Lettre de la LCR à Lutte ouvrière, le 5 juillet 2005
Chère Arlette,
Comme tu le sais, nous organisons chaque année une Université d'été. Elle se tiendra du 24 au 28 août à Port-Leucate.
Nous vous renouvelons donc notre invitation à y participer. Durant ces travaux, nous organiserons un débat sur les perspectives de la gauche anticapitaliste en France après la victoire du "Non". Nous souhaiterions que toi ou un(e) autre camarade de Lutte ouvrière puisse y participer. Nous avons aussi invité, pour ce débat, Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Francine Bavay.
En espérant une réponse positive, reçois, chère camarade, nos salutations fraternelles.
Alain Krivine
Lettre de Lutte ouvrière à la LCR le 26 juillet 2005
Le 28 juillet 2005
A l'attention d'Alain KRIVINE
Chers camarades,
Nous avons, ainsi qu'Arlette Laguiller, bien reçu votre invitation à débattre à votre université d'été avec, en plus de vous-mêmes, Jean-Luc Mélenchon, Marie-George Buffet et Francine Bavay, "sur les perspectives de la gauche anticapitaliste en France après la victoire du Non".
Tout d'abord, mais ce ne sera pas la principale raison de notre refus, nous ne voulons pas imiter ceux des grands partis qui, sous prétexte de telles universités estivales totalement creuses, organisent des festivals politico-médiatiques simplement pour faire parler d'eux, ce qui est autant coûteux en énergie qu'en investissement financier et est, par rapport à l'intérêt politique, totalement inutile.
Mais, la raison principale de notre refus, en particulier, d'un tel débat, c'est que nous ne voyons pas ce que nous pourrions discuter sur ce sujet avec les invités que vous citez. Ils ne sont anticapitalistes que dans vos propres écrits. Ils sont anti-libéraux, disent-ils ! Mais Chirac lui-même a pu se dire opposé à l'"ultra-libéralisme" tellement il sait que cela ne l'engage à rien.
Vous considérerez peut-être notre attitude comme du sectarisme, mais pour nous, c'est de l'hygiène politique car nous refusons de cautionner, tant soit peu, auprès de ceux qui nous font confiance, des partis qui ont, pendant des années depuis 1981, géré au mieux les affaires de la bourgeoisie française, démoralisé les classes populaires et mené une politique anti-ouvrière, plus hypocrite que celle de la droite mais qui n'eut rien à lui envier, et qui les a menés à leur échec de 2002 pour, finalement, en venir à proposer à leurs électeurs de plébisciter un homme de droite tel que Chirac comme rempart possible contre Le Pen. Ce qui d'ailleurs était rien moins que prouvé car, tout comme la gauche a capitulé devant Chirac, ce dernier peut faire le lit de Le Pen ou de l'un de ses semblables. Mais cela a permis à la gauche plurielle, en jouant sur la crainte de Le Pen, d'éviter d'avoir à discuter des raisons de son échec, donc de faire quoi que ce soit qui pourrait ressembler à une autocritique. Et aujourd'hui, les masses populaires payent lourdement le prix d'avoir offert à Chirac le bénéfice d'avoir été élu par 82% des voix dont celles de l'électorat de gauche.
Ce que nous reprochons aujourd'hui au Parti communiste, trop français, comme à ceux qui, paraît-il, représenteraient l'aile gauche du Parti socialiste, c'est de n'avoir fait, depuis 2002, aucune critique de la politique des gouvernements de la "gauche plurielle". Il y a bien quelques allusions au fait de ne pas renouveler celle-ci mais aucune analyse de la politique du gouvernement Jospin ni des raisons de la défaite de ce dernier, donc de la leur car ils ont tout cautionné par leur participation à ce gouvernement.
Aussi bien Marie-George Buffet que Mélenchon pour la "gauche" du PS, sont quasi muets sur ce sujet.
