Echange de lettres entre Robert Hue et Arlette Laguiller

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Novembre 1999

Nous republions, car elles ont déjà fait l'objet d'une première publication dans notre hebdomadaire Lutte Ouvrière, l'échange de courrier entre Arlette Laguiller et Robert Hue, à propos de la manifestation du 16 octobre et de ses suites.

Tout d'abord, la lettre que Robert Hue a adressée à notre camarade et la réponse de celle-ci.

Et enfin la lettre qu'Arlette Laguiller a adressée à Robert Hue au lendemain de la manifestation du 16 octobre, pour en tirer le bilan et lui proposer d'envisager une suite à cette première journée.

La lettre du PCF

Comme vous le savez, j'ai proposé publiquement, dans le discours que j'ai prononcé le 12 septembre à la fête de L'Humanité, l'organisation d'une manifestation nationale pour l'emploi, contre les licenciements.

Je me permets de joindre à cette lettre l'extrait du discours formulant le sens, l'objectif et le contenu de cette proposition.

Il m'apparaît extrêmement important que les forces politiques de gauche et les forces sociales refusent la prétendue "fatalité" du chômage, de la précarité et de la déréglementation du travail comme conséquences inéluctables de la "modernité". Et tout aussi important qu'elles marquent, ensemble, leurs attentes en matière de politique de l'emploi, et leur opposition résolue aux vagues de licenciements le plus souvent décidées par des groupes aux profits florissants.

Chacune dans son domaine, avec ses objectifs, ses propositions, ses formes d'intervention, ces forces s'expriment et agissent. Qu'elles unissent leurs efforts à l'occasion d'une manifestation nationale peut permettre de conforter les exigences populaires de grandes réformes permettant de combattre efficacement le chômage et la précarité, et d'avancer vers un plein emploi conforme aux possibilités de notre époque.

Loin de s'opposer ou de détourner à d'autres fins les initiatives prises par d'autres forces notamment les organisations syndicales cette initiative pourrait permettre de faire converger les attentes et les propositions. Elle serait utile au développement d'une grande politique au service de la création d'emplois en nombre significatif.

Il va de soi que sur la base d'une volonté commune en ce sens clairement indiquée, chacune des organisations participantes prendrait part à la manifestation avec ses mots d'ordre, ses propositions. J'ai indiqué, dans le texte ci-joint, celles que souhaite y porter le Parti Communiste.

Je me permets, par cette lettre, de renouveler auprès de vous ma proposition, en vous précisant, comme cela a déjà été fait ou va être fait au cours de contacts téléphoniques, que mes amis et moi-même sommes prêts, dans les heures qui viennent, à vous rencontrer pour exposer le sens de notre initiative, et en débattre avec vous.

Plusieurs organisations ont déjà fait connaître leur accord, ou leur désir d'examiner positivement notre proposition.

Il sera donc possible, dans les jours qui viennent, de réunir toutes les forces désireuses de lancer cette manifestation afin de déterminer ensemble le contenu, les formes, et la date.

Je veux, à ce propos, vous indiquer qu'aucune date n'a été ni ne sera décidée ou annoncée unilatéralement par le Parti Communiste. Il me semble cependant nécessaire de préciser qu'il nous faut éviter de la fixer "en concurrence" avec d'autres initiatives par exemple syndicales déjà engagées.

Mon sentiment personnel est qu'il serait opportun de l'envisager au cours des semaines qui vont être dominées par le débat parlementaire sur la réduction du temps de travail... Mais c'est ensemble que nous en déciderons.

Souhaitant que cette lettre contribue à éclairer le sens de notre proposition, dont l'annonce publique est quelquefois présentée de façon sommaire ou inexacte, je me tiens personnellement à votre disposition si vous souhaitez que nous en discutions plus avant.

Je vous prie d'agréer mes salutations les meilleures.

Robert HUE

La réponse de Lutte Ouvrière

Par la présente, je confirme tout d'abord l'accord oral que je vous ai donné pour participer à la manifestation nationale dont vous avez pris l'initiative lors de la fête de L'Humanité, le 12 septembre.

Nous sommes d'accord avec la conception de la manifestation telle que votre lettre l'expose, à savoir unir nos efforts et nos forces pour marquer ensemble une opposition aux licenciements, et chacun exprimant dans ce cadre "ses objectifs, ses propositions, ses formes d'intervention".

Nous sommes prêts en conséquence à répondre positivement à votre appel à participer à co-organiser cette manifestation.

Je vous remercie d'avoir joint à votre lettre les extraits de votre discours qui résument l'optique dans laquelle vous prenez cette initiative et les mots d'ordre que vous comptez y défendre.

