Des tendances profondes de l'économie

Imprimer
24 avril 1998

La plupart des bourgeoisies d'Europe font aujourd'hui le choix de la monnaie unique parce qu'il leur semble le meilleur moyen de sauvegarder leurs intérêts. Ce n'est évidemment pas le souci de l'intérêt des travailleurs qui les guide, ni quand elles s'orientent vers cette monnaie unique, ni d'ailleurs quand elles la refusent. Et faut-il aller vers l'euro ou pas, ce n'est pas un choix qui concerne vraiment les travailleurs, ni dans lequel ils peuvent en quoi que ce soit défendre leurs intérêts.

Ce choix de la monnaie unique fait par les bourgeoisies européennes est un choix réticent et mesuré. Mais il se fait sous la pression de forces puissantes, de tendances profondes de l'économie. Il y a cette nécessité objective d'une unité économique de l'Europe qui a poussé ses Etats à entreprendre la construction du Marché commun, devenu le Marché unique. Et cette nécessité se fait sentir aussi puissamment dans le domaine monétaire, surtout depuis que le flottement généralisé des monnaies pèse sur toutes les relations économiques intracommunautaires.

Mais c'est aussi tout le contexte mondial qui en fait une nécessité. Aucune des puissances européennes ne peut aujourd'hui se mesurer sérieusement aux Etats-Unis, qui sont la seule puissance impérialiste dominant vraiment la planète. Aucune même ne peut se mesurer sérieusement au Japon, seconde puissance économique mondiale.

En matière de puissance financière les Etats européens ne sont que de petits Etats et les bourgeoisies européennes ne sont que des impérialismes de deuxième ou de troisième plan face à des puissances comme les Etats-Unis et le Japon. Cela est vrai même du plus puissant d'entre eux, l'Allemagne. Et si sa monnaie le mark peut faire un peu la loi face au franc et à la lire, elle est très vulnérable face au dollar ou au yen.

L'idée d'aller vers une monnaie unique est venue des milieux financiers et du gouvernement français. Cette proposition était une façon d'affirmer que le gouvernement français voulait avoir son mot à dire dans les décisions monétaires allemandes. Il fut chaleureusement approuvé par le gouvernement italien et un certain nombre d'autres ayant des revendications vis-à-vis de l'Allemagne. Une commission fut mise sur pied pour étudier la question. Placée sous la présidence de Jacques Delors et composée de représentants des banques centrales des différents pays, elle rendit son rapport en juin 1989, lors d'un sommet des chefs d'Etat européens, proposant un plan en trois étapes pour la réalisation de l'Union monétaire.

Côté allemand, on ne se montrait pas pressé de faire avancer un projet revenant à donner aux partenaires de l'Allemagne un droit de regard sur sa politique monétaire que jusqu'alors ils n'avaient pas. Mais en 1990, la réunification allemande fut l'occasion d'un marchandage donnant-donnant entre ceux-ci, en particulier les dirigeants français et les dirigeants allemands. On peut le résumer ainsi : côté français on ne s'opposait pas à la réunification allemande, mais en échange on remettait sur le tapis la question de la monnaie unique européenne et on demandait un engagement ferme des dirigeants allemands à la mettre en pratique.

C'est une fois ce marchandage conclu que l'on s'orienta vers le Traité de Maastricht.