'ancien responsable de la section allemande du Secrétariat unifié de la Quatrième internationale, Winfried Wolf, a été élu au Bundestag sur les listes du PDS de 1994 à 2002.
Comme il n'a pas, pour l'instant, été associé au pouvoir central, le PDS apparaît plus à gauche que le SPD. Mais depuis quinze ans qu'il existe, il n'a cessé, de congrès en congrès, de modifier ses références pour ne plus guère se différencier de la social-démocratie, mettant toujours plus en avant les discours sur la «solidarité», la «justice» et la «démocratie», sans jamais leur donner un contenu concret. Et il n'a pas été gêné de s'associer avec le SPD pour gérer deux Länder de l'Est du pays, Berlin et le Mecklembourg-Poméranie occidentale. Il y cautionne les coupes claires qu'effectuent les gouvernements de ces Länder dans les budgets sociaux et dans les services publics.
Grâce à son implantation à l'Est, le PDS a toutefois fini par se faire une petite place en tant qu'appareil réformiste. Mais il demeurait sans perspective au niveau national, avec un nombre d'adhérents se réduisant régulièrement et des résultats électoraux incertains (lors des législatives de 2002, il avait, avec 4% des voix, quasiment disparu du Bundestag, n'y conservant que deux députés, élus dans leurs circonscriptions de Berlin-Est).
... Aux déçus de la social-démocratie
La seconde composante des listes qui se sont présentées sous l'étiquette Parti de gauche provient du SPD. Lorsqu'il s'est avéré qu'au sein de ce dernier il n'y avait aucune place pour une critique de sa politique, et devant les résultats électoraux calamiteux de Schröder, diverses initiatives ont surgi pour aboutir d'abord à une association nommée «Wahlalternative Arbeit und soziale Gerechtigkeit» (WASG), (Alternative électorale pour le travail et la justice sociale). Ce regroupement est né d'initiatives fusionnées de responsables syndicaux, essentiellement de deux fédérations appartenant à la grande confédération syndicale DGB, celles de la métallurgie (l'IG Metall) et celle des services (ver.di), de la revue Sozialismus et de militants altermondialistes. Ce qui n'était au départ qu'une association s'est transformé en un parti, en janvier 2005. Le SPD a aussitôt décidé de l'incompatibilité de l'adhésion à la WASG avec l'appartenance au SPD et demandé aux membres de la WASG de quitter cette dernière, considérant ceux qui ne suivraient pas cette décision comme exclus.
La WASG s'est donnée comme porte-parole Klaus Ernst, responsable de l'Union locale de l'IG Metall de Schweinfurt, une ville moyenne de Franconie, en Bavière. Et elle a aussi accueilli, parfois avec réticence, un certain nombre de groupes se réclamant du trotskisme qui, après s'être investis dans le passé, les uns dans le mouvement pacifiste, les autres chez les Verts ou dans le SPD, se sont précipités à la WASG.
Quant à ses références politiques, elles sont encore moins radicales que ne l'étaient celles des Verts ou du PDS à leurs débuts. C'est ainsi que, par exemple, on ne trouve même pas une seule fois le mot «socialisme» dans les vingt-huit pages de son programme, et que le préambule de ce dernier se contente d'affirmer : «Notre action politique s'oriente vers l'idée directrice de la justice sociale». Une phrase que même un politicien de droite pourrait reprendre.
En fait, s'il se veut l'expression électorale du mécontentement qui existe dans le monde du travail envers les mesures prises par le SPD, le nouveau parti n'entend nullement bouleverser l'ordre capitaliste. Il limite son argumentaire à la défense de «l'État social», terme utilisé pour magnifier la situation ayant existé dans les années soixante et soixante-dix, époque où le SPD était déjà, depuis bien longtemps, un gérant loyal du capitalisme mais où la situation de ce dernier permettait un certain nombre de concessions aux travailleurs. Mais la crise, qui s'est accentuée depuis, a conduit la bourgeoisie à reprendre tous les (petits) avantages qu'elle avait concédés au monde du travail. Et le fait de se contenter de proposer, aujourd'hui, de revenir à l'apparente conciliation des intérêts du capital et du travail qui prévalait alors, et que la bourgeoisie a abandonnée, est un vœu pieux qui ne peut tenir lieu de politique pour les travailleurs confrontés à une classe capitaliste de plus en plus agressive.
