Combien de fois n'a-t-on pas entendu, au cours de cette crise de l'économie mondiale qui dure depuis plus de vingt ans, annoncer la reprise de l'économie américaine et augurer que cette reprise américaine finirait par entraîner le reste du monde !
La répétition de ce genre de propos dans la bouche des dirigeants français, britanniques, allemands, etc. ne tient pas seulement de la méthode Coué. Étant donné le poids de l'économie américaine dans l'économie capitaliste mondiale, un redémarrage économique outre-Atlantique pourrait en effet annoncer la fin de la crise.
Mais, en réalité, toutes les "reprises" annoncées depuis vingt ans aux États-Unis se sont révélées par la suite n'être que des phases temporairement ascendantes dans une longue période de stagnation et de faible croissance économique.
La "reprise américaine" actuelle n'est guère différente des précédentes - toutes suivies de rechutes - si ce n'est qu'elle est plus modeste encore.
Selon le National Bureau of Economic Research, l'organisme responsable des études économiques aux États-Unis, le pays serait entré dans une période de reprise en mars 1991. Pourtant, si l'évolution du PIB (Produit Intérieur Brut) - notion fourre-tout, incluant aussi bien la production réelle que des services aux contours flous - entre mars 1991 et le second semestre de 1993 montre quelque chose, c'est uniquement que l'économie durant cette période a cessé de reculer. A l'exception d'une hausse éphémère fin 1992, le PIB s'est alors contenté de stagner. C'est ce que les experts appellent une reprise "molle".
En fait, le PIB n'a réellement amorcé sa hausse qu'à la fin de 1993. Au second trimestre, il avait progressé d'un maigre 1,4 %, doublant au troisième trimestre pour atteindre un anémique 2,8 %. Et ce n'est qu'au quatrième trimestre qu'il a atteint les 7 % de croissance. Sur l'ensemble de 1993, la moyenne dépassait à peine un modeste 3 %. La présente reprise est donc la plus timide des huit reprises que les États-Unis ont connues depuis la fin de la deuxième guerre mondiale.
Un secteur financier en pleine ébullition
Le seul secteur à s'être vraiment développé pendant cette période c'est celui de la finance.
Après le krach boursier de 1987, la spéculation avait ralenti... du moins dans certains secteurs : l'émission de junk bonds (obligations pourries), les offres publiques d'achat et les hausses excessives du marché de l'immobilier, entre autres. Au début de la récession de 1990, la valeur des actions et des obligations a chuté. Mais dès le milieu de l'année, actions et obligations ont entamé une hausse dont on peut maintenant dire qu'elle est une des plus fortes de l'histoire.
En trois ans, l'indice Standard and Poors, basé sur 500 valeurs industrielles, a augmenté de 40 %. La récession et la reprise "molle" qui l'a suivie ont eu pour conséquence une diminution de la demande de crédits. Ainsi, au contraire de tout ce qui se disait à l'époque sur la "rareté" du crédit qu'on rendait responsable de la récession, il y avait une offre qui dépassait, et de loin, la demande. Les milliards de dollars dont disposaient les banques, les compagnies d'assurances et les grandes entreprises ne s'investissaient évidemment pas dans la production ou le bâtiment qui ne progressaient pratiquement plus. Cet argent devait pourtant trouver à s'employer. Il reprit donc le chemin de la spéculation.
Au fur et à mesure que cette nouvelle vague spéculative se développait, les grands investisseurs et les grandes sociétés profitaient des taux d'intérêt peu élevés pour emprunter de l'argent à bas prix et augmenter leurs mises dans le jeu spéculatif. Une nouvelle "bulle" de spéculation pure s'est ainsi créée, avec une différence toutefois au niveau des instruments financiers utilisés. Cette fois-ci, l'explosion spéculative a surtout touché les obligations gagées sur des couvertures à terme ou hedge bonds, ainsi que tous les produits financiers qui en dérivent. Ces produits ne sont pas réglementés par le gouvernement. Ils n'entrent même pas dans les statistiques officielles. Certains sont présentés comme des produits absolument sûrs, comportant des garde-fous automatiques contrôlés par ordinateur. Il y a aussi les heaven and hell bonds, les harmful warrants, les death-backed bonds, plus risqués (d'où ces noms qui évoquent le ciel, l'enfer, le mal et la mort). Mais tous permettent aux riches d'espérer des gains énormes avec une mise de départ minime. Inutile de dire que les risques sont multipliés d'autant.
