Irak - Le « redéploiement » américain : diviser l’Irak pour régner

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novembre 2007

Le texte que nous publions ci-dessous est la traduction d'un article de l'organisation trotskiste américaine The Spark pour sa revue trimestrielle Class Struggle N° 57 de novembre-décembre 2007.

Fin août-début septembre, les médias ont été inondés par toute une série de rapports sur le « redéploiement », dernier avatar de l'armée américaine en Irak consistant en une augmentation rapide du nombre de soldats américains depuis février dernier. Le commandant américain en Irak, le général David Petreus, et l'ambassadeur américain, Ryan Crocker, se sont déplacés spécialement pour s'adresser au Congrès. Et tout cela pour préparer un énième discours de Bush.

Lorsque Bush s'était adressé au Congrès en février dernier pour argumenter en faveur du « redéploiement », il l'avait justifié en affirmant que cela renforcerait la « sécurité » et donnerait ainsi un « répit » au gouvernement irakien de Nuri Kamal al-Maliki, qui lui permettrait de travailler à la « réconciliation » entre les différentes factions religieuses et communautaires en Irak.

Les multiples et récents rapports, malgré des différences, concordent sur trois points essentiels. Premièrement, le « redéploiement » aurait quelque peu amélioré la sécurité - et pour tenter de le prouver chacun des rapports a aligné des tableaux, des graphiques et des pages et des pages de statistiques. Deuxièmement, non seulement l'armée et la police irakiennes n'ont fait que peu de « progrès », mais elles ont en fait régressé, comme Petreus l'a admis lorsqu'il a déclaré que le nombre de bataillons irakiens « parfaitement prêts » avait diminué depuis le début du « redéploiement » de l'armée américaine, passant de quinze à douze. Troisièmement, le gouvernement irakien n'a pas suffisamment travaillé à la « réconciliation ».

Bush, en réponse aux rapports, a déclaré : « Nous n'en sommes qu'aux premières étapes de nos nouvelles opérations. » Et il a exhumé le spectre du Vietnam, avertissant qu'un retrait d'Irak constituerait une nouvelle défaite qui conduirait au chaos dans la région et hanterait la politique extérieure des États-Unis pendant des dizaines d'années.

Le gouvernement américain a l'intention de rester en Irak

Il ne peut y avoir aucun doute sur les intentions des États-Unis de rester en Irak - mais pas pour donner un « répit » au gouvernement irakien. Chaque discours de ce gouvernement, chaque action qu'il entreprend, ainsi que toutes les critiques sur la conduite par Bush de la guerre formulées par les dirigeants démocrates ou les généraux mécontents, convergent sur un point : les États-Unis ont un intérêt stratégique dans cette région et ils ne peuvent pas quitter l'Irak avant que « l'ordre » n'y ait été imposé.

Dans une interview donnée en août dernier au journal autrichien Die Presse, l'ambassadeur américain aux Nations unies, Zalmay Khalilzad, mettait en garde contre le fait que le chaos était tel au Moyen-Orient que cela pouvait mettre le feu au monde entier. Il faisait la comparaison avec « l'Europe [qui] pendant une période ne pouvait plus fonctionner non plus. Et certaines de ses guerres sont devenues des guerres mondiales. Aujourd'hui, les problèmes du Moyen-Orient et de la civilisation islamique ont la même capacité à engloutir le monde. » Il estimait que des « armées étrangères » devraient rester en Irak peut-être pendant dix ou vingt ans.

Le lieutenant-général Ricardo Sanchez, l'ancien commandant en chef en Irak, a déclaré récemment que la conduite de la guerre par le gouvernement Bush était à la fois « corruptrice » et « incompétente » et il a décrit la guerre comme « un cauchemar dont on ne voit pas la fin ». Mais cela ne l'a pas incité à proposer de quitter l'Irak.

On peut dire la même chose des critiques provenant des démocrates. John Edwards, l'un des trois principaux candidats à la présidentielle pour le Parti démocrate et qui est généralement considéré comme le plus critique sur la guerre, a repris à son compte un argument de Bush lors d'un récent débat organisé à Chicago entre les candidats. Il a déclaré : « Il faut nous préparer à enrayer une guerre civile si elle commence à déborder hors des frontières d'Irak » et il a voté la récente résolution de Bush menaçant l'Iran. Hillary Clinton, qui caracole en tête des candidats à la candidature, a réitéré des remarques qu'elle avait déjà faites il y a quelques mois au New York Times, considérant qu' « il y a en Irak des enjeux vitaux pour la sécurité nationale qui [exigent] la poursuite ininterrompue du déploiement de troupes américaines ».

En réalité, les guerres mondiales auxquelles Khalilzad faisait allusion n'ont pas été provoquées par le « désordre » en Europe mais par la lutte entre les diverses puissances impérialistes pour contrôler les ressources du reste du monde, exactement comme aujourd'hui l'impérialisme américain se sert de sa force militaire pour contrôler l'Irak et le Moyen-Orient.