Pour notre part, nous comptons avancer dans cette manifestation les objectifs que je défends depuis plusieurs années et sur lesquels j'avais mis l'accent lors de la campagne de l'élection présidentielle et lors des élections européennes, notamment l'interdiction des suppressions d'emplois sous peine d'expropriation dans toutes les grandes entreprises qui font du profit et la reconnaissance du droit de contrôle des travailleurs et de la population sur les comptes et la gestion des grandes entreprises. Car on ne peut laisser aux monopoles financiers plus de pouvoirs et de possibilités d'intervention dans la vie du pays qu'aux citoyens, aux travailleurs et aux représentants qu'ils se choisissent.

Ces objectifs ne peuvent évidemment être atteints qu'en modifiant le rapport des forces entre les travailleurs et le grand patronat. Lionel Jospin, à propos de l'attitude provocante de Michelin, redécouvre en paroles la lutte des classes qu'il était le seul à croire disparue, car le grand patronat Michelin comme tous les autres n'a jamais cessé de mener une lutte permanente contre le monde du travail avec, pour résultat, le chômage que l'on sait, le développement de la précarité et l'aggravation des conditions d'existence de l'ensemble du monde du travail. Le chef du gouvernement ne peut mieux dire qu'il ne peut, ou ne veut, agir contre la dictature du capital financier.

Voilà pourquoi je considère et je souhaite que la manifestation que vous envisagez ne soit pas sans lendemain. Nous savons tous qu'une manifestation d'un jour, dont le patronat sait qu'elle n'aura pas de suite, n'est pas de nature à l'impressionner.

La manifestation n'aura de véritable signification qu'en étant une première étape dans un plan de mobilisation de l'ensemble du monde du travail, qui, en lui redonnant confiance dans les luttes, conforterait la conviction qu'ensemble les travailleurs ont la force de faire reculer le patronat.

Par ailleurs, une telle manifestation aurait eu plus de poids si elle avait été accompagnée par un appel à une grève de 24 heures, permettant à une fraction plus large du monde du travail de montrer sa force. N'oublions pas que la grève de novembre-décembre 1995 s'est préparée au travers de journées d'action, de manifestations, de grèves partielles. Les travailleurs ne reprendront confiance dans la lutte que s'ils savent que ce n'est pas une manifestation symbolique sans lendemain, mais une répétition dans le cadre d'une véritable mobilisation.

Bien entendu, il est peut-être prématuré d'envisager un appel à la grève dès la première manifestation, mais il serait souhaitable d'annoncer, publiquement, la nécessité de s'y préparer dans un avenir proche. Bien sûr, on pourrait dire qu'un tel appel est plus du ressort des organisations syndicales que des partis politiques, mais c'est aussi le rôle de ces derniers de contribuer à montrer la voie.

Cela dit, nous participerons à cette manifestation, telle que vous l'envisagez, pour en faire à la fois l'affirmation de nos buts communs et l'expression de nos propres propositions.

C'est donc bien volontiers que j'accepte votre proposition de nous rencontrer afin de discuter de ces problèmes comme des modalités pratiques de cette action.

Je vous prie d'agréer mes salutations communistes.

Arlette LAGUILLER

Lettre d'Arlette Laguiller à Robert Hue

Lundi 18 octobre 1999

Je tiens à vous féliciter du succès de la manifestation du 16 octobre dont vous avez pris l'initiative le 12 septembre lors de la Fête de l'Humanité.

Comme tous les commentateurs l'ont remarqué, le Parti Communiste a fait, à cette occasion, la démonstration de sa capacité de mobiliser et de faire descendre dans la rue des dizaines de milliers de travailleurs, de chômeurs, de licenciés, représentant une partie importante de la fraction la plus combative des classes laborieuses.

Mais, selon moi, c'est aussi la preuve que les travailleurs et les classes populaires répondent, positivement, en masse, lorsqu'on leur offre, clairement, la possibilité de réagir aux attaques dont ils sont victimes.

Bien sûr, les dizaines de milliers de personnes qui ont manifesté samedi étaient en majorité des militants mais ils ne seraient pas venus aussi nombreux s'ils n'avaient ressenti autour d'eux, dans leur milieu, dans leurs entreprises ou leurs quartiers, que cette manifestation avait le soutien moral de la majorité des classes populaires. Et il est évident que tous ces militants, du Parti Communiste ou syndicalistes, plongés dans les problèmes des classes populaires étaient heureux, libérés, d'être enfin appelés à agir contre le patronat et les politiques ne prenant pas en compte leurs intérêts vitaux, voire s'y opposant.