Ce qui se dit au sein du PCF comme du PS, c'est que l'échec de Jospin est dû à l'extrême gauche, c'est-à-dire à vous et à nous, mais pas du tout à la politique menée durant cinq ans par son gouvernement, pas même au fait que PCF et Verts ont présenté des candidats contre Jospin au premiertour, pour des raisons bassement politiciennes, alors qu'ils étaient associés à son gouvernement. En présentant Robert Hue et Noël Mamère, qui ont obtenu au total plus de 2400000 suffrages, ce sont eux, et pas nous, qui ont fait perdre Jospin. S'ils s'étaient ralliés à Jospin comme candidat commun, puisqu'ils l'avaient déjà choisi comme chef de gouvernement, Jospin aurait obtenu, malgré notre présence, plus de 6 millions de voix au premier tour, c'est-à-dire bien plus que les 4800000 de Le Pen.
Discuter avec ces gens-là contribue à faire croire qu'ils sont porteurs d'un quelconque "anticapitalisme", ce qui revient à tromper l'électorat de gauche et, en particulier, les travailleurs et les salariés que cela peut détourner des luttes.
Notre refus de discuter avec ceux qui ont amené à la situation actuelle où la droite a aujourd'hui les mains libres, c'est bien parce que c'est la gauche plurielle qui a fait plébisciter Chirac après avoir lié les mains des travailleurs et qui a été à l'origine de presque toutes les mesures dont la droite ne fait que renforcer aujourd'hui le caractère réactionnaire. Le "contrat nouvelle embauche" n'a rien à envier aux "contrats jeunes" sauf que ces derniers prévoyaient l'insécurité au terme de cinq ans au lieu de deux.
Le blocage des salaires, c'est la gauche, le budget de l'Etat au service des entreprises sous prétexte de créer des emplois, la gauche en a eu largement sa part en affirmant que l'emploi passe par la santé des entreprises. Les privatisations, la gauche en avait fait plus que tous les gouvernements de droite précédents. Reconnaissons qu'il y a eu quelques gestes positifs : abolition de la peine de mort, la CMU mais prise en grande partie sur le budget de la Sécurité sociale et pas sur celui de l'Etat. Il faut remarquer que tout cela ne coûtait rien au patronat et ne renforçait pas du tout la situation sociale et politique du monde du travail. Evidemment, il y a eu le grand oeuvre du gouvernement Jospin, c'est-à-dire les 35 heures, mais qui ont été assorties de tellement d'avantages favorables au patronat, avec les smic à taux différents -cinq-, la flexibilité des horaires, la comptabilité des heures supplémentaires sur l'année, qu'au total leur bilan n'a pas du tout été favorable à un très grand nombre de salariés du bas de l'échelle et que nous en subissons encore les effets nocifs.
Tout cela a entraîné une démoralisation des travailleurs, floués par la gauche, ce qui leur a ôté tout espoir de pouvoir réagir contre les attaques patronales.
Cependant, puisque vous nous invitez à discuter de perspectives, nous souhaitons vous donner notre avis sur la question que vous posez et les réponses que vous souhaitez lui donner. Prenez cela comme une contribution, et non comme une simple critique, qui serait hostile de surcroît.
En fait, nous ne comprenons pas où votre démarche actuelle peut vous conduire.
Il nous semble évident que la gauche, que vous appelez abusivement "anticapitaliste" pour justifier vos rapports avec elle, car ni le PCF, ni a fortiori le PS qu'il soit du "oui" ou du "non", ne se disent tels, n'aspire qu'à revenir au pouvoir, si possible en 2007. Cela pour gérer de nouveau, loyalement, les affaires de la bourgeoisie car aucun gouvernement ne peut être autre chose, à l'exception d'un gouvernement issu d'une révolution, ce que ni le PS ni le PCF ni les "nouvelles forces" comme Attac n'envisagent autrement qu'avec crainte. Il est en effet incontestable qu'aucun gouvernement quel qu'il soit ne peut gouverner contre la grande bourgeoisie, la classe économiquement dominante et qui peut du jour au lendemain au minimum faire tomber n'importe quel ministère et, au pire, ruiner l'économie de tout un pays, si un tel gouvernement n'est pas appuyé, ou poussé, par une lutte exceptionnelle et historique de la classe ouvrière.
En dehors d'une telle mobilisation, des révolutionnaires au gouvernement, et a fortiori des réformistes, ne peuvent que trahir.
