L’économie capitaliste en crise - De nouveaux pas vers le précipice

Εκτύπωση
décembre 2014-janvier 2015

Malgré quelques rebonds, réels ou imaginés, l'économie capitaliste ne parvient pas à sortir de la phase d'aggravation de la crise déclenchée par la crise financière de 2008.

Dans l'Union européenne, le taux de croissance moyen du produit intérieur brut (PIB) sur six ans est proche de zéro.

Cette moyenne cache des disparités même entre les pays impérialistes d'Europe occidentale : le PIB de l'ensemble de la zone euro, par exemple, est encore, au deuxième trimestre 2014, de 2,5 % inférieur à son niveau du début de 2008.

En Espagne et en Italie, le recul est respectivement de 9,1 % et de 6,3 % (Alternatives économiques - octobre 2014).

Le PIB étant une notion vague, plus importants encore sont les indices qui mesurent la production industrielle. Ils sont plus nettement encore sous le niveau d'avant 2008.

Les investissements des entreprises privées ont subi un coup de frein brutal après la crise financière. Ils ne s'en sont pas encore remis. Contraction « sans précédent depuis la création de la zone euro ». (Centre d'Études Prospectives et d'Informations Internationales - CEPII). Le même CEPII ajoute que « l'Europe n'est pas la seule région concernée. La faiblesse mondiale de l'investissement a été mise en avant par la présidence australienne du G20 en 2014. Elle a également été relevée par le FMI comme une source (...) d'affaiblissement de la croissance potentielle dans le monde développé. »

Et le chœur des dirigeants politiques et des économistes commentateurs de surenchérir : « Relancer l'investissement reste donc en 2015 un enjeu de politique économique majeur... »

Eh oui, mais comment ?

Les entreprises capitalistes n'investissent pas parce qu'elles ne croient pas à un élargissement du marché.

Quant aux États, ils ne le peuvent pas parce qu'ils sont endettés jusqu'au cou. Ils en sont, au contraire, à sabrer dans leurs dépenses, y compris dans les dépenses d'investissement indispensables dans les services publics, dans les infrastructures.

Si, pendant quelques années, l'Allemagne s'en est mieux sortie que les autres pays de l'Union européenne, en cette année 2014, elle est en train de basculer vers la récession.

Cependant, même pendant les années où le PIB allemand était encore en croissance relative par rapport aux autres pays d'Europe et où sa capacité d'exportation était citée en exemple en France - principalement pour justifier les discours sur la nécessité d'une plus grande compétitivité pour les salariés d'ici -, l'Allemagne était en train de prendre du retard en matière d'investissements.

Le taux d'investissement du secteur privé est passé, entre 2000 et 2013, de 21 % à 17 % malgré l'accumulation réalisée grâce à ces exportations.

Le recul des investissements publics est plus grave encore. En 2013, leur part dans le PIB ne représente que 1,6 %, nettement inférieure à la moyenne de la zone euro (2,1 %). Et le comble : la part des investissements publics par rapport au PIB en Allemagne est même inférieure à celle de la Pologne ou de la... Grèce ! (statistiques Eurostat).

Le résultat en est une détérioration rapide des infrastructures en Allemagne qui est en train de devenir un handicap pour l'économie allemande. Comme le résume la publication Der Spiegel : « Les industriels allemands vendent des voitures et des machines d'excellente qualité dans le monde entier mais, quand une école se dégrade, ce sont les parents qui doivent financer les travaux. Les entreprises et les ménages possèdent des milliards d'euros mais un pont autoroutier sur deux a grand besoin d'être rénové. » (cité par Courrier international).

L'Allemagne peut encore se vanter d'un taux de chômage qui reste inférieur à la moyenne de la zone euro. Mais une partie au moins de ce bas niveau de chômage est due aux lois Hartz réduisant la durée de versement et le montant des allocations-chômage et imposant des emplois sous-payés, des mini-jobs à temps partiel. La prétendue victoire sur le chômage consiste pour l'essentiel à livrer au patronat allemand une main-d'œuvre bon marché.

La reprise de l'économie des États-Unis, présentée par les économistes bourgeois comme un espoir, n'en est véritablement une que pour les profits des entreprises. Ils sont revenus à leur niveau le plus élevé depuis 1947. Les entreprises ont utilisé leurs profits records pour enrichir leurs actionnaires, distribuant 900 milliards de dollars en dividendes en 2013, environ 100 milliards de plus que ce qu'elles distribuaient dans les années fastes d'avant la crise.

