Installé au printemps 2006 après une victoire électorale remportée de justesse contre la coalition de droite dirigée par Silvio Berlusconi, le gouvernement italien de centre gauche de Romano Prodi n'a pas mis longtemps à décevoir les travailleurs et les militants qui avaient pu nourrir l'espoir qu'il représenterait un changement.
Politique d'austérité, attaques contre les retraites, confirmation des lois instituant la précarité du travail, gel des salaires, cadeaux renouvelés au patronat, c'est par ces différentes mesures que Romano Prodi s'est distingué en quelques mois. Il faut y ajouter que, s'il a bien retiré les troupes italiennes d'Irak, il a confirmé une politique d'engagement militaire aux côtés de ses alliés occidentaux, notamment en Afghanistan. Enfin, on l'a vu reculer y compris sur les quelques mesures progressistes qu'il avait promises, comme l'institution d'un Pacs, abandonnée sous la pression de la droite et en particulier de l'Église. Quant à sa politique en matière d'immigration, elle n'a désormais rien à envier à celle du gouvernement Berlusconi, avec l'adoption de mesures permettant l'expulsion arbitraire des immigrés en les rendant responsables de l'insécurité.
C'est dans ce climat de déception générale, facilitant les campagnes réactionnaires et renforçant la droite, que de grandes manœuvres sont déjà en cours pour préparer l'après-Prodi. C'est le cas en particulier à gauche où les différents partis, faute de proposer une nouvelle politique, cherchent désespérément le moyen de la présenter sous un nouvel emballage. Ils en sont donc à lancer ce qu'ils nomment, selon une expression italienne bien adaptée, de nouveaux « sujets politiques ».
On est à l'heure de la recomposition politique avec le lancement d'un Parti démocrate et celui attendu d'un nouveau parti de gauche encore imprécis ; tandis que, de son côté, à droite, Berlusconi parle lui aussi de lancer un nouveau parti. Une des clés de cet accès de fièvre est la préparation d'une réforme électorale dont le seul motif véritable serait de permettre aux grands partis de dominer encore plus la scène politique malgré le discrédit qui les frappe. Ainsi serait parachevée la transformation du système politique italien pour en finir avec l'instabilité gouvernementale dont se plaint la bourgeoisie. Une transformation dans laquelle la mue de l'ancien Parti communiste en parti de gouvernement a eu le premier rôle.
Du Parti communiste au PDS
En effet le lancement d'un Parti démocrate est au fond l'achèvement de la transformation de la gauche et du Parti communiste italien.
C'est en 1989 qu'Achille Occhetto, alors secrétaire général de ce qui était encore le plus grand Parti communiste d'Europe occidentale, annonça que celui-ci allait changer de nom. D'abord appelé « la cosa » (« la chose ») car Occhetto lui-même ne disait pas quelle serait la nouvelle appellation, le nouveau parti vit finalement le jour sous le nom de Parti démocratique de la gauche (Partito democratico della sinistra - PDS), non sans abandonner sur sa gauche une fraction qui, refusant d'abandonner l'étiquette communiste, choisit le nom de Parti de la refondation communiste (PRC), résumé le plus souvent en Rifondazione comunista ou même Rifondazione.
La fondation du PDS s'inscrivait dans la lente évolution du Parti communiste italien et son affirmation comme parti de gouvernement de la bourgeoisie. L'ex-parti stalinien avait dès 1956 marqué ses distances avec l'URSS pour mieux pouvoir jouer son rôle sur la scène nationale. Dès les années soixante, certains dirigeants du PC, dont Giorgio Amendola, puis Giorgio Napolitano - aujourd'hui président de la République -, avaient déclaré que le parti devrait devenir un parti réformiste classique, ayant vocation à aller au gouvernement à l'exemple des sociaux-démocrates allemands ou des travaillistes anglais. Les dirigeants du PCI, bien avant qu'il ne devienne PDS, ne faisaient pas mystère de leur aspiration à mener une carrière de gouvernants comme les autres. Ils firent souvent la preuve de leur « responsabilité » dans ce domaine, appuyant par exemple ouvertement la politique d'austérité de gouvernements démocrates-chrétiens dans la période dite du « compromis historique » des années soixante-dix. Ils attendirent cependant la période 1989-1991, avec la chute du mur de Berlin et les changements politiques en Europe de l'Est, pour saisir l'occasion de rompre y compris avec l'appellation communiste qui rappelait les origines du PCI.
