Il a bien fallu, le 16 mars, la démission du Président et des 19 autres membres de la Commission européenne pour donner un peu de piquant à la campagne des élections européennes. C'est qu'il a bien fallu cette crise "sans précédent", ainsi qu'on peut résumer tous les gros titres de la presse, pour rappeler l'existence de cette commission ainsi que son véritable nom, puisqu'elle est beaucoup plus connue du grand public sous un pseudonyme, à savoir la "Commission de Bruxelles" ou "Bruxelles" tout court pour tous ceux qui protestent, à juste titre ou pas, contre ses décisions ou ses "diktats", selon qu'on est pour ou contre.
Les politiciens hostiles à l'Europe font des gorges chaudes de cette affaire, qui déconsidère l'exécutif européen. Quant aux défenseurs de l'Europe, ils ont fait contre mauvaise fortune bon coeur et ont salué cet événement comme une "crise salutaire" et même une "victoire de la démocratie".
Pourquoi une victoire de la démocratie ? Eh bien, parce que cette démission serait intervenue sous la pression du "Parlement de Strasbourg". Pardon ! Du "Parlement européen".
Ce Parlement européen aurait ainsi démontré qu'il n'est pas, quoi qu'on en ait dit, privé de tout pouvoir.
Pierre Zarka, dans L'Humanité, trouve même "réconfortant de voir que ce sont des élus des peuples ceux qu'on appelle souvent la classe politique qui ont réagi", "ce sont eux qui ont mis en lumière, fraudes, mauvaise gestion et népotisme, entraînant la démission en bloc de la Commission. Comme quoi il y a davantage de sagesse quand on est lié au suffrage universel. Les citoyens ne perdent jamais tout à fait leur temps en votant".
Pourtant, si l'on salue cet événement comme étant extraordinaire, c'est bien parce que ce parlement ne s'était pas beaucoup manifesté depuis les quelques dizaines d'années qu'il existe.
Pierre Zarka et tous ceux qui parlent de la victoire de la démocratie se contentent évidemment de peu, car qu'a donc fait le Parlement européen pour manifester sa puissance ? Est-ce qu'il est intervenu dans la répartition des milliards que la Commission européenne, celle de Bruxelles, gère et distribue aux capitalistes de toute l'Europe ? Est-ce qu'il est intervenu dans la politique agricole commune qui fait grossir les gros agriculteurs et disparaître les petits, en même temps qu'il désertifie les campagnes ? Est-ce qu'il est intervenu dans les problèmes de vache folle ou d'utilisation des aliments à base de viande interdits pour les bovins mais encore autorisés pour les porcs dans un certain nombre de pays, dont la France, ce qui permet à pas mal de malheureuses vaches de bénéficier dans les élevages du régime de leurs compagnons porcins et de mourir de l'encéphalite bovine encore aujourd'hui ?
Bien sûr que non ! Le Parlement européen n'a aucun pouvoir dans tous ces domaines !
Il a fait tomber la Commission européenne parce que certains de ses membres, sinon tous, utilisaient une petite partie de l'argent destiné au fonctionnement de leur administration à favoriser des amis ou des fournisseurs amis des amis. C'est-à-dire, en fait, vu tout ce qu'on a pu voir ailleurs, sur un détail.
Oui, bien sûr, c'est la malhonnêteté au pouvoir, mais c'est une malhonnêteté bien partagée dans toutes les allées de tous les pouvoirs et les députés européens n'en sont pas à l'abri, mais cela n'a rien à voir avec les interventions de la Commission européenne dans la vie quotidienne de plusieurs centaines de millions d'Européens. Car là, ce n'est pas un petit dentiste qui peut être favorisé mais les énormes dents, mâchoires et estomacs de très gros requins et pour des sommes infiniment plus grosses.
Nous ne défendons pas les commissaires européens mais leurs pratiques sont très voisines de celles du Comité Olympique international, de notre propre gouvernement, voire des municipalités de nos grandes villes. Ce sont, somme toute, des pratiques malheureusement bien fréquentes. Mais ne nous laissons pas abuser : pour si écoeurantes que soient ces pratiques, elles sont pourtant modestes à côtés des subventions énormes au grand capital qui ont un impact bien plus important sur les masses populaires. Elles ne sont jamais que le pourboire que s'octroient eux-mêmes les larbins du capital.
Cela dit, cette affaire tombe bien parce que, en cette période pré-électorale, chacun va s'efforcer de s'en servir pour redonner un peu d'intérêt à l'élection pour le Parlement européen en faisant croire que les parlementaires européens ont plus d'importance et plus de pouvoirs qu'ils n'en ont.
Les partis politiques bourgeois ont un programme commun pour l'europe : celui de la bourgeoisie et du patronat des pays européens
Pourtant, la compétition à laquelle nous assistons depuis déjà quelques mois avec la préparation des listes de candidats à ces européennes et qui va de plus en plus s'accélérer, ne concerne pas vraiment l'Europe.
D'abord, parce qu'aucun des partis politiques français n'a réellement de projet pour l'Europe bien différent de celui des autres. Evidemment, chacun, dans les semaines qui viennent, va se dire partisan d'une réforme des institutions européennes et de ce qu'ils appelleront un "contrôle démocratique" sur ces institutions. Cela dit, l'aspect démocratique de ce contrôle, il faudra le chercher à la loupe.
En fait, la compétition, au moins en ce qui concerne la France, sera franco-française.
D'abord, ne négligeons pas le fait que les postes de députés européens sont lucratifs et que tous ne versent pas leur indemnité à leur parti, loin de là. Beaucoup, comme certains Verts, espèrent que ce sera un marchepied pour des postes plus importants.