Revenir, électoralement, au pouvoir, la "gauche" réformiste, d'ailleurs si peu, ne peut l'espérer qu'en étant unifiée, quel que soit le nom que cette coalition se donne, autour d'un même candidat à la présidentielle et unie dans toutes les circonscriptions électorales des législatives.
Le PCF annonce déjà cette couleur par la voix de Marie-George Buffet. A tel point qu'il semblerait même aventureux pour le PCF, les Verts ou des dissidents socialistes de présenter un candidat même au premier tour car vu l'expérience de 2002, le spectre de Le Pen, s'il est présent, va peser dès le premier tour et que la gauche hésitera à prendre le risque de se voir dépasser électoralement et écartée du deuxième tour par l'extrême droite.
Ces "alliés", PCF et "gauche de la gauche", vous abandonneront dès que la direction du Parti socialiste posera ses conditions à une éventuelle alliance, c'est-à-dire en offrant quelques circonscriptions aux uns et aux autres, voire quelques promesses de fauteuils de ministres assortis de quelques strapontins à répartir entre "gauche du non", PCF ou Verts. Il est peu vraisemblable que dans ce panier de crabes il y ait la moindre place pour vous, ce que d'ailleurs, pensons-nous, vous ne souhaitez heureusement pas vraiment. Mais peut-être voyez-vous plus loin avec des candidatures uniques dans quelques circonscriptions ou des listes communes aux municipales ? Mais cet objectif vous poserait quand même le problème de soutenir un candidat commun de la gauche au premier tour de la présidentielle. Problème qui se posera aussi au PCF.
Vous dites que vous seriez prêts à participer à un gouvernement qui prendrait certaines mesures sociales limitées mais positives, telles que l'augmentation des salaires, l'interdiction des licenciements, une véritable répartition égalitaire des richesses ainsi qu'un contrôle des salariés sur ces richesses. Nous supposons qu'il s'agit évidemment, du moins nous le croyons, d'une attitude pédagogique, ou propagandiste, pour mettre vos partenaires au pied du mur devant leurs militants, leurs sympathisants et leurs électeurs.
Peut-être aussi pour vous donner un moyen de vous dégager lorsque vos partenaires d'aujourd'hui ne voudraient pas reprendre ce programme ou encore pour sauver la face s'ils vous abandonnent purement et simplement. Ils l'ont bien fait dans le passé après la campagne de "forums" initiée en 1995 par le PCF pour "entendre les voix du peuple", auxquels étaient invités le Parti socialiste, le Mouvement des citoyens de Chevènement, les Radicaux de Jean-Michel Baylet, les écologistes de Dominique Voynet et vous-mêmes. Campagne qui s'est terminée en apothéose par un "forum géant", début avril 1996, au Palais Omnisports de Bercy, devant 9 à 10000 personnes. Les six leaders étaient réunis à la tribune, dont Alain Krivine pour la LCR, et se sont, pour le final, tenus par le bras ou par la main, et se sont même, pour certains, fait la bise devant les photographes. Cinq compères ont fait, par la suite, cause commune mais Alain Krivine et la LCR sont restés au bord de la route... Et même dans la boue de la fête de l'Huma, si notre mémoire ne flanche pas, lors d'un rendez-vous ignoré par les dirigeants du PCF.
C'est pour tout cela que nous ne comprenons pas où votre démarche actuelle peut vous mener.
Dès qu'un accord électoral pointera le bout de l'oreille entre le PS du "oui" et du "non", PCF, Verts et autres, il nous paraît plus qu'évident que vos alliés d'aujourd'hui se précipiteront à la mangeoire pour tenter de renouer avec le pouvoir, lequel ne leur servira qu'à mener à nouveau la politique de l'ex-gouvernement Jospin. Cela consistera à ne pas supprimer les mesures prises actuellement par la droite et à continuer à aggraver la situation des classes laborieuses, cela si par extraordinaire ils revenaient au pouvoir. Dans ce cas, nous n'imaginons pas d'une part qu'ils vous offriraient la moindre chance de participer et n'imaginons pas non plus que vous pourriez accepter, malgré votre voeu de paraître unitaires aux yeux de ceux qui approuvent votre démarche unitaire actuelle avec Buffet, Mélenchon et consorts. "Tous unis", c'est bien entendu le voeu de tous ceux qui veulent que la gauche revienne aux affaires et qui ont des illusions sur ce qu'elle est vraiment.
