France - La LCR et la campagne contre Maastricht

چاپ
Avril 1996

Ce n'est pas d'aujourd'hui que la Ligue communiste révolutionnaire éprouve le besoin d'ajouter sa propre voix au concert du PCF qui fait de Maastricht le responsable de tous les maux de la société, reprenant à son compte des arguments équivoques, voire qui ne le sont malheureusement même pas.

Relevons seulement quelques exemples dans ce florilège.

Dans Rouge du 4 avril 1996, le compte-rendu du forum de Bercy reproche à Jospin certes les "renoncements passés et présents" du Parti socialiste, mais "surtout" - l'insistance est de Rouge - le fait qu'il "persiste et signe, comme il l'a fait à Bercy avec vigueur, dans son approbation de la monnaie unique, bien que tout démontre qu'elle mène l'Europe à sa ruine". Rien que cela !

Erreur de formulation d'un rédacteur emporté par sa fougue ? Certes non, car dans un autre article consacré au sommet de Turin des chefs d'État européens, l'idée revient, illustrations à l'appui. N'en citons qu'une : "Tout ce qui se passe dans les chemins de fer, la poste, les télécommunications, mais aussi, la réorganisation du secteur bancaire et des assurances par exemple, comme les restructurations (fermetures, fusions...) relève directement ou indirectement de l'impact de ce traité... (celui dit de l'Acte unique européen) ".

Il est vrai que Rouge n'a pas fait aussi fort qu'Informations Ouvrières du 10 avril qui titrait sa revue de presse : "Vache folle : c'est l'Union européenne qui empoisonne ! "

Sans verser - encore ? - tout à fait dans le langage nationaliste du PCF, Rouge en vient à écrire, en utilisant un langage neutre d'économiste : "Mais en touchant à la monnaie, il - l'Acte unique - enlève une pièce majeure des prérogatives de l'État national et, donc, limite sa capacité à 'gérer' les turbulences de la lutte des classes en jouant sur la politique budgétaire, fiscale et donc... sociale".

Et de reprendre une idée déjà développée dans Rouge du 21 mars de la manière suivante : "Les États ne pourront plus recourir à la création de monnaie pour financer leurs déficits, mais devront procéder à un alourdissement des prélèvements et une réduction des dépenses publiques. Ils ne pourront plus dévaluer pour contrer un manque de compétitivité, n'auront plus la maîtrise d'une politique de crédit pour favoriser la consommation. Les ajustements se feront à travers la concurrence, par une plus grande flexibilité des coûts de production et, en particulier, une baisse des salaires réels. La gestion de l'euro ne vise pas une croissance tournée vers la consommation et l'emploi. La monnaie unique n'est donc un atout que pour les entreprises et les investisseurs, mais pas pour les salariés". La description se veut objective, la LCR n'invoque pas la "souveraineté nationale" chère au PC, mais le parti pris est évident pour le lecteur normalement constitué : la monnaie nationale vaut mieux que la monnaie unique. La première ne permet-elle pas à l'État national de "gérer les turbulences de la lutte de classe" par l'inflation et la dévaluation (c'est-à-dire par la réduction hypocrite du pouvoir d'achat des travailleurs) plutôt que par "l'alourdissement des prélèvements et une réduction des dépenses publiques" ?

Comme si le rôle d'une organisation dont le nom se réfère au communisme, était de choisir entre les différentes façons dont la bourgeoisie accommode l'exploitation de la classe ouvrière ! Comme si son rôle était d'ajouter au chœur de ceux qui agitent d'autant plus Maastricht et les dangers d'une Europe capitaliste qu'ils ont envie de dissimuler ou de faire passer au second plan le rôle de "notre" État, de "nos" gouvernants, de "notre" bourgeoisie ! Comme si son rôle était de se joindre, fût-ce avec modération et des précautions oratoires, à ceux qui, en faisant de la démagogie anti-européenne, renforcent des préjugés nationalistes !