Les États-Unis sont entrés en Irak pour se donner une base opérationnelle au Moyen-Orient. Il est certain que l'Irak possède de grandes réserves de pétrole. Mais l'objectif principal de l'impérialisme américain n'est pas le pétrole irakien mais le pétrole de tout le Moyen-Orient. L'affaiblissement d'Israël et l'absence d'un autre régime stable sur lequel les États-Unis auraient pu compter pour les représenter dans la région ont amené ceux-ci à rechercher leur propre base d'opérations. Et cela devait être l'Irak. L'Irak a une situation stratégique au milieu des principaux pays producteurs de pétrole ; le régime de Saddam Hussein - très impopulaire dans le pays - avait été affaibli par vingt ans de guerres ; et les attentats du 11 septembre donnèrent aux États-Unis la possibilité d'entrer en guerre avec le soutien de la population américaine.

À peine arrivés à Bagdad en 2003, les États-Unis commencèrent à construire des bases militaires puis une nouvelle ambassade à partir de laquelle leurs intérêts pourraient être défendus. La nouvelle ambassade est déjà la plus grande du monde et la construction se poursuit - même sous les tirs de mortiers. Lorsqu'elle sera terminée, elle comptera 21 immeubles, couvrant 52 hectares, six fois la taille du siège des Nations unies à New York.

Plus importantes encore que l'ambassade sont les bases militaires américaines permanentes. Des rapports faits juste avant le « redéploiement » recensaient 55 bases américaines en Irak, dont 14 étaient considérées comme des bases « durables », situées dans des endroits stratégiques autour du pays, construites autour de terrains d'atterrissage complets, chacune permettant aux militaires de contrôler une région d'Irak. Les travaux continuent sans relâche sur ces bases.

Le 22 octobre, le Washington Post, relatant les modifications apportées par Petreus et Crocker au plan de « redéploiement », rapportait que le plan mis à jour « préconise l'accélération de pourparlers avec le gouvernement irakien afin d'obtenir le renouvellement de la résolution du Conseil de sécurité de l'ONU autorisant les militaires américains à opérer en Irak jusqu'à la fin 2008... D'ici la fin de l'année prochaine, le plan préconise la négociation d'un accord sur une relation stratégique à long terme entre les deux pays. Un tel accord affirmerait que les forces américaines restantes seraient autorisées à opérer en Irak ; des responsables du Pentagone et de l'armée s'attendent à ce qu'elles ne dépassent pas les 50 000 hommes. L'accord fournirait probablement à l'aviation américaine et aux autres instruments militaires les moyens de protéger les frontières de l'Irak... »

En d'autres termes, le gouvernement américain peut retirer ses troupes à un moment donné, mais il a bien l'intention de conserver des installations militaires et une force armée permanentes en Irak.

Mais il n'est pire aveugle...

Quels que soient les plans des États-Unis pour l'avenir de l'Irak, les militaires américains ont un gros problème aujourd'hui même : leur armée de volontaires manque de volontaires. Mais aucun des rapports de septembre ne mentionne ce fait.

L'armée de terre américaine compte aujourd'hui 38 brigades de combat - environ 135 000 hommes si les brigades sont complètes. Ce ne sont pas les effectifs totaux de l'armée mais seulement ceux des unités combattantes. Avec le « redéploiement », l'armée de terre a actuellement 18 brigades de combat en Irak, et 13 autres qui doivent les relayer ; il y a deux brigades en Afghanistan et deux autres dans l'attente d'y partir. Cela fait 35 brigades, laissant seulement trois autres brigades de combat disponibles pour toute l'armée et ces trois brigades sont soit engagées dans des actions ailleurs, soit destinées à repartir en Irak ou en Afghanistan en 2009. De plus, les Marines ont l'équivalent de six de leurs onze régiments de combat en Irak ou au Koweit, et quelques unités spéciales en Afghanistan, et la plupart de ceux qui restent attendent leur tour pour les remplacer. Lorsque les généraux ouvrent le placard pour trouver des troupes, le placard est de plus en plus vide.

La guerre en Irak a duré beaucoup plus longtemps que ce que les membres du gouvernement et la plupart des responsables militaires avaient envisagé. Elle est la deuxième en durée après la guerre du Vietnam - ou la troisième si l'on compte la guerre d'Indépendance. Et les guerres d'Afghanistan et d'Irak sont menées par une armée de volontaires. Selon une étude réalisée par la Commission d'enquête du Congrès, fin décembre 2006, plus d'un million de soldats d'active et près de 400 000 membres de la Garde nationale et de la Réserve avaient servi au moins une fois dans ces guerres, et certains plus d'une fois. C'était la meilleure façon de tarir le recrutement - et c'est ce qui s'est passé. Sur ces 1 400 000 soldats, 500 000 ont soit quitté le service actif soit définitivement quitté la Garde nationale.

Ne pouvant pas compter sur la conscription, les militaires se sont débrouillés pour contrebalancer le manque de recrutement et de ré-engagement en ayant recours à toute sorte d'expédients.

Avant même le début de la guerre, l'armée dépendait d'entreprises privées pour la logistique et la maintenance de ses bases aux États-Unis et dans le monde, de même que pour les transports et les gardes. Avec l'invasion de l'Afghanistan puis de l'Irak, le nombre de ces compagnies privées se chargeant de ce type de travail a immédiatement augmenté. En 2004, on estimait que les entreprises privées travaillant pour l'armée américaine en Irak employaient un total de 28 000 à 30 000 personnes, c'est-à-dire environ 20 % des effectifs de l'armée à l'époque.