Les trente sociétés de l'indice Dow Jones ont racheté pour 211 milliards de leurs propres actions en 2013, pour le bonheur des vendeurs et des autres actionnaires.

Bien plus important pour les masses ouvrières dans le bilan des dernières années de crise est le chômage.

L'administration Obama s'est targuée d'une baisse du chômage aux États-Unis : 5,9 % en septembre 2014 représentant une diminution de 1,3 % en un an. Cela représente tout de même 9,3 millions de chômeurs dans la principale économie capitaliste du monde.

En réalité, même les statistiques officielles reconnaissent qu'il y a en plus 7,1 millions de salariés à temps partiel imposé - en fait, des chômeurs partiels - et que le nombre de ceux qui, découragés, ne cherchent plus du travail, est de 2,2 millions. Le taux de chômage réel est le double des 6 % annoncés.

Plus significative que le taux de chômage est l'évolution du nombre de salariés à temps plein. En 2007, il y en avait 121 millions. En septembre 2014, ils étaient 119,8 millions, chiffre en baisse alors que la population américaine a augmenté de 18 millions de personnes.

Derrière les manipulations statistiques - dont les États-Unis n'ont certes pas le monopole -, la réalité est que la proportion d'Américains en âge de travailler qui occupent un emploi n'a jamais été aussi faible depuis 1978.

Pendant plusieurs années, un certain nombre de pays émergents ont été présentés comme les moteurs de la croissance mondiale. Présentés sous l'acronyme BRICS pour Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud - auxquels parfois on ajoute la Turquie, l'Indonésie, voire la Corée du Sud -, ils sont en train de faire mentir les optimistes qui voyaient en eux un espoir pour l'économie capitaliste mondiale.

Le taux de croissance officiel en Chine reste encore élevé. Mais il est en diminution. À quelque 10 % entre 2000 et 2010, il tourne cette année autour de 7 %.

Quelle est dans cette croissance du PIB la part du développement industriel - réel - et celle de l'immobilier avec les hausses de prix et la spéculation qui l'entourent ? Par bien des aspects, le taux de croissance élevé du PIB de la Chine rappelle celui de l'Espagne il y a quelques années, lorsque ce pays caracolait en tête en Europe occidentale... Jusqu'à l'éclatement de la bulle immobilière, l'effondrement du secteur, l'arrêt des constructions entraînant dans la récession toute l'économie espagnole.

Or, dans l'immobilier, qui compte pour environ 15 % dans le PIB chinois, la crise semble avoir déjà commencé. Dans un grand nombre de villes importantes, le volume des transactions a baissé brutalement durant le premier trimestre 2014, mettant un coup d'arrêt à la frénésie de construction. Étant donné l'endettement très lourd des collectivités locales qui ont largement financé cette fièvre immobilière, la menace d'une crise financière et bancaire grave se dessine.

La Chine joue depuis plusieurs années un rôle d'entraînement vis-à-vis notamment de l'Afrique subsaharienne et du Brésil. Une part importante des exportations des matières premières d'Afrique s'est faite pour répondre à la demande chinoise (50 % pour les minerais, 25 % pour le pétrole brut). Quant au Brésil, 20 % de ses exportations étant dirigés vers la Chine, le simple ralentissement de la croissance chinoise se traduit automatiquement par un ralentissement plus grave. Cette raison, avec d'autres, fait que le Brésil s'enfonce dans la récession.

Voilà que cette année, les BRICS se fissurent... Le Brésil est en récession. L'économie russe est frappée tout à la fois par la baisse du prix du pétrole, sa principale ressource, et par l'état de guerre avec l'Ukraine et les conséquences des mesures punitives occidentales. En Inde, la croissance chute à son plus bas niveau depuis dix ans.

Le recul mondial de la production se traduit par une baisse des prix des matières premières. L'indice des prix des métaux a perdu 9,6 % sur un an. Le prix du minerai de fer a chuté de 41 % cette année, son plus bas niveau depuis 5 ans (statistiques MineralInfo).

Dans ces secteurs, la production est sous le contrôle de grands trusts internationaux, dont l'industrie pétrolière est l'archétype. Ces trusts réagissent par une politique malthusienne qui a pour conséquences des fermetures de mines, notamment pour le fer, et des licenciements qui affectent l'économie des pays producteurs.