Il est difficile de savoir dans quelle mesure le rédacteur de Rouge croit que c'est la monnaie unique - en état de projet pour le moment, rappelons-le - qui "mène l'Europe à la ruine" et non pas le système capitaliste, la guerre que la bourgeoisie, poussée par la concurrence et la soif de profit, mène à la classe ouvrière. La LCR ne fait, probablement, que s'adapter à des idées, à certains préjugés ou modes qui prédominent dans la petite bourgeoisie (mais en cette période de recul politique de la classe ouvrière, ces préjugés ou ces modes sont particulièrement stupides et réactionnaires). Elle le fait, probablement, comme très souvent dans le passé, pour trouver l'oreille de forces politiques auxquelles elle espère pouvoir accrocher son char. Sous cet angle, ce n'est même pas une hypothèse, car dans son éditorial du 21 mars 1996, Rouge conclut : "Il en devient plus urgent que les partisans d'une autre Europe engagent une campagne commune. Qu'ils exigent une renégociation et une réécriture complète d'un traité autour des exigences mises en avant par les mouvements sociaux : priorité à l'acquisition de droits sociaux fondamentaux, défense intransigeante d'un droit au service public, harmonisation par le haut des droits des citoyens, construction où les décisions se prennent au plus près des citoyens".

Oui, "au plus près des citoyens"...

C'est peut-être le "réalisme" de la recherche d'hypothétiques alliances qui conduit à ce fade langage de libéral-démocrate. Mais les révolutionnaires ont de tout autres choses à dire sur la question.

Ils ont à dire qu'aucun des deux camps bourgeois, qui discutent doctement de la question de savoir si le traité de Maastricht est bon ou s'il faut le renégocier et le réécrire complètement, ne représente les intérêts des travailleurs, ni de près ni de loin. Dans l'un, le "pro-maastrichtien", il y a le Parti socialiste, l'UDF, une partie du RPR, et des personnages politiques aussi éloignés de la classe ouvrière et de ses intérêts que Rocard, Jospin, Giscard d'Estaing ou Chirac-Juppé. Dans l'autre, il y a Robert Hue, mais aussi Pasqua, Séguin, de Villiers et Le Pen. Et de surcroît, leur débat sur l'Europe est complètement bidon, car, de toute façon, lorsqu'ils seront au gouvernement, ils feront là où le patronat et le grand capital leur demanderont de faire.

Les révolutionnaires ont à dire que l'Europe que défendent les politiciens de la première catégorie n'est qu'un conglomérat d'États, une association de brigands impérialistes concurrents étouffant dans les frontières nationales, mais réunis seulement parce qu'aucun des trois plus puissants d'entre eux n'a pu imposer sa propre loi sur le continent au cours des deux guerres mondiales précédentes. Mais il doivent dire en même temps que les frontières nationales, les monnaies nationales que défendent les politiciens de la seconde catégorie, sont des anachronismes réactionnaires et que le prolétariat n'a aucun intérêt à leur conservation.

Une monnaie unique pour l'ensemble de l'Europe serait un progrès. Mais même ce petit pas ne sera réalisé, selon toute vraisemblance, qu'entre un nombre restreint d'États et même entre ceux-là, elle sera conditionnelle et ne subsistera que tant que chacun des États nationaux concernés, c'est-à-dire leurs bourgeoisies respectives - et en particulier celles des trois puissances impérialistes dominantes, l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne - y trouvera son intérêt. Mais dans la mesure où l'unification de l'Europe sous l'égide de la bourgeoisie n'est qu'une fausse unification qui ne supprime nullement les États nationaux, ceux-ci pourront toujours revenir en arrière, comme ils peuvent toujours se retrancher derrière leurs frontières, rétablir leurs protectionnismes, leurs embargos, leurs quotas.

Ce qu'il y a enfin à dire, c'est que le prolétariat n'a pas à craindre l'unification de l'Europe, mais que la bourgeoisie n'est pas capable de la réaliser de la seule façon qui en soit véritablement une : un État européen unique, regroupant l'ensemble du continent. L'Europe devrait être unie, mais elle ne le sera que par la révolution prolétarienne et sous la forme des États-Unis socialistes d'Europe !