La situation intérieure en France – La situation économique et sociale

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décembre 1991

La situation intérieure reste dominée essentiellement par le marasme économique, l'aggravation du chômage et accessoirement par l'approche des prochaines échéances électorales.

La reprise tant annoncée par le gouvernement n'a pas eu lieu. On s'achemine au contraire vers les 3 millions de chômeurs. Bérégovoy maintient le cap de la rigueur. Le changement de premier ministre n'a entraîné dans ce domaine aucun changement de politique. Cresson, officiellement nommée pour assurer la victoire du PS aux législatives de 1993 et préparer l'échéance européenne du 1er janvier 1993, n'a bénéficié que d'un état de grâce extrêmement fugitif.

Elle est très vite devenue la cible de l'opposition, qui utilise la mauvaise conjoncture économique et hypocritement le mécontentement social pour exiger sa démission, voire des élections anticipées, aussi bien législatives que présidentielle. Au sein même du PS, aussi bien à la direction des différentes tendances qu'à la base, la politique de Cresson-Bérégovoy est sinon contestée du moins critiquée.

Les privatisations partielles destinées à faire entrer de l'argent dans les caisses de l'État et à marquer sur le plan économique de nouvelles concessions au patronat et aux financiers, ne sont pas encore mises en œuvre, et les hésitations du pouvoir sur l'utilisation des fonds récupérés traduit son embarras dans la conjoncture économique et sociale. Les augmentations laborieusement marchandées et débloquées pour les fonctionnaires ou pour les infirmières, les mesures prises en faveur des paysans, tout cela devra selon Bérégovoy trouver un financement en dehors des recettes budgétaires.

Aujourd'hui les milieux boursiers semblent attendre beaucoup du projet de retraite par capitalisation qui devrait selon eux amener de l'argent frais à la Bourse.

Comme d'habitude, les milieux boursiers confondent volontiers la santé de la Bourse avec celle de l'économie et ont le front de parler de relance là où la stagnation, ou la régression, dominent.

La banque ne veut courir aucun risque à moyen terme (et a fortiori à long terme). La haute finance ne croit pas à la reprise et, en tout cas, ne veut rien faire, malgré les services rendus, pour aider le pouvoir socialiste à durer.

Pour la classe ouvrière et la population, les conséquences de la crise dans laquelle s'est installé le capitalisme sont de plus en plus lourdes. Attaquée sur le plan de l'emploi et de la rémunération par le chômage et le développement du travail précaire, la classe ouvrière connaît en outre une aggravation continue de ses conditions de travail : cadences, horaires, flexibilité, sécurité, etc. L'augmentation des prélèvements sociaux, de cinq points en dix ans pour porter aujourd'hui la part salariale à presque 20 % du salaire brut, contribue à faire baisser le salaire net (sans parler des autres cotisations diverses). Et de nouveaux mauvais coups se préparent contre les salaires, les retraites et l'indemnisation du chômage.

Par contre, vis à vis du patronat et de la bourgeoisie, le gouvernement continue à faire des cadeaux : exonérations de charges sociales pour les entreprises embauchant des jeunes, mise en chantier des petits boulots, rebaptisés "emplois de proximité", contrôle accru des chômeurs, accusés de piller les caisses de l'UNEDIC.

Tout cela pèse de plus en plus lourdement sur la classe ouvrière et alimente un mécontentement grandissant.

Il est encore toujours impossible de dire si ce mécontentement entraînera une reprise des luttes sociales et la fin de cette longue période de prostration de la classe ouvrière qui a marqué les cinq dernières années.

Certes, il y a toujours eu, même durant cette période, des conflits ouvriers ou sociaux (les infirmières en 1988 et Peugeot, les employés des impôts, les gardiens de prison, les policiers, etc. en 1989, sans parler des jeunes descendus dans la rue l'année dernière).

Cette année cependant, la confluence de plusieurs mouvements d'origines diverses, mettant en œuvre des catégories sociales aussi différentes que les paysans, les assistantes sociales, les infirmières, les routiers ont coïncidé avec la reprise, dans le secteur privé, d'actions ponctuelles pour les salaires.

De son côté, FO, pour des raisons autant internes que sociales, a appelé à une journée de grève interprofessionnelle. Cette grève soutenue par la CGT a connu à Paris et en province des fortunes diverses. La grève lancée par FO, mais organisée dans le secteur privé par la CGT, est allée de 24 h dans certaines entreprises, à deux heures ou une heure dans la plupart des autres. Sa durée a été très variable, mais elle a été assez bien suivie là où les militants ont sollicité les travailleurs. Bien entendu, les divisions syndicales, le fait que ni la CFDT, ni la CFTC, ni la CGC n'appelaient centralement, les rivalités à l'intérieur des deux syndicats organisateurs, CGT et FO, tout cela n'a pas contribué à faire de cette grève interprofessionnelle un succès incontestable et un nouvel élan pour la combativité ouvrière. Mais pour la première fois depuis longtemps, des travailleurs ont pu manifester leur mécontentement sur des problèmes généraux, dans tout le pays en même temps et quelle que soit la branche ou la catégorie.