Les grandes entreprises capitalistes dont les profits sont élevés mais qui n'investissent pas sont gorgées de liquidités. Le Monde Économie a estimé il y a quelque temps à 2 000 milliards de dollars (1 443 milliards d'euros) le montant des liquidités accumulées ces dernières années par les 2 300 plus grosses entreprises américaines non financières. Un chiffre qui, affirme Le Monde, « donne le vertige ... (car) il représente l'équivalent du produit intérieur brut de la Russie. Un trésor de guerre gigantesque qui ne demande aujourd'hui qu'à être investi. » À ceci près qu'il ne s'agit pas d'investissements au sens de la création de nouveaux moyens de production mais, au mieux, de rachats d'entreprises existantes, au pire, de placements spéculatifs. L'évolution de la réalité économique est dissimulée par le glissement sémantique.

Par-delà l'infinie diversification de la production et de la consommation depuis Marx, par-delà la sophistication du marché financier, l'économie capitaliste se heurte à la contradiction fondamentale de son fonctionnement : celle entre la capacité d'accroître la production qui est illimitée et les limites du marché, c'est-à-dire de la consommation solvable. Les entreprises capitalistes ont beau avoir largement de quoi investir, elles ont beau avoir, avec un nombre croissant de chômeurs, de la main-d'œuvre disponible, elles n'investiront pas si elles ne peuvent pas vendre la marchandise produite avec bénéfice. Or, le marché global ne s'élargit plus depuis des décennies, ou très peu. Et depuis l'aggravation de la crise à partir de 2008, l'accroissement du chômage et les multiples mesures attentatoires au pouvoir d'achat des masses populaires réduisent encore la capacité de consommation solvable des grandes masses.

Les mêmes lois fondamentales du fonctionnement capitaliste de l'économie poussent en permanence la classe capitaliste à transformer les profits accumulés en capitaux susceptibles de rapporter de nouveaux profits. La saturation des marchés de la consommation populaire n'incitant pas à investir dans la production, les profits accumulés en capital s'orientent de plus en plus vers l'utilisation financière. Les offres agressives pour tenter de mettre la main sur les entreprises concurrentes en font partie.

Le journal Les Échos constate que « OPA : les attaques hostiles, atteignent un pic historique dans le monde. Attaquer pour se défendre, c'est la règle qui s'impose sur le marché des fusions acquisitions. Depuis le début de l'année, 545 milliards de dollars de valeurs combinées d'entreprises ont été ainsi visés dans des acquisitions agressives. Jamais les tentatives de prise de contrôle hostiles n'ont atteint cette échelle, même dans les années 2000, voire 1970. »

Ces opérations ont pour conséquence, comme dans toutes les crises de l'économie capitaliste, un accroissement de la concentration des capitaux. Cette concentration ne se traduit pas par une rationalisation de la production. Elle est, pour l'essentiel, financière. D'après Attac, 147 multinationales contrôlent 40 % de l'économie mondiale. La capacité de montrer sa puissance financière en absorbant ses concurrents devient un élément de la spéculation boursière.

L'accumulation du profit des entreprises qui les met ainsi à la tête de liquidités considérables est dégagée par l'exploitation renforcée des travailleurs : par la compression des salaires, par la flexibilité, par l'accroissement du rythme du travail.

Pour la grande bourgeoisie qui monopolise la propriété des usines, des machines et des moyens de production, démolir les conditions d'existence des travailleurs est un impératif pour sauvegarder et accroître sa fortune malgré la crise.

Pour les actionnaires des grandes entreprises, la crise n'est pas une calamité, mais une opportunité à saisir. C'est grâce à la crise que les entreprises les plus puissantes mettent la main sur les plus faibles pour concentrer le pouvoir économique entre les mains d'un nombre restreint de grands bourgeois.

L'impossibilité pour l'économie capitaliste de surmonter sa crise, voilà la raison fondamentale de l'aggravation de la guerre de classe menée par la classe capitaliste contre les travailleurs et de la paupérisation des classes populaires qui en découle.

Dans cette guerre de classe, les États sont entièrement au service des intérêts de la grande bourgeoisie : non seulement ils donnent aux entreprises privées tous les moyens d'aggraver l'exploitation en réduisant les quelques prestations légales mises en place dans des périodes plus prospères de l'économie capitaliste pour sauvegarder la paix sociale, mais ils font eux-mêmes office d'huissiers pour prélever sur la classe ouvrière, et plus généralement sur les classes populaires, de quoi alimenter la finance.