La presse tente de nous présenter, vous et nous, comme défendant au travers de cette manifestation, des objectifs opposés. Vous dites que le gouvernement doit tenir plus compte des intérêts populaires et je dis qu'il faut contraindre Jospin à le faire.

Votre politique est de participer à ce gouvernement pour le changer de l'intérieur ce que je crois impossible, tandis que je pense qu'il ne changera que sur une pression extérieure du monde du travail. Mais malgré cette divergence, nous devrions pouvoir, pour l'avenir, envisager des actions communes.

Pour en revenir à cette manifestation du 16 octobre, je suis heureuse que l'organisation que je représente, Lutte Ouvrière, ait pu contribuer, dans la mesure de ses moyens et de ses forces, à son succès et cela appelle de ma part une troisième conclusion. Lutte Ouvrière représentait près de dix pour cent des manifestants mais le gros de ces derniers était des militants du PCF et cela traduit le rapport des forces militant, sur le terrain, entre Lutte Ouvrière et le Parti Communiste. Par contre, sur le plan électoral, Lutte Ouvrière a représenté entre la moitié et les deux tiers des voix du PCF. A mon sens, cela démontre que si le PCF tenait un langage plus offensif, plus radical et plus clair, il retrouverait ses scores électoraux du passé et ne serait pas contraint de se limiter à être la béquille populaire du gouvernement socialiste Jospin-Aubry. J'en profite pour rajouter que, contrairement à ce que la presse me fit dire, nous ne sommes pas, à Lutte Ouvrière, des adversaires du Parti Communiste ou de ses militants mais de la politique suicidaire qui le conduit à perdre des voix et à être le soutien d'un gouvernement où figurent à des postes clés pour ne citer qu'eux, Aubry, ancien cadre dirigeant de Péchiney et Strauss- Kahn, soutien affiché de la bourgeoisie.

L'objet principal de cette lettre, avant la réunion des initiateurs de cette manifestation et des ralliés de la dernière heure, certains malgré eux, est de vous féliciter, je l'ai déjà dit, d'avoir pris cette initiative mais aussi de vous redire ce que je vous écrivais en septembre dans ma réponse à votre invitation sur la déclaration de Lionel Jospin selon laquelle c'était aux travailleurs d'agir contre les licenciements envisagés par Michelin :

"(...) Lionel Jospin, à propos de l'attitude provocante de Michelin, redécouvre en paroles la lutte de classes qu'il était le seul à croire disparue, car le grand patronat Michelin comme tous les autres n'a jamais cessé de mener une lutte permanente contre le monde du travail avec, pour résultat, le chômage que l'on sait, le développement de la précarité et l'aggravation des conditions d'existence de l'ensemble du monde du travail. (...) Voilà pourquoi je considère et je souhaite que la manifestation que vous envisagez ne soit pas sans lendemain. Nous savons tous qu'une manifestation d'un jour, dont le patronat sait qu'elle n'aura pas de suite, n'est pas de nature à I'impressionner. La manifestation n'aura de véritable signification qu'en étant une première étape dans un plan de mobilisation de l'ensemble du monde du travail, qui, en lui redonnant confiance dans les luttes, conforterait la conviction qu'ensemble, les travailleurs ont la force de faire reculer le patronat."

Je crois plus que jamais que vous devez renouveler de telles initiatives, peut-être une nouvelle journée de manifestations dans toutes les villes du pays pour imposer des mesures coercitives, comme l'interdiction des licenciements dans les entreprises qui en annoncent tout en ayant le cynisme d'afficher d'énormes profits. Journée d'action à laquelle il faudrait inviter les organisations syndicales à s'associer, y compris en faisant campagne auprès d'elles pour que ces manifestations soient assorties d'une grève interprofessionnelle de 24 heures. Les centrales syndicales et, malheureusement, la CGT y seront peut-être à nouveau opposées. Malgré cela, comme la manifestation du 16 octobre l'a prouvé, les militants communistes qui en animent bien des sections ou des syndicats et des fédérations, y appelleront sûrement. Ils tiendront à démontrer qu'eux-mêmes comme les travailleurs, partout dans le pays, sont prêts à réagir et de plus en plus fort si on les y appelle de façon déterminée.

Cela montrera que la manifestation du 16 octobre n'est pas un simple feu de paille sans lendemain en acceptant la continuation de la même politique. Vous avez dit qu'après cette manifestation plus rien ne serait pareil et j'espère que cette phrase a bien le sens que je lui donne et que nombreux parmi vos militants, sympathisants et électeurs ont dû lui donner.

En tout cas, nous répondrons favorablement à toute initiative dans ce sens de votre part.

Veuillez agréer mes salutations communistes.

Arlette LAGUILLER