Le PCF, de son côté, s'était fait le champion du nationalisme. Croyant trouver un bon terrain pour une démagogie payante, il s'était déchaîné contre l'Europe, l'Acte unique et le traité de Maastricht, dénonçant "la fin de la souveraineté de la France", s'exclamant "L'hymne à la Joie de Beethoven [qui est l'hymne de la CEE] deviendrait-il l'oraison funèbre de la Marseillaise ?".
Pour L'Humanité, Maastricht fut une capitulation en rase campagne : "la force de frappe française serait livrée à l'Europe", "un arsenal redoutable serait confié à la puissance allemande", "De Gaulle (...) a dû se retourner dans sa tombe"... Le ridicule ne tuant pas, le député PCF Jean-Claude Lefort apostropha Roland Dumas, alors ministre : "On savait que d'Artagnan avait rendu l'âme à Maastricht. On saura désormais que la France a voulu y perdre la sienne !"...
Mais le PCF n'a pas connu le succès électoral qu'il recherchait, il a préféré accrocher son wagon au train du Parti socialiste et il a donc dû changer de musique sur l'Europe.
Robert Hue, dans un entretien au journal "La Tribune", le 15 mars, a déclaré : "Les communistes ne sont pas les adversaires du marché"... Présentant sa liste à la presse, il déclarait fin janvier : "Nous affirmons un choix, une volonté, un projet européen (...) et c'est au nom de ce choix résolument pour l'Europe que nous combattons (...) les politiques et les choix inspirés de l'ultralibéralisme" .
L'"ultralibéralisme", pas le libéralisme économique, pas la course au profit, comme si l'ultralibéralisme était quelque chose de plaqué sur la course au profit.
Au Parisien du 2 février : "Que les choses soient claires : nous, communistes, nous ne sommes pas, en 1999, des eurosceptiques ou des euronégatifs : nous voulons l'Europe".
A une réunion de la direction du PCF, Robert Hue venait de déclarer avec pas mal d'aplomb : "Il me paraît évident que nous avons un sérieux handicap à surmonter : non seulement notre position quant à l'Europe est méconnue, mais elle est tout simplement considérée à l'exact opposé de ce qu'elle est ! Alors redisons-le et expliquons-le : nous, communistes français, sommes "européens". Nous sommes pour l'Europe." (L'Humanité du 30 janvier).
Il faut préciser que Robert Hue avait commencé son discours devant la direction de son parti en lui demandant de confirmer sa "détermination à prendre pleinement nos responsabilités de parti totalement engagé dans la majorité et au gouvernement".
Ceci explique cela, évidemment. C'est en effet là que tout a changé. Le PCF participe à nouveau à la gestion des affaires de la bourgeoisie ; il collabore pleinement au gouvernement qui a assuré le passage de la France dans le système de la monnaie unique européenne. Comment Hue pourrait-il se dire contre... le gouvernement ! Il est évident que se dire contre ce qu'il disait auparavant est plus facile. Il préfère sans doute tourner le dos à ses militants que déplaire à Jospin. C'est fou comme trois fauteuils de ministres peuvent monter à la tête d'un grand parti ! Il est vrai que ses dirigeants n'attendaient que cela depuis des années.
Pour Robert Hue et la direction du PCF, l'affaire est évidemment un peu délicate, car le Parti Communiste n'est pas une simple machine électorale comme le Mouvement des citoyens, facile à réorienter en fonction du nouvel ordre de marche.
Le Parti Communiste a encore de nombreux militants et sympathisants actifs dans les quartiers, les entreprises, les syndicats, et qui sont parmi les principaux artisans des luttes des travailleurs. Alors, faire admettre à ces militants que, lorsque les dirigeants du PCF ont manifesté la plus profonde hostilité à l'Europe, sans reculer devant les propos xénophobes, chauvins, franchouillards, que lorsqu'ils ont dressé devant leurs électeurs l'épouvantail des décisions de Bruxelles et de la Banque centrale européenne, d'où viendraient tous les malheurs des ouvriers-français-produisant-français, ils disaient le contraire de ce qu'ils voulaient dire... Aujourd'hui, Robert Hue vient assurer qu'il a toujours été un pro-européen convaincu. Il sera difficile de faire croire à tous ceux qui ont cru à ses discours que ce sont eux qui ont mal compris.
Que lui et le reste de la direction du PCF rencontrent quelques difficultés pour trouver les moyens de faire passer cela, n'a rien d'étonnant. En témoignent les contorsions par lesquelles cela s'est traduit au cours du Comité national du Parti Communiste de janvier 1999, dont voici quelques exemples.
Gérard LALOT (conseiller régional de Picardie, élu dans le département de l'Aisne) : "Nous savons que l'Europe peut être conçue par notre électorat, non seulement comme une structure éloignée des préoccupations de nos concitoyens mais aussi comme une structure hostile, un obstacle à tout progrès. Cette question traverse le Parti, et les communistes sont jugés plutôt comme eurosceptiques que comme euroconstructifs. Et quand nous nous affirmons européens, cela donne parfois l'impression que nous cédons à l'air ambiant, pour être en quelque sorte à la mode".
Au gouvernement, oui ! A la mode, non !
Gérard Lalot affirme donc : "il faut n'avoir de cesse de dire : les communistes sont fondamentalement européens. Ils le sont par nature, par fondement et historiquement. Ils n'ont donc rien à voir avec un quelconque sentiment nationaliste au sens fermé", etc., etc., pour insister "La réorientation progressiste de la construction européenne est bel et bien le combat d'aujourd'hui".
