Depuis déjà pas mal d'années, nous sommes entrés dans une période de réaction, tant sur le plan international que sur le plan intérieur.
Sur le plan international, il y a la montée des intégrismes et des nationalismes, dans un contexte de crise économique qui appauvrit les trois quarts de la planète et dont le paupérisme croissant démoralise, au sens propre du terme, les classes populaires.
L'éclatement de l'Union soviétique a joué un rôle qu'il est difficile d'apprécier mais qui, s'il n'est pas la cause du recul, lui est dû en partie et, aujourd'hui, y contribue sensiblement.
Dans ce contexte, les organisations prolétariennes voient leurs effectifs fondre quand elles n'ont pas disparu.
Le stalinisme, avec puis sans Staline, joua un rôle réactionnaire, au sens politique. Il paralysait les mouvements révolutionnaires, les détournait, assassinait les meilleurs des militants prolétariens et cautionnait aussi bien la social-démocratie qu'Hitler, les Américains ou de Gaulle, suivant les circonstances et les pays.
Cependant, sur le plan social, ce n'était pas exactement la même chose. L'essor économique de l'URSS, le fait qu'elle atteignit le 2e ou 3e rang industriel mondial après avoir été un pays quasiment sous-développé, traînant le Moyen Age en son sein, était un espoir pour des dizaines, voire des centaines de millions d'ouvriers, de paysans, de parias des pays sous-développés. Et bien sûr d'intellectuels aussi.
Ces derniers surtout, que ce soit dans les pays industrialisés ou les pays coloniaux ou opprimés différemment, ne sont pas allés au bout des raisonnements et des idées et n'ont pas cherché, et c'est là leur trahison, à comprendre le véritable rôle et la véritable politique du stalinisme. Bien entendu, nous ne parlons pas de ceux qui, nationalistes ou compagnons de route plus ou moins intéressés, en France par exemple, l'ont fait volontairement.
Mais pour les masses, l'URSS était un espoir et dans les pays sous-développés un exemple.
Aujourd'hui, son éclatement, sa déconsidération tant politique qu'économique ne laissent plus le moindre espoir aux masses du côté du communisme. Le communisme est failli à leurs yeux d'autant que ceux qui ont crié le plus fort en URSS à sa faillite sont ceux qui s'en proclamaient, indûment, les héritiers.
Les masses en sont malheureusement réduites à chercher autre chose du côté d'un égalitarisme religieux, des solidarités micro-ethniques, ou de tout autre leurre, qui n'attendront pas 70 ans pour se révéler sans lendemain.
Nous vivons ici cette marche en arrière de la conscience sociale dans les classes populaires.
Les organisations politiques se vident, les organisations syndicales un peu moins car, dans beaucoup d'endroits, elles sont soutenues par l'État et les lois dites sociales. Mais là où ce n'est pas le cas, elles se vident aussi.
Ce recul des organisations réformistes n'a pas profité à l'extrême gauche, qui, loin d'être épargnée par cette crise du militantisme et par cette démoralisation, en a également souffert, du point de vue du recul de ses effectifs militants et, ce qui est plus grave encore, comme par le passé dans des circonstances voisines, du point de vue de sa politique.
La recherche d'un raccourci dans la voie de la construction du parti révolutionnaire, de la formule minimum qui permettrait de regrouper au sein d'une même formation les militants révolutionnaires et les courants, les groupes ou les hommes en délicatesse avec les grands partis traditionnels dont ils proviennent, a toujours été la tentation des organisations issues de la Quatrième Internationale officielle. Elle se révèle particulièrement négative aujourd'hui, dans une période où une tâche importante pour des révolutionnaires doit être de revendiquer clairement leurs références à la lutte des classes, au marxisme révolutionnaire, le drapeau plus ou moins ouvertement abandonné par ceux qui s'en proclamaient indûment jusque-là les détenteurs.
Les divergences qui nous séparent des autres courants se réclamant du trotskysme se manifestent également en ce qui concerne l'activité quotidienne des militants. Ceux qui consacrent leurs forces à lutter pour le droit au logement, ou pour organiser les chômeurs, ont évidemment droit au soutien des organisations prolétariennes. Mais les militants révolutionnaires, déjà peu nombreux, ne doivent pas disperser leurs forces et en consacrer l'essentiel à des activités que les libéraux, voire les chrétiens, font très bien et qui ne s'adressent qu'à une fraction marginalisée de la population.
