Sud-est asiatique : une économie très liée à l'économie japonaise

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13 novembre 1998

Avec 200 millions d'habitants en Indonésie, 68 millions aux Philippines, 59 millions en Thaïlande, 45 millions en Corée du Sud, 22 millions à Taïwan, 19 millions en Malaisie, cela fait au total pour ces seuls pays du Sud-Est asiatique plus de 400 millions d'habitants, une population supérieure à celle de l'Europe occidentale. Tous ces pays ont un passé marqué par le sous-développement. Mais ces dernières années, ils ont été le théâtre d'un boom économique qui les a fait surnommer les "tigres" ou les "dragons". Il n'en a pas fallu plus pour qu'on nous les présente comme les nouveaux pays industrialisés en passe de rattraper, voire de dépasser les anciens. Mais en fait le véritable centre économique de cette région est ailleurs : c'est le Japon.

Tout comme les pays d'Europe occidentale ou les Etats-Unis, le Japon est un vieux pays industriel, un de ces quelques pays qui ont pu prendre le train du développement capitaliste au siècle dernier et qui aujourd'hui se partagent la domination économique de la planète.

Cette domination a pris depuis longtemps la forme de ce que Lénine appelait l'impérialisme. Les trusts, les grandes compagnies des quelques pays impérialistes les Etats-Unis, le Japon, les pays d'Europe occidentale ont accumulé des richesses énormes, extorquées à leur classe ouvrière. A un certain moment, ils ont cherché à réinvestir leurs excédents de capitaux à l'extérieur de leurs frontières, dans des pays moins développés offrant de meilleures possibilités de profits. La rivalité entre puissances impérialistes pour le partage et le repartage du monde en zones d'influence a ainsi entraîné depuis un siècle deux guerres mondiales, et un nombre incalculable de guerres locales pour le contrôle de tel Etat ou de telle région.

Les pays du Sud-Est asiatique ainsi que la Chine constituent pour le Japon une zone d'influence économique privilégiée, à peu près comme l'Afrique, le Moyen-Orient et l'Inde l'ont été pour les impérialismes français et anglais ou l'Amérique latine pour les Etats-Unis. Et cette zone d'influence a été conquise, comme pour les autres puissances impérialistes, en s'appuyant sur la supériorité économique, et au besoin militaire, d'un pays industriel.

La seconde guerre mondiale a été une défaite militaire pour l'impérialisme japonais. Après avoir tenté de contrôler militairement l'ensemble du Sud-Est asiatique et même la Chine, ses troupes en ont été délogées par les troupes américaines et anglaises, ou par des mouvements nationalistes, comme en Chine. Mais les années qui ont suivi lui ont permis de prendre sa revanche sur le plan économique, un peu comme l'Allemagne a pu le faire en Europe malgré sa défaite militaire de 1945.

Bien sûr, l'impérialisme américain, vainqueur de la guerre mondiale, a tenté de maintenir l'impérialisme japonais dans une position subordonnée. Mais il était tout de même contraint de lui laisser une place. Tout d'abord, pendant toute la période de la guerre froide, le Japon assura aux Etats-Unis un soutien logistique en vendant à l'armée américaine des fournitures de toute sorte, voire des armements. Cela contribua au relèvement de l'économie japonaise d'après-guerre. Les banquiers japonais furent aussi mis à contribution par les Etats-Unis pour qu'ils accordent des prêts destinés à soutenir les régimes pro-occidentaux des pays du Sud-Est asiatique, notamment celui de Corée du Sud. Ainsi dès les années soixante-dix, l'impérialisme japonais avait repris le terrain perdu sur les Etats-Unis ou l'Europe du fait de la guerre mondiale. En même temps il était devenu le principal banquier de la région du Sud-Est asiatique.