Ce n'était rien comparé à la situation d'aujourd'hui. Au milieu de l'année 2007, le nombre des salariés de ces officines privées, travaillant pour le ministère de la Défense ou pour le ministère des Affaires étrangères, atteignait 190 000 à 200 000 personnes - plus que le nombre de militaires actuellement en Irak, qui tourne autour de 169 000 personnes, sans compter les 27 000 soldats présents en Afghanistan.

Environ 30 000 à 50 000 membres de ces « armées privées » sont des militaires au plein sens du terme, comme le prouve une fois de plus le massacre de dizaines de civils auquel des hommes armés de Blackwater se sont livrés en septembre. La plupart des membres de ces forces dites de sécurité sont très bien payés et en général recrutés au sein des unités spéciales de l'armée américaine, ou dans les armées de pays d'Afrique ou d'Amérique latine. Les autres, beaucoup moins bien payés, effectuent les transports et les travaux de construction ou de maintenance des bases militaires. Certains sont recrutés dans les régions rurales pauvres des États-Unis, attirés par la promesse de doubler leur paye sans payer d'impôts ; près de 70 000 d'entre eux viennent d'Irak même, ayant ainsi trouvé un travail dans un pays où près de la moitié des hommes ne trouvent pas d'emploi ; les autres viennent de pays sous-développés, en particulier d'Asie, souvent transportés en Irak sans avoir aucune idée de ce qui les attend et payés moins de la moitié du salaire minimum américain - paye sur laquelle on prélève souvent le coût du voyage.

Au milieu de la deuxième année de la guerre, alors que la plupart des unités de l'armée avaient déjà servi une fois en Irak ou en Afghanistan, le haut commandement s'est tourné vers la Garde nationale et la Réserve. En 2005, ces deux forces représentaient 40 % de l'ensemble des troupes américaines présentes en Irak. Cela a peut-être permis de combler les trous pendant quelque six mois, mais cela a aussi conduit à une grosse augmentation du nombre de ceux qui quittaient la Garde nationale dès qu'ils le pouvaient.

Le haut commandement fit quelque chose qu'il n'avait jamais fait au Vietnam - il ordonna à des unités ordinaires de repartir pour une deuxième période de combat. Puis il leur ordonna de retourner pour une troisième, voire une quatrième période en Irak ou en Afghanistan. Il procéda ensuite comme il l'avait fait pendant la guerre du Vietnam, mais seulement pour des unités spéciales bien particulières : maintenir des soldats dans des zones de combat plus longtemps que les douze mois auxquels ils s'attendaient. Pour réussir à trouver suffisamment de gens pour repartir en Irak, l'armée a aussi enfreint une très vieille coutume qui veut que personne ne soit renvoyé à nouveau au combat sans une période de repos de deux ans. L'an dernier, cette période de repos a été réduite à un an et elle est de plus en plus souvent réduite à neuf ou six mois.

Le haut commandement a transformé les brigades de logistique en brigades de combat, laissant de plus en plus la logistique aux entreprises privées. Enfin il a commencé à transférer des membres de la marine ou de l'aviation dans l'armée de terre pour compléter ses unités combattantes.

À court terme, ces dispositions permettent de maintenir le même niveau d'engagement militaire. Mais à long terme de telles mesures encouragent de plus en plus de militaires, y compris la nouvelle génération d'officiers, à quitter l'armée aussitôt que possible. En 2006, environ la moitié des récents gradés de West Point ont quitté le service presque immédiatement après avoir rempli leurs cinq années d'obligations militaires. Cela représente un taux deux fois plus important qu'avant la guerre.

L'armée a dû augmenter ses primes à l'engagement et au ré-engagement. En 2004, le total des primes au ré-engagement s'était monté à 143 millions de dollars ; en 2005, à 506 millions ; et en 2006, à près de 1,5 milliard de dollars - c'est-à-dire dix fois ce que l'armée payait deux ans plus tôt. Le montant total des primes de ré-engagement dans la Garde nationale est passé de 27 millions de dollars en 2004 à 235 millions en 2005, presque neuf fois plus. Récemment les militaires ont offert une nouvelle prime : une prime dite de rapidité, qui se monte à 20 000 dollars pour une nouvelle recrue qui s'engage et se présente « bonne pour le service » en quelques semaines.

L'autre incitation a été l'octroi de la citoyenneté américaine - une forme plus rapide de naturalisation pour ceux qui ont une carte verte (permis de séjour et de travail), la possibilité d'obtenir leur régularisation pour ceux qui n'ont pas de papiers. Le nombre de soldats immigrés qui ont des papiers (soit une carte verte, soit qui viennent d'obtenir la citoyenneté américaine) atteint 70 000 aujourd'hui, c'est-à-dire près de 15 % des effectifs totaux. Quant aux immigrés sans papiers, l'armée ne donne aucun chiffre. En principe, ceux qui sont sans papiers ne peuvent pas s'engager dans l'armée. En réalité, l'armée de terre et les Marines - ceux qui ont le plus besoin de chair à canon - admettent qu'ils ferment les yeux devant des papiers grossièrement falsifiés et que parfois même ils oublient d'exiger des papiers. Parfois ? Combien de fois ? Personne ne le dit.