Les banques ont été impliquées dans ce nouveau mouvement spéculatif dès le début. Six des plus grandes banques américaines, dont Citibank, Bankers Trust et Chemical, sont devenues des spécialistes de ces nouveaux produits financiers. D'abord en prêtant de l'argent aux spéculateurs, puis en spéculant elles-mêmes, ce qui accroît encore les risques au cœur même du système financier.
Felix Rohatyn, un des banquiers les plus en vue de Wall Street et conseiller des dirigeants démocrates et républicains, a décrit les risques énormes ainsi créés : "Il y a toute une sphère de transactions hors bilan qui sont potentiellement dangereuses si on ne sait pas bien ce qu'on fait et si une chaîne d'engagements financiers se trouve rompue. Ces engagements concernent des milliers de milliards de dollars. Tant qu'ils seront respectés, tout ira bien. Mais que se passera-t-il le jour où il y aura un problème ?"
Au début de 1994, plusieurs grandes sociétés, comme Cargill, Proctor and Gamble et Kidder Peabody, ont parié contre la hausse des taux d'intérêt et ont ainsi perdu des sommes très importantes. Certains hedge funds parmi les plus importants ont aussi plongé, montrant par là qu'ils n'étaient pas aussi sûrs qu'on l'avait prétendu. Un des plus grands spéculateurs du monde, George Soros, directeur de la Republic Bank de New York, a fait la une de l'hebdomadaire Business Week en avril après avoir perdu 600 millions de dollars en une seule transaction sur la monnaie japonaise. Bankers Trust, Chemical et Citibank ont aussi admis avoir beaucoup perdu au cours du premier trimestre de 1994.
Les gros possesseurs de capitaux ne sont pas les seuls à avoir été attirés par "l'économie de casino" mise en place à partir de 1990. Beaucoup de petits épargnants, voyant les taux d'intérêt sur leurs dépôts bancaires tomber à 2 %, alors qu'ils étaient habitués à des taux tournant autour de 8 %, se sont lancés dans des placements plus risqués simplement pour maintenir leur niveau de rémunération antérieur. L'argent se mit à affluer dans les différents types de sociétés d'investissement appelées "mutual funds" (en quelque sorte l'équivalent américain des SICAV). En trois ans, ces sociétés ont drainé plus de 650 milliards de dollars, faisant monter le total des fonds collectés par ces sociétés à près de 2 000 milliards de dollars. A la fin de 1993, il y avait deux fois plus de mutual funds que de sociétés cotées à la Bourse de New York et un ménage sur quatre en détenait (alors que la moitié d'entre eux disposaient de revenus annuels inférieurs à 250 000 francs).
Les mutual funds étaient présentés comme plus sûrs car les sommes placées l'étaient dans un "panier" d'actions ou d'obligations. Il y avait pourtant un risque. Pour faire face à la concurrence, ces sociétés d'investissement doivent avoir des rapports élevés. Leurs dirigeants ont donc tendance à vendre une action dès qu'elle commence à baisser et à acheter celle qui monte, par crainte de rater la bonne occasion du moment et de perdre des clients. L'analyste financier Laszlo Birinyi a expliqué ce que cela signifie dans le New York Times du 7 septembre 1993 : "Les sociétés d'investissement pénètrent sur le marché aussi vite qu'elles s'en retirent. Cela rend le marché très volatil car elles le font toutes en même temps. Ces sociétés doivent afficher de bons résultats au jour le jour, ce qui les amène à penser essentiellement à court terme." D'autre part, il y a toujours un risque de panique parmi les détenteurs de mutual funds et un trop grand nombre d'ordres de vente peut contraindre les sociétés à vendre des actions pour trouver des liquidités. On voit comment ces sociétés pourraient déclencher une panique boursière où des millions de petits investisseurs risqueraient de perdre leurs mises.