Tous les États du monde capitaliste mènent une politique d'austérité. Derrière les multiples formes sous lesquelles cette politique est menée et la variété des « justifications » mensongères des dirigeants politiques qui l'imposent, il y a le même mécanisme fondamental qui draine des sommes croissantes des classes populaires vers le grand capital.

« Rembourser la dette », assurer le versement continu des intérêts, c'est le leitmotiv d'une économie capitaliste décadente et en crise. Il est imposé par les États et repris en chœur comme une vérité élémentaire par le personnel politique et par les médias. Derrière ce leitmotiv, il y a le capital financier qui prélève avec brutalité sa dîme sur toute la société sans même en passer par la production et par l'exploitation directe.

La première conclusion à en tirer pour les travailleurs est que l'aggravation de l'exploitation, conjuguée à la pression financière croissante des États, est une vis sans fin. Rien ne peut les freiner, hormis des explosions sociales qui menaceraient l'ordre bourgeois dans son ensemble. Tout programme de défense pour les travailleurs doit reposer sur la conscience claire qu'en cette période de crise, la classe capitaliste est poussée, par le fonctionnement même de son économie, à s'attaquer toujours plus violemment aux conditions d'existence de la classe ouvrière. Il n'y a rien à attendre de la bourgeoisie et d'aucun des courants politiques qui se placent dans le cadre du capitalisme.

La classe ouvrière ne pourra défendre son droit légitime à un emploi et à un salaire correct qu'en les imposant par la lutte contre le grand patronat et l'État. Le Programme de transition, formulé par Trotsky il y a plus de sept décennies dans une autre période de crise grave de l'économie capitaliste, garde toute son actualité. Contre le chômage, répartition des heures de travail entre tous les bras disponibles, sans diminution de salaire. Contre la baisse du pouvoir d'achat, échelle mobile des salaires et augmentation automatique en fonction des hausses de prix.

Du fait que ces exigences mettent directement en cause la dictature du capital sur les entreprises et, par là même, la propriété privée des grands moyens de production, elles ont un caractère éminemment révolutionnaire. Voilà pourquoi elles sont combattues par les défenseurs ouverts de la propriété capitaliste, et traitées d'utopiques par les défenseurs critiques du capitalisme.

Au-delà de la nécessité de défendre ses conditions d'existence contre la guerre de plus en plus féroce menée par la grande bourgeoisie dans ce contexte de crise, un autre problème bien plus vaste se pose pour la classe ouvrière.

La crise financière de 2008, qui a failli déboucher sur ce que les dirigeants politiques de ce monde appellent une « crise systémique », n'est que le dernier en date des multiples soubresauts de l'économie capitaliste.

Cela fait maintenant quarante ans que l'économie capitaliste va de crises financières en périodes de récession. Les crises sont de plus en plus fréquentes et de plus en plus graves.

Les États sont impuissants et leurs gouvernements désemparés. Chaque initiative politique destinée à surmonter un problème en provoque un nouveau. Il n'y a pas eu d'effondrement brutal comme en 1929. La crise n'a cependant pas été surmontée, mais seulement étirée dans le temps.

Injecter du crédit, c'est-à-dire accroître l'endettement, a été le fil conducteur de toutes les initiatives destinées à suppléer la stagnation du marché. La financiarisation sans cesse croissante de l'économie qui en a résulté étouffe l'économie capitaliste.

Le montant de l'endettement prend des proportions qui dépassent l'entendement. Il mesure le parasitisme du grand capital.

« L'encours de la dette mondiale franchit le cap des 100 000 milliards de dollars », signalait le journal Les Échos au mois de mars 2014, citant un rapport de la Banque des règlements internationaux (BRI), sorte de banque centrale des banques centrales. À ce niveau, les chiffres perdent toute signification. Sur ces 100 000 milliards, la dette des États représente à elle seule 43 000 milliards. Elle a été multipliée par 2,5 en à peine 12 ans !

Autrement dit, la dette publique de chaque être humain sur cette planète se monte à 6 142 dollars ! Chaque nouveau-né, y compris les plus pauvres dans les pays les plus pauvres, vient au monde avec cet endettement ! Et pendant ce temps-là, les dirigeants politiques pérorent sur la nécessité de « rembourser la dette »...