Au départ, la WASG ne voulait pas travailler avec le PDS ni se présenter avec lui. Certains de ses membres lui reprochaient, en particulier, sa participation à la gestion «antisociale» de deux Länder de l'Est. Le petit groupe de la WASG de Berlin provient d'ailleurs lui-même d'une scission du PDS de militants mécontents de cette attitude. D'autres ne souhaitaient simplement pas s'afficher avec un parti qui porte encore trop la marque de l'Est. D'ailleurs la WASG s'est présentée contre le PDS en Rhénanie du Nord-Westphalie en mai dernier, et a obtenu 2,2% des voix, contre 0,9% à celui-ci.
C'est la décision de dissolution anticipée du Parlement, prise par Gerhard Schröder juste après ce scrutin régional, qui a précipité la conclusion d'une alliance entre les deux formations. Leurs dirigeants respectifs ont tout de suite compris où était leur intérêt : en se présentant séparément, ils risquaient de n'avoir aucun élu. C'était évident pour la WASG qui, seule, n'aurait pas atteint la barre des 5%, nécessaire pour entrer au Bundestag. Le risque existait aussi pour le PDS, même si les sondages faisaient état d'une légère remontée de sa cote.
En outre leurs forces étaient complémentaires, le PDS disposant encore d'une base importante à l'Est, tandis que l'implantation de la WASG se limite à l'Ouest du pays, où, même faible, elle pouvait représenter un apport précieux pour le PDS. Il a tout de même fallu deux mois aux deux directions pour faire accepter cette perspective par leurs bases respectives. C'est à ce moment-là, juste au lendemain de l'annonce des nouvelles élections, que le vieux cheval de retour de la politique allemande, Oskar Lafontaine, s'est manifesté. Ministre-président de la Sarre de 1985 à 1998, président du SPD en 1995 et 1999, ministre des Finances dans le gouvernement de Schröder en 1998, il s'était mis en réserve en 1999 en quittant le gouvernement mais était resté membre du parti. Il n'en a démissionné que le 24 mai dernier pour rejoindre la WASG et devenir aussitôt sa figure de proue. Avec Oskar Lafontaine, le nouveau regroupement a gagné un politicien éprouvé. Avec lui, un seul autre responsable de niveau comparable a rejoint la WASG : Ulrich Mauer, ex-secrétaire du SPD pour le Bade-Wurtemberg et député régional dans ce même Land, membre du Comité directeur du parti de 1990 à 2003.
Comme la loi n'autorise pas les coalitions de partis à présenter des candidats, la seule solution était que le PDS constitue ce qu'on appelle en Allemagne des «listes ouvertes», qui peuvent accueillir des candidats extérieurs. Mais la WASG ne voulait pas figurer sur des listes intitulées PDS, un nom qui, pour elle, sentait encore le soufre du stalinisme. C'est pourquoi le PDS a changé de nom, devenant en juillet le Parti de gauche. Cela ne s'est pas fait sans mal. Une partie de sa base voulant conserver la référence au socialisme, il a été décidé que les listes du Parti de gauche pourraient continuer à accoler l'étiquette PDS à leur nom. C'est ce qui s'est passé dans les Länder de l'Est du pays.
Enfin, sur les listes communes, quelques places ont été réservées à des candidats de la Fédération des unions démocratiques de travailleurs turcs (DIDF) -qui a eu un élu- et du Parti communiste allemand (DKP), le PC ouest-allemand qui, après une crise profonde en 1989-1990 (il a perdu à cette époque les deux tiers de ses membres), a refusé de rejoindre le PDS et repris un peu de vigueur en tentant de maintenir une identité communiste.
Recomposition à la gauche de la gauche ou réédition d'un scénario connu ?
Aucun changement politique et social n'est évidemment à attendre du résultat des élections, mais au contraire la continuation de la même politique anti-ouvrière menée au cours des années passées par le SPD et les Verts, cette fois sous une direction conjointe CDU/SPD. Mais au moins l'émergence du Parti de gauche ouvre-t-elle une perspective à la classe ouvrière, pour se défendre et changer le rapport de forces ?
Malheureusement pas. Car si Gregor Gysi, dirigeant du Parti de gauche-PDS, s'est écrié au soir du scrutin : «Nous existons enfin en Allemagne», cela signifiait précisément : comme un parti qui compte sur le plan électoral et parlementaire. Car les perspectives des dirigeants du Parti de gauche ne sortent pas de ce cadre. Ils ont ainsi annoncé qu'ils allaient agir en priorité dans trois directions : demander la révision de Hartz IV (le paquet de mesures anti-chômeurs), le retrait des troupes allemandes présentes en Afghanistan, et présenter un projet de loi pour un salaire minimum (inexistant en Allemagne). Mais ils n'ont évidemment aucun moyen parlementaire de faire aboutir ces mesures, au demeurant limitées... et surtout rien d'autre à proposer aux travailleurs pour y parvenir.