Après la transformation du parti en PDS, ses dirigeants continuèrent de plus belle à afficher leur disponibilité à devenir des gouvernants de la bourgeoisie. Dès ce moment, on vit d'ailleurs un des représentants de la nouvelle vague dirigeante de l'ex-PC, Walter Veltroni, proclamer que sa transformation en PDS ne suffisait pas : il devrait devenir un Parti démocrate à l'exemple tout simplement du Parti démocrate américain, abandonnant donc même la référence social-démocrate.
De l'écroulement démocrate-chrétien à un système d'alternance
Un tel projet allait cependant de pair avec un autre : la transformation du système politique dans un sens majoritaire, de façon à ce que la question du gouvernement puisse se résumer à l'alternance de deux grands partis, menant une politique semblable, à l'exemple de ce qui se passe aux États-Unis, en Grande-Bretagne et dans nombre d'autres pays et ce qui serait, à en croire les chantres de la démocratie bourgeoise, le nec plus ultra de cette démocratie.
L'écroulement de la Démocratie chrétienne et du Parti socialiste après les affaires de corruption de 1992-1993 (tangentopoli), qui allaient ouvrir la voie aux enquêtes des juges de « mani pulite » (les mains propres), fournit l'occasion de dénoncer le système électoral proportionnel et la permanence au pouvoir de ces deux partis comme la cause de tous les maux de l'Italie. Mais c'est avec la collaboration active du PDS que le système politique put être transformé dans le sens majoritaire souhaité par la bourgeoisie. Dans ce domaine-là aussi, l'ancien PC fournit la preuve de sa responsabilité en permettant à la bourgeoisie de passer de la Première république italienne, instaurée en 1946, à ce qu'on allait appeler la Seconde république. En même temps, il se préparait à prendre sa place dans cette Seconde république instaurée à l'enseigne du système électoral majoritaire.
Mis en pratique pour la première fois aux élections législatives de 1994, celui-ci était censé apporter le changement. En fait, il apporta d'abord le pouvoir à la droite.
En effet, de ce côté-là aussi, on avait compris l'opportunité offerte par l'écroulement des deux vieux partis et l'instauration du système majoritaire. Ainsi naquit le nouveau parti Forza Italia, lancé par le richissime magnat de l'audiovisuel Berlusconi et qui allait permettre le recyclage d'une grande partie des notables démocrate-chrétiens. Pour compléter l'opération, un autre parti, le parti néo-fasciste MSI, héritier direct du parti de Mussolini, fit lui aussi peau neuve. Avec l'approbation et la caution de l'ensemble des forces politiques de la droite à la gauche, il adopta le nom d'Alliance nationale et se proclama désormais un parti respectable et pleinement intégrable aux institutions. Grâce à quoi Berlusconi put fédérer une grande partie de la droite dans une alliance comprenant Forza Italia, Alliance nationale et la Ligue du Nord d'Umberto Bossi dont la démagogie, opposant le Nord au Sud et à « Rome la voleuse », l'Italie riche à l'Italie pauvre et les Italiens aux immigrés, faisait recette.
En revanche, il semblait qu'à mesure qu'il s'affirmait comme parti de gouvernement, les résultats électoraux de l'ex-PC s'amenuisaient. Déjà, aux premières élections affrontées sous son nouveau sigle en 1992, le PDS ne recueillit plus que 16,11 %. C'était moins des deux tiers des voix de l'ancien PCI, qui en avait encore recueilli 26,57 % aux élections de 1987 ; sans même parler de son maximum historique de 34,37 % des voix, obtenu aux élections de 1976. Aux élections de 1994, le PDS progressa à peine, avec 17,30 % des voix.
L'alliance berlusconienne, sous le nom de « Pôle des libertés » (Polo delle libertà) gagna donc ces élections de 1994. Mais son gouvernement trébucha dès l'automne sur son attaque contre les retraites et les réactions ouvrières qui s'en suivirent. Il fut remplacé par le gouvernement Dini. Dini fit alors passer pratiquement le même projet sur les retraites que Berlusconi. L'appui du PDS et des syndicats fut pour cela décisif, leurs dirigeants montrant ainsi leur capacité à faire accepter les mesures d'austérité que la droite avait du mal à imposer.