Des militants qui n'auraient pas compris cela sont priés de s'adresser à Gérard Lalot.
Francis WURTZ (tête de la liste PC aux européennes de 1994) :
"Certains mènent bataille exclusivement contre l'euro, sans ouvrir de perspectives. Même si leurs arguments sont justes, ils mènent aujourd'hui les gens dans une impasse. (...) Le PCF propose une tout autre voie : loin d'abandonner notre analyse lucide de la nature ultralibérale de l'euro et de tout le système qui l'accompagne, nous prenons appui sur tout ce que nous avons contribué à semer depuis 1992 comme éléments de clairvoyance. Mais nous le faisons pour mener bataille sur le terrain réel d'aujourd'hui afin de construire du neuf."
Bien sûr, on peut comprendre que, n'ayant pas gagné une bataille, le PCF se replie "sur le terrain réel d'aujourd'hui", autrement dit sur sa participation au gouvernement.
En fait, on voit bien que toutes les campagnes, déclarations, explications que tous ces politiciens, de Chevènement à Robert Hue en passant par Séguin, ont pu faire contre le traité de Maastricht, ou, depuis, contre la ratification de l'accord d'Amsterdam qui en a pris le relai en 1997, n'ont été qu'une attitude démagogique à l'usage du bon peuple, un cinéma hypocrite et sujet à variations saisonnières auquel ils ne croyaient pas eux-mêmes.
Robert Hue se moque ainsi de ses propres électeurs et surtout de ses militants, par ses contradictions mais encore plus par la composition de la liste qu'il entend patronner pour les élections : "87 personnes associées sur des bases fortes : antilibérales, euroconstructives, pas anti ni progouvernementales"...
Il est sans doute à peine nécessaire de rappeler que nous avons été, que nous sommes, contre tous les traités impérialistes, qu'ils soient de Maastricht ou d'Amsterdam. Comme il est vrai aussi que, dans ce référendum sur Maastricht, nous n'avons pas voulu appeler les travailleurs à voter "non" et à mêler ainsi leurs voix à celles des de Villiers, Pasqua et Le Pen qui appelaient justement à voter "non". Nous considérions et considérons encore que ce qui était bon pour de Villiers, Pasqua et Le Pen ne pouvait pas être bon pour la population laborieuse.
Par ailleurs, nous ne pouvions pas conseiller aux travailleurs de voter "oui" à une entente de brigands, et c'est pourquoi nous avions choisi l'abstention.
Robert Hue se glorifie d'avoir Geneviève Fraisse en n°2 sur sa liste alors qu'elle avait été partisane du "oui" ; elle n'en fait pas mystère et le justifie.
Alors, tous ceux, syndicalistes, militants associatifs, intellectuels qui se sont portés sur la liste du PCF seraient, nous dit-on, des représentants des "luttes", de ce qu'il est à la mode d'appeler le "mouvement social". "La liste communiste est la liste du mouvement social", dit Robert Hue. En fait, beaucoup se retrouvent là tout bonnement parce qu'ils n'ont pas pu se retrouver sur la liste du PS.
Le secrétaire général de la FSU, Michel Deschamps, l'a dit lui-même, s'il faut en croire Libération : "Personnellement, j'aurais aussi bien pu être candidat sur la liste socialiste si elle avait adopté la même démarche d'ouverture"...
La revendication d'apolitisme a toujours masqué une mauvaise camelote et une tromperie.
Ces gens se revendiquent du "mouvement social", terme abusif pour cacher qu'il ne s'agit pas du mouvement ouvrier, mais ils ont fait le choix de cautionner un parti qui participe à un gouvernement qui mène une politique anti-ouvrière. Ils ne se gênent pas pour se joindre à un parti qui cautionne au gouvernement la répression contre les sans-papiers, par exemple, et plus globalement toute la politique qui engendre les licenciements, le chômage et la misère. Et ce n'est sans doute pas un hasard s'ils ont adopté, pour la distinguer du mouvement ouvrier, cette expression de "mouvement social", expression qui avait été, dans le passé, choisie par un milieu catholique qui se voulait "social" mais voulait aussi se démarquer de tout ce qui était mouvement ouvrier, grèves, et bien sûr de tout ce qui était authentiquement socialiste ou communiste. Ils veulent "faire du social", mais même si c'est parfois de façon un peu radicale, ils ne se placent pas sur un terrain de classe, et ce n'est pas innocent.
Leur but n'est pas de changer la nature de la société. Cela montre les limites de ces courants, petits-bourgeois, réformistes, et il n'est pas étonnant que certains cautionnent l'opération menée par Robert Hue, de sa recomposition qui n'est finalement que la décomposition de ce que pouvait être encore le PCF.
Rien de tout cela n'a d'avenir, même sur le plan du réformisme, où la place est prise. Il n'y a pas d'autre possibilité "à la gauche de la gauche" que de créer, à gauche du PC, un parti communiste prolétarien.
Nous espérons que les militants communistes qui se dévouent au sein des quartiers, des entreprises, des syndicats, sauront comprendre où mène la politique de leur parti, et que, loin de s'en démoraliser, ils comprendront qu'il est d'autres possibilités de lutte. Nous espérons qu'ils pourront vérifier que défendre une politique pour les travailleurs ne mène pas à l'isolement. En tout cas, qu'elle n'est pas moins efficace que celle que mène le PC dont la démagogie d'ouverture ne mène qu'à la démoralisation.