Mais pourrez-vous être, jusqu'au bout, aussi unitaires que vous l'êtes actuellement pour vous placer dans ce courant et dans les illusions qu'il véhicule ?
A un moment ou à un autre, s'ils ne se débarrassent pas de vous, vous devrez bien prendre vous-mêmes l'initiative de la rupture. Evidemment, vous n'aurez pas à chercher beaucoup de raisons. Mais ce qui risque quand même de vous faire apparaître comme ceux qui ont brisé l'unité.
En attendant, vous y gagnez, pensez-vous peut-être, d'être considérés par des militants et sympathisants du PCF et, peut-être aussi, par une partie de ceux du PS, comme unitaires, comme partisans de la gauche, et que cela vous vaut un certain coefficient de sympathie. Mais si vous vous contentez de cela, si cela est votre seul but, il y a un moment où vous ne serez guère plus avancés.
D'autant que le PCF, par la voix de Marie-George Buffet, a déjà affirmé ce risque lors de la rencontre "au sommet" que vous avez eue avec ses dirigeants. Marie-George Buffet n'a pas caché que le PCF souhaitait élaborer un programme politique avec toutes les forces politiques et sociales intéressées, c'est-à-dire, en clair, aussi bien avec les socialistes du "non" qu'avec ceux du "oui".
Peut-être ferez-vous l'impasse sur cette volonté du PCF et considérerez-vous que Paris ou l'Assemblée nationale valent bien de s'allier aux partisans du "oui", mais que ferez-vous alors des conditions que vous proposez au contenu du programme de gouvernement telles que celles que nous citions au début sur l'interdiction des licenciements, l'augmentation générale des salaires, une répartition égalitaire des richesses et un contrôle des salariés sur ces richesses ?
Nous ne voyons ni Jospin, ni Fabius, ni Hollande, ni quelque autre leader présidentiable du PS, reprendre même l'une quelconque de ces revendications. Vous serez donc amenés là encore à rompre avec la politique que vous menez maintenant. Et nous nous demandons à quoi elle aura servi. Sauf, malheureusement peut-être, à faire croire que les gens avec lesquels vous discutez, de Buffet à Mélenchon, en passant par quelques autres, seraient capables de mener une telle politique, d'imposer une telle politique à des alliés socialistes ou de faire croire que les dirigeants du PS accepteraient de venir au pouvoir sur la base d'un tel programme. Toute l'histoire montre pourtant qu'ils préféreraient rester dans l'opposition plutôt que de l'accepter...
C'est pourquoi, pour notre part, nous ne voyons pas l'intérêt, pour ceux qui pourraient nous faire confiance, de nous montrer sur les mêmes tribunes que ces gens-là ou d'engager une discussion qui ne mènerait à rien car nous sommes vraiment sur des planètes différentes.
Bien sûr, ils sont, étant dans l'opposition, tout à fait capables de s'associer à certaines luttes et, sur ce terrain-là, nous ne récuserons pas leur présence. Mais préparer un programme commun, ensemble, qu'il soit baptisé "anti-libéral" ou pas, nous pensons que c'est une erreur.
Cela dit, chers camarades, même si nous ne nous retrouvons pas à votre université d'été, nous aurons d'autres occasions de nous retrouver, ne serait-ce que dans les luttes qui, nous l'espérons, vont marquer l'année qui vient !
Fraternellement,
Pour Lutte ouvrière,Georges KALDY
Lettre d'Olivier Besancenot à Arlette Laguiller, le 11 juillet 2006
Chère camarade,
Comme tu le sais déjà, notre Conférence nationale du mois de Juin a souhaité, entre autres, que notre Université d'été, qui se déroulera du dimanche 27 août au mercredi 30 août, soit un des lieux de la poursuite du débat entre les différences forces de la gauche anticapitaliste sur la question de l'alternative politique et de la possibilité ou non d'une candidature unitaire pour les prochaines élections.
Nous te proposons donc de participer à un débat, le lundi 28 après-midi, sur ce sujet avec également Marie-George Buffet et José Bové.
Dans l'attente d'une réponse favorable de ta part, reçois mes salutations fraternelles et révolutionnaires.