Pour les élections suivantes, anticipées en 1996, le PDS fit tout pour trouver des alliés sur sa droite et décida de lancer encore un nouveau « sujet politique » avec la coalition dite de l'Olivier (l'Ulivo). Cette coalition, dans laquelle le PDS était censé se fondre, répondait à une nécessité électorale, mais surtout à un besoin politique. Pour s'affirmer comme parti de gouvernement, le PDS avait encore besoin de s'effacer derrière un homme de la bourgeoisie, éprouvé et qui lui fournisse sa caution.
Après l'écroulement de la Démocratie chrétienne et du Parti socialiste, l'Olivier pouvait lui aussi fournir un cadre aux hommes venus de ces deux derniers partis et en instance de recyclage. Il plaça donc à sa tête Romano Prodi, lui-même démocrate-chrétien dit « de gauche ». Ayant derrière lui une déjà longue carrière de grand commis de l'État et de la bourgeoisie, Prodi fut intronisé grâce au soutien du PDS comme l'« homme nouveau » censé amener la gauche au pouvoir et avec elle le changement.
C'est donc en devenant PDS, puis d'ailleurs simplement DS (les « Démocrates de gauche » - Democratici di sinistra, ayant perdu ainsi le P du mot parti), et en s'abritant sous les feuilles d'un Olivier brandi par Prodi pour créer une coalition de gauche donnant la réplique à la coalition de droite, que l'ancien PCI devint vraiment un parti de gouvernement.
Le premier gouvernement Prodi ne dura que de 1996 à 1998 car son allié de gauche Rifondazione lui retira alors son soutien pour prendre quelque distance d'avec sa politique. Néanmoins la majorité de l'Ulivo put aller jusqu'au terme de la législature, en 2001, avec les gouvernements D'Alema, puis Amato. Elle réussit à imposer aux classes populaires les mesures d'austérité exigées pour préparer le passage à l'euro, en même temps que bon nombre de mesures réclamées par le patronat et qui, libéralisant le marché du travail, allaient généraliser la précarité. Après quoi les élections de 2001 permirent le retour au pouvoir de Silvio Berlusconi et de son Pôle des libertés, entre temps déjà rebaptisé en Maison des libertés (Casa delle libertà).
Mais la création ou la transformation des « sujets politiques » et la valse des noms nouveaux ne pouvaient s'arrêter là.
De la Démocratie chrétienne à la Marguerite
Tout d'abord, l'application d'une loi électorale majoritaire à partir des élections de 1994 n'avait pas mis fin à une vieille particularité du parlementarisme italien : la multiplicité des partis du centre tirant parti de leur rôle charnière pour vendre plus cher leur soutien à la gauche ou à la droite. Une des raisons en est que la loi de 1993 instituant le vote majoritaire par circonscription, issue d'un compromis, avait maintenu l'élection à la proportionnelle pour 25 % des députés. Tout en poussant les partis à former des alliances et à constituer des coalitions, elle laissait aussi aux petits partis une relative liberté d'action à l'égard de ces mêmes coalitions.
L'écroulement de la Démocratie chrétienne et du Parti socialiste après les affaires de corruption de 1992-1993 n'a pas fait disparaître leurs hommes : elle a débouché sur une poussière de regroupements politiques, quand ils n'ont pas rejoint individuellement le parti de Berlusconi, voire même le PDS.
Sans chercher à les énumérer tous, ces regroupements avaient deux choix possibles : s'allier avec la coalition de droite, ou bien avec celle de gauche. On vit ainsi naître à droite le CCD (Centre chrétien démocrate) de Pier Ferdinando Casini, devenu aujourd'hui UDC (Union des démocrates chrétiens et du centre) et qui choisit l'alliance avec Berlusconi. Mais une autre partie de l'ancienne Démocratie chrétienne forma le Parti populaire italien (PPI), tentant ainsi de ressusciter son ancêtre, le parti catholique créé au lendemain de la Première Guerre mondiale par le prêtre Don Luigi Sturzo. C'est à ce courant, censé incarner la fibre du catholicisme à sensibilité « sociale » qu'appartient Romano Prodi.