Ce montant mondial de la dette paraît irréel tant il est évident qu'il ne pourra jamais être remboursé. Au point que certains économistes en viennent à se demander s'il ne vaut pas mieux pour le système l'annuler totalement ou partiellement. En somme, généraliser à l'échelle du globe ce qui avait été fait pour un certain nombre de pays dans le passé et pour l'Argentine récemment.

L'État argentin s'étant déclaré en faillite en 2001, les créanciers - les grandes banques - avaient fini, au bout de plusieurs années de marchandages, par se mettre d'accord pour « restructurer » la dette de l'Argentine et accepter de voir réduite de 70 % la valeur de leurs créances. Mieux valait récupérer 30 % que rien du tout. En outre, la faillite de l'Argentine risquait d'en entraîner d'autres et d'aboutir à une catastrophe financière.

Mais si des créanciers, détenteurs de 93 % de la dette ont accepté cet accord, quelques fonds spéculatifs l'ont refusé. L'un d'eux au moins a les moyens de mobiliser une armada d'avocats d'affaires pour exiger le remboursement de ses créances à leur valeur nominale. Le bouquet est que le fonds en question n'a même pas prêté à l'État argentin, il a racheté sur le marché financier des titres de dette pour 50 millions alors que le prix de ces titres était au plus bas. La valeur nominale de ces reconnaissances de dette étant de 800 millions de dollars, cela représente un profit « modique » de 1 500 % !

Quelle est la production, quel est l'investissement productif qui peut en rapporter autant ? Pour totalement irresponsable que soit ce « fonds vautour », y compris à l'égard de l'intérêt général du système capitaliste, il incarne les lois et les valeurs d'un système économique où le profit est roi et où l'intérêt privé capitaliste est sacré. Quand Lénine affirmait qu'un capitaliste est capable de vendre la corde pour le pendre, il savait de quoi il parlait.

Cet endettement mondial gigantesque a été accumulé au fil des soubresauts de la crise économique dont le dernier épisode est le crédit illimité ouvert au système financier par tous les États impérialistes au moment où, en 2008, le système bancaire mondial menaçait de s'effondrer (sous des formes différentes, ces crédits continuent provenant aussi bien la Banque fédérale des États-Unis que de la Banque centrale européenne). Il est mortellement dangereux pour la société et n'a aucune utilité pour l'économie capitaliste elle-même.

À en juger par les jérémiades des détenteurs de capitaux petits et moyens, obtenir du crédit est plus difficile que jamais alors qu'en même temps, jamais le monde capitaliste n'a disposé d'autant d'argent et de crédit en tout genre. Mais seuls les plus puissants sont admis à jouer dans la cour des grands. Le marché de la dette et des multitudes de titres qui la représentent - titres de dettes souveraines des différents États, obligations etc. - est devenu, pour ceux qui y ont accès, un gigantesque marché de substitution aux marchés des produits matériels et des services réels.

Après avoir accompli, il y a plus d'un siècle, son œuvre historique en développant l'économie à un degré jamais atteint auparavant, le capitalisme d'aujourd'hui est en train de retrouver certains aspects du fonctionnement précapitaliste du capital. L'usure est en train de prendre le pas sur la production. Il ne s'agit pas du comportement particulier de tel ou tel fonds, qualifié de vautour par ceux qui critiquent non pas le capitalisme mais ses « excès ». Il s'agit d'une tendance fondamentale du capitalisme d'aujourd'hui. Une évolution fondamentale qui fait que les crises ne jouent même plus le rôle d'antan de régulatrices de l'économie, régulatrices brutales mais régulatrices quand même. Le fait est que, depuis la première crise de surproduction qui a suivi les crises monétaires du début des années 1970, l'économie n'a pas connu une période de franche reprise.

Les débats actuels opposant ceux qui insistent sur la nécessité de faire des économies budgétaires pour rembourser la dette et ceux qui prônent une relance des investissements productifs sont dans une large mesure théoriques. S'il est possible que les États consacrent une part plus grande des budgets à de grands travaux au bénéfice du grand capital, celui-ci est tout aussi intéressé par le flux financier que lui vaut le remboursement de la dette. Le grand capitalisme ne choisit pas entre les deux. Et procéder à la fois à de grands travaux étatiques et rembourser avec intérêts les sommes que les États doivent aux financiers ne peut se faire que dans des limites étroites, tout en se traduisant par une pression fiscale plus grande. Tout cela n'aboutira pas à un retour au plein-emploi et à un nouveau cycle de croissance de l'économie productive.