Olivier Besancenot
Lettre d'Arlette Laguiller à Olivier Besancenot, le 24 juillet 2006
Cher camarade,
J'ai bien reçu ton invitation à participer à un débat le lundi 28 août après-midi à l'Université d'été de la LCR.
Je ne répondrai pas positivement à cette invitation car, en fait, l'objectif de ce débat me semble déplacé, voire surréaliste, par rapport à la situation actuelle.
D'abord je ne vois pas quelles seraient "les différentes forces de la gauche anticapitaliste". Pour moi "anticapitaliste" ne peut désigner que des forces qui combattent le capitalisme, c'est-à-dire qui veulent remplacer le mode de production, de répartition et d'appropriation capitaliste, par une économie socialiste, c'est-à-dire une économie où les grands moyens de production appartiendraient à la société, où la production elle-même ne serait pas régulée par le "marché" ou la "loi" du profit maximum mais par les besoins matériels et moraux de la population mondiale et où l'on produirait tout ce qu'il faut pour cela mais rien que ce qu'il faut, sans gâcher des forces productives, matérielles et humaines et sans détruire la planète.
Je ne pense pas que le Parti communiste et Marie-George Buffet aient cela en tête et que, même s'ils prétendent vouloir atteindre ce but, ne serait-ce que par petits pas, ils le feraient à l'avenir, étant donné qu'ils ne l'ont pas fait durant tout le temps où ils ont participé au gouvernement.
De son côté, José Bové n'a jamais rien affirmé de semblable.
Alors, si Marie-George Buffet et José Bové participent réellement à un tel débat, je ne vois pas ce que je pourrais y dire qui les fasse changer.
Quant à l'alternative politique, il découle de ce qui précède que les alternatives politiques qu'ils pourraient envisager ou espérer ne sont pas du tout celles que nous considérons comme nécessaires.
Nécessaire et indispensable, ce serait d'empêcher le patronat de dominer l'économie, c'est-à-dire, en fait, toute la société, de créer les entreprises qu'il souhaite, de fermer ou délocaliser celles qu'il veut, d'augmenter ou de réduire la production à son gré, en fonction des profits réalisés ou espérés. Cela voudrait dire, pour réduire ou supprimer cette totale liberté de la classe dominante, commencer par exercer un contrôle populaire sur ses financements, ses comptabilités, le mouvement de l'argent dans les rouages de la production, du grand commerce, des banques et des Bourses.
Bien sûr, aucun gouvernement ne pourrait imposer cela sans être appuyé par un profond mouvement de masses. Mais le souhaitent-ils ? Il est évident qu'ils le craindraient plutôt et sont loin de le souhaiter. S'ils le souhaitaient, ils le diraient au moins dans leur propagande. Ceux qui le diraient pourraient mentir, mais ceux qui ne le disent même pas sont plus que des menteurs, ils sont des adversaires.
C'est pour toutes ces raisons que je ne répondrai pas positivement à ton invitation et qu'aucun camarade représentatif de Lutte Ouvrière ne le fera.
Avant de conclure, je veux te dire, au nom de la direction de Lutte Ouvrière, que nous sommes heureux que la LCR ait décidé de présenter un candidat à la présidentielle de 2007 et qu'elle t'ait choisi pour la représenter.
De mon côté, à l'heure qu'il est, je n'ai pas encore tous les parrainages nécessaires mais j'espère bien les obtenir et aussi que tu obtiendras les tiens.
Je tiens cependant à te dire que si je ne les avais pas, nous appellerions très probablement à voter pour ta candidature mais pas pour la "candidature unitaire" que tu proposes et dont le programme serait, par la force des choses, le plus petit dénominateur des positions respectives de ses soutiens. Dans le même ordre d'idées, si je ne pouvais pas me présenter et que tu le puisses, le fait que nous pourrions appeler à voter pour toi ne signifierait pas qu'on en ferait automatiquement une candidature commune avec une campagne commune.
Avec mes salutations révolutionnaires et toutes mes amitiés.