Au PPI sont venus s'ajouter, par coalitions successives, d'autres partis du centre issus de la décomposition de la Démocratie chrétienne et du Parti socialiste, de partis dits libéraux ou de courants écologistes, pour former finalement la coalition dite de la Marguerite, issue en effet de nombreux partis, peut-être finalement plus nombreux que ladite fleur n'a de pétales.
Une telle coalition dispose évidemment de plus de dirigeants et d'ambitions qu'elle n'en a besoin, parmi lesquels a réussi à émerger Francesco Rutelli, ex-maire de Rome et transfuge de l'écologie et du Parti radical. Par une sorte de curiosité botanique, la Marguerite semble avoir profité de l'ombre de l'Olivier pour pousser... là encore vers le centre. En effet pour les élections de 2001, l'Olivier privé de son homme de proue Prodi, alors promu à la tête de la Commission européenne, chercha à lancer un homme capable d'être le concurrent de Berlusconi. C'est ainsi que Rutelli, élément le plus à droite de l'Olivier, fut choisi pour être la figure de proue de la gauche dans ces élections de 2001, mais ne les gagna pas pour autant.
Ayant ainsi bénéficié lui aussi de l'appui du PDS pour lancer sa carrière mais comptant bien la continuer sans lui rendre de comptes, Rutelli s'est distingué à de nombreuses reprises par ses gestes vers la droite. En prenant ses distances avec les tentatives les plus modérées de réformes du centre gauche, comme par exemple dernièrement celle d'instituer un Pacs, Rutelli n'a jamais manqué de saisir les occasions de le faire.
2006 : la victoire de « l'Unione »
Dans le carrousel de changements d'appellation qui semblent désormais tenir lieu de programme aux partis italiens, l'Olivier céda le pas pour les élections de 2006 à l'Unione (l'Union). De nouveau dirigée par Prodi, cette coalition ajoutait à l'Olivier quelques partis de plus, et surtout sur sa gauche Rifondazione comunista. Selon les règlements de l'Unione, ce parti s'engageait ainsi d'avance à respecter la discipline de l'éventuelle majorité gouvernementale, assurant à Prodi qu'il ne renouvellerait pas son coup d'éclat de 1998.
Ainsi garantie sur sa gauche, l'Unione visait par ailleurs à rassembler autour de Prodi toutes les forces politiques possibles, et en particulier les partis du centre, pour gagner l'électorat hésitant entre elle et la droite. Malgré cela, après cinq ans de gouvernement Berlusconi, l'Unione ne réussit à gagner les élections législatives de 2006 que d'une poignée de voix, sans doute parce qu'à force d'afficher sa modération et de ne rien promettre à l'électorat populaire, elle avait fini par retirer à une bonne partie de celui-ci jusqu'à l'envie de voter pour elle.
Malgré cette victoire très réduite, l'Unione dispose aujourd'hui, grâce au mécanisme électoral, d'une confortable majorité à la Chambre des députés. Mais il n'en est pas de même au Sénat, pour lequel les élections ont lieu en même temps, mais selon un mécanisme différent. L'Unione et la Maison des libertés ayant fait pratiquement jeu égal, il en résulte que chaque vote au Sénat a une issue incertaine. Il dépend en pratique du vote des six sénateurs à vie, non élus, qui font la particularité du Sénat italien, un peu à la manière des Lords britanniques nommés par la reine. Et plus le gouvernement de centre gauche de Prodi se discrédite, plus la survie de cette majorité semble suspendue à un fil.
C'est dans ces conditions qu'est né le projet de dépasser le mécanisme de coalition de partis dont l'Olivier a été le prototype, pour tenter de parvenir à un seul parti qui, par la même occasion, tenterait de s'étendre un peu plus vers la droite.
Depuis des années, c'est une constante de la politique du PDS-DS que d'avoir aidé à propulser sur le devant de la scène des politiciens du centre comme Prodi, Rutelli, ou même l'ex-juge des « mani pulite » Antonio Di Pietro, qui lui aussi a fondé son parti, L'Italie des valeurs. En même temps, plus les résultats électoraux du PDS-DS diminuaient et plus celui-ci devenait dépendant de ces mêmes alliés centristes qu'il avait aidés à prendre leur envol. Au point que ce sont les résultats électoraux eux-mêmes qui lui dictent la nécessité de les rattraper en tentant de se fondre avec eux dans un ensemble plus large, dont le centre de gravité se déplacerait évidemment vers le centre et même vers la droite.
