Textes de la Conférence nationale de Lutte Ouvrière - Proche-Orient : après l'accord Arafat-Rabin

Εκτύπωση
Décembre 1993

Au Moyen-Orient, l'année 1993 a été marquée par la signature de l'accord dit "Gaza et Jéricho d'abord" entre les dirigeants israéliens et palestiniens, et la reconnaissance mutuelle intervenue entre l'État d'Israël et l'Organisation de Libération de la Palestine, l'OLP de Yasser Arafat, qui l'a accompagnée.

Même s'il est peu probable que cet accord marque vraiment la fin du conflit israélo-palestinien, et encore moins du conflit israélo-arabe et des guerres du Moyen-Orient, il marque incontestablement un tournant de la part du gouvernement israélien, qui s'était toujours refusé jusqu'à présent à reconnaître l'OLP et à évacuer les territoires de Cisjordanie et de Gaza, occupés lors de la "guerre des Six Jours" de 1967.

Une autorité palestinienne régnant sur la bande de Gaza et autour de la ville de Jéricho, en Cisjordanie, telle serait la première forme que prendrait, "pour une période transitoire n'excédant pas cinq ans", l'établissement d'un embryon d'"autonomie" palestinienne dans les territoires occupés. L'accord reste flou sur ses objectifs à moyen et long terme et il serait vain de discuter aujourd'hui pour savoir sur quelles zones de territoire l'autorité palestinienne finira par s'exercer au terme de ces cinq ans de "transition". Mais le tournant semble pris vers l'établissement, à terme, d'un d'État palestinien plus ou moins autonome sur tout ou partie des territoires occupés.

Cet accord témoigne des préoccupations immédiates des dirigeants israéliens et palestiniens. L'OLP de Yasser Arafat est surtout conviée à montrer si elle est capable d'exercer son pouvoir sur les Palestiniens, à la place de l'armée israélienne. Ce test est l'exercice du pouvoir à Gaza dont, du fait de la situation explosive et incontrôlable qui y règne, les principales autorités israéliennes souhaitaient se retirer depuis longtemps.

C'est en effet à Gaza qu'a éclaté en 1987 l'Intifada, ce mouvement spontané de révolte de la population arabe palestinienne qui, étendu rapidement à la Cisjordanie, dure maintenant depuis six ans sans que l'armée israélienne se soit montrée capable de le vaincre réellement. Révolte sociale contre des conditions de vie insupportables au moins autant que révolte nationale contre l'occupation militaire israélienne, l'Intifada apparaît ainsi comme la principale cause du recul politique des dirigeants israéliens.

Évidemment, l'État d'Israël ne cède nullement le pouvoir à une représentation réelle de ces masses en révolte. En le cédant en partie à l'OLP, les dirigeants israéliens le cèdent, en connaissance de cause, à une organisation préparée depuis longtemps à exercer le pouvoir dans l'intérêt de la bourgeoisie arabe palestinienne, mais aussi au profit de l'ordre bourgeois en général.

Ceux qui exerceront ce pouvoir seront les cadres de l'OLP, ses fonctionnaires, les éléments d'armée palestinienne aujourd'hui disséminés dans les pays arabes, les policiers pour lesquels des bureaux de recrutement sont déjà ouverts dans les territoires et qui demain collaboreront avec l'armée israélienne. Les bénéficiaires en seront la bourgeoisie et la petite bourgeoisie palestiniennes, les notables de Cisjordanie et de Gaza et peut-être les millionnaires palestiniens du Golfe qui pourront exploiter la région, car les bourgeois savent même exploiter les gens très pauvres, sans que cela se traduise par le moindre développement économique.

Le problème n'est pas de discuter si Arafat a fait trop de concessions à Israël. Lui-même aurait sans doute préféré que le rapport de forces ne lui impose pas de les faire et pouvoir hériter d'un "grand" État palestinien, et non d'un territoire très exigu. Grand ou petit, étendu à toute la Cisjordanie ou seulement à une petite partie de celle-ci, l'État ou l'embryon d'État palestinien sera un État pour les notables, pour la bourgeoisie, pas pour les masses de ce prolétariat palestinien qui a fourni les combattants de l'Intifada.

Le calcul commun des dirigeants palestiniens et surtout israéliens est de se donner les moyens sinon de restaurer un peu la situation sociale et économique de l'ensemble israélo-palestinien, au moins de tenter d'arrêter sa dégradation en n'ajoutant pas la continuation de l'état de guerre aux effets de la crise mondiale. Comme cela dépendra surtout des financements de l'Occident impérialiste, c'est l'évolution de la crise économique mondiale qui conditionnera l'évolution de cette région comme de bien d'autres. Cette sorte de mini-marché commun israélo-palestinien ne peut guère constituer un havre de prospérité, même en admettant qu'il bénéficie maintenant de l'ouverture sur les marchés arabes dont ne bénéficiait pas le seul Israël.