Sur le plan électoral, qui ne veut pas dire grand-chose mais qui est un indice, la gauche recule au profit de la droite et même de l'extrême droite. Plus exactement, même si elle ne recule pas globalement - car le PS conserve une partie de son électorat dans certaines catégories sociales, le PC en conserve un peu, même à un très bas étage, et nous aussi - on a pu se rendre compte, au travers des derniers scrutins, ou autour de nous, avec l'effet révélateur que représentent les attentats, que la xénophobie, le racisme, les idées et les slogans de Le Pen pénètrent de plus en plus la classe ouvrière.
Le Pen n'est pas encore un fasciste au sens que nous donnons à ce terme. Pour le moment, mais pour le moment seulement, les classes moyennes ne sont pas ruinées. Quand elles manifestent, c'est pour réclamer des sous, mais pas pour se battre contre les institutions. Il n'y a pas de bandes fascistes organisées qui paradent dans les rues. La bourgeoisie, la grande, n'a pas encore besoin de cela et elle n'en est pas encore à le financer ou même à le permettre.
Mais avec l'aggravation de la crise, cela pourrait arriver et Le Pen serait candidat.
La campagne électorale a effectivement constitué notre intervention politique majeure durant cette année.
La succession de scandales impliquant aussi bien des hommes politiques que des grands patrons a donné un impact un peu plus large à ce que nous disions habituellement sur le contrôle des comptes du patronat. De même, la simultanéité de l'annonce par les grandes entreprises de bénéfices considérables avec celle de la poursuite des licenciements a choqué l'opinion publique ouvrière et a rendu plus crédible la proposition d'interdire les licenciements dans les entreprises qui font des bénéfices.
Le centre de gravité de nos interventions dans la précampagne et dans la campagne s'est situé sur les aspects du plan d'urgence concernant le contrôle des finances du patronat, l'expropriation des entreprises qui font des bénéfices et licencient, sur le contrôle de la population sur l'ensemble de l'État, plus que sur la défense du type de revendications comme les 1 500 F ou la réduction des heures de travail. Nous avons bien sûr soutenu ce type de revendications, comme les problèmes de logement ou autres, comme nous l'avons toujours fait pour de tels problèmes dans toutes nos campagnes, mais nous ne nous y sommes pas limités. Nous avons pu vérifier par la suite que les échos les plus nombreux portaient plus sur nos axes principaux, contrôle, expropriations, etc., que sur les problèmes revendicatifs.
Notre score a traduit une sympathie plus grande à notre égard mais n'a pas reflété une modification de la situation sociale et encore moins traduit une radicalisation.
Cependant, notre campagne et notre score nous ont valu une estime et un crédit un peu plus grands, qui se sont manifestés par exemple dans le fait que les gens ont affiché plus facilement leur sympathie pour nous dans les mois qui ont suivi l'élection.
Lorsque, dans la période précédant l'ouverture de la campagne, nous envisagions de donner au public de nos bulletins des raisons de voter pour nous, nous écrivions que, si quelques millions de travailleurs supplémentaires approuvaient nos principales idées, cela pourrait avoir un impact important. Ce n'était évidemment ni une prévision, ni une analyse éventuelle de la signification d'un tel résultat. Nous essayions de donner une raison de tenter l'expérience.
Nous n'avons pas atteint, et de loin, ce résultat. Mais nos nouveaux électeurs n'ont cependant pas fait un geste inutile même s'il ne change rien à la situation. C'est, comme le faisaient nos électeurs habituels, une affirmation qui compte comme telle, même si elle n'est pas suivie d'effet... ou d'actes.
Comme nos résultats étaient assez nettement supérieurs à nos résultats habituels, nous avons défendu en public, le soir de l'élection, l'idée de la nécessité d'un parti représentant les intérêts politiques de la classe ouvrière.
Il s'agissait bien sûr d'un simple appel propagandiste.
Nous n'envisagions absolument pas la possibilité réelle de créer un tel parti, nous nous en sommes expliqués à plusieurs reprises.
Mais nous avons dit aussi que nous devions tout faire pour tirer tout le parti possible de ce résultat. Les réactions que nous avons rencontrées, l'expérience de la constitution des listes pour les municipales (et leurs résultats), puis les caravanes, ont confirmé qu'il n'y avait pas un courant majeur portant les gens dans notre direction avec une volonté militante même à un niveau faible. Nous avons vu cependant une sympathie plus grande et un accueil plus favorable qu'auparavant. C'est cette situation et cet accueil que nous avons tenté de concrétiser jusqu'ici, ce que nous continuerons à tenter.