C'est là que la vieille idée de Parti Démocrate de Walter Veltroni a trouvé à se concrétiser. Il s'agissait d'agréger essentiellement le PDS-DS et la Marguerite, et d'autres, pour former un parti du centre gauche agrégeant aussi, si possible, les résultats électoraux de ces différents partis. Si par la même occasion le système électoral était transformé dans un sens encore plus majoritaire, le nouveau Parti démocrate ainsi formé aurait vocation à gouverner l'Italie en alternance avec la coalition de droite berlusconienne.
La création du Parti démocrate
Au printemps 2007, le congrès de la Marguerite et celui des DS ont donc annoncé la proche dissolution de ces partis et leur confluence dans un Parti démocrate à la définition bien vague. L'opération a été complétée, en octobre 2007, par l'organisation de « primaires » destinées à désigner le dirigeant du nouveau parti. Elles ont été remportées avec 75 % des voix par Veltroni, bénéficiant évidemment du soutien des DS, un Veltroni qui en l'occurrence semble avoir réussi à doubler Rutelli sur sa droite.
Le dirigeant des DS, Piero Fassino, a déclaré à cette occasion que le PD sera « un sujet politique non pas modéré ou centriste, mais bien progressiste, réformateur et réformiste ». De son côté, Romano Prodi a revendiqué la pleine paternité du nouveau parti, né selon lui au cours d'« une promenade » douze ans auparavant lors d'une visite d'un de ses amis DS chez lui, à Bologne. À l'en croire, c'est à cette occasion que germa l'idée de répondre au succès du nouveau mouvement Forza Italia de Berlusconi, lancé peu de temps auparavant, par une coalition de forces devant tendanciellement se fondre en un seul regroupement.
Peu importe à vrai dire que l'idée soit due à Prodi ou à Veltroni, ou à qui que ce soit d'autre, car pour fonder un parti il ne suffit pas d'avoir une idée brillante à la faveur d'un week-end en province : il faut pour cela des forces et si possible un appareil largement et profondément implanté. Or les DS, héritiers de l'ancien PCI, étaient les seuls à en disposer vraiment grâce à l'importance de leur organisation et à leur importante implantation sociale. Mais surtout, ils étaient de plus disposés à mettre leurs forces au service d'un Prodi ou d'un autre, pour peu qu'en échange de ce soutien celui-ci les aide à devenir un parti de la bourgeoisie à part entière.
Les soutiens du nouveau parti ont félicité Fassino d'être enfin allé « au-delà » du socialisme, après avoir déjà été précédemment « au-delà » du communisme. Mais « au-delà » du socialisme et du communisme, les DS n'ont retrouvé finalement qu'une force politique bien classique : la Démocratie chrétienne.
L'ex-syndicaliste démocrate-chrétien Franco Marini, devenu président du Sénat sous le deuxième gouvernement Prodi, a déclaré au vu de cette évolution que si, en 1958, on lui avait dit qu'il se serait retrouvé un jour dans le même parti que les communistes, il en serait tombé de motocyclette. « Et je conduisais bien », a-t-il même précisé avec ironie dans une interview au Corriere della Sera. Aujourd'hui cela est possible, selon Marini, parce que le communisme réel a été vaincu et que les DS viennent d'une tradition qui a été vaincue par l'histoire. En revanche, pour lui, le courant « catholique populaire » n'a pas de passé à faire oublier. Marini a été très clair en déclarant qu'au sein du Parti démocrate : « l'esprit populaire (au sens de catholiques populaires - NdT) de la Marguerite ne renoncera pas à ses valeurs, ne se contentera pas d'une citation de Sturzo ».
La création du Parti démocrate est en même temps la fin d'une parabole. Les dirigeants de l'ancien PCI ont abandonné toute référence au communisme et, se proclamant parti de gouvernement, sont partis dans une recherche frénétique d'alliances avec les politiciens bourgeois qui, sur leur droite, pouvaient les légitimer. Au bout de cette course, ils n'ont fait qu'aboutir à recycler les restes du parti Démocrate chrétien que l'on croyait définitivement ensevelis dans les scandales de corruption, tandis que la coalition berlusconienne, de son côté, en recyclait une autre partie.