Même si certains de ces économistes déplorent l'étouffement de l'économie productive par la finance, la grande bourgeoisie n'en a que faire. Peu importe que le grand capital rapporte plus dans la finance que dans la production, du moment qu'il rapporte ! Et quelle que soit la forme sous laquelle apparaît le grand capital, on retrouve la même grande bourgeoisie derrière les grandes entreprises de production comme derrière les banques et le « marché financier ».

La grande bourgeoisie n'a que faire non plus que cette financiarisation, que l'importance prise par les crédits et les subventions étatiques fassent des éclopés même dans les rangs de la bourgeoisie petite et moyenne. À la guerre comme à la guerre, l'économie capitaliste a toujours été la jungle, même entre possesseurs de capitaux.

Ce qui inquiète, sinon la grande bourgeoisie, du moins ses porte-parole qui essaient de raisonner en fonction des intérêts généraux de leur classe, c'est que cette accumulation de dettes et de crédits finisse en crise financière, cette fois-ci « systémique ». En d'autres termes, que l'économie capitaliste rejoue le scénario catastrophe du fameux Jeudi noir de 1929, en pire.

Tous les commentateurs de l'économie, ou presque, s'attendent à un krach sans avoir cependant la moindre idée du secteur où éclatera en premier une des nombreuses bulles fabriquées par les injections massives de liquidités par les banques centrales. Cela viendra-t-il des marchés obligataires ? Des actions ? De la spéculation sur les changes ? Du marché des dettes souveraines ? Des « produits dérivés », c'est-à-dire de ces sortes de contrats d'assurance contre les aléas de la spéculation, devenus au fil du temps un support de la spéculation parmi les plus dangereux ?

Ou de celui de l'immobilier, point de départ déjà de la crise financière de 2008 ? Et qui, de nouveau, à force d'attirer les capitaux spéculatifs fait s'envoler les prix de l'immobilier ? Les valeurs immobilières passent depuis des temps immémoriaux pour des « valeurs sûres », et « investir dans la pierre », un placement de « bon père de famille ». C'est précisément cela qui en fait des objets de spéculation dans l'économie financiarisée où des capitaux considérables se déplacent au quotidien à la recherche de placements qui rapportent. Avec la globalisation de la finance, le marché de l'immobilier est aussi ouvert aux capitaux internationaux que tous les autres marchés, et les sociétés d'investissement immobilier se sont multipliées, avec des titres qui s'achètent, se vendent et deviennent des supports de la spéculation.

Même sans l'éclatement d'une bulle spéculative dans l'immobilier, les classes populaires payent cher les conséquences de la spéculation qui fait monter les prix. Le capitalisme n'a jamais été capable de donner une réponse satisfaisante à « la question du logement », si vitale pour les travailleurs. Mais la financiarisation de l'économie et les hausses de prix que la spéculation provoque donnent à cette question un caractère dramatique.

Il y a près d'un siècle déjà, au moment où les rivalités impérialistes plongeaient la planète dans une Première Guerre mondiale, Lénine qualifiait l'impérialisme de « stade sénile du capitalisme ». Faute d'avoir été détruit par le prolétariat révolutionnaire, ce capitalisme sénile continue à survivre. Les lois de la biologie ne sont pas décalquables à la société humaine : une forme d'organisation sociale même anachronique depuis longtemps, devenue sénile, ne disparaît que lorsque la classe privilégiée qui en est bénéficiaire est renversée par une classe sociale porteuse d'une nouvelle forme, supérieure, de l'organisation sociale. L'humanité aura payé le retard de la révolution sociale par la crise de 1929, par la barbarie nazie, une deuxième guerre mondiale puis, après trois décennies d'accalmie relative, par une nouvelle crise économique et par la croissance extraordinaire du parasitisme de la finance avec toutes les menaces qu'elle recèle.

La question qui se pose à la société dépasse, et de très loin, la nécessité de défendre les conditions d'existence de la classe ouvrière, la principale classe productive de l'économie. Elle est celle de l'avenir de l'humanité.

La société ne se développe plus sur la base du capitalisme. L'avenir de l'humanité dépend de la capacité de la classe ouvrière de s'élever au niveau de la tâche historique qui lui incombe et où aucune force sociale ne peut la remplacer : celle de renverser la domination de la grande bourgeoisie et de remplacer l'économie capitaliste par une organisation économique qui permette à l'humanité de reprendre sa marche en avant.

21 octobre 2014