Haïti : débat sur le financement des élections sur fond d’éveil de la combativité ouvrière

Εκτύπωση
septembre-octobre 2016

Le texte suivant est extrait de Voix des Travailleurs (n° 227, 1er août 2016), publication de nos camarades de l'Organisation des travailleurs révolutionnaires en Haïti.

Depuis l'annonce [le 7 juillet] par le porte-parole du département d'État américain John Kirby de ne pas financer les prochaines élections prévues, suivant le calendrier du Conseil électoral provisoire (CEP), en octobre prochain, certains parlementaires, des candidats proches du pouvoir sont montés au créneau. Se drapant de leur drapeau nationaliste, ils demandent à la population de résoudre le problème entre Haïtiens en finançant eux-mêmes ces élections. « C'est une occasion pour les Haïtiens de prouver qu'ils peuvent se mettre ensemble contre le tutorat étranger », réclame André Michel, défenseur zélé de Privert [le président provisoire de la République] et candidat au Sénat. Certains parlementaires proposent de donner deux mois de salaire, d'autres suggèrent d'ouvrir un compte en banque au nom du CEP dans lequel la population pourrait déposer de l'argent

Quand il s'agit de dépouiller la population pauvre, les politiciens trouvent des phrases pompeuses dans le but de la tromper : ils ont besoin d'argent, alors on est tous Haïtiens ! Mais quand les pauvres sont dans les problèmes de malnutrition, d'exploitation féroce, d'éducation, de santé, aucun politicien n'est là pour clamer que nous les pauvres nous sommes des Haïtiens comme eux, ayant droit à la même considération que leurs amis nantis.

Les noms de certaines grandes entreprises ont été cités dans le financement de ces élections, des chiffres ont même été annoncés. Sur les 55 millions de dollars US prévus, elles devraient contribuer à hauteur de 20 millions. C'est le cas notamment de la Natcom et Digicel. Mais si les dirigeants de ces deux compagnies de téléphone mobile ont nié avoir promis de l'argent liquide au gouvernement, ils disent toutefois être prêts à apporter leur aide logistique pour la réalisation du processus électoral, et enfin, si c'est le vœu du gouvernement, ils sont disponibles pour collecter de l'argent et financer ces élections en augmentant le coût des appels téléphoniques. Là aussi, c'est sur le dos de la population que cette opération sera faite !

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Ce débat sur le financement national des élections oppose des politiciens qui sont en lutte pour le contrôle du pouvoir. Si la bande à André Michel et Steven Benoit, le parti Lavalas, est si disposée à remuer ciel et terre pour que ces joutes électorales aient lieu, c'est parce que chacun se croit en position de l'emporter. Une fois au pouvoir, ils se rembourseront en puisant dans les caisses publiques. La population, quant à elle, ne sera jamais remboursée, ni financièrement, ni en action politique en sa faveur, par les gens qu'elle aura contribué à élire.

Cette vérité-là, les ouvriers de la ZI de la capitale en ont fait l'expérience.

Pendant les mois de mai, juin et juillet derniers, la zone industrielle de Port-au-Prince a été un foyer de protestation ouvrière contre les bas salaires, les mauvaises conditions de travail et le renchérissement du coût de la vie. Les activités de près d'une douzaine d'entreprises de la sous-traitance ont été perturbées par des arrêts de travail, des grèves et des coups de colère des travailleurs. Les incidents mettant face à face des patrons, leurs sous-fifres et des travailleurs se sont multipliés. Le ton avait été donné le 1er mai, où des travailleurs, des militants révolutionnaires et des syndicalistes ont manifesté pour exiger un ajustement salarial de 500 gourdes [7 euros], l'amélioration des conditions de travail et une baisse substantielle des produits de première nécessité.

Les 11 et 19 mai suivants, deux manifestations de rue des travailleurs avec les mêmes revendications ont arrêté les activités au Parc Sonapi, regroupant environ une cinquantaine d'entreprises. Quand le gouvernement a enfin cédé en octroyant un ajustement de 25 % sur les salaires pour les travailleurs de la sous-traitance, et face au refus catégorique de la quasi-totalité des patrons d'appliquer le nouveau salaire, la mobilisation a continué au sein des entreprises pour en exiger l'application immédiate.

Aux numéros 8, 15 et 27 du Parc Sonapi et à SISA, situé à Tabarre, les travailleurs ont fait grève pendant plus de quinze jours pour arracher l'application de l'ajustement salarial. Chez Charles Henry Backer, ancien candidat malheureux à la présidence, les travailleurs ont également tenu tête pendant deux semaines.

La situation est identique dans plusieurs autres entreprises de la zone industrielle, comme Premium, où les travailleurs ont opposé la résistance aux manœuvres des patrons pour ne pas appliquer l'ajustement salarial de 25 %.