Le marché boursier a atteint son point culminant le 31 janvier 1994, puis il est retombé quelque peu. On a parlé à cette occasion de "correction" du marché. Les petits investisseurs ont gardé leurs mutual funds, probablement parce qu'ils n'ont pas d'autre choix : les taux d'intérêt versés par les banques sur les dépôts sont toujours aussi bas. En fait, les banques ont profité de la légère hausse des taux d'intérêt pour augmenter l'écart entre le coût de leurs prêts et la rémunération des dépôts.
L'une des conséquences de ce boom financier, c'est que les riches ainsi que certains secteurs de la petite bourgeoisie se sont enrichis. Ce qui s'est traduit par une certaine augmentation de la consommation et donc un léger mieux pour l'économie "réelle". Mais au fur et à mesure que le temps passe, le système financier devient de plus en plus fragile et volatil.
Quelle reprise dans l'industrie et le bâtiment ?
En ce qui concerne l'économie "réelle", après la fin officielle de la récession en mars 1991, la production industrielle et le secteur du bâtiment ont continué à stagner jusqu'au début de 1993, date à laquelle on a retrouvé les niveaux d'avant la récession. Selon une enquête du Département du Commerce de février 1994, la croissance du PIB était alors "essentiellement due à une forte augmentation de la production de biens de consommation et à une moindre, mais non négligeable, augmentation de la production de biens d'équipement. L'augmentation des biens de consommation était pour moitié due à la hausse des ventes d'automobiles."
Les économistes bourgeois présentent souvent le bâtiment et l'industrie automobile comme les locomotives de la reprise. Ces deux secteurs représentent une part importante du PIB et d'autre part ils commandent la croissance de nombreuses industries. Plus on construit de maisons, plus on fabrique de meubles et d'appareils ménagers. Plus d'automobiles signifie plus d'acier, de pneus, d'électronique, etc. La faiblesse de la présente reprise apparaît quand on considère les faibles progrès enregistrés dans ces deux secteurs, ce qui signifie que si locomotives il doit y avoir, elles sont bien poussives.
Les ventes d'automobiles et de véhicules industriels ont fortement augmenté au cours du dernier trimestre de 1993, c'est vrai. Elles continuent leur progression cette année. D'autre part, l'industrie automobile américaine a repris une part de marché de 5 % à ses concurrents étrangers, essentiellement aux constructeurs japonais.
Mais cette augmentation doit être replacée dans son contexte. En 1994, la production automobile atteint à peine son niveau d'il y a 15-20 ans, quand la population était inférieure à ce qu'elle est aujourd'hui. Et une part non négligeable de l'augmentation est due à l'existence d'une demande différée depuis au moins cinq ans. C'est ainsi que l'âge moyen d'une voiture est aujourd'hui de huit ans, le chiffre le plus élevé depuis 1950. Une demande de ce type risque de s'épuiser très vite.
C'est pourquoi les constructeurs automobiles eux-mêmes restent très prudents face à la progression des ventes. Wynn Van Bussman, un responsable économique de Chrysler, déclarait dans le New York Times du 24 avril 1994 : "Nous nous sommes déjà fixé des limites en ce qui concerne l'embauche et l'augmentation de notre capacité de production. Peut-être ne pourrons-nous pas satisfaire la demande ? Eh bien, il y a plein de constructeurs automobiles dans le monde qui le feront à notre place... Nous voulons éviter d'avoir à faire face à l'avenir à des licenciements coûteux si la demande se ralentit." Ford et Chrysler, qui ont supprimé la moitié de leurs effectifs dans les années 80, envisagent d'embaucher au maximum quelques milliers d'ouvriers. General Motors pour sa part ne prévoit pas d'embauches pour l'instant : la compagnie est encore en plein programme de restructuration. Au mieux, elle retardera certaines fermetures d'usines ou certains licenciements massifs. En fait, les constructeurs automobiles se contentent de faire produire plus dans les usines déjà existantes en augmentant les cadences, les heures supplémentaires et le nombre des équipes.
