Après l’attaque menée par le Hamas le 7 octobre, le gouvernement israélien s’est engagé dans une guerre qui dépasse, par sa violence, sa durée et les destructions, tout ce que ce territoire a connu ces vingt dernières années.
Depuis que le Hamas a pris le contrôle, en 2007, de cette enclave de 360 kilomètres carrés, peuplée de 2,4 millions d’habitants, sa population a subi fréquemment les bombardements israéliens. À deux reprises, en 2008 et en 2014, des unités israéliennes sont entrées dans Gaza. Aux actions militaires se sont ajoutés les effets d’un blocus, quasi total à certains moments, qui a paralysé les activités économiques et réduit plus de 70 % des Gazaouis à vivre de l’aide humanitaire distribuée par l’ONU.
Le gouvernement israélien a véritablement engagé cette fois-ci une guerre qui dévaste totalement Gaza et aboutit à un massacre de masse. Dès le 9 octobre, son ministre de la Défense, Yoav Gallant, l’avait annoncé, avec le mépris raciste ouvert dont les dirigeants israéliens sont capables de faire preuve : « Nous imposons un siège complet à Gaza. Pas d’électricité, pas d’eau, pas de gaz, tout est fermé. […] Nous combattons des animaux humains et nous agissons en conséquence », avait-il déclaré.
Plus de 350 000 soldats ont été mobilisés, un niveau jamais atteint depuis la guerre du Kippour en 1973. Dès les premiers jours de l’offensive, l’artillerie et l’aviation ont visé des habitations, des hôpitaux, les infrastructures. À partir du 28 octobre, début des opérations terrestres, l’armée israélienne a entrepris de refouler la majorité des Palestiniens vers le sud de l’enclave. La ville de Gaza, qui comptait plus d’un million d’habitants, a été réduite à un champ de ruines.
Après une trêve destinée à permettre l’échange d’otages israéliens contre des prisonniers palestiniens, du 24 au 30 novembre, l’armée israélienne a repris ses bombardements et a avancé jusqu’à Khan Younès et Rafah, les deux principales villes du sud de l’enclave. Des centaines de milliers d’habitants et de réfugiés ont été soumis à un pilonnage intense.
Le déplacement des Palestiniens est organisé cyniquement sous prétexte d’assurer leur sécurité. Ainsi le service de communication en arabe de l’armée israélienne a publié une carte qui découpe la bande de Gaza en 2 400 zones, de façon à pouvoir indiquer des « zones sûres où se réfugier », prétendent les officiels israéliens, alors que l’ensemble du territoire est bombardé sans répit.
Après avoir vidé le nord du territoire d’une grande partie de sa population, l’armée israélienne a demandé aux Gazaouis d’évacuer Khan Younès. La grande majorité de la population de Gaza se retrouve ainsi concentrée sur une petite bande de territoire, autour de Rafah, à la frontière égyptienne, dans des conditions sanitaires catastrophiques.
Trois mois après son déclenchement, la guerre avait déjà fait plus de 20 000 morts et au moins 50 000 blessés. 1,9 million de personnes ont dû quitter leur domicile et errent d’un endroit à l’autre, dormant sous des tentes car la place manque dans les rares édifices publics encore debout. La population doit subir la famine et affronter les conditions hivernales sans pouvoir se protéger du froid. L’effondrement du système sanitaire a immanquablement des conséquences catastrophiques qui ne peuvent que s’aggraver encore. De nombreux cas de dysenterie sont signalés du fait de la consommation d’eau contaminée. Selon l’Organisation mondiale de la santé, « des signaux inquiétants de maladies épidémiques apparaissent », alors que les deux tiers des centres de soins primaires qui étaient en activité début octobre sont fermés. Sur les 36 hôpitaux de Gaza, 11 seulement fonctionnent encore partiellement, ne disposant pas d’électricité ni de médicaments.
La situation sanitaire est si grave qu’elle commence à inquiéter des experts israéliens de santé publique. Sans s’émouvoir, en tout cas officiellement, du sort des Palestiniens, ils ont commencé à avertir des risques de propagation épidémique pouvant affecter les centaines de milliers de soldats et ainsi menacer l’ensemble de la population israélienne. Les virus et les bactéries ne connaissent pas de frontières et ne font pas, eux, de différences entre Juifs et Arabes…
La responsabilité des grandes puissances
Ce massacre à grande échelle ne serait pas possible sans le soutien et l’aide active des grandes puissances, et en premier lieu des États-Unis. Ne disposant pas de stocks de bombes guidées et de munitions d’artillerie, l’État israélien est totalement dépendant des livraisons américaines. Si les États-Unis décidaient de les interrompre, l’armée israélienne devrait cesser son offensive au bout de quelques jours, faute de munitions.
Quant à l’Union européenne, elle reste le premier partenaire commercial de l’économie israélienne et disposerait aussi d’importants moyens de pression sur les dirigeants de l’État hébreu… si elle en avait la volonté, ce qui n’est pas du tout le cas !