Il faut tout le génie de la phrase pour présenter comme une grande nouveauté cette sorte de résurrection ou de recyclage, comme on voudra, du vieux parti bourgeois italien. L'ancien PC italien, après s'être débarrassé de tout son héritage idéologique, a ainsi mis tout son appareil, toute son influence, au service de la création d'un parti de la bourgeoisie, assorti d'un système politique apportant à celle-ci la stabilité gouvernementale. Il faut ajouter qu'il lui a apporté en prime la stabilité sociale grâce à son contrôle de la principale centrale syndicale, la CGIL, dont les dirigeants ont eux aussi apporté leur concours chaque fois qu'il s'agissait de faire accepter par la classe ouvrière des remises en cause de ses conquêtes. Cela a encore été le cas dernièrement avec une nouvelle « réforme » du système des retraites aboutissant à reculer l'âge de départ et à diminuer leur montant.
Reste à savoir bien sûr si la nouvelle construction politique sera solide. En ce qui concerne le Parti démocrate, on peut en douter, tant il agrège de courants et surtout d'ambitions diverses et concurrentes. Mais en fait ses dirigeants comptent sur un puissant facteur de cohésion : l'adoption d'une nouvelle loi électorale qui mettrait totalement fin à la proportionnelle et ne laisserait plus d'autre choix aux candidats à l'élection que d'adhérer à l'une des deux grandes coalitions, à l'exemple de pays voisins comme notamment la France. Un consensus existe entre les dirigeants du Parti démocrate et Veltroni d'une part, Berlusconi et Forza Italia d'autre part, pour faire avancer ce projet qui permettrait à l'un comme à l'autre de soumettre leurs alliés respectifs. Reste à savoir s'il réussira à passer malgré les protestations qu'il suscite du côté des petits partis, à gauche comme à droite.
La « cosa rossa »
En effet, on est bien loin encore de l'instauration de ce bipartisme à l'américaine que Veltroni et Berlusconi appellent de leurs vœux. En particulier, dans sa course vers la droite, l'appareil des DS ne pouvait manquer de laisser cette fois encore quelques morceaux au bord du chemin. Cela avait déjà été le cas en 1991 avec la formation de Rifondazione comunista, lorsque toute une partie de l'appareil de l'ancien Parti communiste avait refusé d'abandonner l'étiquette communiste. Mais une autre partie fit alors un autre choix : tout en étant réticent à la transformation du PCI en PDS, elle choisit de rester avec la majorité. Ainsi, une tendance plus ou moins informelle, le « correntone » (le « grand courant ») a incarné de 1991 à 2007 au sein du PDS-DS une sorte de mauvaise conscience, sinon de gauche du moins un peu moins à droite, autour de quelques dirigeants dont le leader historique de la « gauche » du PCI, Pietro Ingrao, fameux pour avoir toujours exprimé des réticences à l'égard du cours droitier du parti... et en même temps pour l'avoir invariablement suivi.
Mais il y a des limites à tout, et la transformation des DS, ou plutôt leur absorption au sein du Parti démocrate, allait apparemment au-delà de ce que le « correntone » pouvait avaler, à moins de perdre toute crédibilité vis-à-vis de ses propres militants et électeurs. C'est pourquoi celui-ci, autour de Fabio Mussi, a déclaré qu'il ne suivrait pas le reste des DS dans sa nouvelle transformation et serait donc conduit à créer sur leur gauche un nouveau « sujet politique » - encore un ! - destiné à continuer à incarner l'identité socialiste supposée encore présente dans ce parti.
Il va de soi qu'un Fabio Mussi, lui-même ministre du gouvernement Prodi et entendant le rester tant que durera celui-ci, n'a rien d'un révolutionnaire. Mais le déplacement de la majorité des DS vers la droite ne pouvait que préoccuper un certain nombre de ses dirigeants et une partie de son appareil, qui craignaient qu'en voulant gagner un électorat sur sa droite, le nouveau parti ne laisse à découvert sa gauche. C'est pourquoi non seulement Mussi proclama ne pas pouvoir suivre l'aventure de la transformation des DS en Parti démocrate, mais sa sortie des DS accompagné d'une fraction du « correntone » s'est doublée d'une nouvelle opération politique, cette fois à gauche des DS.