Malgré les représailles, des révocations arbitraires, les travailleurs ont tenu bon dans toutes les entreprises où ils étaient en lutte.

Regain de combativité

Il n'y a pas si longtemps, sur la zone industrielle, dans le secteur de la sous-traitance notamment, tête baissée et soumis, les travailleurs étaient considérés par les patrons comme des bêtes de somme. Tout le poids du système d'exploitation capitaliste, la toute-puissance des patrons, leur étaient imposés dans l'usine par la présence permanente d'une équipe de petits chefs : des managers, des superviseurs chargés de les matraquer moralement, psychologiquement, parfois physiquement. Jouissant de pouvoirs illimités, cette bande d'énergumènes avait le droit de fouler aux pieds tous les droits des travailleurs. Ayant comme seul atout leur force brutale, leur langue sale, ils pouvaient licencier, injurier, réprimer les travailleurs comme bon leur semble. L'objectif étant de saper le moral des travailleurs, de le ramener au niveau le plus bas pour mieux les exploiter. Le simple fait, par exemple, pour un travailleur d'entrer la tête haute à l'usine était un motif de renvoi sans aucune forme de procès.

Mais depuis quelques années on assiste dans plusieurs usines à une petite prise de conscience du côté des travailleurs. Ces derniers refusent de plus en plus de se laisser faire. Certes, l'environnement reste globalement le même : les sous-fifres des patrons sont toujours aussi puissants qu'avant, de nombreux travailleurs qui ont essayé d'implanter quelques organisations syndicales dans quelques usines ont été révoqués, la crise économique qui frappe très durement la classe ouvrière entraîne chaque jour un nombre croissant de chômeurs. Autant de facteurs qui permettent aux patrons d'augmenter la pression sur les travailleurs pour accroître l'exploitation.

Mais des signes pour l'instant parcellaires montrent un lent regain de combativité des travailleurs sur la zone industrielle. Un débrayage par-ci, une grève par-là, des coups de gueule assez fréquents, des interventions dans la presse, tout cela témoignage d'une prise de conscience collective qui se met en place. Les travailleurs relèvent la tête.

« Toute lutte de classe est une lutte politique », disait Marx. Les travailleurs en ont fait l'expérience pendant cette agitation. De leurs bureaux, les patrons ont eu à leur secours toute la force répressive de la police dans ses différentes unités. À n'importe quelle heure de la journée, les policiers ont toujours répondu présents, ils sont d'autant plus efficaces que les travailleurs n'ont pas encore une grande expérience d'organisation. La police est « la milice privée des patrons », disait un travailleur.

Mais il n'y avait pas que les policiers. Des juges, des avocats ont tous été présents. Ils sont venus apporter leur expertise juridique aux exploiteurs.

Une autre institution de l'État, le ministère des Affaires sociales, s'est vouée corps et âme aux patrons. Censés arbitrer les conflits de travail à l'amiable entre patrons et ouvriers, ses agents se sont révélés être de véritables supplétifs des patrons. Quand ils débarquent dans les usines à l'appel des patrons, ils ne daignent même pas jeter un coup d'œil aux travailleurs. Ils vont directement prendre le lunch dans le bureau du patron puis s'en vont après lui avoir donné les garanties nécessaires. L'État est une bande de brigands au service de la bourgeoisie, les travailleurs sur la zone industrielle commencent à s'en rendre compte progressivement.

Les derniers mouvements des travailleurs ont eu lieu pour défendre leur salaire ou encore le prix de leur force de travail. S'ils n'ont pas eu de résultats spectaculaires, ils réalisent au moins l'importance de leur solidarité. Les travailleurs ont vu qu'ensemble, ils peuvent faire reculer les patrons. Ces luttes, si elles se poursuivent, constituent la meilleure école de prise de conscience des travailleurs. Elles finiront peut-être par faire tomber toutes les illusions encore présentes dans les têtes, par apprendre aux travailleurs que, dans le système capitaliste, il n'y a pas d'avenir pour les classes pauvres, pour la classe ouvrière.

En Haïti, après 20, 25 ans de carrière, le travailleur meurt plus pauvre qu'il ne l'était avant de débuter comme ouvrier. Le salaire qu'il a reçu lui permet à peine de se nourrir et reconstituer ainsi sa force de travail. Un tel système qui jette chaque jour un nombre croissant de travailleurs dans la famine, dans le dénuement le plus abject, ne peut représenter l'avenir d'aucune société. On ne peut que souhaiter que petit à petit les travailleurs et l'ensemble des classes exploitées parviennent à cette idée et jouent le rôle que leur confère l'histoire : débarrasser la planète du joug et de la domination du capital.