Aucune des grandes puissances ne veut imposer à l’État israélien de mettre fin à la guerre, car il demeure le principal gendarme de l’ordre impérialiste dans cette région du Moyen-Orient. Elles se sont contentées d’appeler le gouvernement israélien à tenir davantage compte des populations civiles, témoignant ainsi d’une monstrueuse hypocrisie. Sans oublier que, comme la France lors de la guerre d’Algérie, ou les États-Unis au Vietnam, en Irak et en Afghanistan, ces États ont eux-mêmes fait preuve de la même barbarie à de nombreuses reprises pour assurer leur domination sur le monde.
Nettoyage ethnique et guerre sans fin
Depuis les premiers bombardements, Netanyahou ne cesse de proclamer que la guerre durera jusqu’à « l’éradication du Hamas ». Et depuis fin décembre il répète, à chaque apparition publique, que ce sera « une longue guerre qui n’est pas près de finir ». Netanyahou est lui-même directement intéressé à la prolongation de la guerre, qui lui permet de se maintenir au pouvoir en faisant taire les critiques au sein de la population israélienne.
Lors d’une réunion de son parti, le Likoud, il a déclaré qu’il allait « réduire la population de Gaza à son minimum », envisageant ainsi ouvertement d’en expulser une grande partie. La presse israélienne a fait état d’un projet d’ouverture des frontières maritimes de l’enclave, pour permettre « une fuite massive vers les pays européens et africains ». Ce scénario serait dans la continuité de ce qui s’est fait lors de la création de l’État d’Israël en 1948, lors de la Nakba (« catastrophe » en arabe), quand entre 700 000 et 800 000 Palestiniens avaient été contraints à abandonner leurs biens et leurs terres pour s’exiler. Cela s’est répété avec une moins grande ampleur après la guerre des Six-Jours, en 1967. La très grande majorité des habitants de Gaza sont eux-mêmes des descendants de ces réfugiés voire des réfugiés eux-mêmes.
Netanyahou reprend ainsi à son compte le programme de l’extrême droite ultranationaliste et raciste, qui compte plusieurs ministres dans son gouvernement et dont il subit en permanence la pression. Ainsi son ministre des Finances, Bezalel Smotrich, le dirigeant du Parti sioniste religieux, a avancé, lui, un objectif chiffré : « 100 000 ou 200 000 Arabes à Gaza », ce qui supposerait d’en expulser plus de deux millions, et s’est dit partisan d’une réoccupation de Gaza par Israël.
La majorité des dirigeants de l’État israélien, en particulier au sein de l’état-major, ne semblent pas partisans d’annexer Gaza. Ils se souviennent qu’en 2005 le gouvernement israélien de l’époque, pourtant dirigé par Sharon, réputé pour ses positions ultranationalistes, avait été contraint de mettre fin à l’occupation du territoire, jugée trop difficile et coûteuse, et d’évacuer les colonies qui s’y étaient installées, pour ne plus avoir à assurer leur protection.
Formulant très certainement le point de vue dominant dans les sommets de l’État israélien, le ministre de la Défense, Gallant, a présenté le 4 janvier un plan excluant totalement le retour de colons juifs. « Ni Hamas, ni administration civile israélienne » a-t-il résumé. Il a aussi évoqué le déploiement d’une force internationale. Autrement dit, après avoir réduit Gaza à un champ de ruines, il propose cyniquement de laisser la charge d’une éventuelle reconstruction à la « communauté internationale », comme après chacune des précédentes campagnes militaires menées contre l’enclave palestinienne.
Le Hamas s’est malgré tout montré capable de continuer à tirer, presque tous les jours, des roquettes contre le territoire d’Israël, démontrant que l’armée israélienne n’est pas parvenue à détruire l’organisation islamiste, même après trois mois d’intenses bombardements. Cette guerre ne peut qu’alimenter les sentiments de haine et le désir de vengeance parmi les Gazaouis et l’ensemble des Palestiniens.
Le crédit et l’influence acquis par le Hamas sont la conséquence de la situation désespérée dans laquelle les gouvernements israéliens ont acculé les Palestiniens, en refusant de reconnaître leurs droits et en les spoliant de leurs terres et de leurs biens tout au long de ces 75 dernières années.
La politique des dirigeants israéliens condamne les deux peuples à une guerre sans fin. Pendant que l’armée israélienne écrase Gaza sous les bombes, elle se livre à des opérations de répression de grande ampleur en Cisjordanie. Des milliers d’armes ont été distribuées aux colons, qui agressent des Palestiniens. Depuis le 7 octobre, plus de trois cents Palestiniens ont été tués et le nombre de colonies sauvages et de nouvelles routes pour les colons a connu une « progression sans précédent », d’après l’ONG israélienne La paix maintenant.