Jusqu'à présent, les responsables militaires ont insisté à maintes reprises et publiquement sur le fait qu'ils ne veulent pas recourir à la conscription. Malgré tout, la Commission d'enquête du Congrès a publié une étude comparant les avantages et les désavantages de l'armée de métier et de l'armée de conscription. Peut-être n'est-ce que pour le plaisir de pondre un rapport de plus, mais c'est au moins la reconnaissance du fait que les responsables militaires se trouvent piégés dans une guerre, alors que leurs choix sont de plus en plus limités par cette « armée de volontaires » qui est surtout volontaire pour abandonner !

Donc... le « redéploiement »

Publiquement, ce « redéploiement » de l'armée américaine a été présenté comme une intensification de courte durée de l'action menée en Irak, afin d'offrir au gouvernement Maliki un « répit ». En réalité, le « redéploiement » s'est accompagné d'un moindre soutien apporté au gouvernement Maliki et d'une moindre dépendance envers l'appareil militaire central irakien - et une accentuation de la politique consistant à constituer des enclaves communautaires ou religieuses, contrôlées par des milices religieuses, dont certaines ont été installées en guise de force de police par l'armée américaine.

L'une des plus fortes recommandations contenues dans le Rapport de la Commission indépendante sur les forces de sécurité en Irak est que les États-Unis devraient exactement procéder comme cela. On peut lire page 126 : « La Commission croit qu'il est admissible que la police locale reflète la constitution ethno-religieuse des communautés qu'elle sert. Cet arrangement pragmatique peut être nécessaire tant que les efforts de réconciliation nationale n'ont pas réussi à faire passer au second plan les associations communautaires et religieuses derrière un sentiment dominant d'identité nationale irakienne. La constitution des forces policières en Irak est la clé de la stabilisation des quartiers. »

Une version crue de cette recommandation a été donnée dans une étude sur la province d'Anbar par Anthony Cordesman de l'Institut des études stratégiques. Cordesman a été directeur du Renseignement auprès du ministre de la Défense. Il a exercé de hautes responsabilités dans les gouvernements de Reagan et de Bush père, y compris au ministère des Affaires étrangères et à l'OTAN. Aujourd'hui, il est connu des militaires américains comme un expert des affaires militaires au Moyen-Orient en général et en Irak en particulier. Voici la façon dont Cordesman décrit la mise en place par les États-Unis de cet « arrangement pragmatique » : « Ces forces locales ont des liens formels avec le gouvernement. Elles ont été créées sur le modèle de ce qui a été fait précédemment dans la région kurde. Elles n'obtiennent des armes, une formation et un salaire que si elles s'enrôlent formellement comme soutien à la police et jurent allégeance au gouvernement...

« Le résultat final, cependant, c'est la création d'une force chiite ou sunnite dont les liens avec le gouvernement central sont mal assurés et opportunistes. C'est aussi la création d'une force construite sur des coalitions locales et tribales peu fiables. Cela rend bien difficile de savoir quel genre de pouvoir politique de telles forces soutiendront...

« L'échec persistant du gouvernement central pour constituer une police efficace, capable de « maintenir » les acquis des forces de la Coalition et de l'armée irakienne, conduit à compter de plus en plus sur une police locale contrôlée de facto par les dirigeants politiques locaux. Localement, presque tous ces groupes politiques ou ces forces armées sont constitués sur des critères communautaires ou religieux...

« Cette dépendance croissante de forces armées locales qui ont des liens superficiels ou ténus avec l'effort de développement d'une force armée irakienne se conjugue à un processus continu de déplacements de populations au plan local et national selon des critères communautaires ou religieux. Ce processus de déplacements et de nettoyages ethniques ou religieux est largement ignoré dans les rapports publics sur la guerre, qui se focalisent sur les attentats, les morts, et les incidents religieux. Le fait qu'une grande partie du pays [est divisée] en factions et autorités - la plupart du temps non élues ou élues dans des conditions telles qu'une réelle campagne électorale est impossible - rend le gouvernement central, qui est déjà faible, de plus en plus faible. Cela contribue aussi à diviser de plus en plus le pays. »

Le Congrès - en particulier les démocrates - peuvent prétendre être en désaccord avec Bush sur la conduite de la guerre. Mais le 26 septembre, ce même Congrès réclama la division de l'Irak en régions chiite, sunnite et kurde, en prétendant qu'il s'agissait simplement d'une autre forme de « fédéralisme ». Par un vote de 75 pour et 23 contre, presque tous les démocrates et une majorité de républicains approuvèrent ce qui fut appelé « une partition en douceur ».