Au-delà, il s'agit essentiellement, pour le personnel politique des différentes factions en présence sur l'échiquier politique français - on ne peut plus guère parler de partis de gauche et de droite - de se placer pour les compétitions à venir. Surtout, on ne sait jamais, en cas de démission anticipée du Président de la République et, bien sûr, de l'éventuelle dissolution de l'Assemblée Nationale qui pourrait s'ensuivre.
Chacun veut jouer sa carte indépendamment des autres en espérant faire le meilleur score possible pour se trouver en bonne place pour négocier les arrangements les plus favorables. De là, l'éclatement des grands assemblages, aussi bien à gauche qu'à droite et, qui l'eut cru, à l'extrême droite.
Le RPR se présentera sans l'UDF et il y aura ainsi une liste RPR-Démocratie Libérale emmenée par Philippe Séguin et Alain Madelin, en compétition avec une liste UDF, conduite par François Bayrou ; plus une de de Villiers, une de Pasqua et deux du Front national.
Quant à la gauche plurielle, elle est plus plurielle que jamais. PS, PC et Verts sont séparés, le PC réussissant, lui, le tour de force d'être pluriel à l'intérieur même de sa propre liste.
Le Front national avait beaucoup profité rappelons-le des résultats des élections européennes de 1984, où ses 11 % de suffrages démontrèrent pour la première fois son implantation nationale en même temps qu'une progression sensible dans l'opinion.
Aujourd'hui, l'une comme l'autre des deux branches pourries du Front national, comme Philippe de Villiers et Charles Pasqua, continuent d'exploiter le thème de la "souveraineté nationale" qui serait "menacée par la construction de l'Europe", comme par l'immigration.
Mais ailleurs, on a assisté à quelques retournements spectaculaires.
A droite, Philippe Séguin qui, avec Pasqua lors du référendum de septembre 1992, avait fait campagne pour le "non" à Maastricht, a choisi aujourd'hui de jouer la carte inverse, en tant que responsable du RPR.
Du côté de la gauche "plurielle", Chevènement, qui avait sauté sur le créneau nationaliste en appelant à voter "non" lors du référendum sur Maastricht et qui avait quitté le PS pour créer sur cette base le Mouvement des citoyens en 1993, ressuscite aujourd'hui en pro-européen allié au Parti socialiste... Nouveau "miracle de la République" !
De leur côté, les Verts sont devenus un parti de gouvernement, avec tout ce que cela implique comme opportunisme et finalement comme conservatisme social, pour ne pas dire pire. Leur fonds de commerce, c'est théoriquement l'environnement, mais à vrai dire leurs objectifs sont des places au gouvernement et dans les institutions. Ils veulent bien sûr ignorer que les principaux dégâts sur l'environnement sont essentiellement des conséquences directes du fonctionnement du capitalisme, de la recherche du profit maximum à court terme, quand aujourd'hui les principaux pollueurs ne recherchent pas des bénéfices supplémentaires dans la dépollution, comme le font la Générale ou la Lyonnaise des Eaux. Les Verts ne veulent pas s'en prendre au capitalisme, ils veulent un créneau pour arriver à gérer ses affaires politiques.
Pour eux, les seuls problèmes d'environnement, ce sont le nucléaire, l'état des forêts, les méfaits de la chasse pour les oiseaux migrateurs, et toute une série de problèmes, bien réels certes, mais les problèmes d'environnement bien concrets que connaissent les travailleurs sur leurs lieux de travail, dans les usines, les chantiers, bruyants, dangereux, toxiques, ou sur leurs lieux d'habitation, insalubres, dangereux, ceux-là ils n'en parlent pas, ils ne les imaginent même pas ! Ce ne sont pas les problèmes du public auquel ils s'adressent. Ni au niveau de l'Europe, ni à celui du pays.
Leurs positions au sujet de L'Europe varient au coup par coup. Même leur tête de liste se déclare aujourd'hui partisan du marché capitaliste. Bien sûr, il en déplore les excès comme les licenciements massifs pour augmenter les bénéfices et la cote des actions en Bourse, mais il ne dit pas comment concilier le respect du marché et une lutte contre ce qu'il appelle des "excès", alors que ces "excès" sont le fonctionnement normal et quotidien du marché.
Non, aucun de ces partis, même pro-européens, n'a véritablement de programme, de projet pour l'Europe.
Quant au principal parti responsable du gouvernement, le PS, il prétend se différencier de la droite en annonçant qu'il va mettre en avant des propositions pour une Europe "sociale". L'actualité politique fait que onze pays sur les quinze qui composent l'Union européenne ont maintenant des gouvernements sociaux-démocrates, se disant plus ou moins "de gauche", et les dirigeants de ces Etats se sont réunis récemment à Milan, en congrès du Parti des socialistes européens, pour se mettre d'accord sur un manifeste électoral commun, ce qui suffit à faire parler d'une "Europe rose", à la recherche paraît-il d'une nouvelle voie pour "favoriser l'emploi".
"Favoriser l'emploi", qu'est-ce que cela peut bien vouloir dire pour Tony Blair, Lionel Jospin, Gerhard Schröder, Massimo d'Alema ? Que valent leurs idées de pseudo socialistes, à eux qui sont à la tête de gouvernements à plat ventre devant les grands patrons licencieurs, car on les voit tous les jours mises en application dans les pays qu'ils dirigent ? S'ils projettent autre chose pour l'Europe, l'avenir ne sera pas rose !