Les actions dans le secteur privé ont abouti à Renault Cléon à la première grève paralysant la production de l'ensemble des usines de montage de la RNUR en France et dans certains pays proches. Cette grève qui aura duré 22 jours, a été marquée par la participation active de plusieurs centaines de travailleurs déterminés ayant le soutien passif de milliers d'autres. Elle est, à ce titre, assez représentative de la combativité actuelle de la classe ouvrière. Elle a été vue avec sympathie par tous les travailleurs du groupe, mais n'a pas fait tache d'huile. Les travailleurs lockoutés n'avaient guère les moyens de se faire entendre, mais durant les rares jours d'activité où la direction les convoquait, ils n'ont répondu que de façon très minoritaire aux actions de solidarité proposées par les syndicats. Même absence de réaction dans les usines encore en fonctionnement. Il a fallu attendre 15 jours pour que les travailleurs du Mans entrent à leur tour dans le mouvement avec des moyens et des revendications locaux, et sans lier explicitement leur lutte à celle de Cléon. Cependant, ce n'est pas à cause de leur isolement dans le groupe que les grévistes actifs de Cléon ont fini par reprendre le travail, mais à cause du retournement ouvert et flagrant de la direction syndicale CGT.

L'expression du mécontentement social est encore bien loin de mettre le couteau sur la gorge au gouvernement, qui a encore de la marge pour négocier tour à tour avec les différentes catégories sociales en lutte, les paysans, les infirmières, les assistantes sociales, etc. Les négociations n'aboutissent pas forcément, mais elles sont une réponse dilatoire et politique aux conflits en cours dans une situation où la confluence de ces conflits n'entraîne pas une mobilisation générale de la classe ouvrière.

Mais dans le contexte de marasme économique, la permanence de ces conflits embarrasse le gouvernement qui doit faire face aux prochaines échéances électorales. D'où ses faux pas, ses hésitations, ses déclarations contradictoires. Entre l'usage du canon à eau contre les infirmières, les provocantes déclarations de Charasse contre ceux qu'il appelle les faux chômeurs, la condamnation des actes de violence dans les manifestations paysannes, et dans le même temps la volonté de négocier avec les infirmières, les paysans, il y a place pour un éventail de déclarations et de propositions, assez limité, mais significatif de l'étroitesse de la marge de manœuvre du gouvernement, affaibli encore par ailleurs par le scandale de la transfusion sanguine, venant après celui du financement des élections pour le Parti socialiste.

La droite se fait pressante, mais pour mettre le gouvernement en minorité à l'Assemblée et le faire tomber, il faudrait les voix du PCF.

Or depuis la nomination de Cresson, et avec les mêmes préoccupations électoralistes, le PCF n'a manifesté son opposition que par l'abstention, même pour le vote du budget.

Affaibli par ses divisions internes, plus ou moins étalées au grand jour, par sa baisse d'influence électorale et de militantisme, affaibli encore par le contrecoup de ce qui s'est passé à l'Est et de ce qui se passe en URSS, le PCF maintient une ligne malaisée : critiquer le PS sur la gestion sociale et en même temps rechercher son alliance dans les élections, ce qui l'amène à soutenir ne serait-ce que par l'abstention, le gouvernement chaque fois que cela est décisif. C'est par son influence sur la CGT, elle-même bien divisée et affaiblie - mais apparemment, moins que le PCF lui-même - que le PCF manifeste sa critique sociale du gouvernement et offre, sinon une perspective, du moins une possibilité pour ses militants de se mobiliser et d'agir.

Dans ce cadre, il faut encore tenir compte de la présence et de l'implantation des militants du PCF en entreprise.

Mais là encore, et la fin de la grève à Cléon en a administré l'exemple, la limite de cette action est le point à partir duquel elle commence à gêner - ne serait-ce que pour des raisons politiques - le gouvernement. Le conflit de Renault Cléon ne menaçait pas de s'étendre à toutes les usines du groupe. Il ne menaçait pas de s'étendre à toute la classe ouvrière du pays. Mais par sa longueur, par l'absence d'issue négociée prévisible, il gênait le gouvernement pressé de régler un certain nombre de conflits sociaux juxtaposés. La CGT a donc, au niveau de ses plus hautes instances, mis son poids dans la balance pour obtenir que la CGT locale appelle à la reprise passant outre un vote des ouvriers en faveur de la continuation.

La marge de manœuvre à l'intérieur de laquelle les militants de la CGT peuvent agir, est donc elle aussi limitée par les prochaines échéances électorales et les manœuvres du PCF.

$$s11 novembre 1991