Le 16 septembre dernier, Thomas Friedman avait déjà placé le New York Times en première ligne pour approuver la division de l'Irak selon des critères communautaires lorsqu'il avait écrit : « La seule issue possible et viable à court terme est une sorte de fédéralisme radical. »

« fédéralisme radical » ou « partition en douceur » - toujours sur une base

de « nettoyage ethnique »

Dans un sens, tout cela est une reconnaissance tacite des événements qui se sont déroulés en Irak ces vingt derniers mois (surtout depuis le bombardement du dôme en or de la mosquée de Samara). Les milices chiites et sunnites se sont combattues pour le contrôle des quartiers de Bagdad. Dans la mesure où l'armée irakienne a joué un rôle, il a généralement consisté à soutenir l'une des milices chiites. La police nationale irakienne de même que la plus grande partie de l'armée irakienne se recoupent avec ces milices. Des milices arabes ou turkmènes ont combattu les deux principales milices kurdes à Kirkouk et Mossoul. Et diverses milices chiites se sont battues entre elles pour le contrôle du sud de l'Irak, en particulier à Karbala et Bassora. Ces combats impliquèrent non seulement les brigades Badr, liées au Conseil suprême islamique irakien (CSII), et l'armée du Madhi, plus ou moins liée à Moktada al-Sadr, mais aussi plusieurs importantes milices locales à Bassora. Des forces tribales sunnites ont combattu des « insurgés » sunnites à Anbar. Et au nord, la lutte entre les deux grandes milices kurdes, bien qu'elle se soit quelque peu calmée grâce à une fragile trêve armée, éclate encore de temps à autre.

La population, prise au milieu de ces combats, a été écrasée. Pour établir et accroître leur contrôle, les diverses milices ont terrorisé des quartiers et des districts entiers, se servant d'attentats d'une violence spectaculaire comme d'un moyen pour obliger les survivants à fuir, afin de s'emparer de leurs biens et de leurs propriétés. Les milices ont privé des quartiers d'électricité ou d'eau, comme une milice sunnite l'a fait récemment dans la ville chiite de Khalis.

Le résultat de tout cela est que l'Irak est de plus en plus divisé en enclaves basées sur des forces politiques, religieuses ou communautaires. Le centre de l'Irak, qui était auparavant le plus diversifié, se vide de sa population. Les chiites continuent à fuir vers le sud, alors que les sunnites s'échappent du sud pour aller vers l'ouest ou la partie nord du pays. Au nord-est, la région autour de Kirkouk est un champ de bataille ; les forces kurdes campent aux abords de la ville et ont mis en place un blocus, emprisonnant ainsi les Arabes et les Turkmènes dans la ville.

Selon Juan Cole, Bagdad, qui était à 65 % sunnite et à 35 % chiite avant la guerre, est devenue chiite à 75 % et la proportion de chiites ne fait qu'augmenter. Encore en 2006, la population de la majorité des quartiers de Bagdad était mélangée. Et les officiers d'état-civil estimaient qu'avant la guerre 50 % des mariages franchissaient les barrières religieuses. Aujourd'hui, il n'y a plus que deux quartiers où la population reste mélangée et les couples mixtes sont souvent obligés de vivre séparément. L'armée du Madhi n'exerce pas seulement un contrôle militaire sur les quartiers chiites de la capitale, elle vend du fuel et de l'électricité et elle loue les maisons qu'elle a confisquées aux sunnites.

Bassora, la ville portuaire du sud, était avant la guerre parmi les villes les plus cosmopolites du Moyen-Orient avec une population non seulement de chiites et de sunnites, mais aussi de Kurdes, de chrétiens chaldéens, assyriens et arméniens, de musulmans africains, et beaucoup de chiites laïques. Aujourd'hui la ville est presque entièrement chiite, et très majoritairement intégriste. La situation des femmes s'est sévèrement détériorée ; des attaques ont lieu contre des femmes qui sortent sans être complètement voilées, ou qui marchent dans la rue seules ou avec un homme autre qu'un parent.

Les militaires américains, prétendant que le « redéploiement » a « amélioré la sécurité », publient des chiffres qui prétendent montrer que le nombre de tués par la violence communautaire ou religieuse a fortement diminué depuis juillet. En fait, les chiffres cités ne concernent que Bagdad et que la violence religieuse - mais pas tout ce qui tue quotidiennement des Irakiens, y compris les actions militaires américaines, officielles ou non. Le nombre total des morts, toutes causes confondues, a beaucoup augmenté au mois d'août.

Cependant, il est probablement vrai qu'à Bagdad il y a moins de morts dus à la violence religieuse, mais pour une sinistre raison : tant de gens sont morts ou ont été forcés de fuir lors des vagues de violences religieuses précédentes que les milices qui ont perpétré ces violences ont moins de gens à viser aujourd'hui.

En même temps, certaines de ces milices attaquent « leur propre » population civile - les chiites à Bagdad ou à Bassora ou les sunnites dans la province d'Anbar - en se livrant à la criminalité et au gangstérisme. Elle deviennent des mafias au vrai sens du terme.

Derrière ce désastre humain, il y a l'impérialisme américain

L'organisation humanitaire Oxfam International estime que plus de deux millions d'Irakiens ont quitté le pays depuis le début de la guerre et que deux autres millions ont été déplacés à l'intérieur du pays. Ce sont donc quatre millions de personnes qui se sont enfuies ou ont été chassées de chez elles sur une population totale de 23 millions d'habitants dans l'Irak d'avant-guerre. Pendant les premières années de la guerre, ceux qui sont partis appartenaient aux couches aisées de la population qui avaient les moyens de quitter le pays. Aujourd'hui, ceux qu'on déplace sont le plus souvent sans ressources et fuient simplement devant les armées qui les chassent de chez eux.