C'est là une stratégie bien connue des monopoles : réduire l'offre, augmenter les prix, et faire des surprofits. D'où le choc parfois éprouvé par l'acheteur potentiel devant les prix affichés. Déjà, pendant les cinq années de faible demande, le prix moyen d'une automobile avait augmenté de 70 %. Aujourd'hui, de nombreux modèles d'automobiles et de camions se vendent bien au-dessus des prix annoncés.
Dans le bâtiment, la construction de maisons neuves est aussi en forte augmentation si on la compare aux années précédentes. Au plus fort de la récession, on construisait moins d'un million de maisons par an. Au début de 1994, on était remonté à 1,4 million. Ces chiffres signifient tout simplement que le minimum atteint n'était pas loin du record historique de 800 000 unités par an, alors que le "sommet" actuel n'est pas particulièrement élevé. Au début des années 70, avec une population moindre, on construisait bon an mal an plus de 2 millions d'unités par an. La construction de maisons neuves est donc loin d'avoir suivi l'évolution de la population.
D'autre part, certains économistes prédisent déjà la fin du boom, à cause de la hausse de 1 % du coût des hypothèques (si c'était le cas, cela montrerait bien la faiblesse de la présente reprise). En 1993, les taux d'intérêt atteignaient leur point le plus bas depuis le début des années 60, avec un taux de 6,7 % sur une hypothèque à 30 ans. Même après l'augmentation récente de 1 %, les taux hypothécaires restent inférieurs à ce qu'ils étaient dans les années 70 et 80. Mais apparemment, les économistes pensent que le marché est si faible que même une hausse minime risque d'affecter sérieusement la demande.
On a parlé de hausse dans deux autres secteurs importants : les exportations et les investissements productifs.
Malgré toutes les accusations portées depuis vingt ans contre les importations, qui seraient la cause du déclin de l'industrie américaine, les exportations n'ont pas cessé d'augmenter jusqu'à représenter 11 % de la production globale. Depuis 1985, les États-Unis sont le plus grand exportateur mondial, avec une position dominante dans de nombreux domaines, dont les biens d'équipement et les services. En 1992 par exemple, les exportations de biens d'équipement des États-Unis dépassaient ceux du Japon de plus de 100 milliards de dollars. Fin 1993, ces exportations progressaient à un rythme annuel de 30 %, la hausse la plus élevée depuis 14 ans. Cependant, les perspectives pour l'avenir sont assombries par la crise durable qui affecte les économies de l'Europe et du Japon.
On a affirmé que les investissements productifs ont aussi augmenté de 15 % l'année dernière. Cela pourrait signifier que les industriels se préparent à augmenter leur production. La vérité c'est que les investissements productifs dans l'industrie (les machines et les équipements destinés aux secteurs miniers, pétroliers, à l'agriculture, au bâtiment, aux services) sont en gros restés les mêmes qu'au plus fort de la récession. Ce type d'investissement n'a pas progressé depuis le début de la récession. La hausse des investissements est essentiellement due à l'achat massif d'ordinateurs et d'équipements de télécommunication. Depuis 1991, ce type d'investissement a pris le pas sur l'achat de biens d'équipement industriels.
Ainsi, les investissements ne servent pas à augmenter la capacité de production. Cela s'est déjà produit dans l'industrie automobile, où on a cessé de construire de nouvelles usines ou d'agrandir les anciennes, car on ne prévoyait pas une croissance économique forte. On s'est contenté d'automatiser. La même chose se reproduit aujourd'hui dans les bureaux et les services, ce qui se traduit par des licenciements massifs dans des secteurs qui étaient auparavant créateurs d'emplois. Ce changement a commencé avec la récession de 1990-1991 et il s'est accéléré avec la reprise. Et les employés de bureau ou les cadres moyens qui se croyaient jusque-là relativement à l'abri sont bien sûr les premiers touchés.
