Pour les élections municipales de mars prochain, ce n'est évidemment pas en fonction de la politique prônée sur le plan national par la gauche que nous déterminerons notre politique. À la tête de l'État, les gouvernants qui se succèdent, qu'ils soient de droite ou de gauche, défendent fondamentalement les intérêts du grand capital. Les bénéfices des trusts français ont prospéré sous la gauche comme sous la droite. Et les gouvernements de gauche se sont livrés à bien des attaques contre la classe ouvrière. C'est ainsi que la réforme - ou plutôt l'amputation - des retraites, décidée sous le gouvernement de droite de Balladur, avait été élaborée et préparée sous Rocard, chef d'un gouvernement de gauche. De fait, les gouvernements défendent, chacun à sa façon, les intérêts généraux du grand capital. Cependant, ce n'est pas pour autant que nous mettons un signe d'égalité entre la droite et la gauche, notamment en ce qui concerne la politique municipale.
Bien évidemment, la situation n'est pas la même dans les villes petites ou moyennes et dans les grandes villes disposant d'un énorme budget municipal, avec tout ce que cela comporte pour leurs gestionnaires de relations, voire de compromissions avec la bourgeoisie locale, ou les grands groupes capitalistes qui y interviennent au titre de « services » divers - même si se poser la question de la taille critique, au-delà de laquelle on passerait d'une catégorie à l'autre, n'a aucun sens.
Bien évidemment aussi, les élections municipales qui viennent sont le théâtre d'affrontements entre les différents partis de gauche qui relèvent bien plus des intérêts de parti, voire des ambitions personnelles. C'est une évidence qu'illustrent les rapports difficiles entre le Parti socialiste et le Parti communiste dans un grand nombre de communes, en particulier de la banlieue parisienne. C'est d'autant plus facile à comprendre que l'évolution de ces partis depuis au moins un demi-siècle, a donné un poids croissant aux élus et à tous ceux qui gravitent autour d'eux.
Mais que les partis de la gauche réformiste (en classant évidemment le PCF parmi eux) soient des partis d'élus ne signifie pas pour autant que ce soit cette activité municipale qui soit à l'origine de ce réformisme, même si elle en constitue une des bases.
Le réformisme est né dans les pays impérialistes - comme conséquence directe de cet impérialisme - du fait que bien des intellectuels qui se disaient socialistes (ou anarchistes) se sont intégrés à la société bourgeoise, à son personnel politique, qui leur offraient carrière ou considération, voire les deux à la fois ; que toute une aristocratie ouvrière, qui se confondait souvent avec la bureaucratie syndicale, s'est intégrée elle aussi à la société bourgeoise.
Ce n'est pas le syndicalisme, ni le parlementarisme, ni la gestion des municipalités, qui a engendré le réformisme. Quand des fruits pourrissent dans un panier, ce n'est pas celui-ci qu'il faut accuser. C'est généralement que ces fruits étaient déjà gâtés. C'est le développement de cette aristocratie ouvrière, le poids de ces intellectuels passés de la défense des idées révolutionnaires à celle de l'ordre bourgeois, qui a provoqué l'évolution des syndicats, de l'activité des élus se réclamant en paroles de la classe ouvrière, vers ce que nous connaissons aujourd'hui.
Mais pour les révolutionnaires, cela ne signifie pas - à moins de se contenter d'être des commentateurs de l'actualité - qu'il ne faille pas s'investir, dans la mesure des possibilités pratiques, dans l'activité syndicale, les luttes électorales, et les interventions sur le terrain communal.
Bien évidemment, les principaux maux dont souffre la population laborieuse, le chômage, l'insuffisance des salaires, ne résultent absolument pas de la gestion municipale.
Aucune municipalité ne peut échapper à la dictature des groupes industriels et financiers, et une municipalité dirigée par des communistes révolutionnaires n'y échapperait pas plus qu'une autre. N'importe quelle entreprise peut délocaliser. Le conseil d'administration d'Airbus a pu décider la fermeture ou la vente de plusieurs de ses sites de production alors que cela peut conduire à condamner à mort toute une ville.