Le Bureau International des migrations qualifie cette crise des réfugiés irakiens comme l'une des pires de l'histoire moderne - et aussi l'une des moins connues. Elle n'a certainement pas eu droit à autre chose qu'une mention en passant dans la pléthore de rapports américains de septembre dernier.

Un compte-rendu récent des Nations unies donne une idée des conditions dans lesquelles les gens vivent. Déjà mauvaises à cause des destructions causées par la guerre menée par les États-Unis, les conditions de vie se sont considérablement détériorées avec le déplacement forcé des populations. Rien n'avait été prévu pour ces vastes mouvements de population. Ceux qui ne trouvent pas refuge chez des parents n'ont guère d'autre choix que de rester dans des immeubles abandonnés ou éventrés par les bombes, ou dans des tentes ou des abris de fortune dressés dans des zones quasi désertiques, loin des zones urbaines. Confronté à l'afflux de réfugiés à l'intérieur même du pays, le gouvernement a diminué de 35 % les rations distribuées aux familles. Cinq millions de personnes dépendent de ces rations pour survivre, mais deux millions d'entre elles vivent dans des zones si dangereuses que les rations ne peuvent pas leur parvenir. Le chômage qui sévissait auparavant a empiré. Même les gens qui continuent à vivre chez eux n'ont que très peu d'électricité, sauf dans quelques parties du nord de l'Irak. Et 70 % de la population aujourd'hui n'ont pas accès à l'eau potable, selon Oxfam. Une épidémie de choléra sévit dans le nord de l'Irak : 60 000 cas ont été déclarés mais plus nombreux encore sont ceux qui ne le sont pas.

On peut mettre une partie de cette catastrophe sur le compte des milices religieuses, mais la guerre menée par les États-Unis est responsable de la plupart de ces réfugiés - dont le nombre s'est rapidement accru dans les mois qui ont suivi le début du « redéploiement ». Selon la Croix-Rouge irakienne, un plus grand nombre de personnes ont été chassées de chez elles et déplacées ailleurs en Irak depuis le début du « redéploiement » que durant tout le reste de la guerre. De février à août 2007, 601 000 personnes ont été déplacées ; de mars 2003 à février 2007, il y en avait eu 499 000. Ces chiffres ne comptabilisent que les personnes déplacées qui demandent des aides et sont donc bien inférieurs aux estimations de l'ONU. Mais la comparaison est significative du rôle majeur du « redéploiement » militaire américain dans ces déplacements de populations.

L'un des faits les plus occultés en ce qui concerne le « redéploiement » est l'intensification rapide des bombardements qui l'ont accompagné. Durant les neuf premiers mois de cette année, il y a eu 1 140 bombardements sur l'Irak, contre 229 pour l'ensemble de l'année précédente. En octobre, l'aviation américaine accomplissait pas moins de 70 missions de bombardement par jour. Ces chiffres ne prennent pas en compte les tirs effectués à partir des hélicoptères. Ces bombardements, concentrés sur les zones urbaines, ont fait de nombreuses victimes dans la population civile.

Lorsque les soldats américains se préparaient à pénétrer dans certains quartiers de Bagdad, une série de bombardements leur préparaient le terrain. Et si les bombes ne chassaient pas les civils de chez eux, les vastes ratissages auxquels se livraient ensuite les soldats dans bien des quartiers sunnites de Bagdad s'en chargeaient, ouvrant la voie en fait à l'arrivée des milices chiites. En mai, les militaires américains lancèrent une offensive terrestre dans la province de Dyala, après des bombardements intenses, chassant 5 000 personnes de chez elles, et ouvrant la voie pour que la milice tribale sunnite prenne la suite.

Les militaires américains ou l'armée irakienne, qui travaille avec eux, ont coupé l'électricité à des quartiers entiers pendant des jours et des jours, pour faire fuir les gens. Le manque d'électricité est depuis longtemps une conséquence de cette guerre, mais cela devient de plus en plus une arme de guerre contre la population.

Diviser pour conquérir

Quel que soit le rôle qu'ont pu jouer les tensions historiques entre religions et communautés dans cette version irakienne du « nettoyage ethnique », la politique consciente du gouvernement américain a joué un rôle beaucoup plus important.

Depuis le début de l'invasion de l'Irak, l'Autorité provisoire de la Coalition (CPA) a mené une politique basée sur la division de l'Irak selon des critères ethniques et religieux. Elle a mis sur pied le nouveau gouvernement irakien selon ces divisions, elle a même organisé des élections de telle façon que les électeurs ne puissent voter que pour des listes représentant leur religion ou leur communauté. Ceux qui furent élus au Parlement le furent en tant que représentants des différentes communautés ou religions. Dans un pays qui a longtemps été le plus laïque de tout le Moyen-Orient, et dont les zones urbaines étaient mélangées, non seulement par la diversité des logements mais aussi par le nombre de mariages mixtes, le CPA a créé un gouvernement basé sur les divisions religieuses.