Et si le 23 septembre, lors de la constitution de leur groupe au Bundestag, qui a pris le nom de La Gauche, Lafontaine et Gysi ont répété qu'ils ne cherchaient pas à participer au gouvernement car, pour l'instant, il n'y a pas de parti qui, comme le Parti de gauche «rejette l'Agenda 2010 et les engagements guerriers de la Bundeswehr», Oskar Lafontaine s'est empressé d'ajouter : «S'il y avait une politique que nous pourrions approuver, nous serions obligés d'accepter des offres de discussion pour la formation d'un gouvernement». C'est un point de vue qui a été répété par d'autres responsables de La Gauche et qui sous-entend tout de même que si, par exemple, le SPD revenu dans l'opposition changeait un jour de langage, gouverner avec lui serait envisageable.
Ce n'est pas la première fois dans l'histoire qu'un parti social-démocrate, compromis au pouvoir et menant une politique trop marquée en faveur des possédants, suscite, en son sein ou sur ses marges, une opposition qui finit par engendrer une nouvelle formation. Mais ces sociaux-démocrates de gauche, critiques en paroles, se sont toujours contentés d'accompagner le mécontentement d'une partie des électeurs populaires pour mieux le canaliser dans l'arène parlementaire.
C'est une place similaire qu'aspirent à occuper les dirigeants du Parti de gauche. Ils envisagent désormais de se présenter ensemble aux élections régionales qui vont avoir lieu, en mars prochain, dans le Bade-Wurtemberg, en Rhénanie-Palatinat et en Saxe-Anhalt, ainsi qu'à Berlin en octobre. Et de fusionner d'ici un an ou deux. Cela se réalisera-t-il ? Il est sans doute trop tôt pour le dire. D'autant que des batailles d'appareils et de personnes sont déjà à l'œuvre pour se partager le gâteau électoral présumé. Mais, au-delà de ces querelles, ce qui les unit, c'est la préoccupation commune de chercher à occuper l'espace laissé vide par l'évolution de plus en plus à droite du SPD, en servant d'exutoire électoral à l'électorat de gauche déçu.
Or, les classes populaires sont confrontées à une situation politique et sociale qui nécessiterait une réponse à un tout autre niveau. Car le gouvernement qui se met en place accentuera les attaques contre le monde du travail, sous prétexte de poursuivre «les réformes». Et l'offensive patronale va aussi continuer. Déjà des trusts comme Volkswagen, Siemens et Mercedes ont annoncé des milliers de suppressions d'emplois.
Ce qui serait nécessaire dans ce contexte, c'est une réaction sur un terrain de classe, contre les fermetures d'usines, contre le chômage, contre les attaques du gouvernement. Car c'est dans les entreprises et dans la rue que les travailleurs représentent une force considérable, une force qui, seule, pourrait mettre un coup d'arrêt aux attaques en cours et faire reculer la bourgeoisie et les politiciens à son service.
Des réactions en ce sens ont d'ailleurs déjà eu lieu depuis deux ans, avec les manifestations contre les mesures Hartz IV et la grève spontanée des ouvriers d'Opel, rapidement arrêtée par la bureaucratie syndicale. Ou encore d'autres mouvements qui n'ont pas fait la Une des médias mais qui n'en étaient pas moins significatifs du mécontentement ouvrier. C'est aussi cela que traduit, d'une certaine façon, la nette progression des voix que le Parti de gauche a enregistrée. Tout cela demeure certes limité, mais témoigne du fait qu'il existe une fraction de la classe ouvrière qui est prête à réagir.
Et ce dont ces travailleurs, ces militants syndicaux combatifs auraient besoin dans la période à venir, c'est d'un parti qui les aide à retrouver le chemin de la lutte de classe, à organiser les luttes nécessaires, à les coordonner, et à éduquer la classe ouvrière dans cette perspective.
Cette perspective peut sembler aujourd'hui lointaine en Allemagne. Mais ce n'est certainement pas, comme l'ont fait un certain nombre de militants d'extrême gauche, en cautionnant le projet politique d'un parti qui a à sa tête des politiciens comme Lafontaine ou Gysi, en donnant le Parti de gauche en exemple d'une recomposition politique «à la gauche de la gauche» ou en parlant comme l'a fait Manuel Kellner, responsable d'un des groupes allemands liés à la LCR, d'une «date historique pour le mouvement ouvrier en Allemagne» à propos de son succès électoral, qu'on pourra faire un pas dans cette direction.
11 octobre 2005