Arlette LAGUILLER
Tract "LCR 100% à gauche" diffusé lors de la fête de l'Humanité, en septembre 2006
Aux camarades, militants et sympathisants du Parti communiste français
Chers camarades,
En 2005, nous avons mené une campagne unitaire qui a permis la victoire du Non au projet de constitution libérale européenne. La construction de cette nouvelle convergence unitaire, et son écho de masse, a suscité beaucoup d'espoirs, notamment celui de continuer cette dynamique pour les prochaines échéances électorales. Dans ce cadre, tout le monde s'accorde à reconnaître la responsabilité particulière du PCF et de la LCR. Or, pour le moment, des désaccords politiques importants existent qui empêchent d'aller ensemble aux élections. Essayons de faire le point, ensemble.
Nous faisons le même constat : la logique de la mondialisation libérale et impérialiste entraîne, d'un côté, une concentration croissante des richesses et, de l'autre, une aggravation des inégalités sans précédent, avec la pérennité d'un chômage de masse, la généralisation de la précarité, la pauvreté voire la misère.
Ce contraste est d'autant plus révoltant que les progrès scientifiques et techniques sont prodigieux. La dictature de la finance n'est pas une formule, mais une terrible réalité.
En cette rentrée, ce constat s'impose à tous. L'explosion des profits a pour corollaires le recul social, le chômage, la destruction progressive des services publics.
La question de l'immigration en est une illustration. Elle est au coeur des luttes avec la défense des enfants sans papiers ou de ceux de Cachan. On ne peut trouver de solution aux drames que vivent des centaines de milliers de travailleurs sans papiers dans ce pays par la politique dite de "l'immigration choisie", c'est-à-dire par les méthodes policières de Sarkozy, ou de "l'immigration adaptée" que défendent Ségolène Royal et le Parti socialiste. Les drames de l'immigration sont le produit de la politique des multinationales, de la concurrence mondialisée qui aggrave la misère et le dénuement des populations des pays pauvres.
C'est bien cette politique qu'il s'agit de battre en brèche pour mettre l'économie au service des peuples, des classes populaires, des pauvres et donc sous leur contrôle.
C'est votre combat, c'est aussi le nôtre
Nous voulons, nous aussi, battre la droite, l'arrogance du Medef et la démagogie populiste insupportable de Sarkozy. Mais battre la droite signifie, aussi, s'opposer à toute politique sociale-libérale menée par la gauche et qui ne peut, qu'une fois de plus, écoeurer le monde du travail, renforcer l'abstention, voire le Front national. C'est à cause de sa politique que Jospin a perdu les élections.
Certes, votre parti ne propose pas de refaire les expériences de la gauche plurielle gouvernementale qui vous ont coûté si cher, mais il propose un "rassemblement majoritaire de toute la gauche", PS inclus, pour mener une politique de "rupture avec le libéralisme". Et, pour rendre crédible cette hypothèse, il découvre que le débat de candidatures qui ravage le PS n'est pas un débat de personnes mais un débat fondamental entre deux orientations : l'une représenterait une orientation social-démocrate, l'autre une orientation social-libérale. Mais où est le débat de fond entre Lang, Royal, Fabius ou Strauss-Kahn qui, tous, se sont ralliés, lors du congrès du Mans, au programme social-libéral de la direction ? Arrêtons de créer des illusions sur la direction du PS qui pourrait se convertir à l'anticapitalisme, arrêtons de faire croire que le Non de gauche au référendum est une base suffisante pour élaborer une alternative, au moment où la plupart de nos "alliés" socialistes se rallient à la direction du PS et à son programme (Fabius, Emmanuelli, Montebourg... et Mélenchon qui soutient Fabius).
Dans cette situation difficile, la clarification est indispensable. Elle passe, d'abord, par un soutien unitaire aux mobilisations sociales qui ont repris le dessus : 2003, 2004, la victoire du non le 29 mai, le succès de la jeunesse contre le CPE et, aujourd'hui, la défense du service public à EDF et GDF.
Notre responsabilité commune est d'offrir des perspectives à ces mobilisations, d'aider à leur convergence pour qu'elles puissent inverser le rapport de force.
Tout le passé le démontre, il n'est pas possible de changer les choses, d'enrayer la logique capitaliste sans changer le rapport de force entre les salariés, les classes populaires et le patronat.