La guerre actuelle n’est d’ores et déjà plus limitée à Gaza. Plusieurs dizaines de milliers de civils ont été évacués des deux côtés de la frontière israélo-libanaise. L’aviation israélienne bombarde régulièrement des villages au Sud-Liban en réponse à des tirs du Hezbollah et, le 2 janvier, un des principaux dirigeants du Hamas a été exécuté par un tir de missile contre un immeuble à Beyrouth. En Syrie, des infrastructures subissent régulièrement des frappes israéliennes, en particulier l’aéroport de Damas, par lequel transitent des armes envoyées par l’Iran.
La menace d’une généralisation de la guerre actuelle à l’échelle du Moyen-Orient est bien réelle, d’autant qu’elle s’inscrit dans un contexte de montée des tensions politiques et militaires au sein du monde impérialiste.
Le renversement de l’impérialisme, seule perspective émancipatrice pour les peuples
Les communistes révolutionnaires reconnaissent le droit des peuples à l’autodétermination, et naturellement le droit du peuple palestinien à avoir son existence nationale, un droit que les dirigeants de l’État d’Israël lui nient depuis sa création. C’est un droit dont la revendication a été au centre de la lutte de bien des peuples, en particulier dans le cadre de la vague de décolonisation qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale.
L’obtention de l’indépendance nationale a signifié pour beaucoup le sentiment d’avoir conquis une dignité, ou en tout cas d’avoir mis fin à une des formes les plus odieuses de l’oppression, celle qui se traduit par le mépris national ou racial. Il est vrai que nulle part elle n’a mis fin à l’exploitation, à la division de la société en classes et au capitalisme. On peut même se demander dans chaque cas jusqu’à quel point elle a vraiment mis fin au racisme, aux différentes formes de mépris subies par les peuples, tant il est vrai que le système capitaliste lui-même fait sans cesse resurgir des discriminations de tous ordres.
En fait, dans le cadre du capitalisme et du système de domination impérialiste auquel il a donné naissance, bien souvent même ce simple droit à sa propre existence nationale n’a été reconnu qu’incomplètement, ou ne l’a pas été du tout. C’est le cas pour de nombreuses minorités et pour certains peuples, au nombre desquels figure le peuple palestinien, par exemple le peuple kurde, réparti entre plusieurs États où il subit à différents degrés une oppression nationale.
Subissant l’oppression féroce de l’État d’Israël, avec tous les aspects de mépris social, raciste anti-arabe qu’elle comporte, la revendication du droit à sa propre existence nationale est nécessairement un élément fondamental des luttes des Palestiniens. Les dirigeants nationalistes de l’OLP et ensuite du Hamas, en se basant sur ce sentiment pour asseoir leur influence, n’ont rien fait d’autre que de suivre le modèle d’autres dirigeants nationalistes, de l’Algérie, du Vietnam et de bien d’autres pays, qui se sont ainsi imposés à la tête de leur peuple pour conquérir le droit de disposer de leur propre État et de le diriger pour le compte de leur bourgeoisie. Dans le contexte du Moyen-Orient, cela signifiait demander le droit à diriger un petit État palestinien, à condition qu’on veuille bien lui laisser une place au côté des autres États de la région, y compris Israël.
Malgré quelques professions de foi panarabes et parfois socialistes, les dirigeants palestiniens ne prétendaient pas remettre en cause le partage du Moyen-Orient entre ces États, tel qu’il existe et qu’il a été imposé par l’impérialisme, et ils en ont donné bien souvent des gages. Mais c’est justement cette concession que ni l’impérialisme ni les dirigeants israéliens n’ont jamais accepté de leur faire, sinon sous la forme de cet État croupion qu’est l’Autorité palestinienne, sans réelle autonomie ni liberté d’action, à qui au fond Israël n’a rien confié d’autre que le rôle de policier de son propre peuple.
À l’époque de l’impérialisme, on peut dire que toutes les luttes nationalistes mènent à un moment ou à un autre à une impasse, car l’impérialisme a clos l’époque où les différentes bourgeoisies pouvaient trouver un espace pour leur développement national.
Tirant les leçons de l’échec de la révolution chinoise de 1925-1927 du fait de la politique de l’Internationale communiste stalinisée, Trotsky écrivait en 1931 dans son ouvrage La révolution permanente :
« Dans les conditions de l’époque impérialiste, la révolution démocratique nationale ne peut être victorieuse que si les rapports sociaux et politiques d’un pays sont mûrs pour porter au pouvoir le prolétariat en qualité de chef des masses populaires. Et si les choses n’en sont pas encore arrivées à ce point ? Alors la lutte pour la libération nationale n’aboutira qu’à des résultats incomplets, dirigés contre les masses travailleuses. »
C’est encore plus vrai aujourd’hui, quand l’impérialisme n’est plus capable d’offrir aux peuples de la planète, comme seules perspectives, que la crise permanente de son économie et la marche à la guerre généralisée. Et c’est encore plus vrai pour le peuple palestinien.
La seule véritable perspective émancipatrice ne peut être apportée que par le prolétariat, seule classe qui puisse renverser l’impérialisme et lui substituer une organisation capable de mettre fin à toutes les formes d’oppression, nationales et sociales à l’échelle de la planète.
13 janvier 2024