Aucune municipalité ne peut, non plus, suppléer aux défaillances de l'État lui-même. Quand bien même tous les gouvernements prétendent décentraliser, les mesures de décentralisation consistent en général en ceci que l'État se décharge de ses responsabilités au profit des collectivités locales à différents niveaux, mais sans jamais donner à celles-ci les moyens financiers de les assumer.
Quand un bureau de poste ferme ou limite ses heures d'ouverture, quand on supprime la représentation locale d'une administration, du Trésor à la Sécurité sociale et jusqu'aux tribunaux de proximité, cela se traduit toujours par des difficultés et des dépenses supplémentaires pour les habitants de la ville, et cela contribue aussi à la désertification des villes moyennes et petites. Comme y contribue la suppression d'une gare ou d'une ligne de chemin de fer. Et les conséquences sont particulièrement gênantes, voire dramatiques, lorsque disparaît un hôpital ou une maternité de proximité.
Mais les élections municipales étant les élections les plus locales, les conseillers municipaux sont, de tous les élus, ceux qui sont les moins loin de leurs électeurs. Bien qu'en raison du mode de scrutin, inventé pour favoriser les grands partis, la composition des conseils municipaux ne reflète que de très loin la diversité de l'électorat, du fait de sa proximité, le conseil municipal est plus facilement sous le regard des administrés que le conseil général, le conseil régional et, à plus forte raison, la Chambre des députés.
Malgré les étroites limites juridiques et économiques dans lesquelles sont enfermées les municipalités, dans un système économique et social fondamentalement injuste et où, de plus, les municipalités sont subordonnées à l'État central et où le préfet peut annuler certaines de leurs décisions, le conseil municipal a le pouvoir de faire des choix qui peuvent améliorer ou, au contraire, aggraver les conditions d'existence des classes populaires.
Ce n'est pas par hasard qu'il y a infiniment plus de logements sociaux à Aubervilliers qu'à Neuilly, villes dont les populations sont du même ordre de grandeur. Que plus généralement il y en a plus dans les municipalités de gauche que dans celles de droite. D'ailleurs, quand il y a un nombre important de logements sociaux dans une municipalité de droite, c'est souvent l'héritage d'une époque où la gauche dirigeait le conseil municipal.
Les raisons qui ont poussé les municipalités de gauche, non seulement communistes, mais aussi socialistes, à mener cette politique, n'étaient pas forcément désintéressées. Faciliter la présence d'un électorat populaire, susceptible de leur apporter ses voix, avait son importance. Pouvoir s'attacher une « clientèle » aussi, à travers la répartition de ces logements. Et on peut en dire autant de toutes les œuvres sociales - centres aérés, colonies de vacances, aides aux retraités -, mises en place dans ces municipalités. Mais le fait est là : ce n'est généralement pas la même chose pour les classes populaires de vivre dans une commune gérée par la gauche que par la droite.
Le rôle de conseillers municipaux révolutionnaires n'est évidemment pas d'exiger du maire qu'il règle des problèmes sur lesquels il n'a aucun moyen d'agir. C'est, bien sûr, de dénoncer des décisions qui seraient contraires aux intérêts de la population laborieuse. Mais c'est aussi de se servir des problèmes de la vie communale pour montrer leurs relations avec la politique du gouvernement et du patronat. C'est en un mot de se servir de leur mandat comme d'un haut-parleur (malheureusement d'une puissance limitée !) pour faire entendre le point de vue des communistes révolutionnaires sur tous les problèmes de notre société.
Par définition, l'activité municipale comme l'activité syndicale ne peuvent être révolutionnaires, mais sont réformistes. Cependant, l'une et l'autre sont nécessaires à un parti révolutionnaire même et surtout en construction.
C'est pour cela qu'il y aura des candidats de Lutte Ouvrière dans le plus grand nombre de communes possible.
Dans les circonstances politiques actuelles, alors que Sarkozy veut faire du résultat qu'il espère de ces élections une approbation de la politique de son gouvernement, Lutte Ouvrière souhaite qu'il y ait dès le premier tour une union de toutes les forces de gauche et elle est prête à y participer. Ses candidats se présenteront donc sur de telles listes d'union sauf si le Parti socialiste, le Parti communiste ou les deux refusent cette alliance et préfèrent la division. Dans ce dernier cas de figure, Lutte Ouvrière présentera évidemment, partout où elle le pourra, ses propres listes.
18 janvier 2008