Autant nous ne sommes pas prêts à aller gouverner avec le PS, autant nous nous battons à l'occasion de chaque mobilisation (droits des immigrés, CPE, EDF-GDF) pour réaliser le soutien le plus large possible, notamment avec le PS. Le débat que nous avons avec vous, ou dans les collectifs pour des candidatures unitaires, n'est pas sur des virgules. Dire qu'on refuse tout accord parlementaire ou gouvernemental avec le PS n'est pas la même chose que de s'engager à refuser de gouverner avec le "social-libéralisme". En France, un seul courant du PS se dit social-libéral, celui de Bockel. Ségolène Royal affirme que son programme est "socialiste".
Le refus de faire la clarté sur ce point crucial permet, dans la pratique, toutes les compromissions avec le PS, comme la réunion de "toute la gauche" convoquée par M.-G. Buffet, à la fin du mois, ou le refus du PCF de Bordeaux de notre proposition de faire une liste commune aux municipales avec la gauche "anti-libérale et anticapitaliste", au profit d'une liste unitaire dirigée par le PS.
C'est cette pratique qui explique notre vigilance, surtout dans une Europe où l'on a pu voir comment la majorité du PRC italien (Refondation communiste) est passée d'un non radical à l'Europe libérale à une participation gouvernementale avec Prodi.
Vous êtes aujourd'hui devant un choix stratégique : construire avec nous et toutes les forces anticapitalistes un front commun pour les luttes comme pour les élections, ou garder, même sous une autre forme, la perspective d'une alliance de toute la gauche (mêlant sociaux-libéraux et anticapitalistes, partisans du Oui et du Non) pour participer à une majorité gouvernementale. Nous n'avons jamais refusé, par principe, "la perspective" d'aller un jour dans un gouvernement, mais cela implique une situation de mobilisations populaires telles qu'elles puissent imposer un affrontement avec le patronat, permettant une politique qui s'en prenne au profit, rompe avec la logique libérale de la rentabilité financière et assure un contrôle des travailleurs.
Pour aider à clarifier le débat, plusieurs rencontres ont eu lieu avec une délégation de votre Direction. Au mois de juin, nous étions convenus d'ouvrir une discussion publique sur la base d'un échange de textes sur la stratégie. Nous avons envoyé notre contribution, mais elle est restée sans réponse. Aucune confrontation politique sur la stratégie n'est prévue cette année à la fête de l'Humanité. Chaque fois, l'argument avancé est qu'il ne faut pas se limiter à des tête-à-tête entre organisations et que c'est "au peuple de s'emparer du débat et de trancher". Véritable diversion, quand on sait qu'il n'existe aucune structure de mobilisation populaire de masse, et qu'en dernière analyse, ce sont les congrès ou conférences d'organisation, dont la vôtre, en octobre, qui vont trancher !
Lors de la réunion des collectifs unitaires du 10septembre et des discussions préparatoires, nous avons défendu les mêmes positions que celles que nous avions défendues dans ce texte. Tous nos amendements, comme ceux des collectifs unitaires locaux, ont été rejetés sans vote, par acclamation, par une salle dont personne n'est capable de juger la représentativité.
En juin dernier, nous avons décidé de présenter Olivier Besancenot, tout en poursuivant le débat. Nous sommes prêts à retirer sa candidature, en cas d'accord politique. Mais, n'ayant pas comme vous des centaines de maires, nous ne pouvons pas attendre la fin de l'année et nous retrouver le bec dans l'eau en novembre en cas d'absence de candidature unitaire.
Nous souhaitons continuer le débat. Il ne concerne pas seulement nos deux partis, mais bien l'ensemble du mouvement social et ouvrier, l'ensemble des composantes des collectifs unitaires, les travailleurs et la jeunesse, tous ceux qui veulent changer le monde et ne se reconnaissent pas dans la gauche libérale.
Nous voudrions espérer que les nouvelles relations que nous avons construites s'enrichissent, gagnent en ouverture et en démocratie, pour qu'elles puissent être pleinement utiles à l'unité et au développement des luttes et, demain, à la construction d'une nouvelle force anticapitaliste.
C'est l'intérêt de tous. Mais cela suppose la clarté dans les alliances et les perspectives.
Le 14 septembre 2006
Ligue communiste révolutionnaire