Même de façon indirecte, l'invasion américaine a joué un rôle dans la division du pays. Le réseau électrique, par exemple, n'est plus centralisé, du fait des bombardements américains pendant l'invasion et des pillages qui ont eu lieu immédiatement après. L'électricité ne peut plus être envoyée à partir des lieux de production à d'autres régions du pays à travers un réseau unique et souple.

Encore plus significatif : les militaires américains ont utilisé des forces armées irakiennes issues de tel groupe religieux ou communautaire contre tel autre. L'exemple récent le plus remarquable en est le siège de Falluja. Soutenue par des unités chiites ou kurdes, l'armée américaine chassa de la ville pratiquement toute la population, 200 000 personnes presque toutes sunnites. Plus tôt dans la guerre, les militaires américains renforcèrent les milices kurdes dans le nord, comptant sur elles pour faire contrepoids à ce qui restait du régime de Saddam Hussein - mais aussi pour contrôler la population kurde elle-même.

Ainsi diviser pour régner a été la politique américaine depuis le début. La différence, c'est qu'aujourd'hui les militaires américains semblent avoir décidé de s'appuyer sur les milices locales, sinon en opposition au gouvernement central, au moins de façon à le circonvenir. Bush l'a bien fait comprendre début septembre lors de sa visite surprise en Irak, évitant complètement Bagdad pour se rendre dans la province d'Anbar rencontrer les cheiks tribaux sunnites. Maliki a eu beau être invité à rencontrer Bush et les cheiks à Anbar, toute l'affaire était un camouflet pour lui. Et Bush ignora ostensiblement les protestations de Maliki qui s'inquiétait de ce que les cheiks sunnites pourraient retourner les armements nouvellement fournis contre le gouvernement central. L'an dernier, ils faisaient encore partie des « insurgés » mais, cette année, ils sont devenus des « alliés loyaux » des États-Unis combattant contre al-Quaida. Les militaires américains les payent à condition qu'ils s'engagent à contrôler leur propre région - le tarif actuel est de 350 dollars par mois par membre de la tribu appartenant à la milice, le tout payé aux cheiks. Non seulement les États-Unis les ont utilisés à Anbar, mais ils en ont fait venir dans des quartiers sunnites autour de Bagdad pour aider à mettre sur pied les prétendus « groupes de volontaires » ou « de citoyens concernés », c'est-à-dire des milices tribales sunnites pour tenter d'empêcher une nouvelle extension des milices chiites.

Dans la mesure où l'on peut en juger d'après de nouveaux récits, les militaires américains semblent essayer de répéter l'opération avec les cheiks tribaux du sud de l'Irak. Il semble évident que ces cheiks ne sont pas à même de rivaliser avec les milices chiites urbaines qui sont très solidement ancrées sur le terrain et qui exercent aujourd'hui un contrôle réel sur Bassora et Karbala. Mais les militaires américains peuvent s'en servir comme monnaie d'échange lors de négociations avec les brigades Badr et/ou l'armée du Madhi de al-Sadr. Les États-Unis ont une entente plus ou moins ouverte avec les brigades Badr, la milice du SIIC (anciennement le SCIRI). Mais ces derniers mois, des rapports ont attiré l'attention des médias sur des contacts entre des représentant de al-Sadr et les militaires américains qui remonteraient au commencement de l'année. Cela ne veut pas dire que les États-Unis n'attaquent plus ces milices. Par exemple, ces dernières semaines, des raids aériens lâchèrent des bombes sur Sadr City à Bagdad, le fief de l'armée du Madhi.

L'Irak est en quelque sorte bouleversé avec non seulement l'approbation mais l'aide des États-Unis. Il s'agit de voir quelles sont les forces armées qui pourraient être les garantes de l'ordre dans un Irak divisé. Les États-Unis ont peut-être une préférence pour l'une ou l'autre, ils ont même peut-être tenté d'attaquer les unes plus que les autres pendant le « redéploiement », mais ils se sont montrés prêts à travailler avec n'importe lesquelles.

De l'extérieur, personne ne peut dire quelle est la signification de ces combats, et en faveur de qui joue le rapport de forces. Mais pas plus que le but des États-Unis n'était hier d'instaurer la démocratie, leur but aujourd'hui n'est d'empêcher ces combats, mais bien plutôt de les laisser se dérouler. En même temps, il est évident que les États-Unis - ayant décidé qu'ils ne pouvaient pas compter sur l'armée ou la police nationales irakiennes pour maintenir l'ordre en Irak - regardent maintenant du côté des milices religieuses pour maintenir l'ordre dans certaines régions, offrant ainsi aux militaires la possibilité de relâcher un peu la pression sur leurs propres troupes.

Un officier supérieur responsable du « redéploiement » a déclaré au Wall Street Journal : « Si le gouvernement central ne veut pas exercer son contrôle, peut-être que les dirigeants locaux le feront. Il est trop tôt pour le dire. Nous chevauchons un tigre. Il nous conduira peut-être où nous voulons. » Peut-être pas. Il est évident par exemple que la division de l'Irak selon des clivages religieux et communautaires peut déclencher des luttes qui s'élargiront à d'autres pays. Les affrontements actuels entre l'armée turque et les guérilleros kurdes de Turquie qui sont basés au nord de l'Irak en donnent une idée.