Le nouveau « sujet politique » ne voit le jour qu'à grand peine, au point qu'il n'est pas encore baptisé et que faute de mieux, la presse l'appelle pour l'instant «la cosa rossa » - la chose rouge. Cette « cosa rossa » est destinée non seulement à accueillir les transfuges du « correntone » des DS, mais à les réunifier avec ceux qui les avaient quittés en 1991 en créant Rifondazione.
Entre temps, ceux-ci ont fait du chemin. Ils ont connu une scission en 1998, lors de la crise du premier gouvernement Prodi, avec la création du PdCI (Parti des communistes italiens). Sous la direction de Fausto Bertinotti, Rifondazione a pendant quelque temps cherché à se donner un visage radical, s'est déclaré le parti « des mouvements ». Mais à l'approche du retour d'un gouvernement de centre gauche en 2006, Bertinotti a vite oublié ce radicalisme purement verbal pour affirmer qu'il tenait à prendre sa place dans ce gouvernement. Rifondazione et le PdCI font donc partie de la majorité gouvernementale, ils y comptent des ministres et Bertinotti a même été, en prime, élu président de la Chambre des députés.
Ce sont donc ces critiques de gauche de l'évolution du PCI en PDS et en DS, entre temps bien assagis, qui devraient maintenant rejoindre Mussi et ses émules du « correntone » au sein de la « cosa rossa ». Ainsi naîtrait un nouveau parti, auquel il faudra bien un jour trouver un nom. Ce sera peut-être « Parti de la gauche », ou bien « gauche socialiste » ou « gauche sociale », voire « démocratie socialiste », mais cela n'a en fait plus grande importance : l'intention n'est évidemment pas de définir vraiment les bases d'un socialisme, fût-il réinventé, devant ouvrir aux travailleurs des perspectives de transformation de la société. Il est simplement de tenter d'incarner une image que le Parti démocrate n'incarnera plus, et ainsi de recueillir les suffrages des électeurs de gauche qui ne se reconnaîtront plus dans le Parti démocrate. Il y a là un partage des rôles presque explicite pour tenter de couvrir la plus grande partie possible de l'arc électoral : sur la gauche pour la « cosa rossa » et au centre gauche et même si possible sur la droite pour le Parti démocrate.
L'extrême gauche
Si la mise en place du Parti démocrate apparaît comme une fin de parcours pour l'ancien Parti communiste, la « cosa rossa » serait aussi un aboutissement pour Rifondazione comunista, ce parti formé par les militants qui, en 1991, avaient refusé l'abandon de l'étiquette communiste par la majorité. Cet aboutissement à une sorte de « gauche radicale », comme la nomme la presse italienne, mais qui en réalité ne l'est pas du tout, était prévisible. Depuis sa naissance, tous les choix politiques importants de Rifondazione ont été de se comporter elle aussi en parti de gouvernement, disponible pour fournir une aile gauche à l'Olivier, puis à l'Unione.
Ses dirigeants, notamment Bertinotti, n'en ont pas moins cultivé longtemps l'ambiguité sur ce que serait la « refondation » communiste annoncée dans le nom du parti. Le but était évidemment de donner le change aux militants et à la fraction de la classe ouvrière qui espéraient encore voir naître un parti défendant vraiment ses intérêts et son aspiration à une transformation sociale, alors qu'il n'y avait dès le début rien à attendre des anciens cadres du parti stalinien et de la bureaucratie syndicale qui formaient l'armature de Rifondazione. Malheureusement, une grande partie des organisations et des militants de l'extrême gauche italienne - et pas seulement - les ont aidés à entretenir cette ambiguïté, en adhérant à Rifondazione, en y demeurant et parfois même en soutenant totalement un Bertinotti.
Pour ne parler que des militants se réclamant du trotskysme, ceux du Secrétariat unifié de la Quatrième internationale - auquel est liée la LCR en France - ont adhéré dès le début à Rifondazione comunista, voyant dans ce parti le début de la « recomposition du mouvement ouvrier » annoncée par ce courant. Ils ont d'abord participé à l'opposition de gauche interne à Rifondazione, puis ils se sont fondus dans le courant de Bertinotti lorsque, après 1998, celui-ci a mené pour quelques années une politique plus radicale en paroles. Ce « radicalisme » n'était d'ailleurs pas tant un retour vers des positions de classe qu'une exaltation des « mouvements », allant de l'altermondialisme au sous-commandant Marcos, mais semble-t-il, pour cette raison justement, il était propre à séduire les militants du Secrétariat unifié.