C'est à ce moment que les Etats-Unis commencèrent à s'inquiéter de la concurrence commerciale des firmes japonaises, y compris sur leur propre marché intérieur. Ils imposèrent des barrières douanières et un système de quotas pour limiter les importations japonaises. Les groupes industriels japonais trouvèrent la riposte. En sous-traitant toute une partie de leur production dans les pays du Sud-Est asiatique, ils pouvaient contourner les quotas américains, et d'autre part gagner sur le bas prix de la main-d'oeuvre dans ces pays. Les grandes entreprises japonaises, notamment dans l'automobile ou l'électronique, mirent ainsi en place des filières de production basées sur la sous-traitance dans les pays du Sud-Est asiatique. Puis, toujours dans le cadre de la lutte contre les pressions américaines, elles allèrent plus loin : elles y constituèrent même de véritables groupes industriels.

C'est en Corée du Sud que cette politique a eu les résultats les plus spectaculaires avec la constitution de ces grands groupes industriels que l'on a appelés les "chaebols", imitant en grande partie le modèle japonais, les groupes Hyundai, Kia, Daewoo, Samsung et autres. En fait, ces groupes coréens étaient eux-mêmes liés aux grands groupes industriels japonais, les Mitsubishi, Matsushita, Honda ou autres. La Corée ou les pays du Sud-Est asiatique fournissaient les sites industriels, les composants de faible technologie, la main-d'oeuvre bon marché pour les chaînes de montage, tandis que le Japon fournissait les composants plus sophistiqués, les machines-outils, la technologie élaborée.

Ainsi, en grande partie pour répondre aux nécessités de la guerre commerciale avec les Etats-Unis, les grands groupes industriels japonais ont contribué à une réorganisation industrielle de toute l'Asie du Sud-Est. Ce sont leurs capitaux, leurs banquiers, leurs industriels et leur technologie qui ont contribué à l'essor de ce qu'on a appelé les "marchés émergents", dans ces pays dont l'économie semblait à un moment connaître un développement fulgurant. Pourtant, malgré cette période d'industrialisation rapide, les pays du Sud-Est asiatique n'ont pas réellement cessé d'être des pays sous-développés gardant un niveau de vie bien inférieur à celui des pays industrialisés et restant très dépendants, non seulement sur le plan de la technologie par exemple, mais aussi sur le plan financier. On l'a vu dans la crise qui vient de se produire.

L'éclatement de la crise en Thaïlande avait des raisons conjoncturelles immédiates. Le principal débouché commercial des pays du Sud-Est asiatique étant les Etats-Unis, ces pays ont tenté de maintenir un taux de change fixe entre leur monnaie et le dollar. Or, au contraire, le yen, la monnaie japonaise, baissait par rapport au dollar du fait de la récession au Japon et des capitaux japonais qui allaient s'investir ailleurs. Le déficit commercial des Pays du Sud-Est asiatique s'accrut, ainsi que leur dette extérieure. Dès 1996 une des premières banques thaïlandaises, la Banque du Commerce de Bangkok, se retrouva en faillite. L'Etat thaïlandais injecta alors des milliards pour la sauver, milliards qu'il lui fallait bien trouver quelque part, en empruntant et en accroissant encore la dette du pays. Les spéculateurs les plus avertis commencèrent à évacuer leurs capitaux, prenant la précaution de les reconvertir en dollars pendant qu'il en était encore temps. Les banques centrales durent encore emprunter pour pouvoir rembourser en dollars les capitaux qui quittaient le pays. Jusqu'à la panique financière de juillet 1997 où, les uns après les autres, les gouvernements de la région ont dû reconnaître qu'ils n'avaient plus les moyens de payer.

Le résultat, ensuite, a été des faillites en chaîne. Les banques ou les institutions financières thaïlandaises, coréennes ou autres, croulaient désormais sous les dettes contractées pendant les années de spéculation, sans avoir les moyens de rembourser. La monnaie locale s'écroulant, la dette extérieure contractée en dollars ou en yens représente un poids énorme, d'autant plus grand pour le pays que la dévaluation de la monnaie divise les revenus par deux ou plus, que la crise économique s'étend, que les chantiers ferment et que les entreprises licencient.