Encore et à nouveau le Vietnam

On peut faire un parallèle entre ce que les États-Unis font aujourd'hui en Irak et ce qu'ils firent pendant les deux dernières années de la guerre au Vietnam. Mais il ne s'agit pas de la mythologie d'extrême droite exhumée par Bush.

Au début des années soixante-dix, l'armée américaine, qui selon tous les critères était supérieure aux forces armées vietnamiennes - en tout cas supérieure en nombre, en termes d'armements, en termes de renforts et d'argent -, cette armée s'effondrait littéralement, quand elle ne se révoltait pas. La guerre du Vietnam avait, comme les généraux l'ont dit ensuite, « brisé l'armée ».

Lorsque les États-Unis ont quitté le Vietnam, non seulement ils se sont tournés vers la Chine et l'URSS pour les aider à maintenir l'ordre dans le reste du Sud-Est asiatique et les régions voisines, ils ont aussi fait payer à la population vietnamienne un prix tel qu'il ne pouvait être question qu'un Vietnam victorieux serve d'exemple à d'autres pays vivant sous la botte de l'impérialisme. Pendant cette guerre, plus de puissance destructrice a été déversée sur le Vietnam qu'il n'y en a eu de déversée sur l'ensemble du monde pendant la Deuxième Guerre mondiale. Mais à partir de 1971, alors que les militaires américains ont commencé sérieusement à réduire leurs forces terrestres, ils ont intensifié les bombardements, pas seulement sur le Vietnam mais aussi sur le Laos et le Cambodge. Et la période de bombardements la plus intense dura deux semaines, de décembre 1972 à janvier 1973, juste avant que les États-Unis signent le traité de paix en janvier 1973.

Ce que les États-Unis font aujourd'hui en Irak est comparable, avec d'autres moyens car ils ne peuvent pas se retirer et quitter complètement l'Irak comme ils ont quitté le Vietnam. Mais ils ont besoin de réduire les tensions croissantes qui s'exercent sur les militaires de façon à ce que l'armée ne se « brise » pas comme au Vietnam.

Aussi, les États-Unis continuent à maintenir des contacts diplomatiques discrets avec l'Iran et la Syrie - tout en les menaçant publiquement. Quoi que le gouvernement Bush déclare publiquement aujourd'hui, une grande partie du gouvernement et des militaires savent que les États-Unis auront besoin de l'aide des voisins de l'Irak pour y imposer l'ordre. L'Iran et la Syrie ont clairement fait savoir qu'ils étaient prêts à un effort commun pour empêcher que le chaos qui règne en Irak ne s'étende plus largement dans la région. À la mi-août, le ministre des Affaires étrangères iranien, Manoucher Mottaki, après avoir annoncé la visite du président iranien en Irak, a fait ce commentaire : « Nous comprenons la situation des Américains en Irak » et il a affirmé que les Iraniens « ne sont pas sans espoir » qu'une solution réalisable puisse être trouvée à des problèmes auxquels tout le monde est confronté dans la situation présente.

Exactement comme lors des dernières années de la guerre du Vietnam, les États-Unis sont en train d'écraser la population. Mais ils s'efforcent aussi de réinstaller la population dans des enclaves communautaires ou religieuses, aidant à mettre sur pied une police locale et des appareils militaires pour la contrôler, appareils que les États-unis ont l'espoir de pouvoir jouer les uns contre les autres, puisque ces appareils sont organisés en fonction des divisions religieuses ou ethniques.

Ainsi le bain de sang continue. En juillet dernier, interrogé par des reporters du New York Times à Bagdad, l'ambassadeur Ryan Crocker a déclaré : « Aux États-Unis, c'est comme si nous étions dans la dernière moitié du troisième épisode d'un film qui en compte trois, et tout ce que nous avons à faire c'est de décider d'en rester là, le générique arrive, les lumières s'allument et nous quittons le cinéma pour passer à autre chose. Alors qu'en réalité, nous n'en sommes qu'au premier épisode, alors qu'il y en a cinq et, aussi affreux qu'ait pu être le premier, les autres vont être bien, bien pires. »

On peut être sûr que, quoi qu'il arrive, ce sera pire. Mais il n'est pas sûr que les États-Unis aient encore devant eux quatre épisodes. La résistance parmi les troupes a manifestement grandi, même si la plupart du temps elle s'exprime comme un désir de démissionner. Mais il y a eu des prises de position publiques contre la guerre qui ont marqué, et clairement, un certain degré de colère parmi les soldats. C'est bien la seule chose positive qui est sortie de cette guerre jusqu'ici.

La désintégration de l'armée au Vietnam a créé de gros problèmes à l'impérialisme américain pendant plusieurs dizaines d'années. On n'en est peut-être pas là aujourd'hui, mais l'évolution de la situation dans l'armée va dans ce sens.

Aujourd'hui, il y a aussi une opposition profonde à cette guerre au sein de la population américaine. Plus elle s'exprime clairement, plus elle encourage l'opposition dans l'armée et dans les milieux qui fournissent de la chair à canon aux militaires. Les généraux ne peuvent pas se battre sans troupes. Voilà ce qui nourrit l'espoir de ceux qui veulent en finir avec cette guerre.

1er novembre 2007