Le début de cette année 2023 a été marqué par la mobilisation du monde du travail contre la réforme des retraites, son refus de travailler jusqu'à 64 ans et d'être sacrifié pour les bénéfices.
Toutes les catégories mélangées, des ouvriers aux cadres, du privé ou du public, des petites ou des grandes entreprises, dans les petites ou les grandes villes, des millions de travailleurs ont relevé la tête. Par la grève, les manifestations ou leur solidarité avec celles-ci, ils ont exprimé leur refus d'accepter qu'il n'y aurait pas d'argent pour les retraites, les salaires, les écoles et les hôpitaux, alors que les milliards coulent à flots pour les grands actionnaires ou pour le budget militaire.
Pendant plusieurs mois, les préoccupations des classes populaires ont été au centre de l'actualité. Les manifestants et les porte-parole des syndicats ont été interviewés et invités dans les médias, tandis que les faits divers ont été relégués au second plan.
Macron et ses ministres espéraient régler l'affaire en quelques semaines. Ils comptaient sur la complicité des députés et sénateurs de droite, les difficultés financières des travailleurs et l'hostilité d'une fraction de la population aux grèves et aux manifestations. À l'inverse, même s'ils ont fini par passer en force, ils ont dû faire face à la mobilisation sociale la plus massive depuis bien des années.
Il faut tirer des leçons de cette mobilisation.
Ni bon président, ni bon Parlement, ni bonne Constitution
Le premier enseignement est que les travailleurs n'ont rien à attendre ni des institutions étatiques, ni du dialogue social, ni de l'alternance politique.
Ceux qui espéraient que le rejet de la réforme par l'opinion et dans les manifestations massives réussiraient au retrait ont dû se rendre à l'évidence que cela ne suffisait pas : dans ce système capitaliste dit démocratique, le gouvernement sert une minorité privilégiée, fût -ce en s'asseyant sur l'avis ultra-majoritaire. Ceux qui ont placé leur espoir dans une motion de censure à l'Assemblée ou dans les « sages » du Conseil constitutionnel en ont été pour leurs frais. La Constitution et les règlements du Parlement sont précisément conçus pour qu'un gouvernement puisse faire passer des lois réactionnaires même quand il est minoritaire.
Les dirigeants de l'intersyndicale ont réclamé à cor et à cri le retour au dialogue social. À chaque étape du mouvement, ils ont calé le calendrier des manifestations sur l'agenda parlementaire en appelant au sens des responsables des députés ou des sénateurs. Ils ont réclamé d'être reçus à l'Élysée. Mais le seul dialogue que connaît le gouvernement, c'est l'envoi de sa police contre les manifestants ou contre les travailleurs en lutte, comme les ouvrières de Vertbaudet, en grève pour leur salaire, qui avait osé installer un piquet de grève devant leur entreprise.
Aujourd’hui, les opposants politiques de Macron, qu’ils soient du Rassemblement national ou de la gauche gouvernementale, répètent : « Votez pour nous en 2027 et nous reviendrons sur les 64 ans. » C’est un gros mensonge. Revenir sur cette loi, sans augmenter les cotisations salariales ou allonger encore la durée de cotisation, c’est faire payer d’une façon ou d’une autre le grand patronat.
Or Marine Le Pen, toute démagogue qu’elle soit, est trop respectueuse de l’ordre social et des capitalistes pour vouloir les faire payer. Même pour assurer 10 % d’augmentation de salaire, elle propose, non pas de prendre sur les profits, mais sur les cotisations sociales ! Si Le Pen est élue, elle fera là où la bourgeoisie lui demandera de faire.
Quant à la gauche, qui brasse du vent avec la VIe République, elle s’est couchée devant les diktats de la bourgeoisie à chaque fois qu’elle s’est retrouvée au pouvoir. Sur la question des retraites, elle n’est jamais revenue sur les attaques des Balladur, qui a mis fin aux 37,5 annuités, Fillon ou Sarkozy, qui ont mis fin à la retraite à 60 ans. Pire, avec la réforme Touraine adoptée sous Hollande en 2014, elle a allongé la durée de cotisation à 43 ans. Si elle revient au pouvoir, la gauche fera ce qu’elle fait aujourd’hui dans les grandes villes, les départements ou les régions qu’elle dirige : elle déroulera le tapis rouge au grand patronat.
Engager le combat contre la bourgeoise
Le second enseignement à tirer de ces six mois de mobilisation, c’est que les travailleurs ne pourront pas gagner en menant leurs luttes à l’économie.
Alors que Macron, lui, était déterminé à réaliser jusqu’au bout les attentes de la bourgeoisie et des financiers, notre classe sociale n’a pas utilisé son arme principale : la grève qui se répand d’usine en usine et de secteur en secteur. La force de la grève n’est pas qu’elle bloque l’économie, c’est avant tout qu’elle bloque la machine à faire du profit et touche directement le patronat au portefeuille, la seule chose qui compte pour lui. La grève libère les travailleurs de leur poste de travail auquel, en temps normal, ils sont enchaînés physiquement, et même mentalement. La grève permet aux travailleurs de discuter de leurs affaires, de s’organiser, de prendre des initiatives et se faire craindre et d’inverser le rapport de force.
Quand la grève est dirigée démocratiquement par les travailleurs eux-mêmes, et pas d’en haut par les bureaucraties syndicales, ils découvrent leur capacité non seulement à agir, mais surtout à prendre des initiatives et à s’organiser pour les réaliser. C’est ce type de grève qu’il faut préparer.
Les grèves éparses qui se déroulent dans de nombreuses entreprises à travers le pays pour des augmentations de salaire, des grèves souvent difficiles pour obtenir un simple rattrapage du pouvoir d’achat détruit par l’inflation, montrent que les capitalistes, malgré leurs immenses profits, ne céderont rien facilement. Au contraire, aidés du gouvernement, ils sont prêts à nous faire revenir une génération en arrière.
Pour défendre notre droit à l’existence, il nous faudra contester le droit de la classe capitaliste à imposer ses diktats sur toute la société, sa capacité à exacerber toutes les divisions entre nous pour mieux exploiter notre travail.
Le combat contre la classe capitaliste est un combat vital, mais difficile et qui ne peut se mener à moitié.
Il faut être déterminés à aller jusqu’à renverser le pouvoir de la bourgeoisie. Les travailleurs doivent prendre le pouvoir politique, contester la propriété privée sur les entreprises, les exproprier, les regrouper et les gérer collectivement pour satisfaire les besoins de tous.
Cette conviction n’est ni celle des partis de gauche, qui aspirent à gérer un État façonné pour la bourgeoisie, ni celle des chefs syndicaux, qui aspirent à être reconnus comme les avocats et les porte-parole exclusifs des travailleurs.
Mais elle doit être celle de tous les militants conscients que l’émancipation des travailleurs ne pourra venir que des travailleurs eux-mêmes, parce qu’ils disposent d’une immense force collective. Cela implique qu’ils se donnent les moyens de faire émerger au cours de leurs combats des instruments pour les diriger, les organiser eux-mêmes, et les mener jusqu’au bout : comités de grève, conseils de travailleurs, voire milices ouvrières.
Dans cette période de crise aiguë, dans cette période où la rivalité entre groupes capitalistes du monde entier est exacerbée, la bourgeoisie ne lâchera rien. Autrement dit, la lutte pour défendre nos conditions d’existence est indissociable de la lutte pour renverser le pouvoir de cette bourgeoisie.
18 juin 2023