Enfin, certains secteurs importants de l'économie sont en crise. Le boom spéculatif qui a touché dans les années 80 la construction de locaux commerciaux a laissé derrière lui un nombre important d'immeubles de bureaux et de centres commerciaux inoccupés. Et selon toute vraisemblance, le surplus ne sera pas épongé avant la fin du siècle. L'industrie aéronautique est en pleine restructuration, suite à une baisse massive des commandes du Pentagone et des compagnies aériennes. La restructuration commencée en 1990 serait déjà réalisée à 60 % mais devrait s'échelonner jusqu'en 1999 - selon une étude publiée l'année dernière par l'École de management de l'Université de Californie à Los Angeles.
Profits, productivité et emplois
Selon le Rapport économique du président, les profits ont augmenté d'environ 10 % l'an dernier. Et ils ont augmenté encore plus dans le cas des grandes sociétés. Selon le rapport annuel du magazine Fortune sur les 500 plus grandes entreprises du pays, les profits de ces grandes sociétés ont augmenté de 18,3 % en 1992 et de 15 % en 1993. Les dividendes payés aux actionnaires sont passés de 9 % à 11 %. Ce qui fait de cette période de reprise l'une des meilleures du siècle, conclut le magazine.
Dans le cas des grandes sociétés, les profits n'ont pas été dus à une augmentation des ventes. Selon Fortune, les ventes des 500 plus grandes sociétés n'ont augmenté que de 4 % en 1992. Et en 1993, l'année record de la reprise, elles n'ont augmenté que de 2 % ! Les chiffres publiés par un autre magazine économique, Forbes, sont similaires. Ainsi, l'année dernière, les profits ont augmenté quatre fois plus que les ventes.
Ces profits proviennent évidemment de la productivité accrue des travailleurs. Au cours du dernier trimestre de 1993, la productivité dans l'industrie a augmenté de 7 %. Dans l'ensemble de l'économie, elle s'est accrue de 3 % l'an dernier. Les grandes entreprises ont ainsi pu licencier tout en augmentant la production. L'année dernière par exemple, alors que la production progressait de 5 %, le nombre d'emplois diminuait, lui, de 1 %.
En fait, au cours des dernières années, les gains de productivité faits aux États-Unis, surtout dans l'industrie, ont été bien supérieurs à ceux des autres pays. Le numéro du 15 janvier de la revue The Economist estimait que la productivité des ouvriers américains était de 22 % supérieure à celle des ouvriers japonais et 14 % supérieure à celle des ouvriers allemands. Et pourtant, alors que le coût de l'heure de travail mesuré en dollars constants n'a cessé d'augmenter en Allemagne et au Japon, il a diminué de près de 20 % aux États-Unis depuis 1987.
La productivité en hausse a d'autre part permis aux grandes entreprises de licencier comme jamais auparavant. Au cours des trois dernières années, les 500 grandes entreprises étudiées par Forbes ont licencié 1,8 million de travailleurs, c'est-à-dire 10 % de leurs effectifs. Pendant la même période, 27 de ces sociétés ont annoncé 10 000 licenciements ou plus. En tête de liste, on trouve IBM qui a supprimé 85 000 emplois, suivi de près par ATT avec 83 500 suppressions. Dans le peloton de tête on trouve aussi GM avec 74 000 licenciements ; Sears, avec 50 000 ; GTE, avec 32 500 ; et Boeing, avec 30 000. Ces licenciements ont touché tous les secteurs de l'économie : l'industrie, la haute technologie, le commerce de détail, les services. Ils ont été décidés par des entreprises en déficit aussi bien que par des entreprises qui faisaient des profits records. Ils ont été appelés, selon les cas, plans de restructuration, de réorganisation, de rationalisation, etc. Mais la réalité était partout la même : des licenciements massifs.
Tout semble indiquer que ces emplois ont été définitivement supprimés, avec comme conséquence l'augmentation du chômage de longue durée. Tous les indicateurs le montrent : les périodes de chômage entre deux emplois s'allongent. Et le nombre de ceux qui espèrent retrouver l'emploi qu'ils ont perdu est plus bas que jamais, alors que le nombre de ceux qui n'ont même plus cet espoir atteint des sommets.
