Éditorial de Lutte Ouvrière n° 1399, 28 avril 1995 - Après le premier tour

Εκτύπωση
Mai 1995

Le score de plus de 5 % que nous avons obtenu à ce scrutin représente le double des voix que nous obtenons habituellement. Il est, en soi, un succès important pour les idées que nous avons défendues.

D'autant plus que si nos idées sont relayées, par nos militants et nos sympathisants, dans les quartiers, dans les bureaux ou dans les ateliers, nous sommes une petite organisation par rapport à d'autres partis, comme le Parti Communiste par exemple, pour citer un parti ayant la même implantation sociale que nous. Et nous avons obtenu près des deux tiers des voix du Parti Communiste.

C'est dire que ces idées ont rencontré l'accord de centaines de milliers d'électeurs et un réel soutien. Il faut dire qu'elles étaient éclairées par les scandales économiques et politiques, les bénéfices fabuleux des grandes entreprises sur fond de chômage généralisé, et par le fait que les trois principaux candidats étaient tous responsables, à un titre ou à un autre, de la situation des quinze dernières années et ne proposaient au fond rien d'autre que de recommencer.

Entre ces deux tours, je veux rappeler que nous avons dit et répété, au cours de cette campagne, que les travailleurs n'avaient rien à attendre de différent de Jacques Chirac, ou de Lionel Jospin.

J'ai dit depuis le début de cette campagne que, pour notre part nous nous abstiendrons au second tour et que nous n'appellerons donc pas à voter pour Lionel Jospin.

Ceux qui ont voté pour moi connaissaient ce choix à l'avance.

En effet seul le maquillage diffère entre les représentants du Parti Socialiste et du RPR. Ils sont tous deux des hommes du patronat qui se sont adressés aux classes populaires avec de vagues promesses qu'ils se sont bien gardés de chiffrer et qu'ils se garderont bien de concrétiser s'ils sont élus.

En 1981, nous avions appelé, au deuxième tour, à voter pour François Mitterrand, en précisant que c'était sans illusion aucune sur ce qu'il apporterait, mais par solidarité avec les millions d'électeurs de gauche, de travailleurs, de gens du peuple, qui souhaitaient mettre fin à des années et des années de pouvoir politique de la droite et qui espéraient beaucoup de la gauche.

En 1988, nous n'avons pas renouvelé cet appel entre les deux tours. Car le premier septennat avait été marqué par le blocage des salaires, puis par les licenciements massifs, d'abord dans l'automobile et la sidérurgie, puis dans de multiples autres branches. Durant ces sept années, l'autorisation préalable de licenciement avait été supprimée, laissant ainsi s'aggraver le chômage de façon considérable, et les CRS ont été envoyés contre les travailleurs qui protestaient. Tout cela avait suffisamment démontré que les travailleurs n'avaient rien à attendre du Parti Socialiste au pouvoir. Et nous ne voulions pas être complices de ce qui allait se passer par la suite et de ce qui s'est effectivement passé.

Aujourd'hui, nous avons la même attitude envers Lionel Jospin que celle que nous avions en 1988 envers Mitterrand. Nous ne voulons pas empêcher les travailleurs et l'électorat de gauche de voter pour Lionel Jospin et nous ne ferons rien pour cela.

Nous n'appellerons donc pas à l'abstention, mais nous n'appellerons pas, non plus, à voter pour Lionel Jospin, qui est, comme Chirac, un représentant du patronat, même s'il en est un représentant plus hypocrite que Chirac, qui l'est ouvertement.

Voter pour Jospin ne fera malheureusement pas barrage à la droite car c'est à la politique du Parti Socialiste, appuyé par le Parti Communiste de 1981 à 1984, que l'on doit non seulement la dramatique situation économique actuelle mais aussi la montée de la droite qui représente 60 des voix, dont 15 % pour le Front National de Le Pen.

Car Lionel Jospin ne fait que récupérer une partie des voix précédemment perdues par le Parti Socialiste. Et Robert Hue, malgré la remontée que le PCF proclame, ne retrouve même pas la moitié de son électorat de 1981, à peine plus que son score de 1988 qui était le plus bas.

Ce n'est pas s'aligner à nouveau derrière le candidat socialiste qui changera cette situation. Ce qu'il faut, c'est changer radicalement de politique pour réduire le chômage et les injustices. C'est le seul moyen de faire disparaître le racisme et la xénophobie.

Je remercie tous ceux qui ont voté, au travers de ma candidature, pour le programme que j'ai défendu.

J'aurais souhaité obtenir encore plus de voix, pour représenter une force susceptible de mobiliser l'ensemble des travailleurs, des chômeurs et des jeunes, pour imposer à l'élu du deuxième tour ce programme urgent pour 5 millions de personnes en situation précaire, pour l'ensemble du monde du travail et pour toute la population.

Mais nous, les militants et sympathisants de Lutte Ouvrière allons, dans les semaines qui viennent, nous efforcer de rencontrer le maximum possible de ceux qui ont voté pour ma candidature et de ceux qui ont cru qu'il valait mieux faire un vote qu'ils croyaient "utile", afin de discuter avec eux. Discuter avec tous ceux d'entre eux qui l'accepteront, pour envisager les conditions de la création d'un bien plus grand parti que le nôtre, se plaçant résolument, et uniquement, sur le terrain de la défense politique des exploités.

Un tel parti sera le seul moyen de remporter le troisième tour social qui ne manquera pas d'avoir lieu car, maintenant, les luttes doivent sortir des urnes et ne pas s'y enfermer.

Car il n'y a rien, absolument rien, à attendre de celui qui l'emportera au soir du deuxième tour, quel qu'il soit.

Arlette Laguiller