Les Palestiniens chassés dans le passé, à commencer par ceux des camps du Liban, de Syrie ou de Jordanie, ne pourraient même pas tous revenir, même s'ils le souhaitaient. Israël ne s'est engagé à rien sur ce plan, et en outre, ce sera peut-être l'État palestinien lui-même, s'il voit vraiment le jour, qui s'y opposera car il sera hors de ses possibilités d'accueillir ces millions de déshérités.

Le choix de départ des dirigeants palestiniens a été de ne revendiquer que ce qui pouvait être acceptable par les dirigeants arabes, et aussi finalement par l'impérialisme. Ils ont canalisé les aspirations nationales et, dans une large mesure, sociales des masses vers un nationalisme étroitement palestinien qui exprime seulement les intérêts d'une petite couche de notables dont les revendications se limitaient à obtenir les attributs d'un pouvoir d'État - aussi limités qu'ils pouvaient être dans le contexte.

L'accord actuel marque aussi sans doute les limites des possibilités des dirigeants israéliens. Après bien des aventures guerrières qui, elles aussi, étaient le résultat logique des choix des dirigeants sionistes, ceux-ci ont dû mesurer les limites de leurs possibilités de s'ouvrir les portes du Proche-Orient à coups de campagnes militaires. Israël, État bénéficiant d'un niveau de vie à l'occidentale au cœur du Proche-Orient, n'a pu exister sous cette forme que parce qu'il bénéficiait des subventions de l'impérialisme et, en échange, mettait son armée au service des intérêts de celui-ci. Mais l'impérialisme n'a peut-être plus besoin de financer Israël pour bénéficier de son soutien militaire, car Israël a le dos au mur. D'ailleurs, lors de la guerre du Golfe, les USA, pour obtenir l'appui de certains de leurs alliés arabes, ont fait passer Israël au second plan.

Israël, qui prétendait être un havre pour les Juifs du monde entier menacés par l'antisémitisme, ne l'a en fait jamais été. L'antisémitisme, comme le racisme en général, exacerbés par l'impérialisme en décadence et par ses crises économiques, n'ont pas de solution en dehors du renversement du capitalisme. Le sionisme, qui prétendait en ouvrir une par la création d'un État Juif, n'a abouti qu'à créer de nouveaux conflits nationaux, sans pour autant supprimer la possibilité de nouvelles flambées d'antisémitisme en Europe ou en Amérique, et sans que l'existence de l'État d'Israël soit une quelconque protection pour ceux qui en seraient alors victimes. Il serait d'ailleurs bien incapable de les accueillir tous, si jamais ils le souhaitaient.

Nous sommes résolument pour le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes, ce qui signifie dans le cas présent que nous reconnaissons le droit des Israéliens et des Palestiniens, à avoir un État indépendant. La défense de ce droit fait partie de la lutte contre toutes les formes d'oppression. Les révolutionnaires prolétariens combattent l'oppression sous ses différents aspects concrets, en soutenant des revendications de caractère démocratique telles que la reconnaissance de droits égaux aux Juifs et aux Arabes au sein de l'État d'Israël, la lutte contre l'emprise de la religion israélite - ou musulmane -, contre le caractère sioniste de l'État (loi du retour donnant immédiatement la citoyenneté à un immigrant venu de New York ou de Paris, mais la niant à un Arabe palestinien), pour la reconnaissance des droits des réfugiés palestiniens, contre la politique pro-impérialiste de l'État. Mais ils doivent le faire en dénonçant, auprès des masses, le caractère réactionnaire de tous les nationalistes bourgeois, même et surtout s'ils se trouvent en situation, dans certaines situations concrètes, de s'associer à une lutte commune.

Mais la politique de révolutionnaires prolétariens au Proche-Orient ne peut cependant se limiter à la défense de ces revendications. La plupart ne pourraient d'ailleurs être satisfaites que dans le cadre d'un bouleversement révolutionnaire. L'essentiel est la primauté de la lutte de classe contre les bourgeoisies israélienne, palestinienne et arabe, et contre tous les instruments d'oppression que sont dans la région les appareils d'État - israélien, arabes, et demain arabe palestinien. Il n'y a pas à considérer que l'un de ces appareils d'État serait plus "légitime" qu'un autre. Les révolutionnaires auront à lutter pour la révolution prolétarienne, pour le pouvoir de la classe ouvrière arabe et israélienne, pour l'expropriation de la bourgeoisie - des émirs du pétrole aux capitalistes israéliens ou aux banquiers de Beyrouth. Ils lutteraient pour une fédération socialiste des peuples du Proche et du Moyen-Orient permettant de dépasser les frontières, les divisions héritées du colonialisme, et qui pourrait être un pas vers la mise des richesses de la région à la disposition réelle des peuples qui la composent. Ils placeraient leur lutte contre l'oppression nationale, ethnique ou autre de tel ou tel peuple par un autre, dans le cadre du combat pour renverser le système impérialiste dans son ensemble, par le seul moyen de la révolution prolétarienne mondiale.

28 octobre 1993