Quant aux offres d'emploi, elles sont, elles aussi, en baisse. Le rapport entre le nombre de chômeurs et le nombre d'offres d'emploi est comparable à ce qu'il était au plus fort de la crise du milieu des années 70 ou au début des années 80. (Et bien que le nombre de lecteurs de journaux ait dans l'ensemble diminué, le nombre de ceux qui lisent les annonces d'offres d'emploi est, lui, en augmentation depuis 20 ans).
Bien sûr, un certain nombre d'emplois ont été créés. Le gouvernement Clinton se vante d'avoir créé 2 millions d'emplois en 1993, au cours de sa première année au pouvoir. Ce chiffre appelle quelques commentaires. Tout d'abord, le nombre d'emplois créés est bien inférieur à celui de la première année de la reprise qui eut lieu sous Reagan, en 1983 : plus de 5 millions d'emplois avaient été créés.
Et puis, ces 2 millions d'emplois nouveaux, que sont-ils ? La plupart sont des emplois mal payés, des emplois à temps partiel ou des emplois temporaires, alors que ceux qui les acceptent étaient à la recherche d'emplois stables à plein temps. Ces 2 millions-là sont en réalité 2 millions de chômeurs à temps partiel ou de futurs chômeurs. Le phénomène s'est même accentué en 1994. En février, le gouvernement affirmait que 456 000 emplois venaient d'être créés : le taux de création d'emplois le plus élevé depuis six ans. Mais en même temps, on apprenait que le nombre d'emplois à temps partiel avait aussi augmenté... de 458 000 - soit plus que le nombre d'emplois créés !
Il n'est donc pas surprenant qu'un sondage commandé par le magazine Time en avril dernier, en pleine reprise, indique que 60 % des personnes interrogées ne voyaient pas de signe de reprise autour d'eux. Bien sûr, le chiffre de l'année précédente était de 80 %, mais cela signifie qu'il y a encore deux personnes sur trois qui continuent à voir des signes de crise plutôt que de reprise autour d'eux.
En fait, le moyen utilisé par les grandes entreprises pour augmenter leurs profits - l'exploitation accrue de la classe ouvrière - a réduit le marché potentiel pour leurs propres produits, en excluant ceux dont le pouvoir d'achat crée précisément ce marché. Des millions de travailleurs craignent aujourd'hui de perdre à leur tour leur emploi et leurs revenus. Ces craintes de la classe ouvrière reflètent, à leur manière, le caractère aléatoire de ce qu'on présente comme une reprise.
La crise capitaliste
L'attitude des entreprises américaines montre bien ce qu'elles pensent de l'expansion économique actuelle. Elles ne prévoient pas d'augmenter sensiblement leur production. Elles ont licencié massivement pour dégager encore plus de profits aujourd'hui et prévoient de nouvelles suppressions d'emplois pour l'avenir. L'économie, depuis plus de 20 ans, n'arrive pas à sortir, en réalité, d'une crise où les récessions sont de plus en plus fortes et les reprises de plus en plus faibles.
Ces entreprises sont très capables, malgré la situation, de continuer à faire des profits, comme cela fut le cas lors de la crise des années 30. Mais ce faisant, elles alimentent la crise qui pèse sur la société tout entière. Et leur recours au système financier pour continuer à s'enrichir ne fait qu'accroître l'instabilité de l'ensemble et risque de précipiter leur système dans une crise encore plus grave.
La bourgeoisie américaine semble être en position de force à tous les niveaux : face à sa propre classe ouvrière et face à ses concurrents. Et pourtant, son irresponsabilité totale dans tous les domaines, sauf en ce qui concerne les profits, constitue une menace de catastrophe pour la société tout entière.
L'économie capitaliste montre plus que jamais qu'elle est une économie en déclin. Elle n'a aucune perspective à offrir à la classe ouvrière. Pour les travailleurs, la seule solution c'est la lutte, pas seulement pour se défendre, mais pour arracher la direction de l'économie des mains des capitalistes, pour faire disparaître ce système économique et le remplacer par un système où les moyens de production soient au service de toute la population.
Mai 1994