Dans une interview donnée au journal Le Nouvelliste le 31 janvier dernier, Préval définissait la façon dont il comptait assurer sa fonction de président de la République.
Pas de promesses pour les 5 années de son mandat présidentiel, affirma-t-il d'emblée, histoire de montrer aux possédants d'ici comme aux puissances tutélaires que, contrairement à son prédécesseur, il n'entend donner aux masses populaires pas même de faux espoirs. Mais répondant à une question concernant les garanties de sécurité réclamées par les associations patronales qu'il avait récemment rencontrées, il eut cette phrase révélatrice : "5 à 10 000 policiers même en situation de régime autoritaire pratiquant la répression systématique ne peuvent résoudre à eux seuls les problèmes causés par le désespoir des couches défavorisées".
Eh oui, en effet.
Ceux qui gouvernent connaissent la misère des travailleurs des villes et des campagnes. Ils savent que la vie des pauvres de ce pays, c'est-à-dire de l'écrasante majorité de la population, est indigne de cette fin de vingtième siècle. Ils mesurent à quel désespoir tout cela conduit.
Mais ces dirigeants comme leurs mandants de la classe possédante ont surtout cette crainte enfouie, qui devait être naguère celle des propriétaires d'esclaves, que cette multitude d'opprimés dont ils vivent mais qu'ils méprisent, ces ouvriers payés 36 gourdes, ces travailleurs sans travail, ces petits paysans sans terre, ces jeunes sans avenir, ces pauvres sans espoir, cessent un jour d'accepter l'inacceptable.
Préval est un intellectuel, un petit-bourgeois dit éclairé. Il doit savoir, dans ses moments de conscience, que la société haïtienne est un volcan. Et que le jour où ce volcan explosera, ni 10 000 policiers, ni même dix fois plus, ne suffiront pour arrêter l'explosion.
Préval sait cela, mais il sait aussi qu'il n'y pourra rien, qu'il ne fera rien. Car pour seulement réformer la société haïtienne, pour seulement assurer le quotidien pour la majorité pauvre de la population, pour seulement atténuer les inégalités les plus provocantes, pour mettre fin à la corruption de l'appareil d'État, il faudrait se heurter à une classe de possédants avide, insatiable, féroce. Et il sait que cela ne lui est pas permis, si tant est qu'il en ait l'envie.
Sa politique sera en conséquence une gestion au jour le jour des intérêts politiques de la bourgeoisie. Ce qu'il appelle pompeusement "programme d'ajustement structurel" se limitera à la vente au secteur privé de quelques entreprises publiques susceptibles de trouver des acheteurs, à des licenciements dans les ministères. Pour le reste, il continuera la course à la mendicité internationale pour boucler le budget de l'État, la cour aux investisseurs pour qu'ils daignent venir profiter des bas salaires d'ici. Et il tentera surtout d'éviter les vagues, guidé par l'espoir que le destin lui évitera les soubresauts populaires, aussi bien qu'une réaction préventive de la part des possédants sous la forme d'un retour à la dictature, militaire ou pas.
Pour les exploités de ce pays, il n'y a pas plus lieu d'entretenir le moindre espoir en ce nouveau président que de cultiver la moindre nostalgie envers son prédécesseur. La seule question qui vaille pour eux est de savoir si, pendant les mois et les années qui viennent, pourra se constituer une force, une organisation qui représenterait leurs intérêts politiques, et rien que ces intérêts-là. Une organisation décidée à combattre, jusqu'au bout, l'ordre social infâme de ce pays. Une organisation capable de transformer d'abord les réactions de défense éparses, les soubresauts épisodiques des masses pauvres en une action politique permanente et consciente. Puis qui, forte de la confiance des pauvres, sache faire en sorte que l'explosion sociale inévitable soit guidée dans un sens susceptible de transformer la société haïtienne de fond en comble.
Prendre le contrôle du pouvoir politique et s'en servir pour arracher à la classe possédante son pouvoir économique et son emprise sur les entreprises industrielles, commerciales, bancaires comme sur la terre ; réorganiser la production en fonction des besoins des classes pauvres et non plus des profits de la minorité privilégiée ; en dehors de cette voie, il n'y a point de salut pour les prolétaires des villes et des campagnes !
Tout le reste n'est que mensonge et illusion. L'explosion que craignent Préval comme ses mandants haïtiens ou américains n'est, du point de vue des pauvres, pas une menace mais la seule source d'espoir. A condition que l'explosion ne se perde pas en violence stérile mais se transforme en révolution sociale.