Un autre courant trotskyste, dont le dirigeant le plus connu est Marco Ferrando, a mené une opposition politique plus conséquente en présentant à chaque congrès de Rifondazione une plate-forme alternative sous le nom de « projet communiste », recueillant jusqu'à 16 % des voix dans les votes préparatoires. Cependant, il s'est installé pendant des années dans ce rôle d'opposition interne. Cela revenait à ne rien offrir, en pratique, aux militants et aux travailleurs en général qui désiraient s'organiser et lutter sur des bases véritablement communistes et de classe. Et de fait, à mesure que la politique de Rifondazione décevait les militants qui y avaient mis quelque espoir, ceux-ci quittaient le parti sans trouver, du côté de ses opposants, le moyen de lutter pour leurs idées.
Ce n'est finalement qu'à contre-cœur, devant l'orientation gouvernementale de Rifondazione après les élections de 2006 et le retour du centre gauche au pouvoir, que ces militants ont fini par sortir de ce parti. Il a fallu attendre le printemps 2007 pour que Franco Turigliatto, militant du Secrétariat unifié de la Quatrième internationale et élu sénateur de Rifondazione, prenne ses distances d'avec la majorité gouvernementale. On peut remarquer qu'il ne l'a fait qu'à l'occasion d'un vote sur la reconduction du contingent italien en Afghanistan, vote dans lequel il s'est abstenu, et non pas sur la politique sociale du gouvernement : ces militants sont visiblement moins préoccupés par la politique anti-ouvrière de Prodi que lorsque celle-ci risque de leur faire perdre le contact avec ce qu'ils nomment les « mouvements », le mouvement anti-guerre en l'occurrence.
C'est dans ces conditions qu'une partie des militants du Secrétariat unifié ont quitté Rifondazione et, dans une assemblée tenue à Rome en décembre 2007, ont lancé eux aussi un nouveau « sujet politique » en créant Sinistra critica (Gauche critique). Selon son dirigeant Salvatore Cannavò, Sinistra critica veut « la construction d'une gauche alternative », « anticapitaliste, écologiste, féministe, internationaliste ». Olivier Besancenot, venu saluer Sinistra critica au nom de la LCR, l'a appelée à construire avec celle-ci un « nouveau mouvement politique anticapitaliste européen ». Le projet de Sinistra critica ne prétend donc nullement revendiquer la référence communiste que Rifondazione avait voulu maintenir en 1991 et qu'elle est en train d'abandonner à son tour.
L'autre courant, celui de Projet communiste, s'est divisé en deux fractions avant même de sortir de Rifondazione, donnant ainsi naissance à deux organisations : le Parti communiste des travailleurs d'une part et d'autre part le Parti d'alternative communiste - Projet communiste, adhérent à la LIT (Ligue internationale des travailleurs). Les deux organisations proclament donc leur volonté de maintenir une orientation communiste, et c'est évidemment tant mieux. Il faut seulement remarquer qu'il ne suffit pas de s'affirmer « parti » pour l'être vraiment, c'est-à-dire pour représenter une fraction significative des travailleurs, organisés sur des bases communistes. D'autre part, ce choix intervient avec bien du retard, alors qu'au moment où l'ancien PC s'affirmait ouvertement comme un parti réformiste et bourgeois, ces militants ne se sont pas mis en mesure de défendre leur propre perspective politique au sein de la classe ouvrière elle-même. Et malheureusement, le fait d'être demeurés pendant quinze ans au sein d'un parti comme Rifondazione est en réalité un handicap lorsqu'il s'agit de jeter vraiment les bases d'une nouvelle organisation.
Pour tous les militants révolutionnaires, pour tous ceux qui veulent réellement redonner une perspective communiste à la classe ouvrière italienne après cette longue évolution du parti stalinien, c'est pourtant bien cette tâche qui est à l'ordre du jour.
11 janvier 2008