Nous n'avons pas fait appel à un regroupement de différentes organisations d'extrême gauche. Le résultat des élections ne changeait absolument pas, de ce point de vue, la situation par rapport à la période précédente. Pas plus qu'avant, il n'y avait aucun progrès, ni quantitatif ni encore moins qualitatif, à attendre d'un simple regroupement des organisations d'extrême gauche existantes. En outre, le contexte actuel, où la principale des organisations d'extrême gauche, et la plus proche de nous, la LCR, et ses scissions ou ses tendances ne conçoivent l'avenir que dans la collaboration avec des forces issues des mouvements alternatifs, ou même de la social-démocratie ou de la droite du Parti communiste - alors même que ces forces, ou sont dérisoires, ou ne veulent de toute façon pas de la Ligue -, n'ouvre en fait même pas la possibilité d'un regroupement des seules organisations qui se revendiquent du communisme ou de la révolution, ne fût-ce que verbalement.
La seule entente objectivement possible ne le serait que sur la base du "plus petit programme commun", c'est-à-dire sur la base d'idées qui sont aux antipodes de celles que nous défendons. Nous n'avons donc pas l'intention d'abandonner notre politique, au nom de l'alliance avec des forces baptisées contre leur gré "objectivement anticapitalistes".
Nous ne tirons pas pour l'instant de bilan des activités que nous effectuons depuis le mois de mai. D'une part, parce que ces activités (mini-caravanes, participation aux élections partielles, travail de contact avec les adresses, etc.), nous allons les poursuivre.
D'autre part, parce que nous savions avant d'engager ce travail que ce bilan serait dérisoire par rapport à l'objectif affirmé.
Resteront à mesurer les résultats de ce travail, ramenés à notre échelle.
Peut-être, au travers de cet effort, trouverons-nous quelques forces qui nous permettront d'élargir notre présence dans des villes ou des régions dont nous étions absents jusqu'ici, ou pourrons-nous élargir le cercle de nos sympathisants. Ce n'est ni une prévision, ni même un objectif, c'est une vérification à effectuer.
Nos perspectives nouvelles d'activité de l'année à venir découlent donc du travail que nous avons entrepris cet été après les présidentielles et continué avec les municipales, les partielles et les caravanes.
Nous avons pour tâche de gérer nos nouveaux contacts, qui se trouvent répartis dans tout le territoire où nous avons organisé des caravanes ou participé à des élections. Même si très vite une certaine décantation s'est opérée, il nous reste encore un important effort à faire pour établir, maintenir, le contact et assurer avec eux un lien spécifique. Il est encore beaucoup trop tôt pour avoir une idée du nombre et du type de sympathisants ainsi rencontrés et liés à nous. Trop tôt pour avoir une idée du nombre et du type de liens établis. Bien trop tôt enfin pour savoir ce qui en sortira sur le plan de l'organisation et de la propagande (bulletins, etc.). Nous pouvons juste faire tous nos efforts pour sortir de nos milieux habituels de propagande et d'activité, pour renouveler et élargir le nombre de nos sympathisants, et notre présence géographique.
Nous poursuivrons cet effort entre autres, avec les mini-caravanes. Le but est le même, prendre contact dans des régions où nous n'avons aucun travail régulier, avec d'éventuels sympathisants, dont le résultat des présidentielles nous a permis d'envisager qu'ils puissent exister, et voir avec eux s'il est possible d'exister - et sous quelle forme - dans des endroits où nous n'avons pas de présence militante.
Même si l'objectif de la construction d'un parti "de masse" est un objectif propagandiste et que cette perspective est évidemment exclue, cette extension de notre présence militante, ponctuelle d'abord et dans certains cas durable nous l'espérons, pourrait nous permettre d'accroître notre influence.
En tout cas, s'il y a la moindre possibilité, nous ne devons pas passer à côté et le seul moyen de le savoir est de le vérifier en nous y consacrant à fond.
L'activité des caravanes "d'hiver" aura ainsi l'avantage, comme l'ont eu celles de l'été, de permettre à tous les camarades, qu'ils soient d'entreprise ou pas, jeunes ou vieux, engagés dans tel ou tel autre type de travail spécifique, de se retrouver sur une tâche politique commune, aux côtés de sympathisants, dont de jeunes travailleurs issus du travail spécifique de recrutement.
Ces tâches s'ajoutent bien entendu à toutes les autres tâches que nous assurons déjà et ne les remplacent pas. Il s'agit d'un effort supplémentaire demandé à toute l'organisation. Nous avons déjà dans le passé - et nous étions moins nombreux - assuré de tels efforts, dont certains ont conditionné notre développement.
Nous ne pouvons, moins que jamais, en garantir le succès. Mais puisque, pour la première fois, dans une élection, un million six cent mille personnes nous ont apporté leur voix, renoncer à faire cet effort serait tourner le dos à tout ce que nous avons fait jusqu'ici.
$$s30 octobre 1995